Marie, le jardin clos du salut

Luc 1:26-45

Culte du 22 décembre 2019
Prédication de Béatrice Cléro-Mazire

Vidéo de la partie centrale du culte

Un intrus dans la clôture 

    Dans l’Évangile de Luc, l’Annonciation est faite à Marie. On dit d’elle qu’elle est vierge, et ici, aucune ambiguïté, ce n’est pas le terme de «  jeune fille » qui est employé, mais bien celui de vierge ( παρθηνον). On sait d’elle qu’elle est fiancée à un homme : Joseph, et qu’il est de la maison de David. 

    Gabriel entre chez elle. Terrible image que ce personnage surnaturel qui entre chez une jeune femme que l’on vient de définir par sa virginité. Immédiatement, tous les signes de la transgression de l’intime sont là. 

    D’ailleurs Marie a peur. Et Gabriel, en bon ange qu’il est, rassure Marie : «  N’aie pas peur, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu ». Dans la Légende Dorée de Jacques de Voragine, il est écrit : « C’est le propre des bons anges, selon la glose, de consoler, à l’instant, par une bénigne exhortation, ceux qui s’effraient en les voyant ». 

    Pourtant, la suite n’est pas plus rassurante pour la vierge qui l’entend : «  tu vas être enceinte », littéralement, en grec, «  ton ventre va devenir une enceinte ». 

    Comment la femme vierge ne serait-elle pas effrayée par une telle annonce ? 

La vierge comme motif de foi 

    Le récit de cette intrusion dans l’intimité de Marie nous oblige à ne pas minorer sa virginité. 

    En bons rationalistes, nous dirons qu’il est impossible qu’une vierge soit enceinte. 

    Même le Légende Dorée ne suffira pas à contrer cette évidence. Voici ce qu’on peut y lire : « Au moment de l’enfantement, Joseph, qui ne doutait pas au reste que Dieu dût naître d’une vierge, appela, selon la coutume de son pays, deux sages-femmes qui s’appelaient l’une Zébel, et l’autre Salomé. Zébel, en examinant Marie avec soin et intention, la trouva vierge : « une vierge a enfanté ! » s’écria-t-elle. Salomé, qui n’en croyait rien, voulut en avoir la preuve, comme Zébel, mais sa main se dessécha aussitôt. Cependant, un ange, qui lui apparut, lui fit toucher l’enfant et elle fut guérie tout de suite. »

    En bons lecteurs et interprètes, il faut bien prendre au sérieux le motif de la virginité tellement mis en avant dans le récit de Luc. Luc n’était pas plus ignare que nous en gynécologie, on dit même qu’il était médecin. Alors, pourquoi insister à ce point sur une chose impossible ? 

    L’interprétation classique consiste à convoquer la prophétie d’Esaïe : « la jeune fille est enceinte, elle mettra au monde un fils et lui donnera le nom d’Immanouel. » ( Es 7, 14) Cette prophétie est un signe de Dieu qui doit annoncer le salut d’Israël. Les rédacteurs de l’Évangile de Luc auraient donc fait coïncider la promesse du signe avec le récit de la naissance de Jésus, quitte à user du merveilleux pour accréditer le statut de Messie de Jésus. On pourrait s’en tenir à cette version, et refermer l’Évangile de Luc en croyant avoir tout compris de la machine à homologuer que représente la rédaction des récits de nativité.  

    Mais dans le merveilleux, la vérité se laisse parfois mieux comprendre que dans les récits les plus logiques. Et c’est un savoir plus profond sur l’homme et sur sa foi que nous pouvons atteindre en lisant pourtant des choses parfaitement impossibles. Qu’on les lise dans les Évangiles ou dans la Légende Dorée, les récits sont écrits à l’encre des merveilles et c’est justement là que nous pouvons trouver la trace la plus profonde de la foi de ceux qui les ont écrits. 

