Noël, l’au-delà du cannibalisme et du vomissement

Luc 2:1-7

Culte du 24 décembre 2012
Prédication de pasteur James Woody

(Luc 2:1-7)

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Culte de la veillée de Noël, 24 décembre 2012 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, hier, le professeur Laurent Gagnebin nous a dit à quel point l’évangile selon Luc parle de « Noël pour tous ». Ce soir, je vous propose de constater que cet évangile parle aussi d’un « Noël pour tous les temps » : Noël contre vents et marées.

Si nous remontons à la conception de Jésus, c’était déjà tout une histoire pour faire comprendre à Marie et à Joseph que le moment était venu pour eux d’être parents et de mettre au monde celui qui nous apprendrait ce qu’être humain veut dire. Toujours est-il qu’après un commencement un peu laborieux bien négocié par l’ange Gabriel, Marie fut enceinte et le temps d’accoucher arriva. Mais on ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie… certains, parmi vous, n’ont pas demandé à venir à cette veillée de Noël, d’autres n’auraient pas forcément invité tel ou tel membre de la famille pour le repas de Noël.

Marie et Joseph, eux, se seraient certainement passés de cette escapade à Bethléem. D’abord parce que ce n’est pas très prudent pour une femme enceinte d’entreprendre un voyage pareil. Aujourd’hui on le déconseille alors que les voitures, trains et autres avions sont autrement plus confortables que la marche à pied aidée d’un âne.

Marie et Joseph sont contraints à une forme d’exil, loin de ce qu’ils pouvaient rêver pour les derniers jours avant l’accouchement. Qui sait si Joseph n’avait pas prévu de peindre la chambre du bébé à ce moment-là, ou de finir son berceau ? Marie et Joseph avaient franchement mieux à faire que d’aller à Bethléem, mais ils y vont. Et le pire, c’est qu’ils partent pour se faire recenser. C’est là que ça s’aggrave : non seulement Marie n’aura sûrement pas la sage-femme avec laquelle elle avait fait ses cours à l’accouchement voire son gynécologue chéri, mais, en plus, elle part pour faire quelque chose de formellement interdit selon la tradition biblique : se faire recenser. Cela avait valu à David de sérieux problèmes en son temps (2 S 24/10). Recenser le peuple, c’est établir des listes, ficher chaque individu et l’absorber dans un grand tout. Recenser le peuple, c’est s’approprier le peuple, en faire sa chose, l’engloutir de telle sorte qu’on puisse dire, ensuite : voilà sur quoi je peux compter. Les prophètes d’Israël ont souvent rappelé à quel point certains actes politiques, certaines organisations politiques pouvaient nous priver de liberté et nous transformer en chair à canon. Le recensement relève du cannibalisme parce qu’il nous fait disparaître dans une masse anonyme qui sert à asseoir le pouvoir du dirigeant qui peut ensuite dire à son voisin :« et toi, combien de divisions ? »

La société cannibale nous croque pour prendre notre énergie, nos talents, tout ce qui fait notre richesse. Elle nous vide de notre substance et supprime nos singularités. La société cannibale nous avale et nous digère pour peser un peu plus lourd dans le concert des puissances.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. En dépit de cette cannibalisation de Marie et Joseph, la présence prégnante du Dieu invisible continue à faire histoire…

Grossesse en danger de vomissement

« Il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie »

Marie et Joseph se sont donc exposés au danger d’une grossesse malmenée par les aléas d’un voyage et ils sont exposés au danger d’un cannibalisme d’Etat. Les voilà, maintenant, affrontés à un nouveau danger qui en est exactement le négatif : ils vont être vomis par la société. Il n’y a plus de place pour eux, nulle part. Ils sont refoulés, vomis hors des lieux de vie humains. Il n’y a même pas de foyer d’urgence pour les accueillir. Par d’église à réquisitionner, pas de bureaux vides, pas de gymnase inoccupé (comme Noël n’a pas encore eu lieu, il n’y a pas de vacances scolaires). Marie et Joseph sont de véritables SDF. Il n’y a tellement plus de place pour Marie et Joseph dans la communauté humaine qu’ils vont avec les animaux. Quelle est cette société qui n’a plus de place ? C’est la société occidentale observée par Claude Levi-Strauss qui constatait qu’elle a tendance à expulser les marginaux et les réprouvés au lieu de les aider à trouver leur place.

