Merci d’exister : un merci qui ressuscite

Habacuc 3:1-2 , Habacuc 3:16-19 , Sophonie 3:14-17

Culte du 29 janvier 2012
Prédication de pasteur Marc Pernot

(Habacuc 3:1-2,16-19 ; Sophonie 3:14-17)

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Culte du dimanche 29 janvier 2012 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Marc Pernot
Merci d’exister : un merci qui ressuscite

Il y a quelque chose d’étrange dans cette prière d’Habacuc, c’est que quand il dit :

Je me réjouis en l’Éternel,
Je me réjouis dans le Dieu de mon salut (3 :18)

Quand Habacuc dit cela, il vient de dire :

Le figuier ne fleurira pas,
La vigne ne produira rien,
Plus d’olives, ni de blé, adieu veaux,
vaches, cochons, couvées… (3 :17)

De quoi est-ce qu’Habacuc remercie Dieu, si tout va ainsi de travers ?

Avec ce merci d’Habacuc, nous sommes dans la grâce pure : Habacuc remercie Dieu d’exister. Il le remercie gratuitement.

Dans la Bible, normalement, le propre de Dieu est de nous donner des figues, des raisins, du pain et des olives… Il s’agit là d’images bien connues des dons de Dieu.

Le figuier évoque dans ce contexte la lecture et l’interprétation de la Bible, les figues sont les bons fruits féconds qu’apportent la philosophie et la théologie. On s’attendrait à ce qu’Habacuc remercie Dieu de l’avoir éclairé, ou qu’il lui demande de bénir cette recherche et de la rendre productive… Nous faisons ces prières à chaque culte, et peut-être même chaque jour. C’est la moindre des choses de dire merci à ceux qui nous ont fait un cadeau, il est donc juste de remercier Dieu pour ses bienfaits. Mais la prière d’Habacuc est ici de l’ordre de la grâce pure. Il remercie Dieu même en l’absence de fruits, même s’il n’y en avait pas eu et même s’il n’y en avait pas à attendre. Il remercie Dieu car sa simple existence le remplit de joie. Ce merci d’Habacuc nous apprends ce que c’est que la grâce pure, la grâce qui ressuscite.

Le 2e exemple que donne Habacuc est la vigne, elle évoque dans la Bible ce qui est produit dans notre vie quand il y a une juste collaboration de Dieu et de l’activité humaine. La vendange est dans la Bible une image du jugement de Dieu qui garde le meilleur de chacun et qui rejette ce qui est de l’ordre du pas mangeable. Sous l’action de l’Esprit de Dieu, le bon jus devient du vin, image de la vie éternelle, image de l’abondance de force, de joie et de vie que Dieu nous donne miraculeusement…

Habacuc nous apprend à remercier Dieu, même en dehors de tous ces bienfaits passés présents ou futurs, même s’il n’y avait pas de vie éternelle. Je pense que la vie continue après la mort, mais Habacuc nous apprend à remercier Dieu même s'il n'y en avait pas. C’est ça, vivre de la grâce.

Comme le dit Olivier Abel, le centre du centre de la foi c’est « l'insouci de soi ». Je suis d’accord, au sens où cela veut dire que la grâce de Dieu, la confiance que nous avons en lui nous permet de laisser tomber le souci concernant la vie éternelle, comme le fait Habacuc dans cette prière. La grâce de Dieu nous  permet de dépasser notre égoïsme, l’espérance naturelle de fruits pour soi-même.

Mais il ne faut pas exagérer cet « insouci de soi », que ça ne tourne pas à l’idée du sacrifice de soi-même. La grâce : ce n’est pas cela. Car la grâce est de l’ordre de la qualité de relation, et si une des deux personnes en relation s’anéantit elle-même, la relation est atteinte dans quelque chose d’essentiel.

