Où est Jésus ?

Luc 2:41-52

Culte du 11 janvier 2015
Prédication de pasteur James Woody

(Luc 2:41-52)

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Culte du dimanche 11 janvier 2015 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, la question qui se pose dans ce texte est : « Où est Jésus ? » Joseph et Marie sont les parents qui forment la sainte famille, mais ils ont perdu l’enfant Jésus. Ils ne savent pas où il est. A première vue, le lecteur pense que Joseph et Marie ont perdu leur enfant en oubliant de vérifier qu’il était bien avec eux sur le chemin du retour. Une lecture plus attentive révèle qu’un fossé profond, non géographique, s’est creusé entre Jésus et ses parents, un fossé qui ne va pas se combler au prétexte que Joseph, Marie et Jésus seront physiquement réunis à la fin de l’épisode. Pour bien comprendre cela, il faut se reposer la question : « où est Jésus ? ».

A première vue, Jésus est à Jérusalem, dans le temple. Mais une lecture attentive nous permet d’être plus précis. En effet, Jésus est surtout au milieu du texte. Lorsque le rédacteur indique que Jésus est au milieu des maîtres, des didaskaloi, des docteurs de la loi, il emploie le mot grec meso et ce mot, le 85ème d’un texte qui en contient 170, est donc au milieu du texte. La place de Jésus indique le pivot autour duquel va s’articuler l’opposition entre Jésus et ses parents, opposition qui est le sujet de réflexion que je vous propose ce matin.

Observons d’abord ce qui structure Marie et Joseph. Le rédacteur de l’évangile nous donne trois indications précieuses : ils vont à Jérusalem kat’etos, selon le rythme des années ; ils montent à Jérusalem kata ethos, selon la coutume, selon l’habitude ; puis, ils retournent chez eux, nomisantes que Jésus est avec eux, du verbe nomizo qui signifie avoir l’habitude, avoir coutume de…

Autrement dit, voilà la sainte famille décrite comme agissant sans réfléchir. Ils agissent par habitude, sans se poser de question, sans s’interroger. Tels des automates, ils font, ils répètent toujours les mêmes gestes, les mêmes rituels. Ils suivent la loi qui devient une routine. Leur comportement se calque sur le comportement habituel. Joseph et Marie se conforment à l’usage. Ce faisant, ils perdirent Jésus.

Ce qui anime Jésus

A l’opposé, ce qui anime Jésus, c’est, dit-il, de s’occuper des affaires de son père. Quelques versions tardives de cet évangile essaieront bien de corriger le début du texte qui précise que ce sont les parents de Jésus qui viennent à Jérusalem, pour dire que ce sont Joseph et Marie, sous-entendu Joseph n’est pas le père. Mais, primitivement, ce passage qui a pu être composé avant la rédaction de l’annonciation et de la naissance de Jésus, affirme que ce sont bien ses parents qui montent à Jérusalem avec Jésus. Joseph n’étant pas au courant de ce que fait son fils, nous comprenons que le père dont parle Jésus n’est pas le père biologique, il n’est pas le père selon la coutume, selon l’usage. Le père dont parle Jésus est le Père auquel il rendra témoignage dans la suite de son histoire, ce père qui est célébré au temple de Jérusalem, Dieu.

Se trouvant au milieu du texte et des docteurs de la loi, Jésus s’occupe donc des affaires de Dieu. Le rédacteur nous dit qu’il écoute et qu’il interroge. Et sa manière de faire suscite l’émerveillement autour de lui. Le texte grec dit que tous ceux qui écoutaient Jésus étaient existanto : ils existaient.

Jésus face à ses parents

Alors « Où est Jésus ? » loin, très loin de ses parents. Certains diraient sur une autre planète. Qu’ont-ils en commun ? Peu de chose. Non pas rien, mais tant de choses les séparent. Tant de choses les séparent que leurs trajectoires respectives sont ici décrites comme un grand écart. Il y a d’un côté ceux qui fréquentent le temple de manière rituelle, par conformisme, sans penser à ce qu’ils font, sans même écouter, sans interroger, contrairement à ce que fait Jésus. Ils agissent comme télécommandés par ce qu’ils estiment être juste, ce qui l’a peut-être été un jour, mais qui n’a jamais été repensé, jamais soumis à la moindre critique. Je caricature peut-être un peu le comportement de Joseph et Marie, mais le rédacteur de l’évangile ne fait pas moins, en les représentant sous les traits de personnes soumises à la ritualité. Si bien soumises qu’elles ne peuvent pas faire autre chose que soumettre à leur tour. Cela commence par l’accusation faite à Jésus « pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme nous sommes angoissés » alors que n’importe quel parent rendrait grâce de retrouver son enfant et, comme le père prodigue, ferait préparer le veau gras pour fêter cela. Cela continue par cette mention, terrible, que Jésus leur fut ensuite soumis. Il fut soumis à ceux qui ne comprenaient pas ce qu’il leur disait. Jésus fut soumis à ses parents qui ne comprenant rien à rien, peut-être, justement, parce qu’ils ne comprenaient pas, parce qu’ils étaient dépassés par ce qu’ils constataient. Tout au mieux Marie pouvait-elle garder toutes ces choses dans son cœur, mais elle était, là, incapable d’en dire quoi que ce soit.

