Le renvoi du déterminisme

Deutéronome 22 : 6-7

Culte du 26 juillet 2009
Prédication de pasteur James Woody

(Deutéronome 22 : 6-7)

Culte du 26 juillet 2009 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, à première lecture, ces deux quotes du livre du Deutéronome peuvent sembler bien anodins, et même dérisoires. Pourquoi la Bible s'intéresse-t-elle, tout d'un coup, au sort de quelques oisillons qui, au demeurant, sont bien au chaud sous leur mère ? Peut-être avez-vous été surpris d'entendre qu'une telle histoire figure dans la Bible, et probablement avez-vous été choqués par ce que disent ces deux quotes qui recommandent de renvoyer la mère. Oui, ce qui, à première vue, nous semble choquant, c'est que le texte biblique demande de renvoyer la mère alors que le nid contient des oisillons et des œufs. Notre instinct nous pousserait plutôt à tout faire pour que les petits restent avec leur mère ou qu'ils puissent la retrouver s'ils venaient à en être séparés. Mais ne pourrions-nous pas commencer par formuler un autre étonnement ?

Car, ce qui peut frapper le lecteur, surtout s'il est masculin, c'est qu'il n'est pas question du père : on ne parle que de la mère et des oisillons ou des œufs. On ne parle pas du père : juste de la mère et des enfants. Pourtant, jusqu'à preuve du contraire, il faut bien un père pour qu'il y ait des petits. Et pourtant on ne parle pas du père, juste de la mère. L'hypothèse du renvoi du père n'est même pas suggérée, seulement celui de la mère. Les esprits un peu taquins diront qu'il n'y a rien d'anormal à cela car les pères ne sont jamais là dès qu'il est question des enfants… pour ma part, je vous propose d'y entendre un enseignement plus profond.

Mettons-nous en situation : nous sommes sur un chemin, par exemple un sentier de grande randonnée, suivant attentivement les marques blanches et rouges. Tout à coup, sur ce chemin où nous avançons pas à pas, voilà un nid d'oiseau. Tout à coup, comme par hasard, sans qu'on ait pu s'y préparer. Le texte hébreu dit, littéralement : " comme un nid d'oiseaux surviendra devant toi en chemin ". Quelque chose surgit, de façon inattendue, par hasard, sur un chemin, sur une voie qui, elle, ne doit rien au hasard, qui n'est pas de l'ordre de l'inconnu, de l'imprévisible, car le chemin est une voie qui a été tracée au préalable. Il y a un événement sur notre chemin quotidien. Cet événement, c'est un nid d'oiseau.

Si nous voulions sortir du monde animalier, nous pourrions nous retrouver en pleine ville où, tout d'un coup, surgit une maternité. Qu'y a-t-il dans cette maternité ? des petits, des nouveaux-nés. Et près d'un nouveau-né, que s'attend-on à voir ? Que voyons-nous près d'un nouveau-né ? sa mère, bien entendu. On ne s'attend pas forcément à voir son père, mais on s'attend à voir sa mère. Il en va de même pour le nid d'oiseau.

Dans le monde agricole, on pourrait dire que près du fruit mûr, on s'attend à trouver l'arbre duquel il est tombé. Dans le langage philosophique, on pourrait dire que près de l'effet, on s'attend à voir la cause. Et voilà pourquoi il n'est pas question du père dans notre histoire : le rédacteur cherche à mettre en scène le lien de cause à effet le plus classique, le plus évident, le plus immédiat qui soit. La naissance d'un être vivant renvoie, en premier lieu, à la maternité. La paternité, elle, est moins évidente, elle se fera ensuite par la parole et la reconnaissance du père par la mère.

Alors, que veut nous dire ce texte, que veut-il nous apprendre sur le lien de cause à effet, sur le lien de causalité ? si tu rencontres sur ton chemin bien tracé par avance, un nid, c'est-à-dire le lieu du possible, le lieu de ce qui est à venir, un lieu d'avenir, mais qu'une cause est couchée sur l'effet, renvoie la cause et saisis l'effet. Autrement dit, le texte biblique nous enjoint à rompre le rapport cause-effet. Le texte biblique nous invite à créer une rupture entre ces deux éléments, nous invite à créer un écart, un espace. Il s'agit de dénouer ce qui semble lié de façon aussi étroite qu'une mère à son enfant. Renvoie la mère et prends les enfants ; coupe le cordon ombilical. Jésus, lui-même, ne procèdera pas autrement en affirmant qu'il est venu pour séparer ce qui était uni par un lien ombilical, qu'il n'est pas venu apporter la paix mais le glaive, ainsi que nous pouvons le lire sous la plume de l'évangéliste Matthieu.