L’Évangile n’appelle pas au sacrifice de soi, ni à l’oubli de soi-même. Vivre de la  grâce de Dieu, ce n’est pas cela. La grâce est profondément présente dans ces paroles du Christ que nous rappelons lors de l’institution de la Cène : « voici mon corps donné pour vous » (Luc 22:19). Le Christ ne donne pas son corps pour donner son corps, il ne s’agit pas de se perdre, ni de se diluer en Dieu, ou dans le monde, il ne s’agit pas de se sacrifier pour se sacrifier. La grâce n’est pas tant dans le « donner son corps », la grâce est dans le « pour vous ». La grâce est quelque chose de fondamental qui est de l’ordre de la relation à l’autre.

Et le « Moi, je me réjouis en toi » d’Habaquq, c’est quelque chose de cet ordre, c’est une qualité de relation, c’est cet attachement qui anime le geste du Christ. Et par ce geste il nous montre que vraiment, oui, Dieu place son bonheur en nous, dans notre simple existence.

Le Christ n’est pas dans l’insouci de soi quand il donne sa vie, oh que non, il en pleure d’angoisse et de soif de vivre. Mais que faire ? De tragiques circonstances font que le « pour vous » implique pour lui ce jour-là d’aller jusqu’au « donner son corps », c’est parfois le cas aussi pour des pompiers, par exemple, et ça ne les amuse pas non plus, mais ils le font. Il y a certainement une part de grâce dans le service de l’autre même si ce n’est pas un service qui va jusqu’à mourir, un service qui donne quelque chose de soi-même. Et le Christ nous y invite dans les évangiles, en particulier dans l’Évangile selon Jean où il nous appelle à être serviteurs les uns des autres. Nous sommes invités, comme le suggère Habacuc, à être des oliviers portant de bons fruits de bénédictions pour ceux qui nous entourent, nous sommes appelés à être le berger de ceux qui nous sont confiés … Et nous espérons bien que Dieu nous aidera pour que nous soyons un peu à la hauteur.

Il y a une part de grâce, c’est vrai, dans le service de l’autre, et dans le service accepté sans contre partie. Mais ce n’est pas une grâce totale car le geste du service a dans l’idée d’être utile. L’auteur est donc dans un certain sens remboursé par une certaine efficacité de son geste, et le bénéficiaire est récompensé de sa réceptivité. Mais il y a une belle part de grâce dans ce geste libre de donner de son temps, de son bon argent, de ses efforts pour faire avancer les choses.

Rien ne l’oblige à remercier son bienfaiteur, nous en savons tous quelque chose. Il y a donc une part de grâce dans la simple gratitude, même si c’est finalement un simple acte de justice de dire merci quand on a reçu quelque chose. Et pourtant, il y a dans la gratitude encore un peu plus de grâce que dans l’acte de service, je trouve. Car si c’est fait avec cœur, la gratitude travaille dans le champ de la qualité d’être et de relation.

Avec cette prière d’Habacuc, et avec la parole de l’Éternel selon Sophonie, nous sommes encore à un stade plus pur et plus essentiel, de la grâce.

Habacuc remercie Dieu simplement d’exister. C’est ça qui fait sa joie. Et selon les paroles de Sophonie, l’Éternel fait de nous sa plus grande joie, il a pour nous des transports d’allégresse, alors même que les humains n’ont pas brillé par leurs qualités, ni par leur fidélité, ni par leur vie juste…

Oui, il y a une part de grâce dans le service de l’autre. Il y a une part de grâce dans la gratitude. Il y a une part de grâce dans la qualité de relations qui se tissent entre quelques personnes, ou entre une personne et Dieu, pour mieux se comprendre et cheminer ensemble.

Mais là, avec cette prière d’Habacuc et la vision de Sophonie, nous sommes dans la grâce pure, en se réjouissant que l’autre existe. Cela dit la dignité profonde de l’autre, sa seule existence est en elle-même source de joie. D’une vraie joie qui ne peut se taire et qui s’exprime sans arrière pensée comme un cri, comme un chant.