Marie : Hortus conclusus

    Pour comprendre la portée de ce motif de la vierge qui enfante, il est bon de regarder comment, à d’autres époques, d’autres croyants ont compris ce motif. Et c’est par les arts experts du merveilleux que je vous invite à faire un détour : la poésie et la peinture.

    C’est d’abord dans la poésie médiévale qu’apparaît une façon originale de parler de Marie comme vierge qui enfante. En effet, c’est là que surgit la métaphore du jardin clos. En reprenant le verset biblique du Cantique des Cantiques : « Tu es un jardin clos, Ô mariée, ma soeur, une fontaine close, une source scellée. Tes pousses sont un verger de grenadiers aux fruits exquis. » ( Cant 4, 12-13) Les poètes vont comparer Marie à ce jardin clos ( hortus conclusus ). Puis les peintres déploieront des talents extraordinaires pour représenter des annonciations dans des jardins clos de palissades de bois ou de murs parfois crènelés comme des forteresses. 

    Fra Angelico, ainsi, représente la vierge assise sous un portique à colonnes de pierres dans un jardin clos et derrière elle, une fenêtre fermée de grilles insiste sur le thème de la clôture. 

    Cette image du jardin clos résonne des mots du récit du jardin d’Eden. Et, comme si Marie reprenait en son sein la misère de tous les descendants d’Adam, c’est l’histoire du péché, et avec elle celle du salut de Dieu, qui résonne dans cette métaphore du jardin clos. 

de la souillure au salut

    La virginité de Marie n’est pas une image de la morale au secours de la transgression, il ne s’agit pas là de faire de Marie une femme morale. La virginité de Marie nous fait entrer dans l’intimité d’une foi affrontée aux choses impossibles. 

    Derrière l’impossible merveilleux d’une vierge qui enfante, se profile l’impossible affront bien réel celui-là, d’être mère alors même que l’on est promise vierge à un époux. 

    Quand la femme stérile enfante enfin, dans les récits bibliques, ce sont « les lois de la nature » qui semblent transgressées. L’honneur d’être mère est donné à la femme qui était vue comme incapable d’enfanter et donc mal considérée socialement. La femme stérile qui devient mère, c’est un miracle, un rétablissement.  

    Mais quand c’est une vierge qui enfante, ce sont les lois morales qui sont transgressées, et il ne s’agit pas tant d’un miracle que d’un problème, et même d’un tabou. 

Où cette femme retrouvera-t-elle son honneur ? Comment sera-t-elle considérée par son futur époux, ceux de sa parenté, de son pays, de sa religion ? Qui croira qu’il s’agit d’un signe de Dieu comme l’annonçait Esaïe ? N’est-elle pas simplement fautive et pècheresse aux yeux des hommes ? 

    Considérer le ventre de Marie comme un jardin clos pourrait être une façon de vouloir de la pureté là où l’engendrement la rend impossible ; mais cela peut être aussi une façon de vouloir rendre saint le profane ; ce qui, avant le Christ, était de l’ordre de la faute et du péché, devient, avec lui, racheté, sauvé. Avec la naissance du sauveur, la première sauvée est cette enceinte de jardin que personne n’a le droit de juger, cette forteresse que Dieu s’est choisie et où le fruit de la foi mûrit lentement.Le ventre de Marie devient le saint des saints de l’humanité. 

   

    Et si la foi de Marie était précisément ce qui est enfermé dans la clôture de son ventre ? Et si sa foi pouvait sauver la souillure d’être enceinte alors qu’elle devait être vierge ? Contre toute convention sociale, contre toute attente de sa part, Marie apprend que c’est une bonne nouvelle d’être enceinte alors qu’elle est considérée comme vierge. La malédiction prononcée contre Ève n’est plus ; l’engendrement devient promesse, grâce et bénédiction. La grâce de Dieu vient sauver les générations. 

