Le serpent qui donne la vie

Nombres 21:4-9

Culte du 14 avril 2017
Prédication de pasteur Marc Pernot

Vidéo de la partie centrale du culte

film réalisé bénévolement par Soo-Hyun Pernot

Culte du Vendredi Saint, 14 avril 2017
prédication du pasteur Marc Pernot : Le serpent qui donne la vie

Dans la Bible et en particulier dans l’Évangile(Mat 23 :33), le serpent est associé au péché et à la mort. Cette comparaison de Jésus avec un serpent est choquante. Surtout qu’elle ne se trouve pas dans un arrière coin d’une obscure lettre presque jamais lue, mais cette comparaison appartient au passage qui est un des plus essentiels et des plus connus de l’Évangile du Christ « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu'il ait la vie éternelle » (Jean 3:16)

Mais Jésus parle alors avec un théologien juif spécialiste de la Bible et entraîné aux multiples débats qui existent depuis des générations autour des Écritures. Il sait à quoi fait référence quand Jésus parle « du serpent que Moïse a élevé dans le désert », et il en connaît les interprétations en conflit autour de ce texte.

Prenons d’abord le livre de la « Sagesse », appelé aussi « Sagesse de Salomon » qui a été écrit au 1er siècle avant Jésus-Christ, il n’est plus intégré dans certaines éditions protestantes de la Bible depuis 1820 pour alléger une Bible déjà copieuse. Mais ce livre fait partie de la liste grecque officielle des livres de la Bible (les Septantes). Ce texte était donc bien connu, sans doute, de Jésus et de Nicodème, et ce texte présente une interprétation possible de cet épisode de Moïse et des serpents. Il considère que les serpents brûlants sont une manifestation de Dieu qui punit ainsi Israël de ses récriminations à cause des conditions de voyage. Effectivement, cette compréhension est une lecture au pied de la lettre du texte de la Bible, Dieu est alors compris comme tuant volontairement « de nombreuses personnes » en représailles contre leur révolte contre Moïse et contre Dieu. L’auteur de ce livre de la Sagesse tempère sa lecture littérale en montrant que cette colère de Dieu contre ses enfants est très limitée dans le temps, Dieu leur apportant vite un salut possible avec le serpent de bronze de Moïse.

L’apôtre Paul serait d’ailleurs assez d’accord avec cette lecture, puisque dans sa lettre aux Corinthiens il nous met en garde de ne pas même murmurer contre Dieu si nous ne voulons pas mourir ainsi sous le coup des serpents. (1 Corinthiens 10:9-10)

Philon d’Alexandrie, contemporain de Jésus et de Nicodème, lui, ne rend pas du tout Dieu responsable de la mort des personnes mordues par les serpents brûlants, au contraire. Ces serpents brulants sont interprétés par Philon non comme des punitions de Dieu mais comme la morsure des passions et du plaisir venant mordre et tuer notre esprit, notre intelligence (Legum Allegoriae 77ss). Ce serpent brûlant qui tue c’est celui de la tentation, c’est le serpent d’Adam et Ève, c’est celui qui éprouve même Jésus, dès le début de son ministère jusqu’à son désespoir à Gethsémanée et encore plus sur la croix, lui faisant même douter de la fidélité de Dieu.

Dans ce chapitre de l’Évangile selon Jean, Jésus prend délibérément position dans ce sens, innocentant totalement Dieu de juger et d’éliminer le coupable :

Dieu, nous dit-il, n'a pas envoyé son Fils dans le monde
pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.
(Jean 3:17)

La présence et l’action de Dieu sont entièrement positives, rien à craindre de lui, mais tout à espérer. Et ceux qui souffrent et meurent ne meurent jamais sous les coups de Dieu, ni dans ce monde ni dans le monde à venir. Au contraire, Dieu travaille sans cesse pour nous sauver de nos propres serpents brûlants. Dieu a tellement aimé le monde, Dieu a tellement aimé chacun, qu’il a tout fait pour que nous ayons la vie éternelle, que nous soyons sauvés par lui.