Pour autant, l’évangéliste ne fait pas de Marie et de Joseph des fanatiques. Constatant que Jésus n’est pas avec eux après une journée de voyage sur le chemin du retour, ils ne s’obstinent pas dans leur voie. Ils vont, au contraire, rebrousser chemin, s’étant rendu compte que leur fils manquait à l’appel. Le fait même qu’ils soient angoissés, qu’ils souffrent de la situation, montrent qu’ils ne sont pas insensibles, qu’ils ne sont pas totalement enfermés dans leur réalité faite de conformisme, faite de ritualisme, faite d’une loi inexorable et implacable. Le rédacteur n’a pas manqué de les caricaturer, mais il y a aussi un trait d’espérance. Joseph et Marie ne sont pas du genre à regarder froidement quelqu’un, et à le perdre. Ils ne sont pas du genre à ne pas être ému par le regard de l’autre, par le visage de l’autre. Certainement parce que Joseph et Marie ont la capacité de reconnaître dans un inconnu un frère, une sœur, un prochain qui ne les laisse pas indifférent, un prochain qui ne pourra jamais compter pour valeur négligeable, même s’ils ne le connaissent pas, même s’ils n’ont aucune sympathie pour lui, même s’ils auraient des reproches à lui faire. Et lorsque Joseph et Marie retournent en arrière, au lieu de s’obstiner dans un fanatisme auquel ils ne souscrivent pas, ce n’est pas pour achever le travail commencé et perdre un peu plus Jésus. Ils font demi-tour comme celui qui fait techouva, celui qui se convertit, celui qui reconnaît s’être trompé de route et prend une meilleure direction. Joseph et Marie ne sont pas du côté des fanatiques qui feraient la volonté de Dieu, que Dieu le veuille ou non, mais leur rapport à la vie, un rapport automatique, irréfléchi, est déjà terrorisant pour l’enfant Jésus.

Faire mieux que la loi

Il y a donc de l’autre côté Jésus, qui est au milieu des docteurs de la loi. Jésus, tout à l’opposé de ses parents, révèle qu’au-delà de la loi se profile quelque chose d’indispensable qui, plus tard, sera appelé Evangile, et que nous trouvons tout au long de nos archives bibliques, l’Evangile qui renvoie à cette possibilité pour notre vie d’être transcendé, de se métamorphoser en existence, c’est-à-dire une vie qui a du sens. Jésus prend la parole au milieu des docteurs de la loi, il n’a que 12 ans, un an trop jeune pour ce qui sera la Bar-Mitsva et qui consiste notamment en une prise de parole au cœur de l’assemblée, au milieu de la communauté. En étant au milieu de l’assemblée et au milieu du texte, nous comprenons que Jésus porte en lui la révélation de la spiritualité biblique. Il devance l’appel, il transcendance la règle qui dit que c’est à 13 ans que cela doit avoir lieu. Mieux, à 12 ans, il accompli ce que les docteurs les plus aguerris ne parviennent pas forcément à réaliser. Il ne faut pas nécessairement se dire que Jésus fut un enfant précoce. Ce texte n’a pas un caractère historique. C’est un passage qui veut nous dire ce qu’il y a à comprendre de la vie telle que Jésus en fait la promotion. Ici, nous apprenons que nous ne sommes pas condamnés à nous enfermer dans une règle immuable, à être prisonnier d’une rège établie par d’autres, en d’autres temps et en d’autres lieux. Contre le fantasme un peu fou d’une règle éternelle valable en tous temps et en tous lieux, une règle unique à laquelle tout le monde devrait se soumettre sans poser de question, Jésus oppose la liberté personnelle de faire mieux que ce que la loi propose, relativisant la loi et sa prétention à régenter l’univers. Jésus pose que nous n’avons pas à rechercher l’uniformité. Je dirai même que nous avons à l’éviter, car elle nous soumet à un ordre des choses inférieur à ce que nous pouvons espérer lorsque nous conjuguons nos talents respectifs, lorsque nous laissons s’exprimer nos singularités, lorsque nous faisons valoir notre génie propre.

