Méditation 3: le ciel ici et maintenant

Luc 16:19-21

Culte du 3 novembre 2019
Prédication de Béatrice Cléro-Mazire

Vidéo de la partie centrale du culte

Une parabole sur l’au-delà


Quand Jésus raconte la parabole du riche et de Lazare, il est en pleine discussion avec les pharisiens sur la façon d’user des biens de ce monde et de respecter la loi.

Il est rare, dans le Second Testament, de trouver une histoire qui traite directement de la vie après la mort. La mère des fils de Zébédée a bien demandé à Jésus de réserver une place pour ses fils dans le ciel, mais la question de savoir où les humains vont après leur mort reste assez évasive. Il est question du ciel, d’une vie auprès de Dieu, mais il n’y a pas de précision sur l’au-delà. Même Lazare, dont la mort est décrite par ses survivants, et qui revient du trépas, ne décrit pas ce lieu ni cette condition de ceux qui ont traversé l’ultime clôture.

C’est sans doute pour cette raison que les théologiens chrétiens et plus particulièrement protestants, qui se sont intéressés à la vie après la mort, ont très souvent choisi comme appui biblique ce texte de l’Évangile de Luc.

Dans la parabole de Jésus, deux thèmes se mêlent inextricablement : le jugement dernier et la félicité éternelle. Cette histoire est terrible, car le ciel apparaît ici comme un envers du monde, dans lequel les hommes qui ont été heureux et choyés doivent payer le prix fort, quand les miséreux qui ont souffert toute leur vie, eux, se retrouvent sur le sein d’Abraham, comme maternés par ce vieux patriarche. La parabole semble prévenir les vivants de ce qui les attend dans l’arrière-monde en disant : « Tout se paye ».

Le ciel comme grâce ou comme châtiment

Dans la parabole du riche et de Lazare, le pauvre Lazare se trouve sur le sein d’Abraham, ce qui revient à dire qu’il a retrouvé ses ancêtres. En effet, dans le Premier Testament, on utilise cette image de « se coucher avec ses pères » pour parler de la mort. Cette image implique une fidélité due à ces ancêtres exemplaires dans la foi. Abraham, ici, représente une norme pour le croyant. Se retrouver près de lui n’est possible que si l’on a cru comme lui durant sa vie. Il y a donc une exemplarité qui pourrait tendre vers une dimension morale dans cette expression.

Les théologiens de toutes les époques ont eu du mal à résister à cette conception morale de la vie après la mort qui revient à une théologie de la rétribution. Ceux qui se sont conformés aux commandements divins sont emmenés au ciel portés par les anges et ceux qui ont été incrédules ou pécheurs sont em-

menés aux enfers et y subissent toute sorte de châtiments. C’est dans ce contexte que se déploie la réforme de Luther puis celle de Calvin. La mort et l’agonie inspiraient tant la peur que les prêtres d’alors s’en servaient comme aiguillon pour appeler les fidèles au repentir et à la soumission à l’Église. D’où la multitude de pèlerinages, de cultes des reliques et de commerce d’indulgences, que les croyants prenaient pour des moyens d’atténuer le courroux de Dieu contre eux. Le Dieu d’amour était bien loin de celui qui a envahi les théologies de notre époque. Dieu était un juge intraitable qui séparait sans pitié le bon grain de l’ivraie et n’aimait que les justes.

Luther lui-même avait les cheveux qui se dressaient sur la tête quand il pensait au jugement dernier. C’est d’ailleurs à cette angoisse que l’on doit sa théologie de la grâce par la foi seule. Avec Luther, l’enfer et le purgatoire ne disparaissent pas, mais l’amour pour Dieu, contemplé en la croix du Christ, suffit à accepter tout jugement sans rien craindre de l’au-delà. Accepter son sort par un amour pur pour Dieu, voilà le vrai salut. Il faut donc que l’homme renonce à faire son salut par sa propre volonté, qu’il renonce à toute velléité d’auto-justification pour pouvoir entrevoir la joie profonde de la grâce.

D’autres réformateurs comme Calvin continuèrent ce travail pédagogique de renoncement à la volonté humaine dans la question du salut.

Pour Calvin, les chrétiens ne devaient pas s’inquiéter de leur salut parce que Dieu réservait aux croyants la résurrection. Non pas la résurrection dans un nouveau corps, mais la résurrection spirituelle. Une vie éternelle avec Dieu. Bien sûr, il y avait les autres, mais tant pis pour ceux qui ne veulent pas croire au Christ. La damnation restait toujours valable.

