Méditation sur le manque

Psaume 23

Culte du 13 mai 2006
Prédication de pasteur Florence Taubmann

( Psaume 23 )

Culte à l'Oratoire du Louvre,
par la pasteure Florence Taubman

Dès le premier quote, un mot résonne. Un mot ancien et moderne : le manque. Je ne manquerai pas. Je ne manquerai de rien, dit le psalmiste.

Et une lecture juive nomme, à travers le jeu des nombres, ce qui pourrait manquer et ne manquera pas:

La nourriture ! La bénédiction !

Les 57 mots du psaume sont l’équivalent numérique du mot nourriture.

Les 227 lettres du psaume correspondent au mot bénédiction.

Ce qui peut manquer à l’homme et ne manquera pas, dès lors que l’Eternel se fait berger pour celui qui le prie, c’est la nourriture et c’est la bénédiction.

« Tu es mon berger. Tu me conduis dans de verts pâturages…près des eaux paisibles. Tu dresses devant moi une table et ma coupe déborde… »

Pourtant dire cela ne suffit pas.

Car la nourriture ne signifie pas la même chose pour les nomades hébreux du désert et pour notre société d’abondance. Elle n’a pas le même goût aujourd’hui dans les camps de réfugiés du Darfour ou d’ailleurs, et à Paris, New York ou Shangaï.

Et si pour certains la demande de pain du Notre Père monte tout droit depuis le creux du ventre, les autres doivent la contextualiser, la traduire, en faire l’herméneutique spirituelle…Sous peine de ne plus comprendre non plus le poids du second mot : bénédiction.

Sans faim, il est plus difficile de connaître la simple réalité de la bénédiction dans nos vies. Ou de ressentir la gloire de ce mot pour nos cœurs et nos âmes.

Bénédiction : parole bonne, parole qui fait du bien, comme un masseur dénouant la nuque ou le dos avec ses mains.

Bénédiction : bonne et juste nomination des êtres et des choses …

Bénédiction : énergie musicale et chorégraphique offerte pour la joie du monde. Bénédiction prononcée, bénédiction gestuée à travers une main posée sur un front. Ou deux bras levés, dans un grand mouvement d’ouverture, d’accueil et d’envoi !

Mais pour entrer dans l’allégresse de la bénédiction, pour se réjouir d’avoir l’Eternel pour berger, il faut en revenir à ce simple mot : « nourriture » qui nous manqua peut-être jadis, qui manque à d’autres, et qui ne nous manque plus.

Comment comprendre si nous n’avons plus faim?

Il nous faut fermer les yeux, descendre en nous-mêmes…Ecouter :

De quoi manquons-nous ? Quel est est notre manque ? Quels sont nos manques aujourd’hui ?

Que manque-t-il à l’homme sur cette terre ? Dans cette vie ?

« Qu’est-ce que l’homme, pour que tu t’en soucies ?, dit le psalmiste

Et le fils d’homme pour que tu prennes soin de lui ? »…en le conduisant dans de vertes prairies près des eaux paisibles …en dressant devant lui une table… »

Au fond de l’image de rêve ou de fête gît peut-être une nostalgie douloureuse : de la joie simple, la présence partagée, la confiance et la sécurité, la paix, la plénitude…le « Shalom » comme on l’appelle en hébreu.

Ce Shalom, cette plénitude nous manquent. Bien sûr.

Mais ce qui nous manque encore plus profondément, c’est de savoir, c’est de ressentir que cette plénitude nous manque.

Notre gavage quotidien nous anesthésie. Il nous rend difficile le diagnostic de notre faim, de notre soif de plénitude.

Souvent nous restons à la surface de notre vie, de notre souffrance…un peu vidés. Un peu fous. Très angoissés. Incapables de prier. De demander. Mais que demander ?

Le pain qui nous manque aujourd’hui n’est pas fait d’eau, de farine, et de levain. C’est un pain de mots, de souffle et de confiance.

C’est le pain de la prière. Toute simple. Toute bête. La prière de l’enfant.

Réapprendre les mots du cœur par coeur, voilà ce qu’il nous faut, voilà la bénédiction :

« l’Eternel est mon berger, je ne manquerai rien. »

Oui c’est nourriture et bénédiction que de dire ces mots-là. Dans le secret, dans l’assemblée, avec anciens, avec les petits-enfants. Pour eux.

