Les peuples du Livre

Exode 24:1-4 , Jean 21:24-25 , Apocalypse 1:9-11

Culte du 23 septembre 2018
Prédication de Michel Leplay

Vidéo de la partie centrale du culte

Chers frères et sœurs, chers amis de l’Oratoire, c’est avec « crainte et tremblement » … que j’ai accepté l’offre de votre nouvelle ministre de l’Évangile, de me confier la prédication de ce dimanche.
Que Dieu bénisse mon heureuse collègue et toute votre communauté dans la diversité de ses ministères, et qu’Il nous donne de vivre chaque jour de cette semaine dans la confiance et la reconnaissance.

Nous avons ouvert la Bible, lu les Écritures, la Thora, l’Évangile et l’Apocalypse, quelle richesse dans la diversité convergente de ces livres d’un Livre dont nous sommes le peuple, avec notre grand prédécesseur en Écriture, le peuple d’Israël. Et nos successeurs dans une troisième interprétation, celle de l’Islam, j’y reviendrai en conclusion.
Mon propos consiste à m’interroger avec vous sur cet étrange souvenir de St Jean dans l’Apocalypse qui lui est attribué : « Je fus saisi par l’Esprit au jour du Seigneur, et j’entendis derrière moi une puissante voix … Ce que tu vois, écris-le dans un livre … Et je me retournai pour voir la voix qui me parlait ».

Avouez, frères et sœurs, qu’on ne saurait trouver des instructions plus originales, sinon surréalistes que celles qui consistent à « écrire ce que l’on voit quand on voit la voix qui nous parle ». Ce que l’on voit est une écriture, et pas une image, ni même une photographie ou une photo-copie. Nous ne sommes pas encore dans le monde actuel dont Paul Varillo nous rappelait après Jacques Ellul que l’image va de plus en plus vite, alors que l’écriture prenait son temps ! Ils n’ont rien fait d’autre, les hommes de la Bible, de Moïse à St Jean : le premier sur les tables de pierre afin que la parole durable du Dieu d’Israël ne soit jamais effacée, et l’Évangéliste sur quelque parchemin animal ou papyrus végétal. Entre le Patriarche et l’Apôtre, ce Jésus unique et solitaire, dont l’Évangile du même St Jean nous raconte qu’il écrivit sur le sable (Jean 8 : 6), on ne sait quoi. Par parenthèse, quand nous étions étudiants à la plaisanterie facile et parfois spirituelle, nous imaginions que, devant cette femme condamnée par la loi, mais sauvée par la grâce, Jésus aurait écrit pour les pharisiens sévères et la pécheresse pardonnée : «  Il faudra que je vous envoie Luther » …

Passons. Jésus n’a rien écrit, mais sur lui il y a dans les Écritures, deux témoignages écrits : celui du « titulus » de la croix, « Jésus de Nazareth, Roi des juifs », ce que je l’ai écrit, je l’ai écrit, confirme Pilate, et, aux dires de St Jean encore, « si on écrivait tout ce que Jésus a fait, le monde entier ne pourrait contenir tous les livres qu’on écrirait » (Jean 19 : 19-23 et 21 : 25). Sur notre Seigneur les quatre lettres du titulus et des montagnes de livres dont le premier est l’Ecriture sainte.

SOLA SCRIPTURA, devise formelle de la Réforme protestante du XVIe siècle dans le climat joyeux de la renaissance des lettres et des arts. L’Écriture seule depuis que les auteurs bibliques avaient été sommés d’écouter la voix qui leur parlait et d’écrire ce qu’ils voyaient en dernier lieu définitif : cet homme qui venait de Nazareth, qui dispensait les bienfaits de Dieu et proclamait les Béatitudes, suscitant jalousie et envie, crucifié comme Fils de Dieu pour une vie plus forte que la mort. « Nous en sommes tous témoins ». Sola scriptura, « Dieu ne nous dit qu’une seule parole, et c’est son Fils », selon nos Réformateurs pour lequel le Christ est vraiment la clé des Écritures d’Israël et de l’Église. Ce pourquoi dimanche après dimanche, et d’école biblique en catéchisme, de méditation matinale, voire de lecture familiale, comme de conférence publique ou enseignement universitaire, c’est cette écriture qui est la source, l’élan, la norme et la possibilité de dire quelque chose sur Dieu.