En lecteur assidu du livre de Job, Calvin se posait bien le problème de la justice divine et de l’universalité du mal. En effet, comment un Dieu juste pouvait-il laisser souffrir le juste ? Et comment pouvait-il laisser le Satan tenter les hommes ? Ne pouvait-il rien faire contre cela ?

La souffrance devint alors une pédagogie permettant au juste de rester droit dans sa foi malgré les épreuves. Il fallait donc subir et en être content.

Éprouvés au creuset de la souffrance, les réformés le furent, et longtemps, et tout un discours de consolation des justes s’élabora pour tolérer l’intolérable et réussir à « bien mourir ».

Le ciel consolateur

Agrippa d’Aubigné raconte en poésie le martyre des réformés de France, mourant pour que l’Évangile vive. Dans le livre IV des Tragiques, il décrit le réconfort qu’une jeune réformée obtient, sur son lit de torture, de la part de Dieu lui-même :

Son œil vit l’œil mourant, le baisa triomphant / Sa main lui prit la main, et sa dernière haleine / Fuma au sein de Dieu qui, présent à sa peine, / Lui soutint le menton, l’éveilla de sa voix ; / Il larmoya sur elle, il ferma de ses doigts / La bouche de louange achevant sa prière / Baissant des mesmes doigts pour la fin la paupière. (IV, 1084-1090)

Cette douceur de Dieu à l’égard du mourant tranche avec la violence des propos de l’époque au sujet des réprouvés de Dieu. Cette littérature de consolation va connaître un vrai succès et bientôt, le bon chrétien ne devra plus éprouver aucune angoisse à l’approche de la mort, mais mourir heureux.

William Perkins, théologien calviniste de l’époque élisabéthaine, propose un recueil des dernières paroles de croyants exemplaires. Comme les dernières paroles du Christ, ces paroles sont là pour édifier le croyant et lui apprendre à mourir en bon chrétien, confiant et apaisé.

Il cite le réformateur de Zurich, Zwingli, qui aurait dit après avoir été blessé à mort à la bataille de Cappel : « Oh quelle chance est-ce là ? Ils peuvent tuer mon corps, mais mon âme ils ne peuvent ». Ou encore, le réformateur Melanchthon : « Si telle est la volonté de Dieu, je désire mourir, et je lui demande de m’accorder un joyeux départ. » Ou enfin, Calvin : « Seigneur, tu m’as réduit en poussière, mais cela me convient, car c’est de ta main. »

Tous ces traités de consolation étaient une façon de dire que Dieu décidait de la mort de tout homme et de son sort. Conforme à l’idée contenue dans la parabole du riche et de Lazare, cette conception de la prédestination ne modifiait toujours pas l’idée du jugement dernier, séparant les âmes pures des âmes damnées. Mais cela paraissait déjà un progrès par rapport au discours de l’Église catholique romaine qui, non contente de faire peur aux infidèles, faisait aussi peur aux fidèles qui de toute façon souffriraient au purgatoire s'ils n'achetaient pas leur ciel. Dans les premiers temps de l’Église, les théologiens comme Clément d’Alexandrie avaient avancé l’idée d’une béatitude pour tous les hommes. Il avait même imaginé un endroit aux abords de l’enfer, où les justes qui n’avaient pas connu le Christ pourraient se reposer. Ce lieu, il l’avait appelé : « le sein d’Abraham ». Jésus serait descendu les retirer de là pour les emmener près de Dieu. L’Église catholique romaine trouva Clément trop généreux et lui refusa le titre de Père de l’Église. Origène, lui aussi, essaya la voie de la bonté de Dieu pour tous les hommes et la soumission des ennemis au Christ. Mais là aussi, sa proposition ne fut pas reconnue orthodoxe.

Est-ce si difficile de penser que Dieu puisse aimer infiniment plus que ce que nous pouvons imaginer ?

Le problème de l’arrière-monde

Que ce soit dans la parabole du riche et de Lazare, dans les manuels de consolation, ou dans l’Institution chrétienne, le ciel est toujours conditionné à une morale. Être croyant en Dieu et en Jésus Christ, veut dire se conformer à la loi de Moïse et entendre la parole des prophètes. Et celui qui ne se conforme pas à ces critères ne peut espérer le ciel.

