Le berger qui naît comme un agneau
Luc 2:1-20
Culte du 25 décembre 2019
Prédication de Béatrice Cléro-Mazire
Vidéo de la partie centrale du culte
Comme un petit agneau qui naît durant la nuit, Jésus est déposé dans la mangeoire des animaux. Quel berger prendra soin de cet agneau ?
En ce matin de Noël, nous fêtons la naissance de l’agneau de Dieu, celui qui n’aura de place, ni pour naître, ni pour reposer en paix après sa mort, et qui pourtant, trouvera dans le coeur des chrétiens, la place de Messie.
Le récit de Luc met en scène des bergers, quand Matthieu met en scène des mages venus d’Orient. Et c’est dans la forme d’un récit historique que l’Évangile de Luc veut nous faire partager cet événement, tout en paradoxe. De la chronique de l’empire romain à la crèche de Bethléem, la question du règne de Dieu se déploie comme un signe jusque-là caché et que la naissance de Jésus vient révéler. Le lien entre l’empire romain, la royauté en Israël et ces bergers qui passent les veilles de la nuit dans les montagnes avec leurs troupeaux, se tisse comme l’étoffe du manteau étoilé de la nuit.
Un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. Déchiffrons ce signe annoncé aux bergers par l’ange du Seigneur.
L’histoire se passe dans un temps que l’histoire officielle ne peut retenir. César Auguste décrète un grand recensement, et Quirinius serait alors gouverneur de Syrie. Il semble que la naissance de Jésus ne puisse avoir lieu pendant le mandat de Quirinius, parce qu’alors, Hérode le Grand était déjà mort. Et il semble que Jésus soit né sous le règne d’Hérode le Grand.
Erreur de copiste ? Ce serait, en tout cas, d’après Tertullien , Sentius Saturninius qui était alors gouverneur de Syrie. Erreur de recensement ? En effet, il y en aurait eu deux et celui de Quirinius serait celui de l’année 6 après Jésus-Christ.
À vrai dire, ce qui importe ici, c’est la symbolique du recensement lancé par un empereur qui a laissé à la postérité l’image d’un artisan de la fameuse Pax Romana. En effet, César Auguste est l’empereur adopté par son oncle Jules César et nommé aussi le Vénérable Octave. Il règne 45 ans et réussit à imposer la paix de telle sorte que de grands travaux soient possibles partout dans l’empire et que les populations puissent se développer dans une certaine sécurité. Bien sûr, ce temps de respiration de l’empire a son revers et ce sont les habitants des provinces de l’empire qui en payent le prix. En lançant un recensement, les gouverneurs ont d’abord comme projet de savoir sur combien de têtes ils prélèveront l’impôt. Et d’impôts, les populations de la Palestine qui voient naître Jésus, sont accablées.
Ainsi, si la date de naissance de Jésus n’est pas avérée, malgré les calculs savants du moine Denys le Petit, qui détermina que Jésus avait dû naître 754 ans après la fondation de Rome, le contexte que nous propose Luc est bien un contexte politique où les points de vue s’opposent sur la définition de la prospérité d’un peuple. La paix d’Octave est une paix subie par les peuples qui sont sous son joug, même si le Roi Hérode, lui, est très satisfait de son règne et mène des grands travaux en l’honneur de l’empereur qui lui est favorable.
Luc nous place d’emblée dans un questionnement sur la paix qui a toujours animé l’histoire d’Israël et sa théologie messianique.
Quel Messie pour quelle paix ? Quel Sauveur, pour quel salut ?
Jésus naît à Bethléem le lieu emblématique de cette attente. En effet, c’est la ville du roi David, le roi représentant le premier roi aimé de Dieu, bien aimé, comme signifie son nom en hébreu. Jésus aurait pu naître à Nazareth, mais la sainte famille se rend au grand complet à Bethléem pour se faire recenser. La chose n’était absolument pas évidente, puisque la présence du chef de famille, Joseph, aurait suffi à effectuer cette formalité.
Si le temps exprime ici le questionnement sur la paix, l’espace, lui, exprime une utopie. La paix ne semble pas réalisable. Et même si la paix imposée par Octave est réelle dans les grands équilibres qu’elle maintient, les individus peinent à y trouver leur place. Et c’est l’image du non-lieu qui inspire l’Évangéliste. Un lieu qui n’est pas celui des humains, mais celui des troupeaux.
Le peuple d’Israël est comme un troupeau qui n’a plus de berger. Son roi est à la solde de l’empereur et les prêtres du temple que Hérode construit à grands frais sont obligés d’obéir eux aussi à cet empire qui respecte le judaïsme et accepte qu’aucune effigie impériale ne soit affichée à Jérusalem, mais considère quand même nécessaire que les prêtres adressent des prières à l’empereur.
Comment ce clergé pourrait-il conduire le peuple que Dieu lui a confié ?
Humain ! Parle en prophète sur les bergers d’Israël !