Ça, c’est vraiment de l’ordre de la grâce et cette grâce ressuscite. Elle met l’accent sur ce qui est la profondeur même de l’être.

C’est cette grâce-là qui va permettre d’avoir ensuite une vraie relation avec l’autre (que ce soit Dieu ou notre prochain). Nous ne sommes alors plus comme des ouvriers dans une chaîne de production, mais de véritables personnes, et même des personnes importantes pour d’autres.

C’est cette grâce-là qui va permettre de rendre service tout en respectant l’autre. C’est cette grâce qui nous affranchit de la logique de la dette, du don et du contre don obligatoire… C’est cette grâce qui permet d’aimer et respecter l’autre même unilatéralement, même si l’on pense devoir combattre le mal qu’il fait.

Prendre en compte la simple existence de l’autre comme vraiment précieuse. Qu’elle soit pour nous un sujet de joie. Et l’exprimer.

C’est cette grâce-là qui rend possible d’aimer un ennemi et de lui faire du bien si possible, comme nous le suggère Jésus, et comme le fait Dieu.

C’est ce merci d’exister qui donne sens et vie à tout. Ce merci est source de résurrection.

Oui, notre seule et simple existence est une joie pour Dieu, comme le dit Sophonie, comme le montre le Christ. Il fait de chacun de nous sa plus grande joie, il garde silence quand il le faut, par amour. Et il a pour nous des transports d’allégresse. Même si le figuier de notre sagesse est bien loin de produire des fruits féconds. Même si la vigne de notre existence ne produit pas tellement de raisin, même si nous ne sommes comme un olivier au 3/4 gelé qui peine à être une source de bénédiction, même si nous nous occupons mal des brebis qui nous sont confiées dans un sacré gâchis en nous-mêmes et autour de nous… même si… & en encore même si… Dieu trouve sa joie dans notre simple existence. C’est ça, la grâce.

Et oui, la grâce invite à l’insouci de soi en ce qui concerne la vie future. Cette obsession de certains croyants pour cette question de savoir comment être sauvé est profondément en contradiction avec la grâce pour quantités de raisons :

  1. D’abord, des prophètes comme Habacuc et Sophonie, et bien d’autres nous ont dit ce que c’est que la grâce de Dieu, le Christ nous l’a redit et nous l’a montré. Nous pouvons donc avoir confiance en Dieu. Il n’a pas besoin comme le génie de la lampe d’Aladin qu’on fasse briller sa lampe à coup de chiffonnette, de bonnes œuvres et de prières pour que Dieu exauce nos vœux. Ça ne marche pas comme ça.
  2. Se préoccuper de son petit paradis, et essayer de bien prier Dieu et de bien croire ce qu’on doit croire, et de bien faire ce qu’il faut pour gagner son paradis : c’est une motivation égocentrique et ce sont des actes basés sur le calcul, pas sur l’amour. C’est l’exact inverse de la grâce.
  3. Et puis, cette question de la vie future n’est pas une question pertinente pour aujourd’hui. À chaque jour suffit sa question, celle d’aujourd’hui c’est de vivre en ce monde la vie que nous avons, cette existence que Dieu aime et bénit.

La grâce peut nous y aider.

Beaucoup de personnes se demandent quel est le sens de la vie. La grâce nous montre que le sens de NOTRE vie est de trouver quel sens nous choisirons de lui donner. Notre existence a de toute façon par elle-même un prix infini. Elle est un sujet de joie pour Dieu et pour ceux qui nous aiment, mais aussi pour ceux qui savent ce que c’est que la vie. Notre existence nous est donnée comme une feuille donnée à un peintre, un poète, un philosophe ou un mathématicien pour qu’il y inscrive les traces de sa propre créativité, selon ce qu’il a à cœur d’offrir lui-même, alors, par grâce. C’est à nous de dire, comme Habacuc et comme l’Éternel : cette chose-là, cette idée-là, et toi, cette personne que tu es : voilà ce qui est pour moi le sujet de ma joie.