On pourrait dire qu’il faut bien une justice. Mais si la justice de Dieu est la même que la justice des hommes, alors à quoi bon croire en Dieu ?

Dieu n’est-il pas tout autre ?

Que faire de l’athée vertueux ? De celui qui aime son prochain et fait le bien plutôt que le mal sans connaître Jésus-Christ ?

On est tenté, avec Clément d’Alexandrie de lui faire une place au ciel. Les philosophes comme Spinoza ou Pierre Bayle ont essayé d’avoir un regard critique sur les textes bibliques et sur les doctrines que les Églises avaient élaborées. Mais chaque fois le dialogue fût rompu parce qu’on les traita d’hérétiques ou d’athées.

Le véritable problème que pose l’au-delà, c’est précisément qu’il soit au-delà. C’est-à-dire qu’il outrepasse ce que l’on peut connaître et qu’il oblige l’homme à recourir à l’imagination.

Que sait-on de ce ciel qu’on appelle paradis ? Pourquoi en inventer trois ou dix, comme le firent les auteurs antiques ?

L’arrière-monde me fait penser à l’arrière-cuisine de ma grand-mère, une pièce fraîche où étaient stockées les denrées délicieuses qu’elle avait fabriquées pour plus tard, quand l’hiver arriverait et que la saison des fruits serait passée. Fruits au sirop, confitures, pâtés, conserves de légumes, tout y promettait un monde à venir où il ferait bon vivre : une félicité éternelle. Mais pour remplir les étagères, il avait fallu travailler dur dans le jardin et à la cuisine. L’arrière-cuisine était l’image des efforts consentis pour la remplir de bienfaits.

Le ciel est encore trop souvent vu comme le mérite des efforts consentis dans ce monde. Mais comment ne pas penser aux vies errantes qui ne peuvent consentir aucun effort. Les vies sans but pour lesquelles un jour pousse l’autre avec, pour seul horizon, la survie. Dieu n’est-il pas miséricordieux pour ceux-là mêmes qui ont le plus besoin de son amour ? Et pour les méchants, les bourreaux, les irrécupérables de l’amour ? Dieu n’est-il pas là pour aimer leur vie à eux aussi ?

Que savons-nous de ces choses incompréhensibles qui font qu’un homme passe sa vie à faire tout le bien qu’il peut quand un autre semble prendre un malin plaisir à faire le mal autour de lui.

Le problème de l’arrière-monde, c’est qu’il est impossible à connaître et que, justement parce qu’il est impossible à connaître, on y place toute sorte de règles, de réalités, de vérités ; bien persuadé que personne ne pourra aller y voir et en revenir pour contester.

L’arrière-monde est une tyrannie spirituelle qui s’exerce sur les vivants et qui, tout en leur faisant peur du futur, les détourne de leur véritable tâche : vivre cette vie ici-bas.

Dans la parabole de l’Évangile de Luc, le personnage du riche est intéressant pour le lecteur de son vivant, car il ne se pose pas le problème du pauvre qui dort à sa porte. Il nous montre notre aveuglement dans cette vie et les conséquences d’une telle attitude. Conséquence pour le pauvre qui ne trouve pas de secours et conséquence pour notre vie dont l’amour du prochain est atrophié et nous prive de la joie du don et de l’amitié.

Quant à Lazare, il n’est pas plus vertueux parce qu’il est pauvre et couvert d’ulcères qu’un autre homme riche et en bonne santé. Il est l’image de l’amour de Dieu pour tout homme qui souffre. Il est image de consolation pour tous les oubliés de la terre. Sa pauvreté n’est pas vertu, elle est signe.

Vivre selon la loi et les prophètes, ce n’est pas préparer sa mort, comme le croit le riche qui demande la clémence de Dieu pour ses frères. D’ailleurs, Jésus lui explique que quand bien même un homme reviendrait de la mort pour les prévenir, il ne serait pas cru.

Vivre selon la loi et les prophètes, c’est faire advenir le salut de Dieu dans ce monde. C’est vivre avec Dieu ici-bas.

Ressusciter dans l’amour

Plutôt qu’un arrière-monde, je vous propose de penser ce monde-ci. Le seul que nous connaissions. Celui dans lequel nous vivons, celui des hommes, les femmes et les enfants qui ont besoin de pain, de confiance, de fraternité, de justice, d’amour, de joie, ici et maintenant. Car en effet, quand vous serez morts, il sera trop tard pour poser le problème de ce qu’il faut faire pour eux et pour votre vie. La mort ne nous appartient pas.

