Le cri de la réforme protestante

Habacuc 1:1-4 , Habacuc 2:2-4

Culte du 28 octobre 2018
Prédication de Béatrice Cléro-Mazire

Vidéo de la partie centrale du culte

Jusqu’à quand Seigneur, appellerai-je au secours sans que tu entendes? jusqu’à quand crierai-je vers toi : « violence ! » sans que tu sauves ?

Le prophète Habacuc crie vers Dieu. Son problème à lui, c’est la guerre, les invasions, la violence des hommes, le sang versé, les crimes impunis. Le problème d’Habacuc est encore aujourd’hui notre problème : les humains déplacés, fuyant sur les routes, mourant en mer. Les humains rejetés, entassés quelque part, puis ailleurs sans que la terre ne devienne vraiment habitable comme le promettait le prophète Esaïe.

Notre problème à nous, hommes et femmes du 21ème siècle c’est encore la guerre qui écrase les civils, en Syrie, au Yémen, et les bombes qui n’épargnent plus les hôpitaux mais les prennent même pour cibles. Notre problème à nous, comme du temps du prophète Habacuc, c’est aussi ce profit malhonnête ou parfois même institué légalement, qui creuse l’inégalité entre les hommes, qui ne correspond plus à aucune valeur d’aucun travail. Un prophète crie à Dieu son dégoût, sa foi lui semble vaine, son cri semble inaudible, étouffé par des siècles d’humanité injuste, d’inégalité jamais réduite, de méchanceté jamais punie.

Et pourtant la promesse de justice demeure comme un horizon. D’autres prophètes ont crié après lui ; de siècle en siècle, comme si tout restait toujours à faire. Jean le Baptiste, criait aux hypocrites qui venaient se mettre en règle avec la justice de Dieu à bon compte et demandaient le baptême dans les eaux du Jourdain. «  Race de vipères, qui vous a appris à fuir la colère à venir ? » ( Matthieu 3, 7). Jésus lui-même a crié aux marchands du temple : « il est écrit : ma maison sera appelée une maison de prière et vous, vous en faites une caverne de voleurs ! » ( Matthieu 21, 13) Et sur la croix même, celui qu’on appelait Fils de Dieu a crié à ce père qui le laissait crucifier : « Pourquoi m’as-tu abandonner ? »

Comment penser la justice de Dieu si rien ne semble pouvoir l’établir ? Bien plus tard, dans la solitude de sa méditation sur l’Épître aux Romains de Paul, un autre prophète criait sa révolte contre Dieu. Et voilà ce qu’il écrivait alors : Or, moi qui, vivant comme un moine irréprochable, me sentais pécheur devant Dieu avec la conscience la plus troublée et ne pouvais trouver la paix par ma satisfaction, je haïssais d’autant plus le Dieu juste qui punit les pécheurs, nourrissant secrètement sinon un blasphème, du moins un violent murmure; je disais: « comme s’il n’était pas suffisant que des pécheurs misérables et perdus éternellement par le péché originel soient accablés de toutes sortes de maux par la loi du Décalogue, pourquoi faut-il que Dieu ajoute la souffrance à la souffrance et dirige contre nous, même par l’Évangile, sa justice et sa colère? »

J’étais ainsi hors de moi, le coeur en rage et bouleversé, et pourtant, intraitable, je bousculai Paul à cet endroit, désirant ardemment savoir ce que Paul voulait. Jusqu’à ce qu’enfin, Dieu ayant pitié, et alors que je méditais jour et nuit, je remarquais l’enchaînement des mots, à savoir: « la justice de Dieu est révélée en lui, comme il est écrit: « le juste vit de la foi » alors je commençais à comprendre que la justice de Dieu est celle par laquelle le juste vit du don de Dieu, à savoir de la foi, et que la signification était celle-ci : par l’Évangile, est révélée la justice de Dieu, à savoir la justice passive, par laquelle le Dieu miséricordieux nous justifie par la foi, selon ce qui est écrit : le juste vit par la foi. Alors je me sentis un homme né de nouveau et entré, les portes grandes ouvertes, dans le paradis même. (M.Luther, Préface au premier volume des oeuvres latines de l’édition de Wittenberg (1545), dans M. Luther, Oeuvres, t. VII, p.307.)