« Écoute la voix qui te parle, et ce que tu entends, écris-le ».
Et voilà que la Bible est depuis longtemps et pour toujours « notre journal du Dimanche ». Publicité non payée, tout est grâce, tout est gratuit…

Ainsi après la Bible, parole éternelle, j’en arrive au journal, parole quotidienne, parole de Dieu et voix humaine, Écriture sainte, propos fragiles. Il faut bien les distinguer sans toutefois les séparer, car l’Histoire dite sainte des Écritures est insérée dans le grimoire misérable de nos histoires, la parole éternelle s’écrit et s’inscrit dans l’histoire, aujourd’hui encore, et nous ne pouvons pas éviter de nous soumettre au risque et devoir de l’inscription de la parole éternelle dans l’histoire temporelle. C’est pourquoi, même si c’est devenu un lieu commun, le théologien suisse Karl Barth disait au temps de la première résistance au totalitarisme nazi qui montait sur l’Europe : « Les jeunes ne peuvent pas seulement étudier la théologie et regarder les nuages du ciel. Il faut regarder la vie telle qu’elle est, oui, la lire dans le journal. Donc, ici la Bible, là le journal : les deux vont nécessairement ensemble. S’il ne s’agit pas de lire le journal sans la Bible, il ne s’agit pas non plus de lire la Bible sans le journal … Prenez votre Bible, prenez votre journal. Mais interprétez votre journal à la lumière de la Bible ».

Deux remarques, si vous permettez. D’abord la Bible n’est pas univoque, tant la seule Parole s’y fait entendre dans la diversité des auteurs et des langages ; il faut interpréter, comprendre, actualiser, c’est le devoir de chaque lecteur croyant et des Églises diverses : les unes sous autorité doctrinale, les autres dans une liberté libérale, suivez mon regard, car ce n’est pas facile. J’en prends volontiers ici à témoin, l’illustre pasteur Jules-Émile Roberty qui écrivait à son protégé Charles Péguy, en difficulté avec le clergé romain : « Si vous êtes en détresse, cher ami, pourquoi ne vous confiez-vous pas directement à Dieu ou à son Évangile, sans vous accrocher en passant à toutes les ronces des Églises ou de l’Église ? L’Évangile existait avant l’Église. C’est à peu près la seule chose dont on soit sûr en ce monde » (Évangile et Liberté, juillet 1969).
Ainsi la Bible dans sa diversité centrée sur l’Évangile de Jésus-Christ, fils de Dieu, comme notre presse quotidienne consacrée à l’histoire des hommes.

Je remarque en passant la richesse dont nous ne sommes pas assez conscients que celle de la liberté et de la diversité de la presse, quotidienne ou hebdomadaire notamment. Et je m’amuse même à observer combien de titres courants ont des connotations bibliques, de « Libération » comme moderne exode, ou « L’Humanité » qui a bien du mal à porter son nom … ou ce « Monde » comme journal du soir dans l’hypothétique lumière du matin ! Mention obligée enfin de « Réforme », notre « hebdomadaire protestant d’actualités », dans lequel, là encore sans publicité, mon collègue et ami Laurent Gagnebin, publie ce mois-ci une remarquable série de chroniques « pour un Evangile intégral ».