Le ciel se révèle chaque jour dans nos vies. Il est le ciel de tous. Et ce qui nous est demandé pour le voir s’ouvrir chaque jour dans nos vies, c’est d’aimer. Non pas aimer ce qui est à notre goût, mais aimer comme Dieu nous aime. Les bons comme les méchants. Les pauvres et les riches. Et nous comporter en frères des hommes, de tous les hommes.

C’est difficile, cela paraît parfois impossible. Ce n’est pas la morale qui doit dicter cette attitude, mais la foi. Et c’est pour cela que c’est gratuit, sans jugement et sans mérite. Ce n’est donc pas ce qu’on gagne à agir ainsi qui compte, mais ce qui nous change et nous révèle.

Découvrir la joie de partager, la joie de donner, la joie d’aimer, n’a pas de prix et repousse bien loin la préoccupation de l’après-mort.

Et si nos fautes nous taraudent, la grâce de Dieu doit suffire à nous apaiser.

Mais me direz-vous, et la résurrection ? Le Christ est ressuscité par le témoignage qui a été rendu à sa vie d’âge en âge. Mais s’il avait vécu une vie tournée vers lui seul, sans idéal, sans le ciel pour règle, sans espérer un monde meilleur et sans y travailler, pensez-vous qu’il aurait laissé la même trace sur cette terre ? Qu’on l’ait suscité de nouveau en vivant à son exemple a été sa véritable résurrection. Il ne cherchait pas à gagner son ciel, il voulait faire descendre le ciel sur tous, les riches, les pauvres, les collecteurs de taxes, les rois et les prostitués, les bons israélites et les païens. Il a vécu de l’amour de Dieu et à aimer à son exemple.

Dans l’amour de Dieu, nous pouvons connaître le bonheur de la confiance et de la paix et nous pouvons être assurés de sa grâce infinie. Il ne nous manque rien pour répondre dès maintenant et ici-bas à l’exhortation de notre Seigneur : va et fais de même.

Alors, le ciel commencera ici et nous n’aurons plus de raison de nous soucier de notre fin. Nous marcherons par la foi comme Abraham, convaincus qu’aux yeux de notre Seigneur, toute vie a du prix. 

Amen

Lecture de la Bible

Luc 16/19-31

19 Il y avait un homme riche qui s'habillait de pourpre et de fin lin, et qui chaque jour faisait la fête et menait brillante vie.
20 Un pauvre couvert d'ulcères, nommé Lazare, était couché à son porche ;
21 il aurait bien désiré se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; au lieu de cela, les chiens venaient lécher ses ulcères.
22 Le pauvre mourut et fut porté par les anges sur le sein d'Abraham. Le riche aussi mourut et fut enseveli.
23 Dans le séjour des morts, il leva les yeux ; et, en proie aux tourments, il vit de loin Abraham et Lazare sur son sein.
24 Il s'écria : Abraham, mon père, aie compassion de moi ! Envoie Lazare tremper le bout de son doigt dans l'eau pour me rafraîchir la langue, car je souffre dans ces flammes.
25 Mais Abraham répondit : Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu ton bien durant ta vie et qu'au lieu de cela Lazare, lui, a eu le mal ; maintenant, ici, il est consolé, tandis que toi, tu souffres.
26 En plus de tout cela, un grand gouffre a été mis entre nous et vous, afin que ceux qui voudraient passer d'ici vers vous ne puissent le faire, et qu'on ne traverse pas non plus de là-bas vers nous.
27 Le riche dit : Alors, je te demande, père, d'envoyer Lazare dans la maison de mon père ;
28 car j'ai cinq frères. Qu'il leur apporte son témoignage, afin qu'ils ne viennent pas, eux aussi, dans ce lieu de tourment !
29 Abraham répondit : Ils ont Moïse et les Prophètes ; qu'ils les écoutent !
30 L'autre reprit : Non, Abraham, mon père, mais si quelqu'un de chez les morts va vers eux, ils changeront radicalement.
31 Et Abraham lui dit : S'ils n'écoutent pas Moïse et les Prophètes, ils ne se laisseront pas persuader, même si quelqu'un se relevait d'entre les morts.

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