C’est dans un cri de révolte vers son Dieu, que le moine Martin Luther a pu trouver l’ouverture qu’il cherchait pour sortir de l’impasse d’une théologie du péché et de la rétribution. Dans son illumination, Martin Luther découvre que c’est dans la vie du Christ même, cet homme adopté par Dieu par pur amour, que se dévoile la justice de Dieu. La vie de Jésus donnée jusqu’au bout à l’accomplissement de sa foi en Dieu était donc la clé pour comprendre ce qui pouvait sauver l’homme du péché et de la culpabilité. Impossible d’être conforme à la volonté de Dieu par ses propres forces, il fallait donc se laisser faire, croire, et Dieu ferait le reste comme il l’avait fait en Jésus. Bien sûr, d’autres avant Luther avaient déjà questionné ces théories sur le péché et la grâce, et parfois même ils y avaient laissé leur vie.

Dès la fin du XIVème siècle, un homme comme John Wycliff, développe l’idée selon laquelle on ne peut obtenir sa sanctification par soi-même et que ni les pèlerinages, ni les dévotions de toutes sortes, ne peuvent rien y faire. Wycliff développe une théologie de la prédestination, dont l’homme n’a aucune connaissance. L’homme est destiné au salut ou à la damnation, mais aucun homme ne sait à quoi il est prédestiné. Il en résulte que l’Église invisible, celle des prédestinés aux salut, est la véritable Église de Dieu. L’Église visible, elle, est disqualifiée dans son pouvoir d’intermédiaire entre l’homme et Dieu.

Wycliff prône la pauvreté des chrétiens et défend une vision radicalement spirituelle du peuple de Dieu. Les sacrements, comme le baptême ou la cène, sont réinterprétés comme des actes purement symboliques, qui ne sont que signes mais n’ont aucune portée réelle. Ainsi, le peuple de Dieu n’est plus le peuple des baptisés, mais le peuple de ceux que Dieu reconnaît comme ses enfants dans sa grande liberté. Avec une telle spiritualité, tout homme a sa chance devant Dieu, chaque être humain est égal à un autre devant Dieu. Et, dans un geste très réformateur, contre l’avis des autorités religieuses de son temps, Wycliff traduit la version latine de la Bible, la Vulgate, en langue anglaise. Au concile de Londres, appelé concile du tremblement de terre, car il y eu véritablement un tremblement de terre durant ce concile de 1382, lequel fut interprété comme un signe divin par les différents partis religieux représentés, les thèses de Wycliff sont condamnées.

Au siècle suivant, le concile de Constance condamne de nouveau les théories de Wycliff comme hérétiques et l’on exhume son corps pour le brûler publiquement. Lors du même concile, Jean Huss, le théologien Tchèque défend les thèses de Wycliff et sera brûlé le jour même. « L’étoile du matin de la Réforme » comme les Protestants appellent Wycliff, a posé toutes les bases du débat qui aura lieu plus d’un siècle plus tard dans toute l’Europe. Martin Luther doit beaucoup à ce penseur du sacerdoce universel, et Calvin lui doit aussi beaucoup en ce qui concerne sa spiritualité de la sobriété. Ainsi Jean Calvin n’a pas inventé la prédestination, et Zwingli n’est pas le premier à affirmer la portée purement spirituelle de la sainte cène.