Un chemin, nous l'avons dit, c'est quelque chose de tracé par avance, autrement dit quelque chose de connu. Qui aura fait des mathématiques, reconnaîtra là l'image d'une fonction géométrique, par exemple y=x². Cette fonction est comme un chemin que l'on peut parcourir sur un graphique qui est une parabole. Chaque point de cette courbe est connu. Où que vous soyez, vous savez où vous serez à l'étape suivante. Par exemple, si vous êtes sur le point 4, vous êtes à une hauteur de 16, et vous pouvez prévoir qu'en reculant sur 3 vous descendrez à 9 alors que si vous avancez sur 5 vous monterez à 25. Il n'y a pas d'indétermination, tout est prévu, tout est sous contrôle : aucune zone d'ombre. Si vous me dites où vous êtes, je vous dirai où vous serez dans un instant !

A une lecture de l'histoire humaine qui serait semblable à la lecture de la représentation graphique d'une fonction géométrique, c'est-à-dire sans surprise, entièrement liée à un destin que nous pourrions lire dans un grand livre de la vie, semblable à une vie entièrement programmée par avance, notre foi oppose, de manière radicale, cet impératif contenu dans le livre du Deutéronome… la possibilité de l'inattendu, la possibilité de l'événement qui surgit au milieu d'une histoire bien huilée et bien réglée comme du papier à musique. Et cet inattendu, c'est à nous de le prolonger en le dégageant de toutes les formes de déterminisme qui peuvent risquer de l'étouffer dans l'œuf. Une telle manière d'agir nous offre la possibilité de n'être pas que ce qu'on a reçu de nos parents ; c'est la possibilité d'être plus que la somme de leurs qualités, de leurs liens d'amitiés ou professionnels, plus que la somme de leurs succès et de leurs échecs. En termes mathématiques, cela revient à dire qu'il y a de l'indéterminé dans un système déterministe. Dans le langage théologique, il y a de la place pour la grâce divine.

Dans un temps qui serait linéaire, continu et qui s'écoulerait comme l'eau d'un fleuve, Dieu introduit de la place pour du neuf, pour de l'inattendu. Là où tout était bien déterminé, il y a soudain de l'imprévu, de la surprise. Soudainement, l'histoire qui semblait sans surprise possible est malmenée. C'est ainsi que l'impasse de la mer des joncs devient un boulevard devant Moïse et les fils d'Israël lors de la sortie d'Egypte. C'est ainsi que le flot de sang continu de la femme qui se précipite un jour vers Jésus cesse, de même que le sommeil mortel de la fille de Jaïrus. Et Jésus lui-même, deux jours après avoir été déposé dans un tombeau, ne sera pas là où on l'attend. Ces étincelles de grâce divine font irruption au cœur de destins que beaucoup voudraient scellés mais qui ne cessent de se tordre sous la pression de tous ceux qui refusent de se plier à la fatalité parce qu'ils placent leur confiance en l'Eternel, ce Dieu qui s'évertue à libérer notre vie de toutes les formes de déterminisme.

Ainsi, le croyant réagit de façon convulsive à l'histoire du Vizir de Bagdad… il y avait une fois, dans Bagdad, un Calife et son Vizir… Un jour, le Vizir arriva devant le Calife, pâle et tremblant : " Pardonne mon épouvante, Lumière des Croyants, mais devant le Palais une femme m'a heurté dans la foule. Je me suis retourné et cette femme, au teint pâle, aux cheveux sombres, à la gorge voilée par une écharpe rouge, était la Mort. En me voyant, elle a fait un geste vers moi. (…) Puisque la mort me cherche ici, Seigneur, permets-moi de fuir me cacher loin d'ici, à Samarcande. En me hâtant, j'y serai avant ce soir ". Sur quoi il s'éloigna au grand galop et disparut dans un nuage de poussière vers Samarcande. Le Calife sortit alors de son Palais et lui aussi rencontra la Mort : " Pourquoi avoir effrayé mon Vizir qui est jeune et bien portant ? " demanda-t-il. Et la Mort répondit : " Je n'ai pas voulu l'effrayer, mais en le voyant dans Bagdad, j'ai eu un geste de surprise, car je l'attends ce soir, à Samarcande ". (Jacques Duval, Ce soir à Samarcande, acte I). Mais ce passage du Deutéronome nous révèle, frères et sœurs, que le croyant, lui, ne fuit pas à Samarcande, il renvoie la Mort, afin d'être heureux et de prolonger ses jours.

Amen

Lecture de la Bible

Deutéronome 22 : 6-7

Si tu rencontres devant toi dans le chemin, sur quelque arbre ou sur la terre, un nid d'oiseau avec des petits ou des oeufs, et que la mère soit assise sur les petits ou sur les oeufs, tu ne prendras pas ala mère avec la petits ; tu ne manqueras pas d elaisser aller la mère, et tu prendras les petits pour toi ; afin que tu prospères et que tu prolonges tes jours

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