Dieu au-delà de Dieu

Justement, en indiquant qu’il s’occupe des affaires de son père, Jésus fait une brèche dans le carcan des certitudes parentales et ouvre ainsi une voie à la transcendance. Quand Joseph et Marie sont à ses côtés, il dit qu’il y a ici plus que son père : il y a ce Père qu’on appelle aussi Père céleste, ou encore le Très-Haut. Quelle belle expression que celle-ci qui manifeste la transcendance, surtout lorsqu’elle est entendue dans son original hébreu ‘elyon, que l’on retrouve aussi dans l’arabe Allahu Akbar qui est entre le comparatif et le superlatif et que nous pourrions rendre avec la formule du théologien protestant Paul Tillich : « Dieu au dessus de Dieu ». Jésus renvoie à une transcendance qui ne se limite pas à nos images, ni à l’idée que nous nous en faisons ou celle qu’on nous a collée dans la tête. Dieu dépasse toujours ce que nous pouvons en penser ou en dire et, a fortiori, ce que nous pouvons en faire. Les traditions religieuses ont toutes cela en leur sein : la foi en un Dieu qui est au-delà de ses représentations, au-delà des institutions qui prétendent le gérer, sinon le soumettre comme un animal sauvage que l’on voudrait domestiquer. Jésus renvoie la spiritualité à bien mieux que la routine religieuse que ses parents ont pu lui servir jusque là. Il la propulse hors de nos décombres, dans le firmament de l’extase, là où nous nous mettons à exister pour de bon. Il n’y a pas de soumission dans ce que propose Jésus, mais une pure libération de tout ce qui est en nous germe de vie. Ceci pour dire que la caractéristique de Jésus sera de laisser sur son passage plus d’hommes et de femmes debout qu’il n’y en avait avant qu’il arrive. Cela change bien des choses, et cela ne peut manquer de nous inspirer.

La parole créatrice

Enfin, le centre névralgique qu’est Jésus rend évident la place centrale de la parole dans cette pédagogie d’une vie authentique. Où est Jésus ? Il n’est pas là où se font les sacrifices. Il est avec les maîtres de la loi qui se réunissaient près du portique de Salomon, figure de sagesse. Il est là où la parole se partage, là où la parole ouvre de nouvelles possibilités, de nouveaux horizons, de nouvelles compréhensions. La parole est l’arme par laquelle ce qu’il y a de plus vrai progresse et prend de la consistance. Cette parole, déjà à l’œuvre dans les premiers quotes du livre de la Genèse, lorsqu’il est question de création, est ce qui permet de rendre le monde un peu plus vivable. C’est lorsque nous sommes en mesure de nommer les choses qui nous entourent, c’est lorsque nous sommes en mesure de parler pour donner du sens à ces choses, que le monde devient plus compréhensible, plus familier, et donc plus vivable. Lorsque la parole faiblit ou qu’elle ne fait plus sens, qu’elle n’est plus qu’un son creux, alors le tohu-bohu reprend le dessus, et le monde n’est plus qu’un entassement informe où il n’est même plus possible de reconnaître les siens.

En se tenant au milieu de l’assemblée, au milieu de ce qui est notre patrimoine cultuel, Jésus ouvre la voie à une transcendance qui permet à notre vie de prendre ses justes dimensions qui ne sont pas celles d’une pensée étroite, mais qui s’étalonnent sur l’infini de la grâce que révèle l’Evangile. Et lorsque nous sommes sous le choc, lorsque nous sommes sidérés comme l’était Marie, la parole est ce qui nous libère de notre état de sidération, ce qui nous fait sortir de la situation de deuil, c’est ce qui nous fait vivre, ce qui nous fait exister !

Amen

 

Lecture de la Bible

Marc 11:12-22

Les parents de Jésus allaient chaque année à Jérusalem, à la fête de Pâque.

Lorsqu’il fut âgé de douze ans, ils y montèrent, selon la coutume de la fête. Puis, quand les jours furent écoulés, et qu’ils s’en retournèrent, l’enfant Jésus resta à Jérusalem. Son père et sa mère ne s’en aperçurent pas. Croyant qu’il était avec leurs compagnons de voyage, ils firent une journée de chemin, et le cherchèrent parmi leurs parents et leurs connaissances. Mais, ne l’ayant pas trouvé, ils retournèrent à Jérusalem pour le chercher.

Au bout de trois jours, ils le trouvèrent dans le temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant. Tous ceux qui l’entendaient étaient frappés de son intelligence et de ses réponses. Quand ses parents le virent, ils furent saisis d’étonnement, et sa mère lui dit: Mon enfant, pourquoi as-tu agi de la sorte avec nous? Voici, ton père et moi, nous te cherchions avec angoisse.

Il leur dit: Pourquoi me cherchiez-vous? Ne saviez-vous pas qu’il faut que je m’occupe des affaires de mon Père?

Mais ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait.

Puis il descendit avec eux pour aller à Nazareth, et il leur était soumis. Sa mère gardait toutes ces choses dans son coeur. Et Jésus croissait en sagesse, en stature, et en grâce, devant Dieu et devant les hommes.

Traduction NEG

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