Le psaume nous l’apprend en comblant cette attente. Ecoutons :

« Il me conduit dans les sentiers de la justice, à cause de son nom … »

Comme le Shalom la justice nous manque.

Mais cela nous le savons. Chaque jour nous souffrons des injustices du monde. Elles sont dénoncées. Nous nous en indignons.

Et nous prions pour la justice. Nous luttons en sa faveur…

Mais qu’est-ce que la justice ? De quelle justice s’agit-il ?

Quelle justice nous manque réellement et qui ne nous manquerait plus dès lors que l’Eternel nous conduirait dans les sentiers de la justice, à cause de son Nom ?

Ce n’est pas le verdict ou le jugement d’un tribunal, ou d’une cour.

C’est plus que la justice comme principe d’égalité. C’est plus que la justice comme figure de la vérité.

C’est la justice comme mode de vie. C’est la justice comme pratique concrète et quotidienne de l’équité et de la fraternité humaine. La justice comme attention et générosité.

C’est la justice comme justesse en pensées, en actes et en paroles…devant Dieu. Et devant son prochain.

Cette justice-là, - cette justesse, plus modeste que la justice des grands combats et des grandes causes, nous manque autant.

Mais souvent nous l’ignorons.

Requis par les scandales du monde, les malheurs et les catastrophes des quatre coins de la terre, nous oublions le soin dû à notre existence éthique et spirituelle quotidienne.

Nous oublions que celui qui veut être fidèle dans les grandes choses doit d’abord l’être dans les petites. Nous oublions la simple justice, la tsedaka.

Cette tsedaka nous est pourtant nécessaire, autant que le shalom.

Nous avons besoin d’être conduit dans les sentiers quotidiens de la justice, à cause du nom de l’Eternel.

Et c’est ce qu’il fait, nous dit le psaume. L’Eternel nous conduit et nous guide de ce côté-là, chaque jour de notre vie.

Alors que nous manque-t-il encore ?

Une dernière chose, qui concerne notre destinée ultime :

« Quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort… »

« Quand les ennemis m’assaillent… »

Ah il nous faudrait être forts, invincibles, pourquoi pas immortels…La peur disparaîtrait certainement.

Cette peur qui est si naturelle. Si normale. Si humaine.

La peur de mourir. La peur de souffrir. La peur du néant. La peur de l’ennemi. La peur des ténèbres…

Mais, dit le psalmiste « Quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort je ne crains aucun mal car tu es avec moi. »

« Ta houlette et ton bâton me rassurent. »

Ainsi il n’est pas besoin d’être immortel, il n’est pas besoin d’être invincible pour vaincre la peur.

Il suffit de cette présence qui nous accompagne dans la traversée des dangers.

Cette présence de Dieu. Cette Chekhina !

Mais est-elle bien réelle, cette présence ? Comment la rendre tangible, concrète, significative dans nos vies et celle de notre prochain ?

Que nous manque-t-il pour la faire passer du vœu pieux à l’éblouissement de la rencontre ou simplement à la certitude confiante ?

Que nous manque-t-il ?

Le désir de Dieu ? Le temps pour Dieu ? La passion avec Dieu ?

Ce n’est pas sa présence, sa chekhina qui nous manque.

C’est nous qui lui manquons, lui faisons défaut, ne lui accordons pas suffisamment d’importance.

Pourtant quelle promesse, quelle joie immense et enthousiasmante que ces mots :

« Oui le bonheur et la grâce m’accompagneront tous les jours de ma vie, et j’habiterai dans la maison de l’Eternel jusqu’à la fin de mes jours. »

La plénitude nous est offerte !

La justice nous est offerte !

La présence de Dieu nous est offerte !

En ce jour et pour toujours. Amen.  

Lecture de la Bible

Psaume 23

Cantique de David.
L’Eternel est mon berger: je ne manquerai de rien.

2 Il me fait reposer dans de verts pâturages,
Il me dirige près des eaux paisibles.

3 Il restaure mon âme,
Il me conduit dans les sentiers de la justice,
A cause de son nom.

4 Quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort,
Je ne crains aucun mal, car tu es avec moi:
Ta houlette et ton bâton me rassurent.

5 Tu dresses devant moi une table,
En face de mes adversaires;
Tu oins d’huile ma tête,
Et ma coupe déborde.

6 Oui, le bonheur et la grâce m’accompagneront
Tous les jours de ma vie,
Et j’habiterai dans la maison de l’Eternel Jusqu’à la fin de mes jours.