Mais comment est-ce que « cela » marche ?

D’abord, comme le rappelle ici Jésus, c’est dans le désert qu’est le lieu de ce salut. Le désert, en hébreu midebar, c’est littéralement le lieu qui est à la fois hors de la parole (min-dabar, hors du bruit et du vacarme des voix humaines), midebar c’est aussi le participe présent du verbe dabar « parler », le désert c’est le lieu ou Dieu est « parlant ». Un lieu de passage pour un temps de retrait temporaire hors du monde, pour entrer en soi-même. C’est le lieu de l’expérience mystique et du cheminement avec Dieu, grâce à Dieu.

Effectivement, le récit du livre des Nombres évoque la prière du peuple, entrant en lui-même et appelant Dieu à l’aide.

Le serpent évoque notre humaine tentation de vivre au raz des pâquerettes, au niveau de la poussière du sol, et nous nourrissant de cette poussière. Comme Adam et Ève faisant de leur propre désir leur dieu. Comme les hébreux qui en ont assez de se fatiguer à avancer alors qu’il était si bon de stagner dans leur esclavage en Égypte.

Le serpent évoque cette tentation de vivre dans ce monde ci, pour ce monde ci et par ce monde ci.

Comme le rappelle ici Jésus, « Dieu aime tellement le monde » qu’il veut nous sauver. Le salut de Dieu proposé ici n’est donc pas une sortie du monde, ce n’est pas un mépris pour ce monde. Quand Jésus dit ici que le salut de Dieu se reçoit comme dans le désert, c’est un temps de retrait mais pas une sortie, c’est un passage par le désert, le temps d’un coup d’œil au serpent élevé, mais pour mieux être dans ce monde, purifié et inspiré, né de nouveau, né autrement, d’une dimension supplémentaire qui est celle du souffle de Dieu. Celle de son amour inconditionnel, celle de son amour premier et qui aura toujours le dernier mot.

Les hébreux entrent en eux-mêmes et constatent qu’ils se sont encore une fois fait avoir par le serpent de leur propre désir qui les mène par le bout du nez. Et que ce désir les fait brûler de fièvre, et qu’ils en crèvent littéralement.

Ils prennent conscience, ils prient Dieu, demandant à Moïse d’intercéder auprès de l’Éternel. Pour nous-mêmes, comme le rappelle Jésus, le temps est venu où l’Esprit est maintenant donné à chacun, nous pouvons donc nous adresser à Dieu directement, sans passer par un prophète professionnel, sans passer par l’église, par un synode, par un prophète ou un pasteur.

L’Éternel dit à Moïse « fais-toi un brûlant et place-le sur une perche, Moïse fit un serpent de bronze, et le plaça sur la perche . »

Étrange chose, que le serpent, symbole de la brûlure de notre désir, puisse ainsi devenir la clef de notre salut.

Cela peut nous appeler à élever notre désir. En effet, notre désir fait partie de nous-mêmes, il fait partie de notre dimension en ce monde que « Dieu aime tellement ». Notre désir n’est pas mauvais en lui-même. Simplement, il nous tue quand il reste au niveau zéro, mais si ce désir pouvait être élevé, il participerait à notre vie, il serait même source de vie à l’image du Christ qui, lors de ses propres tentations arrivera à détourner son désir de pouvoir sur ce monde et sur Dieu en un service pour le monde et pour Dieu.

Ce serpent qui nous tue, cela peut aussi, à l’inverse, être notre absence de désir, finalement comme ces hébreux dans le désert, qui n’ont plus envie que d’abandonner, de lâcher prise. Là encore un désir tombé au niveau zéro.

Dans l’un ou l’autre cas, comment élever notre désir ? C’est vrai que c’est hors de notre portée, mais c’est là que nous avons besoin de l’aide de Dieu pour accomplir ce miracle de transformer la tentation en motivation.