C’est une société qui vomit les corps étrangers. Sont vomis tous ceux qui dérangent, ou qui posent problème, d’une manière ou d’une autre. Pour conserver un peu d’hygiène, on a institué des vomitoires tenus par des professionnels, des vomitoires qui sont propres à l’extérieur et inhumains à l’intérieur. Si les rapports du contrôleur général des lieux de privation de liberté ne font que confirmer l’état déplorable des prisons, la surpopulation de ces lieux atteste notre capacité à vomir, à rejeter hors de nous - les prisons n’étant pas les seuls lieux, si nous considérons également bien des lieux de réclusion pour différentes étapes de la vie, pour rejeter ceux que nous ne supportons plus à cause de leur âge, de leur violence, de leur handicap…

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. En dépit de ce rejet massif, en dépit du fait que Marie et Joseph soient réduits à être considérés comme des animaux, en dépit de l’euphémisation de Marie et Joseph à travers leur animalisation, la présence prégnante du Dieu invisible continue à faire histoire…

La grâce de la communion

« Marie coucha son fils premier-né dans une mangeoire »

Le nouveau-né est placé dans une mangeoire. Il est donc désigné comme une nourriture et on lui donne une place. Un nouveau-né placé dans une mangeoire : sera-t-il avalé tout cru ? Un nouveau-né placé dans une mangeoire : sera-t-il à jamais exclu de la communauté des hommes ? Ce petit d’homme, devenu grand, révèlera qu’une autre réalité est possible, qu’il est possible de nourrir son prochain sans se faire dévorer par lui, sans perdre son identité. Ce petit d’homme, devenu grand, révèlera que l’autre, le différent, peut être là sans que mon pain, ma paix, ma raison d’être soient menacés.

Ce nouveau-né couché dans une mangeoire est un défi lancé aux deux menaces qui se sont abattues sur le jeune couple. Entre le cannibalisme et le vomissement, l’Evangile de Noël propose une voie de salut. En lieu et place du cannibalisme qui nous dévore, la communion. En lieu et place du vomissement qui nous exclue, la communion.

Venir au culte pour une veillée de Noël, c’est prêcher Noël : c’est adhérer à une communauté qui affirme que les individualités ont toute leur valeur et qu’il n’est pas question de faire masse, de se fondre dans une foule sans visage. A l’Oratoire comme en bien d’autres lieux, chacun est accueilli avec ses convictions, sans avoir à se couler dans un moule, sans avoir à se renier ou renoncer à lui-même. Accueillir à sa table quelqu’un que nous considérons comme un étranger, c’est prêcher Noël. C’est aussi ce que font les personnes qui organisent ce soir Noël aux Halles pour donner une place, pour donner de l’amour, de la joie et de l’espérance aux personnes isolées du quartier en leur offrant une repas convivial, un spectacle réjouissant et l’occasion d’une cérémonie œcuménique. C’est prêcher Noël bien mieux qu’aucun prédicateur ne pourra jamais faire. Car c’est dire de tout son corps qu’un autre ordre du monde est possible. Il est des actes par lesquels tout notre être s’engage, par lesquels toute notre vie devient une prédication en forme de cri de nouveau-né lancé à la face du monde pour dire la vie qui l’emporte, malgré tout. C’est alors que nous incarnons une vie selon l’espérance de Dieu. La communion, c’est refuser l’indifférenciation du cannibalisme qui est le premier pas vers l’indifférence. La communion, c’est refuser l’exclusion, l’effacement de l’autre.

Noël propose la communion comme art de vivre et pas uniquement art de la table. Noël propose la communion pour supplanter dévoration ou expulsion de nos semblables. Noël n’est pas seulement une révolte contre ce qui enferme ou ce qui exclue, c’est aussi une prédication vivante, incarnée, qui dit que le don de soi n’est pas nécessairement un sacrifice qui nous fait perdre la face et que chacun a droit à une place.

« Un lieu pour trouver sa place », telle est la devise que le centre social La Clairière s’est choisie pour exprimer le sens de sa mission auprès de tous, en toutes circonstances. Contre vents et marées, contre tout ce qui pourrait nous laisser penser que l’histoire ne peut que s’épuiser dans la tourmente, Noël constitue cette mémoire dans laquelle nous pouvons puiser pour retrouver de bonnes raisons d’avoir confiance dans nos capacités à organiser un monde respectueux de chacun, une Bethléem qui porte bien son nom : « maison du pain »… la boulangerie fraternelle où nous apprenons que la vie peut être communion.

Amen

Lecture de la Bible

Luc 2:1-7

1 En ce temps-là parut un édit de César Auguste, ordonnant un recensement de toute la terre. 2 Ce premier recensement eut lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie.

3 Tous allaient se faire inscrire, chacun dans sa ville.

4 Joseph aussi monta de la Galilée, de la ville de Nazareth, pour se rendre en Judée, dans la ville de David, appelée Bethléhem, parce qu’il était de la maison et de la famille de David, 5 afin de se faire inscrire avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte.

6 Pendant qu’ils étaient là, le temps où Marie devait accoucher arriva, 7 et elle enfanta son fils premier-né. Elle l’emmaillota, et le coucha dans une crèche, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie.

Audio

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