Papier bible, relié, relu, papier journal, parcouru, froissé, au point où nous en sommes de cette réflexion pour une communauté livrée aux livres et aux écritures, une remarque avant de conclure sur une ouverture. Nous sortons en effet de la galaxie Gutenberg pour entrer dans celle de la transmission immatérielle de l’écriture et de l’image. La rapidité spontanée des internautes remplace le labeur des moines dans leur scriptorium, puis l’art des imprimeurs dans leurs ateliers. Jadis chacun put enfin lire chez lui, tout et n’importe quoi, citoyen, lecteur, comme de nos jours chacun peut n’importe où, dire n’importe quoi à n’importe qui. Nous sommes passés de la raison sociale aux réseaux sociaux, de l’opinion réfléchie au réflexe du ressenti ! Reste, et c’est ma remarque, que papier ou écran, texte imprimé ou image reproduite, nous sommes par là même protégés de la réalité dans sa variété admirable et insupportable. L’image protège, met à distance supportable l’enfant qui souffre, le soldat qui meurt, la femme qui hurle, l’homme qu’on fusille, la maison qui brûle ou le coffre en ciment armé qui éclate sur la tête des civils … Déjà dans la Bible, vous le savez bien, iconoclastes protestants, « nul ne peut voir Dieu et vivre », nul ne peut prononcer son Nom trois fois saint, béni soit-il, et Jésus lui-même, qu’en voyant on voyait le Père, n’a laissé nulle trace de son visage, nul indice de son corps ; que du pain partagé et du vin qui saigne. Comme l’écrit la philosophe juive Catherine Chalier : « l’Éternel, béni soit-il, a dû restreindre l’intensité de sa lumière infinie pour créer des hommes, afin qu’ils puissent recevoir cette lumière sans être aussitôt anéantis (Le Maguid de Mezeritch, p. 159).

Je conclus pour continuer. Après le XXe siècle chrétien de l’œcuménisme ecclésial, nous sommes dans le temps mondial du dialogue entre les grandes religions. Nous sommes, Judaïsme, Christianisme et Islam, trois religions du « livre » dit-on. J’ai largement exploité les trésors de notre relation spécifique judéo-chrétienne. Samedi prochain, ici même, vous étudierez les possibilités d’un nécessaire dialogue avec l’Islam et son Coran. Vous aurez la parole pour débattre de la réception et de l’interprétation de nos Ecritures, et pour le rapport entre la religion et la société.

Mais pour l’heure, je laisse mon dernier mot à l’intarissable Wilfred Monod dont vous gardez la mémoire : « Apprenons à nous taire, voici le sacrement du silence ».

Lecture de la Bible

Exode 24/1-4,
1 Dieu dit à Moïse: Monte vers l'Éternel, toi et Aaron, Nadab et Abihu, et soixante-dix des anciens d'Israël, et vous vous prosternerez de loin.
2 Moïse s'approchera seul de l'Éternel; les autres ne s'approcheront pas, et le peuple ne montera point avec lui.
[...]
12 L'Éternel dit à Moïse: Monte vers moi sur la montagne, et reste là; je te donnerai des tables de pierre, la loi et les ordonnances que j'ai écrites pour leur instruction.

Jean 21/24-25
24 C'est ce disciple qui rend témoignage de ces choses et qui les a écrites. Et nous savons que son témoignage est vrai.
25 Jésus a fait encore beaucoup d'autres choses ; si on les écrivait en détail, je ne pense pas que le monde même pourrait contenir les livres qu'on écrirait.

Apocalypse 1/9-11
9 Moi Jean, qui suis votre frère et qui prends part à la tribulation, à la royauté et à la persévérance en Jésus, j'étais dans l'île appelée Patmos, à cause de la parole de Dieu et du témoignage de Jésus.
10 Je fus (ravi) en esprit au jour du Seigneur, et j'entendis derrière moi une voix, forte comme le son d'une trompette,
11 qui disait : Ce que tu vois, écris-le dans un livre, et envoie-le aux sept Églises : à Éphèse, à Smyrne, à Pergame, à Thyatire, à Sardes, à Philadelphie et à Laodicée... [ et à Paris ]

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