« Fais-toi un brûlant et place-le sur une perche » dit l’Éternel à Moïse. Littéralement, ce qu’il dit c’est « fais pour toi » un brûlant. Fais-le pour toi, car nul ne peut élever le désir pour un autre, en réalité.

Il y a le feu du désir et de la tentation qui nous brûle. Pour se fabriquer un serpent de bronze, il faut apprendre à manier l’art du feu, purifiant le minerai au creuset du haut fourneau, mêlant dans une mystérieuse proportion le cuivre et l’étain, deux métaux assez mous qui forment ensemble, incroyablement, un alliage dur et résistant. L’image de notre désir élevé est alors une arme de bronze, un glaive, comme celui de la Parole de Dieu. En Christ, nous savons que Dieu ne désire pas avoir d’autres armes que celle de cet amour élevé en étendard sur monde. Pour Jésus, le feu de Dieu n’est pas pour éliminer les méchants et ces hébreux décidément trop grognons, au contraire. Le feu est à manier pour purifier leur désir et l’élever.

Comment « marche » ce serpent d’airain ?

Là dessus, Le livre de la Sagesse de Salomon et Philon d’Alexandrie sont d’accord. Ce n’est pas le serpent en lui-même qui sauve, comme le ferait une amulette magique. Ils disent que le serpent d’airain n’était qu’un « signe » ou un « symbole », utile pour rappeler aux hébreux et au monde entier que c’est l’Éternel qui est Dieu, et qu’il est en toute occasion source de salut.

Voici comment « marche » le serpent d’airain élevé en étendard pour sauver : il élève le regard de celui qui a besoin d’aide, et grâce à Dieu il pourra s’en sortir avec son propre désir. Mais c’est Dieu qui sauve, le serpent n’est qu’un médiateur, c’est Dieu qui est la source de vie, de vie éternelle, de vie plus forte que la mort.

Si les commentateurs unanimes insistent ainsi sur le côté symbolique du serpent d’airain c’est qu’ils connaissent leur Bible, gardant la mémoire ce que les hébreux ont fait du serpent d’airain forgé par Moïse. Ils l’ont précieusement gardé, ils l’ont mis en bonne place dans le temple de Jérusalem pour l’adorer, lui rendre un culte avec de l’encens. C’est Ézéchias qui sera l’auteur d’une réforme au 8e siècle avant Jésus-Christ, qui le détruira, et recentrera la confiance plutôt sur l’Éternel, directement. (2 Rois 18:5)

Bien entendu, Jésus connaît cette histoire et les interprétations du serpent comme un symbole, Nicodème aussi. Et Jean qui écrit son Évangile sait cela et quand il a l’audace de relire ainsi le Christ en croix comme le serpent d’airain de Moïse. Peut-être y a-t-il déjà, à son époque, au début de la 2e génération de chrétiens, une tentation à adorer le Christ au lieu de Dieu seul ? Ce parallèle entre le Christ en croix et le serpent de Moïse dressé en étendard nous met en tout cas fortement en garde contre le risque d’idolâtrie, de croire que le Christ en croix est une amulette magique, ou un sujet d’adoration.

Ce parallèle nous dit que le Christ en croix est central, comme LE signe, mais un signe quand même. Le signe pour nous ouvrir à Dieu, car c’est lui, l’Éternel, qui est le principe même du salut pouvant opérer dans notre existence, une purification, puis insuffler un souffle de vie dans notre chair, dans notre monde, dans notre existence, dans notre désir.

Dans l’Évangile selon Jean, les actes de Jésus sont appelés des « signes ». Ils viennent structurer son Évangile. Et Jean conclut son livre avec cette postface (avant qu’une suite lui soit ajoutée) : « Jésus a fait encore, en présence de ses disciples, beaucoup d'autres « signes » qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceci est écrit afin que vous ayez confiance dans le fait que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu'en ayant ainsi confiance, vous ayez la vie en son nom . » (Jean 20:30-31)

La mort de Jésus n’a donc rien débloqué au ciel, comme si c’était nécessaire. Non, Jésus nous dit ici, que Dieu aimait le monde, il nous aimait et il nous pardonnait avant même la croix.