Réformer la relation du croyant à Dieu occupa l’esprit de nombreux penseurs avant la Réforme protestante. Ce que Luther décrit dans le récit de sa conversion à la justice passive, et qui rejoint les idées d’abord développées par Wycliff, c’est l’origine de ce geste incroyable opéré par la Réforme dans la chrétienté de son temps. Un geste qui vise à se passer du magistère de l’Église pour trouver sa justification dans la foi seule. C’est dans la foi en Dieu, celle que lui seul donne, que se trouve la clé du salut de l’homme. C’est donc en l’homme croyant que s’opère de salut promis en Jésus le Christ. C’est ce qu’affirme l’Épitre aux Romain de Paul en reprenant le verset d’Habacuc : le juste par la foi vivra ?

Mais Paul, dans l’Épître aux Romains, est en train de poser les bases d’une orthodoxie ecclésiale qui va, au fil du temps, prendre le pas sur le message de salut du Christ. En cherchant à organiser les communautés en Églises visibles, Paul s’appuie sur la théologie du sacrifice qui révèle le péché pour mieux l’absoudre dans la foi. Il ne demande pas tant aux nouveaux convertis de croire en Dieu que de croire au sacrifice de Jésus pour le pardon des péchés. Une telle théorie libère l’homme individuellement de la culpabilité, mais qu’en est-il de l’injustice réelle entre les hommes, et peut-être premièrement de l’injustice qui a mené Jésus à la croix ?

Dans le zèle de Paul, dans sa foi en un Dieu qui le libère de la loi de Moïse, se trouvent aussi les germes d’une morale chrétienne, d’un ascétisme, qui va faire retomber les hommes dans une autre servitude, celle de la dette envers la victime sacrificielle : Jésus le Christ. Jésus, lui-même, dans ses rencontres avec ceux qui voulaient le suivre, ne leur demandait pas de sacrifier leur vie. Á celui qu’il relevait, il disait: va, ta foi t’a sauvé, et non pas : tu me dois la vie. Á celui qui lui demandait : comment te suivre ? il répondait bien qu’il fallait abandonner toutes ses possessions, sans pour autant les lui donner. Quant aux annonces de martyrs, elles dévoilent un appel des Évangélistes à tenir bon dans les persécutions, mais sans doute pas un appel du Christ à mourir pour une nouvelle théologie.

Paul utilise le verset d’Habacuc en y introduisant un élément que le prophète ne pouvait pas intégrer dans sa pensée, Jésus le Messie. Le risque de la théologie de la justice passive que Luther semble avoir trouvée dans l’Épître de Paul, c’est de trouver un salut désincarné, puisque les souffrances du Christ sont devenues spirituelles. Que veut dire être justifié devant Dieu si l’on ne parvient pas à empêcher la condamnation du juste ? Et, pire encore, si l’on y voit un moyen d’expiation des fautes de tous les autres. Jusqu’à quand Seigneur, appellerai-je au secours sans que tu entendes? jusqu’à quand crierai-je vers toi : « violence ! » sans que tu sauves ? Faut-il supprimer ce reproche sous le prétexte d’une épreuve salvatrice ?

Et si l’on supprime cette révolte du coeur de l’homme en lui donnant l’assurance de sa tranquillité, qui criera encore pour les pauvres, les sans voix, les invisibles, les sans domiciles, les sans terre, tous ces humains privés de droit que les prophètes ont défendus aux cours des âges.
La foi d’Habacuc, très différemment de celle de Paul, apparaît comme un cri, et non pas comme la résolution d’un problème théologique. Et quand Luther relate son illumination en lisant ce verset, son entrée dans le paradis, comme il la décrit, va se traduire pratiquement par une entrée en combat avec une Église qui marchande le salut de Dieu et entretient de manière injuste la dette des fidèles. Car enfin, si l’homme est marqué ontologiquement par le péché, il n’a pas à chercher sa rédemption par ses propres oeuvres.