Il n’e s’agit donc pas d’être dans l’insouci de soi dans ce domaine. Il est bon, au contraire de saisir et d’aimer cette grâce qui nous est faite. De la goûter, de lui accorder du poids. Et de sentir cette liberté, et cette beauté extraordinaire qu’ouvre la grâce dans notre existence en lui donnant un prix sans condition. Nous pouvons alors vivre plus légèrement en sachant que chacune de nos journées vaut de toute façon son pesant de grâce, mais avec un certain tremblement de joie et d’émotion. Quel service inventerons-nous ? Quelle gratitude nous viendra à cœur ? Quelle joie pure exprimerons-nous ? Quel oui à telle personne pourrons nous exprimer ?

Nous pourrons alors vouloir entrer en phase de production d’actes utiles, et construire de vraies relations par des actes de service ou par une gratitude qui vient du cœur.

Mais il est bon de garder un temps de grâce pure. C’est comme le temps du sabbat qui nous est proposé dans le décalogue de Moïse. Il y a six jours pour travailler et produire, pour travailler nos figues, nos raisins, notre blé, veiller sur nos brebis et nos troupeaux… Mais il est bon de garder de côté une part, comme un 7e jour, que soit un temps de sabbat, un temps d’ouverture à la grâce, un temps où nous mettons notre joie dans l’Éternel, en dehors de toute idée de bénéfice ou de production, un temps où nous nous contemplons l’existence des autres, et ce de monde et de Dieu, simplement pour les aimer et nous en réjouir.

Et le leur dire : Merci d’exister. Tu es pour moi un sujet de joie. Tu es pour moi une force.

Et nous laisser aimer pour ce que nous sommes.

Ce pouvoir d’être source de résurrection et de vie est dans notre bouche, dans nos mains et dans notre cœur.

Amen.

Lecture de la Bible

Habacuc 3

1 Prière d’Habakuk, le prophète.
Sur le mode des complaintes.
2 Éternel, j’ai entendu ta réputation, et j’ai craint ton action, Éternel.
Fais vivre ton œuvre dans le cours des années, ô Éternel !
Dans le cours des années manifeste-la !
Mais dans ta colère tu te souviendras de ta tendresse !

16 J’ai entendu...
Et mes entrailles sont émues.
À cette voix, mes lèvres frémissent,
Mes os se consument,
Et mes genoux chancellent:
Paralysé je dois attendre le jour de la détresse,
Le jour où l’oppresseur marchera contre le peuple.
17 Car le figuier ne fleurira pas,
La vigne ne produira rien,
Le fruit de l’olivier manquera,
Les champs ne donneront pas de nourriture;
Les brebis disparaîtront du pâturage,
Et il n’y aura plus de bœufs dans les étables.
18 Et moi, je me réjouis en l’Éternel,
Je me réjouis dans le Dieu de mon salut.
19 L’Éternel, le Seigneur, est ma force;
Il rend mes pieds semblables à ceux des chamois,
Et sur des hauteurs il me fait cheminer.

Sophonie 3

14 Pousse des cris de joie, fille de Sion!
Pousse des cris d’allégresse, Israël !
Réjouis-toi et triomphe de tout ton cœur, fille de Jérusalem !
15 L’Éternel a détourné tes châtiments,
Il a éloigné ton ennemi;
Le roi d’Israël, l’Éternel, est au milieu de toi, au-dedans de toi,
Tu n’as plus de malheur à éprouver.
16 En ce jour-là, on dira à Jérusalem :  Ne crains rien!
Sion, que tes mains ne s’affaiblissent pas !
17 L’Éternel, ton Dieu, est au milieu de toi, au-dedans de toi,
comme un héros qui sauve;
Il fera de toi sa plus grande joie;
Il gardera le silence dans son amour;
Il aura pour toi des transports d’allégresse.

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