Méditation 1: Dieu du ciel !

Psaume 8

Culte du 20 octobre 2019
Prédication de Béatrice Cléro-Mazire

Vidéo de la partie centrale du culte

Par son immensité, par l’incroyable beauté de sa voûte, par la violence parfois inouïe des phénomènes qu’il engendre, le ciel reste un sujet de fascination. 

Pour l’homme moderne autant que pour l’homme le plus archaïque, le ciel exprime une transcendance et offre à l’esprit humain une échelle infinie propre à se mesurer lui-même et à interroger : « Qu’est-ce donc que l’homme, pour que tu t’en souviennes, le fils d’Adam, pour que tu en aies souci ? »

Dans son livre Terre des hommes, Antoine de Saint Exupéry écrit : « Une nappe tendue sous un pommier ne peut recevoir que des pommes, une nappe tendue sous les étoiles ne peut recevoir que des poussières d’astres. Et plus loin, il continue : Le plus merveilleux était qu’il y eût là, debout sur le dos rond de la planète entre ce linge aimanté et ces étoiles, une conscience d’homme dans laquelle cette pluie pût se réfléchir comme dans un miroir.»

Cet émerveillement et ce sentiment d’une harmonie entre les hommes et l’immensité du cosmos posent la question de la relation entre l’homme et ce qui le dépasse.

Entre finitude et infini, l’esprit humain est tenu dans cette posture étrange de se savoir mortel et limité et en même temps de pouvoir penser l’infini et l’immortalité. Son imagination le mène vers des échelles de temps et d’espace qui le dépassent et pourtant l’habitent. Sans doute est-ce pour cette raison que le ciel a été de tout temps choisi pour exprimer ce qui excède notre condition humaine et exprime le mieux une transcendance à la fois lointaine et familière.

Le ciel divinisé

Cette fascination pour l’immensité du ciel est telle que l’homme a voulu le diviniser ou y installer Dieu.

Dans son Traité d’histoire des Religions, Mircea Eliade montre, par les exemples qu’il décrit, que le ciel a d’abord été le lieu d’une expression symbolique de la transcendance, offerte immédiatement à l’esprit émerveillé. Nul besoin de rationaliser la relation à Dieu, le ciel, par la fascination qu’il provoque, suffirait à faire naître le sentiment religieux dans le cœur de l’homme. Dans maintes religions dites « archaïques » car très anciennes, on prie le ciel comme on prie Dieu. Le ciel est alors l’image de la grandeur de Dieu. Cinq mille ans avant notre ère, des peintures rupestres retrouvées au nord de l’Italie, nous montrent des hommes en prière levant les bras au ciel.

Dans le panthéon des Égyptiens antiques, le ciel est divinisé en la personne de la déesse Nout, la voûte céleste, épouse du dieu de la terre : Geb.

Les Mésopotamiens, eux, voient le ciel au-dessus et en-dessous de la terre où les hommes vivent. Il y a donc les dieux d’en-haut, et les dieux d’en-bas.

Le ciel créé

Bien sûr ces conceptions mésopotamiennes vont influencer les auteurs de la Genèse, qui, revenant d’exil en ces contrées lointaines où l’on divinise le ciel, prendront le parti de se démarquer clairement d’elles en insistant sur la séparation entre Dieu et le ciel.

En effet, dans le récit de la création en sept jours, « l’Heptaméron » ; le ciel, comme toute autre chose existante, est une créature de Dieu. Le résultat de séparations successives dans le chaos primordial. Cette cosmogonie biblique cherche à répondre pour l’homme à des questions de foi : Dieu est-il à l’origine du monde ? Quelle place l’homme a-t-il dans la création ? Quelle liberté pour les créatures de Dieu ? Et sa manière d’y répondre est celle de l’ordre. Ordonner pour comprendre, séparer, pour sortir de la confusion ; tel est le projet d’une telle cosmogonie. Ainsi, la lumière est-elle séparée des ténèbres, de même que les eaux d’en-haut et les eaux d’en-bas sont, elles, séparées les unes des autres, et au quatrième jour de l’Heptaméron, les luminaires (le soleil et la lune) sont-ils placés dans le ciel pour être garants d’un temps que l’homme pourra compter.

La Genèse désacralise le ciel pour mieux sacraliser un Dieu créateur qui se repose de sa création et du même fait, semble se retirer de celle-ci. Dans la foi des rédacteurs du premier chapitre de la Genèse, Dieu n’est donc pas au ciel, mais il est le grand principe qui préside à la compréhension du monde. Il rend intelligible un chaos redoutable pour l’homme et se fait donc proche des hommes en rendant le ciel, non plus inquiétant, mais fonctionnel. Du ciel viennent les pluies qui fertilisent les sols, de la course des astres vient le comptage du temps, du soleil vient la lumière du jour et la lune préside à la nuit. La régularité apparente des mouvements des astres tend à faire penser que les soubresauts du monde sont tenus en respect par des grandes lois que Dieu impose à sa création.