    Dans le jardin clos, le secret de Marie est protégé. Et personne ne peut l’atteindre. En ce sens, l’histoire des deux sages-femmes de la Légende Dorée est juste. La sage-femme qui a douté de la virginité de Marie et qui voulait prouver le contraire a eu sa leçon. Le jardin clos de la foi intime ne se transgresse pas par des demandes de justifications et de preuves. Il faut croire que cela est possible à celui qui croit. La guérison de la main sèche achèvera de convaincre la sage-femme sceptique. Il ne s’agit pas de savoir si la grossesse de Marie est possible, il s’agit de croire que cette vierge devenue mère est sauvée. 

La visite à Elisabeth    

   

    Comme si les deux motifs devaient se rapprocher pour être mieux compris, la vierge enceinte court rencontrer la femme stérile. Marie court chez Elisabeth. Comme si la nouvelle alliance allait chercher son accomplissement dans le témoignage de l’ancienne alliance, Marie va chez celle qui représente toutes les femmes stériles qui ont pourtant accouché. De Sarah à Elisabeth en passant par Rachel, Marie entre chez Zacharie, dont le nom veut dire « Dieu s’est souvenu » et fait mémoire du serment entre un peuple qui a besoin de libération et son Dieu libérateur. Elisabeth est le prénom d’une autre femme de la Bible, la femme d’Aaron. Elisabeth veut dire : « Dieu est mon serment ». Elle représente une nouvelle ère pour le service de Dieu, car elle mettra au monde un prophète qui ne trahira pas le Dieu qu’il sert. Les fils de la première Elisabeth, s’étaient mal comportés dans leur manière de servir Dieu. Deux d’entre eux étaient morts avant leur parents. Le fils de l’Elisabeth que va voir Marie, sera le baptiste, un homme intègre et juste devant les hommes et devant Dieu. 

    Elisabeth est donc une autre figure du salut. Elle représente une nouvelle prêtrise qui sera prophétique. 

    Quand les deux femmes se rejoignent et que, en leur sein, les nouveaux Moïse et Aaron sont en gestation, le ventre d’Elisabeth tressaille de joie. 

Le Messie et son prophète 

    Jean Chrisostome écrit : « Jésus-Christ fit saluer Élisabeth par Marie afin que sa parole sortie du sein de sa mère, séjour du Seigneur, et reçue par l’ouïe d’Élisabeth, descendit jusqu’à Jean qui, ainsi, serait sacré prophète. »

   

    Prophète, avant sa naissance, Jean le baptiste est en communication avec son sauveur avant même de voir le jour. 

    Au travers de la palissade de leur Jardin clos respectif, les deux foetus se reconnaissent l’un l’autre, comme dans une prophétie intra-utérine. Comme si le monde nouveau était en gestation et que ces deux petits d’hommes l’annonçaient en bougeant dans le ventre de leur mère. 

    Avant même d’exister pour le monde, ils existent comme monde : un monde nouveau, où la 

mort est dépassée, où la naissance même est dépassée par le temps prophétique, par l’annonce du salut. Ils sont plus grands qu’eux-mêmes, ils existent avant eux-mêmes, préfigurant ainsi qu’ils existeront après leur mort, et qu’aucun tombeau ne pourra les enfermer dans la clôture de la mort. Dans ce tressaillement de joie se trouve la vie éternelle. 

    Entre les deux mères à l’épreuve d’un réel qui ne se laisse pas enfermer dans les lois morales, une connivence se crée. Elles se réjouissent ensemble. Elles ne sont plus soumises à la fatalité du destin, elles écriront leur histoire du salut en donnant naissance, à six mois d’intervalle, à deux enfants qui changeront le monde dans lequel ils vont naître. 

Un nouveau monde en gestation 

    Dans l’intimité de ces deux gestations, la même foi anime la vie : une foi en un salut qui nous sauve de la condamnation, de la faute irréparable, de l’indignité et de la honte. Le souffle Saint qui engendre ces deux êtres qui communiquent ensemble, renoue, sous la plume de Luc, avec le souffle créateur du Dieu de la vie. Avec lui, chacun peut traverser sa « mer rouge » et être libéré des esclavages conventionnels. Avec ce Dieu de la vie, chacun peut donner une signification au réel qui met sa vie à l'épreuve. En faire un signe du salut de Dieu. Le raconter comme une bénédiction, même si les autres se moquent de lui ou le condamnent. 