Dans le livre du prophète Ezéchiel, résonne cet appel de Dieu : « Parle en prophète et dis-leur, aux bergers ! Ainsi parle le Seigneur Dieu : quel malheur pour les bergers d’Israël qui se repaissent eux-mêmes ! Les bergers ne devraient-ils pas faire paître le troupeau ? Vous mangez la graisse, vous êtes vêtus avec la laine, vous avez sacrifié les bêtes grasses : vous ne faites pas paître le troupeau. Vous n’avez pas fait reprendre des forces aux bêtes qui étaient faibles. soigné celle qui était malade, pansé celle qui était blessée, vous n’avez pas ramené celle qui s’égarait, cherché celle qui était perdue, mais vous les avez dominées avec force et avec rudesse. Elles se sont dispersées faute de berger ; elles sont devenues la proie de tous les animaux sauvages ; elles se sont dispersées. Mon troupeau erre dans toutes les montagnes et sur toutes les collines élevées (…) Je vais moi-même prendre soin de mes bêtes et les passer en revue comme un berger passe en revue son troupeau quand il est au milieu de ses bêtes éparpillées, ainsi je passerai en revue mon troupeau et j’arracherai mes bêtes de tous les lieux où elles ont été dispersées, un jour de nuée et d’obscurité épaisse. (Ezéchiel 34, 1-6 et 11-12)
L’Évangile de Luc résonne de cette critique contre les chefs d’Israël qui ne prennent pas soin du peuple. Et ce n’est donc pas un hasard si c’est à des bergers que l’annonce de l’ange du Seigneur est adressée. L’image des montagnes et des collines élevées plongées dans l’obscurité épaisse de l’erreur semble ici reprise, comme si Dieu revenait au lieu où son peuple égaré et perdu attend un berger, un sauveur, un nouveau David, un berger qui ne s’impose pas par la force, mais qui, plus petit d’entre ses frères, est choisi par Dieu et reçoit l’onction du prophète Samuel.
Ici, Luc affirme, contre toute réalité visible, comme Dieu l’avait dit à Samuel, quand il cherchait le nouveau roi parmi les fils de Jessé : « il ne s’agit pas de ce que l’homme voit, l’homme voit ce qui frappe les yeux, mais le Seigneur voit au coeur. »
C’est au coeur des bergers que l’ange s’adresse.
Il leur donne un signe que tous comprennent avec leur coeur :
"Un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire ». Qui a déjà vu naître un agneau comprend : ce petit être fragile couché dans le paille et qui peine à se lever tout tremblant nous donne l’image de la fragilité et des devoirs qui incombent au berger.
Prendre soin du peuple, le soigner, le nourrir, l’empêcher de s’égarer. Voilà ce que le Messie doit apporter.
La gloire du Seigneur se met à briller tout autour de ces bergers, comme si tous étaient appelés à porter le salut de Dieu qui naît dans une crèche. Les bergers sont effrayés, la gloire de Dieu jusqu’ici ne se contemplait pas, sous peine d’en mourir. Avec la naissance de Jésus, la gloire de Dieu se fait lumière pour les hommes, elle éclaire leur coeur et les rend tous porteurs de salut pour le monde.
Là où le peuple attendait un nouveau David, un nouveau bien-aimé de Dieu, l’ange annonce dans un choeur angélique : « Gloire à Dieu, dans les lieux très hauts, et, sur la terre, paix parmi les hommes ses bien-aimés ! »
Avec l’agneau de Dieu, c’est le peuple tout entier qui devient le troupeau de Dieu lui-même. Dans la fraternité avec l’humanité de Jésus, tout homme peut devenir le bien aimé de Dieu.
La paix n’est plus cette paix inique que l’empire impose. ce n’est pas du côté de la royauté d’Hérode qu’il faut attendre le salut, mais c’est dans la foi en un Dieu qui ne laisse aucun de ses agneaux, même ceux qu’on crucifie sont bénis par ce Dieu et justice est demandée pour lui.
À partir de ce chant angélique qui retentit dans le ciel, c’est le peuple de Dieu tout entier qui va chanter les louanges d’un Dieu qui sauve. Les bergers vont aller voir ce Messie tant attendu, ils vont raconter comment le salut leur a été annoncé et ils chanteront à leur tour les louanges de Dieu. La joie est pour tout le peuple. Jusqu’aux extrémités de la terre, le ciel a retenti de cette musique du salut qui harmonise le temps et l’espace et qui dicte au coeur le rythme de l’existence.
L’empereur Octave, dans sa recherche de paix, n’aurait pu rêver plus grande paix que celle qui baigne le coeur des bergers. Eux, les proscrits du temple sont
Ils ne sont soumis à aucun recensement ; d’ailleurs, eux-mêmes ne s’y étaient pas rendus. Qui serait venu les chercher dans leurs montagnes ? À qui auraient-ils rendu des comptes ? Échappant aux règles du temple, vivant à l’écart de villes, les bergers sont à la fois figures de chefs du peuple, et marginaux échappant aux codes habituels du pouvoir. Le ciel est leur temple et la nuit leur temporalité.
