Le soupir de Dieu
Esaïe 35:3-7 , Marc 7:31-37
Culte du 2 septembre 2018
Prédication de Nicolas Cochand
Vidéo de la partie centrale du culte
De ce récit de la guérison d’un sourd muet, on retient souvent la parole du Christ, « Ephphata », ouvre-toi, à juste titre, bien sûr.
J’aimerais toutefois commencer cette prédication en prêtant attention à ce qui précède, un mot, un verbe du récit de guérison : levant les yeux vers le ciel, Jésus soupire. C’est suffisamment rare pour qu’on y soit attentif.
Soupir.
En grec, ce verbe à deux sens, gémir et soupirer. Est-ce l’un ou l’autre ? Pas besoin de trancher de manière catégorique, car précisément le mot porte les deux sens en lui, et ils vont ensemble. Un gémissement, c’est en quelque sorte un soupir un peu plus sonore.
Mais j’aimerais commencer par le soupir.
Soupir.
Qu’est-ce qu’un soupir ? Il y a parmi nous des musiciens et des mélomanes, alors écoutons d’abord : le soupir est un silence.
Le signer qui indique qu’il faut marquer un silence, d’une durée équivalente à une noire.
Souvent, c’est une voix, une ligne d’une partition, un instrument, une main qui s’arrête. Mais il arrive que l’ensemble de l’orchestre marque un silence, ce qui donne alors une puissance extraordinaire à ce temps où le son s’arrête.
Ici, j’aime à penser que c’est un silence de cet ordre qui est proposé, si on écoute le récit comme une musique. Tout s’arrête, pour laisser place au seul soupir du Christ qui s’adresse au ciel.
J’insiste un peu car ce soupir, on risque de le passer sous silence, si je puis dire, comme c’est souvent le cas, d’ailleurs, lorsque l’on chante, par exemple un psaume ou un cantique. On a tendance à passer par-dessus les silences pour n’entendre que les sons et les paroles.
Du point de vue physiologique, un soupir est une expiration. Elle n’est pas silencieuse, mais elle est sans mots. Et si l’on pense au gémissement, c’est aussi l’absence de parole articulée qui est soulignée.
Jésus fait silence, il soupire, il gémit vers le ciel. D’ailleurs il n’avait pas encore parlé, dans ce récit, de sorte que sa première expression est précisément ce soupir. Cela met d’autant plus en valeur le premier mot qui suit, ephphata, ouvre-toi.
Mais restons encore un peu avec ce soupir. On peut en souligner deux aspects. D’une part, il est l’expression d’une souffrance, d’une compassion, mais il est aussi une parole, un acte de communication, certes sans mots, mais une parole tout de même, une prière, adressée au ciel, car c’est en levant les yeux vers le ciel que Jésus émet ce soupir.
Jésus exprime sa compassion devant la situation de l’homme qui lui est présenté. Il le prend au sérieux, il le fait sortir de l’anonymat en l’éloignant de cette foule que l’on peut imaginer bruyante. Il prend au sérieux sa condition, il touche les oreilles, il touche la langue, et même plus, il met ses doigts dans les oreilles, il prend sa propre salive pour en toucher la langue.
Certains pensent que ces gestes indiquent qu’il s’agit d’une guérison particulièrement difficile, et que cela souligne la puissance particulière du Christ. Le soupir serait le moment où le thaumaturge, le guérisseur a rassemblé ses forces et les fait s’exprimer d’un coup. Toutefois, je ne pense pas que cela soit le cas. Je crois plutôt que le soupir de Jésus exprime à quel point il est touché par l’enfermement de cet homme.
Devant la souffrance, Jésus soupire, il gémit.
C’est donc aussi une forme d’expression, une forme de prière. Le gémissement du Christ résume l’appel de la souffrance, en-deçà des mots : c’est le gémissement de la création dans les douleurs de l’enfantement, c’est le gémissement de l’Esprit Saint qui prie en nous nous en des gémissements inexprimables, pour évoquer deux expressions que nous empruntons à l’apôtre Paul.
Peut-être est-ce même ce gémissement qui permet au Christ de passer du silence à la parole, d’être-même au bénéfice de la puissance de vie qui émane de Dieu, de cette ouverture qu’il invoque.
Est-ce qu’on peut aller jusqu’à rapprocher le soupir de Jésus du souffre ténu, du bruissement d’un silence par lequel Dieu apparaît à Elie dans le livre des Rois ?
Jésus est le gémissement de Dieu.
Le soupir, ce moment d’expiration, nous situe sur une crête, sur le fil du rasoir, oscillant entre le découragement, le sentiment d’être submergé, enfermé, et l’obstination d’une espérance qui triomphera malgré tout.
Et c’est vrai qu’il en faut, du courage et de l’obstination, au Christ, pour prendre la mesure et triompher de nos enfermements.
Survient enfin la parole, pour le Christ d’abord. Ouvre-toi, traduit-on généralement. Pourtant le grec est au passif, l’araméen aussi, de sorte, que ce n’est pas un appel à la volonté qui retentit dans cette injonction du Christ, mais un appel à se laisser ouvrir.
Jésus ne dit pas : fais un effort, ouvre-toi, mais plutôt : relâche-toi, laisse-toi ouvrir.
Ouvre-toi. Non pas une injonction qui laisserait entendre que cela tient avant tout à la volonté de l’homme Jésus ne dit pas que si l’homme voulait, il pourrait...