    Marie est bénie entre toutes les femmes parce qu’elle attend un enfant hors mariage ! Elle est la vierge qui enfante ; ce n’est plus sa faute, c’est son histoire.  Et Élisabeth est dans la joie profonde d’une femme qui enfante après avoir vécu dans la honte que son époque faisait peser sur les femmes stériles. Elle n’est plus la vieille femme dont la maternité fait rire, elle est la mère d’un prophète. 

Rien n’est impossible à Dieu, il faudra bien s’y faire. 

    Dans son traité intitulé Pourquoi Dieu s’est-il fait homme ?, Anselme de Cantorbéry écrit à propos de Marie : « Dieu peut créer l’homme de quatre manières : sans homme ni femme, comme il a créé Adam ; d’un homme sans femme, comme il a créé Ève ; d’un homme et d’une femme, comme d’habitude ; d’une femme sans homme, comme cela s’est opéré merveilleusement aujourd’hui ».

   

    Quand on sait combien les questions de gestation soulèvent encore aujourd’hui de condamnation morale, il est intéressant de se demander toujours où est le Dieu sauveur. Dans quel ventre prépare-t-il le monde de demain ? De quels parents naîtront les sauveurs qu’il appelle ? 

    Comment cela se produira-t-il , demandait naïvement Marie ? 

    Il y a peut-être une cinquième manière divine pour créer un homme, en l’adoptant comme fils, et en l’aimant inconditionnellement. C’est peut-être cet amour sans jugement qui sauvera notre humanité. 

                    AMEN.  

Lecture de la Bible

Luc 1/26-45

26 Au sixième mois, l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, appelée Nazareth, 27 auprès d'une vierge fiancée à un homme de la maison de David, nommé Joseph. Le nom de la vierge était Marie. 28 L'ange entra chez elle, et dit: Je te salue, toi à qui une grâce a été faite; le Seigneur est avec toi. 29 Troublée par cette parole, Marie se demandait ce que pouvait signifier une telle salutation. 30 L'ange lui dit: Ne crains point, Marie; car tu as trouvé grâce devant Dieu. 31 Et voici, tu deviendras enceinte, et tu enfanteras un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus. 32 Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père. 33 Il règnera sur la maison de Jacob éternellement, et son règne n'aura point de fin. 34 Marie dit à l'ange: Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d'homme? 35 L'ange lui répondit: Le Saint-Esprit viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. C'est pourquoi le saint enfant qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu. 36 Voici, Elisabeth, ta parente, a conçu, elle aussi, un fils en sa vieillesse, et celle qui était appelée stérile est dans son sixième mois. 37 Car rien n'est impossible à Dieu. 38 Marie dit: Je suis la servante du Seigneur; qu'il me soit fait selon ta parole! Et l'ange la quitta. 39 Dans ce même temps, Marie se leva, et s'en alla en hâte vers les montagnes, dans une ville de Juda. 40 Elle entra dans la maison de Zacharie, et salua Elisabeth. 41 Dès qu'Elisabeth entendit la salutation de Marie, son enfant tressaillit dans son sein, et elle fut remplie du Saint-Esprit. 42 Elle s'écria d'une voix forte: Tu es bénie entre les femmes, et le fruit de ton sein est béni. 43 Comment m'est-il accordé que la mère de mon Seigneur vienne auprès de moi? 44 Car voici, aussitôt que la voix de ta salutation a frappé mon oreille, l'enfant a tressailli d'allégresse dans mon sein. 45 Heureuse celle qui a cru, parce que les choses qui lui ont été dites de la part du Seigneur auront leur accomplissement.


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