La mort du Christ en croix n’est pas un objet d’adoration. Non, la mort n’est pas belle, la souffrance d’un innocent de satisfait pas Dieu ni aucune personne de bien.

La mort du Christ en croix n’est pas un talisman magique opérant une guérison en nous. Le Christ en croix simplement, tout simplement, marche comme un signe pour élever notre regard vers Dieu. «Quiconque croit en lui », ou plutôt « Quiconque a foi par lui » car le verbe utilisé ici est celui de la confiance et non de la croyance. Quiconque a foi par lui a la vie éternelle, la vie venant de Dieu qui ne cesse jamais de vouloir que quiconque en ce monde soit sauvé par lui.

De quoi le Christ en croix est-il le signe ? Le signe de cette volonté de salut de Dieu pour ce monde et pour nous. Le signe de ce « Dieu a tellement aimé qu’il a donné... ». Ce n’est pas une mort qui nous est donné à contempler, mais c’est un amour qui nous est donné de contempler. Non pour adorer ce signe, comme s’il y avait là, dans cet événement quelque chose d’unique, mais de le voir comme un signe qui nous ouvre à une autre dimension, celle de Dieu qui aujourd’hui opère un miracle dans notre vie.

Comme Moïse éleva le serpent dans le désert, « il faut », de même, que le Christ soit élevé sur notre existence. Signe de notre monde, de notre désir, de notre chair, de notre vie en ce monde élevée jusque dans la vie éternelle.

Amen

Lecture de la Bible

Jean 3:5–17

Jésus dit à Nicodème : « En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît d'eau et d'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. 6Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l'Esprit est esprit. 7Ne t'étonne pas que je t'aie dit : il faut que vous naissiez de nouveau. 8Le vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit ; mais tu ne sais pas d'où il vient ni où il va. Il en est ainsi de quiconque est né de l'Esprit. 9Nicodème reprit la parole : Comment cela peut-il se faire ? 10Jésus lui répondit : Tu es le docteur d'Israël, et tu ne sais pas cela ! 11En vérité, en vérité, je te le dis, nous disons ce que nous savons, et nous rendons témoignage de ce que nous avons vu ; et vous ne recevez pas notre témoignage. 12Si vous ne croyez pas quand je vous ai parlé des choses terrestres, comment croirez-vous quand je vous parlerai des choses célestes ? 13Personne n'est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme.

14 Et comme Moïse éleva le serpent dans le désert, il faut, de même, que le Fils de l'homme soit élevé, 15afin que quiconque croit en lui ait la vie éternelle. 16Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu'il ait la vie éternelle. 17Dieu, en effet, n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.... »

Nombres 21:4-9

Les Hébreux partirent de la montagne de Hor par le chemin de la mer des Joncs, pour contourner le pays d'Édom. 5Le peuple s'impatienta en route, parla contre Dieu et contre Moïse : Pourquoi nous avez-vous fait monter hors d'Égypte, pour que nous mourions dans le désert ? car il n'y a point de pain et il n'y a point d'eau, et nous sommes dégoûtés de ce pain méprisable. 6Alors l'Éternel envoya contre le peuple les serpents brûlants ; ils mordirent le peuple, et il mourut beaucoup de gens en Israël. 7Le peuple se rendit auprès de Moïse et dit : Nous avons péché, car nous avons parlé contre l'Éternel et contre toi. Prie l'Éternel, afin qu'il éloigne de nous ces serpents. Moïse pria pour le peuple. 8L'Éternel dit à Moïse : Fais-toi un (serpent) brûlant et place-le sur une perche ; quiconque aura été mordu et le contemplera, conservera la vie. 9Moïse fit un serpent de bronze, et le plaça sur la perche ; et si quelqu'un avait été mordu par un serpent et regardait le serpent de bronze, il conservait la vie.

(Cf. Traduction Colombe)

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