Ainsi, c’est la foi même qui est influencée par cette conception du Dieu créateur. Car, contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette façon liturgique de présenter la création, avec son rythme, son équilibre, son ordre, n’est pas une façon d’éloigner l’homme de Dieu par une distance infranchissable, mais bien de mettre Dieu au service des hommes, en rendant compréhensible ce qui n’était qu’un magma inquiétant et sans aucun sens.

Toucher le ciel

Dieu, par sa création, laisse l’homme comprendre le monde et donc le ciel. D’où cette louange rendue à Dieu dans le psaume 8 : « Qu’est-ce que l’être humain pour que tu t’occupes de lui, tu l’as fait de peu inférieur à un dieu, tu l’as couronné de gloire et de magnificence. Tu lui as donné la domination sur les oeuvres de tes mains, tu as tout mis sous ses pieds » (Ps 8, 5-7)

Mais à trop vouloir rendre compréhensible l’œuvre de Dieu, n’est-on pas tenté d’en faire un Dieu de la terre, ou plutôt un Dieu terreux, comme Adam, l’homme dont le nom veut dire terre ? Qu’en est-il de la foi dans le transcendant quand la distance entre l’homme et Dieu s’amenuise ? Le Dieu qui se fait proche est-il encore divin ?

Les mots pour dire Dieu témoignent de la relation entre le ciel et Dieu. En langue biblique, Ellu, « dieu » vient d’une racine qui signifie : « ce qui est clair », « brillant ». Ce qui évoque évidemment la lumière du ciel, mais qui peut aussi nous ramener symboliquement à la lumière de la vérité, de la signification, de l’intelligence du monde.

Ainsi, ce que nous appelons « Dieu » ne serait-il que notre capacité à rendre intelligible notre monde, à percer le mystère de l’inconnu pour nous faire les égaux de Dieu ?

Toute la révélation contenue dans la Bible oscille entre la foi en un Dieu absolument autre et enfermé au ciel, et un Dieu absolument proche qui déchire le ciel pour rejoindre les êtres humains.

Dans le récit de la tour de Babel, les hommes construisent une tour pour toucher le ciel, et Dieu condamne cette soif de proximité et de confusion entre le divin et l’humain. Il brouille les langues des hommes pour qu’ils ne puissent plus l’inquiéter dans sa divinité.

Au contraire, dans les récits de l’Exode, Dieu se tient dans une nuée qui précède la marche du peuple, comme un morceau de ciel descendu sur terre, et les rencontres de Moïse avec Dieu sont telles que Moïse est, à certains moment du texte, présenté comme Dieu sur terre.

Les auteurs de la Bible n’attendent pas la venue de Jésus pour parler d’un Dieu proche et partenaire des hommes. Et étrangement, comme dans un retour en arrière, certains témoignages dans les Évangiles laissent penser que Dieu est enfermé au ciel. Dans l’Évangile de Matthieu, il est écrit ces paroles de Jésus : « Celui qui jure par le temple, jure en même temps par celui qui y habite et celui qui jure par le ciel, jure en même temps par le trône de Dieu et par celui qui y est assis. » (Matthieu 23, 22)

Ce n’est donc pas parce que l’on confesse la venue du Fils de Dieu que l’on abandonne l’idée du ciel comme demeure de Dieu. Alors, Dieu est-il le Dieu du ciel ?

La critique gnostique du ciel comme demeure de Dieu

Les gnostiques, farouches opposant à la matière et à toute création, ont combattu l’idée selon laquelle Dieu demeurerait au ciel. Pour eux, tout le monde visible est mauvais et l’œuvre d’un Dieu trompeur qui enferme les âmes dans la matière. Les gnostiques ont combattu l’incarnation et croyaient en un Jésus non incarné, non humain, un envoyé de la lumière qui serait libre de toute attache charnelle. Ils prônent la connaissance de soi comme accès à la divinité. Dans l’Évangile de Thomas, le logion 2 dit ceci : « Si ceux qui vous guident vous disent : ‘voici, le royaume est dans le ciel !’, alors, les oiseaux du ciel vous précéderont. S’ils vous disent qu’il est dans la mer, alors les poissons vous précéderont. Mais le royaume est au-dedans et il est au-dehors de vous. Lorsque vous vous connaîtrez, alors vous serez connus et vous saurez que vous êtes les Fils du Père Vivant. »

On est loin ici de la lecture de Socrate du connais-toi toi-même inscrit au frontispice du temple de Delphe. Pour lui, cette devise devait enjoindre l’homme à prendre conscience de sa mesure pour ne pas être tenté de rivaliser avec les dieux.

Pour les gnostiques, le divin est en l’homme, confondu avec lui, et l’immortalité, l’immatérialité sont les buts recherchés par ces adeptes de la désincarnation.

Si le ciel n’est pas la demeure de Dieu, sommes-nous pour autant la demeure de Dieu ? Et dans ce cas, qu’en est-il de la transcendance du divin ? L’homme serait-il le nouveau ciel de la foi ? Quelle est la juste distance de la foi ?