Donc soit Dieu fait alliance avec l’homme dans son état imparfait, soit il n’est pas un Dieu sauveur. Habacuc est le prophète de « l’intranquillité » du croyant. Pour lui, point de salut à l’horizon, mais la guerre, la corruption, les excès en tout genre. Pour lui, pas de leçon à donner aux autres sur le Dieu auquel on doit croire, mais une protestation d’abord devant Dieu. En toute colère, en toute indignation. Habacuc sait que les temps difficiles ne sont pas finis, au contraire, il frémit en attendant le jour de la détresse. Et pourtant, contre toute attente, il va sortir de sa colère par la contemplation et la reconnaissance ; dans le Psaume qui conclut le livre il dit : Mais moi j’exulterai dans le Seigneur, je trouverai de l’allégresse dans le Dieu de mon salut. Dieu, le Seigneur est ma force.

Qu’il soit dans la colère contre l’injustice ou dans la confiance absolue en un Dieu qui lui donnera la force de se battre, Habacuc reste dans une relation fidèle à Dieu. Il se confie en lui. Cette foi-là justifie sa vie, son combat pour la justice. Sa colère même est acte de foi et elle l’amène à se rendre compte que Dieu maudit avec lui ceux qui créent l’injustice. En effet, au centre du livre prophétique, cinq malédictions vont être prononcées par Dieu dans sa vision. Alors, Habacuc se rend compte que Dieu est avec lui dans son indignation. Cette indignation est une révélation intime de ce qui fait qu’un homme est homme, de ce qui l’hominise, comme le disait Théodore Monod, en le rendant capable de maudire l’injustice et de lutter contre elle avec l’aide de la pensée de Dieu.

Dans ces trois chapitres du prophète Habacuc se dessine le geste de la conversion découvert par les réformateurs: D’abord un cri vers Dieu, un constat cuisant du hiatus entre la vie des hommes et leur humanité promise, puis, la méditation des Écritures et des promesses qu’elles contiennent et enfin, la révélation de la grâce de Dieu ; quand la foi dépasse la colère, quand la confiance en Dieu renverse l’injustice. Oui les méchants fleurissent comme l’ivraie des champs, comme le dit le psalmiste, oui la violence semble toujours gagner, oui l’injustice semble toujours la plus forte. Mais devant nous, comme un horizon, il y a la paix et la justice annoncée dans les Écritures. Et croire la paix et la justice toujours possibles est une justification de la vie humaine. La Réforme a annoncé que par la foi le juste vivra, non pour exempter le croyant d’agir contre le mal. Non pour permettre à une Église de se croire tranquillement installée dans le salut. Nous ne sommes pas arrivés.

Au contraire, la Réforme protestante est un cri de protestation : contre la misère de l’Homme et pour la dignité de l’Homme. Aujourd’hui, ce n’est donc pas la Réforme de l’Église que nous fêtons, mais la foi de Dieu en la capacité de l’Homme à se réformer sans cesse.

Amen

Lecture de la Bible

Habacuc 1:1-4
1 Sentence. Ce qu'Habacuc, le prophète, a vu.

2 — Jusqu'à quand, SEIGNEUR, appellerai-je au secours sans que tu entendes ? Jusqu'à quand crierai-je vers toi : « Violence ! » sans que tu sauves ?

3 Pourquoi me fais-tu voir le mal et regardes-tu l'oppression ? Ravage et violence sont devant moi, il y a des querelles, et la dispute s'élève.

4 C'est pourquoi la loi est paralysée, et l'équité ne s'impose jamais ; parce que le méchant assaille le juste, c'est pour cela que l'équité est pervertie avant de pouvoir s'imposer.


Habacuc 2:2-4
2 Le SEIGNEUR me répondit : Ecris la vision, grave-la sur les tablettes, afin qu'on puisse la lire couramment.

3 Car c'est encore une vision pour le temps fixé, elle aspire à son terme, elle ne mentira pas.Si elle tarde, attends-la, car elle se réalisera bel et bien, elle ne sera pas différée.

4 Son cœur se gonfle, il n'est pas droit ; mais le juste vivra en tenant ferme.

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