Il dit plutôt : sois ouvert, comme on casse un œuf dur, comme on ouvre une boîte de soda.
Non pas libère-toi, mais sois libéré de ce qui te lie.
Car ensuite le narrateur précise que les oreilles s’ouvrent, et que le lien de la langue, ce qui lie la langue, ce qui la retient, est délié.
Non pas qu’il ne pouvait parler auparavant. Il parlait, mais mal ; plus il faisait des efforts, moins on le comprenait, peut-on imaginer.
Sa langue se libère, il trouve la faculté de s’exprimer clairement, droitement dit le texte. Correctement, avec justesse.
Remarquons que les oreilles et la langue vont ensemble. Il s’exprime mal parce qu’il est sourd, et ce sont les oreilles qui s’ouvrent en premier. Pour libérer la parole, il faut d’abord que les oreilles s’ouvrent.
La langue qui parle droit, la parole juste, ce n’est pas celle qui dit tout haut et fort ; c’est celle d’un homme, d’une femme qui commence à écouter véritablement.
Du reste, le récit s’achève par un appel à se taire. Pourquoi cela. Il est vrai que c’est fréquent dans l’Évangile de Marc. Y a-t-il une connotation particulière à ce silence ici requis ?
Cet appel est d’autant plus frappant que les personnes à qui il s’adresse prêchent, elles annoncent le Christ et sa puissance. C’est le verbe de la prédication chrétienne qui est utilisé ici, et qui fait l’objet de la réprimande de Jésus. Pourquoi cela ?
Il se peut que la réponse à ce pourquoi soit à chercher dans les mots de ceux qu’il réprimande. Ils sont très étonnés, et ils citent indirectement la prophétie d’Esaïe, pour dire que le Christ fait tout bien. Il a tout juste, en quelque sorte : les aveugles voient, les sourds entendent, les muets parlent.
Ils ont généralisé. Ils ont perdu de vue la personne que Jésus avait au contraire pris à part.
Ils généralisent, ils évaluent et ils accentuent. Ils exacerbent la prédication de puissance autour non pas de Jésus, mais de ce qu’il représente à leurs yeux, aux yeux de ceux qui attendent un messie de puissance, un Dieu vengeur, disait la prophétie.
Dieu se donne à connaître dans un soupir, dans un gémissement qui trouve son paroxysme dans le cri poussé sur la croix, pour l’Évangile selon Marc.
Pour cet évangile, une prédication toute entière centrée sur la puissance n’est pas une prédication chrétienne.
Quelle sera alors, pour nous, une parole chrétienne, une conduite chrétienne ?
Je crois que c’est d’abord une écoute véritable du gémissement de Dieu qui s’exprime dans la bouche du Christ.
Nous sommes invités à l’accueillir comme un gémissement sur nous, ou plutôt sur tout ce qui nous enferme.
A le recevoir, ensuite, si c’est possible, comme un moment de basculement, de l’impuissance à l’espérance.
Dans nos relations, ensuite, nous sommes invités, par ce gémissement, à faire silence pour écouter, et à ne jamais nous autoriser à porter un jugement sur ce qui enferme autrui. Dieu sait que nous pouvons être experts en ce qui concerne autrui !
Accueillir, écouter, dire l’espérance. Le Christ gémit, mais le Christ libère.
Il est solidaire, jusqu’à l’extrémité, jusqu’à nous libérer du plus grand enfermement.
Le soupir du Christ nous ouvre à l’infinie compassion de Dieu, à laquelle nous sommes appelés à nous confier, par laquelle nous sommes invités à nous laisser ouvrir.
Elle annonce, cette compassion, l’infinie liberté qui nous est offerte, l’infinie liberté de tout ce qui enferme l’homme.
Dieu est celui qui ouvre.
Lecture de la Bible
Esaïe 35/3-73
Rendez fortes les mains faibles, affermissez les genoux qui font trébucher ;
4 dites à ceux dont le cœur palpite : Soyez forts, n'ayez pas peur : il est là, votre Dieu !
La vengeance viendra, la rétribution de Dieu ; il viendra lui-même vous sauver.
5 Alors les yeux des aveugles seront dessillés, les oreilles des sourds s'ouvriront ;
6 alors le boiteux sautera comme un cerf, et la langue du muet poussera des cris de joie. Car de l'eau jaillira dans le désert, des torrents dans la plaine aride.
7 Le lieu torride se changera en étang et la terre de la soif en fontaines ;
Marc 7/31-37
31 Il sortit du territoire de Tyr et revint par Sidon vers la mer de Galilée, en traversant le territoire de la Décapole.
32 On lui amène un sourd qui a de la difficulté à parler, et on le supplie de poser la main sur lui.
33 Il l'emmena à l'écart de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, cracha et lui toucha la langue avec sa salive ;
34 puis il leva les yeux au ciel, soupira et dit : Ephphatha Ouvre-toi !
35 Aussitôt ses oreilles s'ouvrirent, sa langue se délia ; il parlait correctement.
36 Jésus leur recommanda de n'en rien dire à personne, mais plus il le leur recommandait, plus ils proclamaient la nouvelle.
37 En proie à l'ébahissement le plus total, ils disaient : Il fait tout à merveille ! Il fait même entendre les sourds et parler les muets.
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