Calvin : se connaître et connaître Dieu

Calvin, dans son Institution de la Religion chrétienne, écrit : « Presque toute la sagesse que nous possédons, (…) présente un double aspect : la connaissance de Dieu et de nous-mêmes. Bien que ces deux connaissances soient liées, il est difficile de discerner laquelle précède l’autre. » (Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, éd. Kerygma. Excelsis 2009, L I, ch 1, §1)

Chez Calvin, Dieu reste Dieu, et c’est dans la foi que se révèle ce que nous sommes et ce qu’est Dieu. Dans la foi, nous reconnaissons son action sur nous et notre dépendance à sa toute puissance. Pour Calvin le ciel et toute la création est le théâtre de la gloire de Dieu. Comme le langage d’un Dieu qui se ferait connaître de l’homme, pour que l’homme se révèle enfin dans sa véritable vocation. Le ciel est pour lui, peuplé d’anges qui sont au service de Dieu pour nous garder de tout danger et tout ce que Dieu a créé, il l’a créé pour nous les humains.

Dieu n’est donc pas enfermé au ciel, pas plus qu’il n’est enfermé en nous et confondu avec nous. Entre la transcendance absolue et la confusion complète, la foi ouvre un espace habitable pour la relation entre l’homme et Dieu.

L’alliance du ciel et de la terre

Cet espace est celui d’une dépendance choisie librement. D’une alliance.

Dieu se choisit un peuple, il donne son amour à l’homme, il croit en l’homme et en sa capacité à être digne de confiance et reste fidèle quoiqu’il arrive.

L’homme choisit librement de placer sa confiance dans un être transcendant qui le libère de sa finitude.

C’est dans cette foi partagée que se trouve la vérité de notre relation à Dieu.

Nous n’avons plus à nous prendre pour des dieux, nous n’avons plus à chercher à toucher le ciel, nous n’avons pas à renoncer à notre humanité, à nous « désincarner » ; au contraire, c’est notre humanité qui se révèle à mesure que la transcendance de Dieu se révèle. Chaque acteur de l’alliance peut être librement ce qu’il est par rapport à l’autre.

Étrangement, la vérité de cette relation découle, non pas d’une connaissance de ce qu'est Dieu, ni d’une connaissance de ce qu'est l’homme. La vérité de cette relation vient de l’inconnu toujours présent entre les deux. Une ignorance de principe, puisque les deux sont libres d’agir à tout moment selon leur liberté. Aucun des deux ne peut prévoir l’action de l’autre. Il faut donc se faire confiance.

Dieu déchire le ciel

Ainsi, dans le récit du baptême de Jésus, Jésus vient vers Jean le baptiste pour recevoir le baptême, confessant ainsi sa condition de pécheur, sa condition d’homme ayant besoin de Dieu. Il ne ment pas sur ce qu'il est. Sa foi n’est ni orgueil, ni désespoir. Il se place dans un mouvement de foi devant Dieu pour recevoir de lui cet agrément si nécessaire à sa dignité d’enfant de Dieu. Dieu a-t-il confiance en lui ?

Dans le même temps, Dieu choisit en toute liberté, de faire de lui son fils, et c’est à ce moment-là que le ciel retentit de cette relation incroyable entre Dieu et l’homme : « Celui-ci est mon fils bien aimé, en lui j’ai mis ma joie ».

Jusque-là, le ciel disait la gloire de Dieu et sa toute puissance. Que Dieu se trouve dans la nuée où, retiré de sa création, il était seul à décider des termes de l’alliance. Avec l’acte de foi de Jésus, le ciel dit la joie de Dieu pour une humanité pécheresse qui se présente à lui dans sa sincérité. Le ciel devient lieu de dialogue.

Alors, frères et sœurs en humanité, si vous tournez vos regards vers le ciel pour chercher Dieu, écoutez ce qu’il vous dit sans cesse en Jésus le Christ : « Tu es mon enfant bien aimé, en toi je mets ma joie ». Et que cette joie soit entière pour votre vie, car votre foi, même tournée vers l’infini du ciel n’est pas vaine, elle transforme votre vie et dresse un pont entre le ciel et la terre. 

Lecture de la Bible

Psaume 8

1 Du chef de chœur. Sur la guittith. Psaume. De David.

2 SEIGNEUR (YHWH), notre Seigneur, que ton nom est magnifique sur toute la terre, toi qui te rends plus éclatant que le ciel !
3 Par la bouche des enfants, des nourrissons, tu as fondé une force, à cause de tes adversaires, pour imposer silence à l'ennemi vindicatif.

4 Quand je regarde ton ciel, œuvre de tes doigts, la lune et les étoiles que tu as mises en place,
5qu'est-ce que l'homme, pour que tu te souviennes de lui, qu'est-ce que l'être humain, pour que tu t'occupes de lui ?
6 Tu l'as fait de peu inférieur à un dieu, tu l'as couronné de gloire et de magnificence.

7 Tu lui as donné la domination sur les œuvres de tes mains, tu as tout mis sous ses pieds,
8 moutons et chèvres, bœufs, tous ensemble, et même les bêtes sauvages,
9 les oiseaux du ciel et les poissons de la mer, tout ce qui parcourt les sentiers des mers.

10 SEIGNEUR (YHWH), notre Seigneur, que ton nom est magnifique sur toute la terre !

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