La nativité racontée par Luc nous invite à repenser la paix. Nous savons pour le vivre nous-mêmes en ce moment, que trouver la paix juste n’est pas chose facile et qu’il faut toujours se méfier des paix apparentes.
Le salut que nous apporte le Christ est un salut grâce auquel le plus petit a du prix aux yeux de Dieu. Même né dans la paille, ce petit-là est celui dans lequel Dieu se fait une place, là où il installe son temple.
La crèche de Marie et Joseph à Bethléem, contraste avec l’énorme temple qu’Hérode fait construire à la même époque à Jérusalem. Dans quel temple s’installera Dieu ?
Dans celui qui sert l’orgueil des hommes ? Où dans celui où dort un petit enfant contemplé par des bergers ?
Luc nous invite à la paix du sabbat, cette paix où l’équité et l’amour de Dieu peuvent régner. Une paix dans laquelle aucun n’est floué, dans laquelle chacun peut vivre librement, dans laquelle aucun travail servile n’est permis.
Ce sabbat, c’est celui des huit jours qui suivent les grandes fêtes dans le judaïsme comme dans le christianisme. Comme il est prescrit dans le livre du Lévitique au chapitre 23 : « pendant sept jours vous offrirez des mets à Yahvé. Le huitième jour, il y aura pour vous une sainte assemblée. C’est jour de réunion, vous ne ferez aucune oeuvre servile. »
Huit jours qu’on appelle, dans le christianisme : « Octave », comme en musique, l’intervalle des notes, comme l’empereur qui voulait faire la paix.
L’Octave de Noël est une respiration dans nos vies, un temps où nous pouvons prendre le temps de remettre à Dieu nos existences pour qu’il en prenne soin. Comme les bêtes blessées ou malades dont parle Ezéchiel dans son interpellation des bergers, toute personne qui se sent abandonnée, sans soin, sans attention, peut se tourner vers le berger qui n’abandonne jamais.
Avant d’inaugurer une nouvelle année, il est bon de rechercher quelle est la paix qui nous est promise en jésus Christ. Est-ce la paix de l’opulence ? Est-ce la paix du partage pour que tous nos frères puissent vivre dignement ? Est-ce la paix qui ne veut rien savoir de ceux qui souffrent à côté de soi ? Ou la paix de l’attention portée au frère ?
Avec cet appel aux bergers, Luc nous institue tous bergers de nos sociétés, attentifs au sort de l’autre, conscients de la fragilité des hommes, comme ce petit qui naît à Bethléem, comme un agneau dont il faut prendre soin.
Qu’en ce jour de Noël la gloire de Dieu illumine nos coeurs, et que le soin que Dieu prend de chacun nous fasse entrer dans sa paix !
AMEN.
Lecture de la Bible
Luc 2/1-20
1 En ces jours-là parut un décret de César Auguste, en vue du recensement de toute la terre.
2 Ce premier recensement eut lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie.
3 Tous allaient se faire recenser, chacun dans sa propre ville.
4 Joseph aussi monta de la Galilée, de la ville de Nazareth, pour se rendre en Judée dans la ville de David appelée Bethléem, parce qu'il était de la maison et de la famille de David,
5 afin de se faire inscrire avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte.
6 Pendant qu'ils étaient là, le temps où Marie devait accoucher arriva,
7 et elle enfanta son fils premier-né. Elle l'emmaillota et le coucha dans une crèche, parce qu'il n'y avait pas de place pour eux dans l'hôtellerie.
8 Il y avait, dans cette même contrée des bergers qui passaient dans les champs les veilles de la nuit pour garder leurs troupeaux.
9 Un ange du Seigneur leur apparut, et la gloire du Seigneur resplendit autour d'eux. Ils furent saisis d'une grande crainte.
10 Mais l'ange leur dit : Soyez sans crainte, car je vous annonce la bonne nouvelle d'une grande joie qui sera pour tout le peuple :
11 aujourd'hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur.
12 Et ceci sera pour vous un signe : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une crèche.
13 Et soudain il se joignit à l'ange une multitude de l'armée céleste, qui louait Dieu et disait :
14 Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, Et paix sur la terre parmi les hommes qu'il agrée !
15 Lorsque les anges se furent éloignés d'eux vers le ciel, les bergers se dirent les uns aux autres : Allons donc jusqu'à Bethléem, et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître.
16 Ils y allèrent en hâte et trouvèrent Marie, Joseph, et le nouveau-né dans la crèche.
17 Après l'avoir vu, ils racontèrent ce qui leur avait été dit au sujet de ce petit enfant.
18 Tous ceux qui les entendirent furent dans l'étonnement de ce que leur disaient les bergers.
19 Marie conservait toutes ces choses, et les repassait dans son cœur.
20 Et les bergers s'en retournèrent en glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu'ils avaient entendu et vu, conformément à ce qui leur avait été dit.
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