La porte, c'est moi

Jean 10:1-18

Culte du 22 juillet 2018
Prédication de pasteure Régina Muller

Méfiez-vous des histoires de brebis : elles portent à l’attendrissement naïf. L’imagerie pastorale endort l’attention avant même qu’on ait entrepris de compter les moutons. Il faut faire attention aux histoires de brebis! Surtout quand elles sont bibliques : ces bêtes-là, dans la réalité, ne se comportent pas idéalement comme on le raconte.

En voici pour preuve, l’histoire de deux pasteurs – de paroissiens - abusés par une affaire de moutons : une femme pasteur donc, fille de son père tout aussi pasteur, passe quelques jours en montagne dans le chalet familial. Par un après-midi, elle s’échappe pour un long périple en solitaire et chemin faisant, elle tombe en arrêt et inévitablement, en dévotion, devant un mouton. Elle lui parle, bêtifie comme il se doit… et se voit rapidement cernée par un troupeau impressionnant. Elle réussit à se dégager mais le troupeau la suit comme un seul homme. Pour s’en débarrasser, une seule issue : se diriger vers le village  pour trouver un berger de fortune, et qui sait, le vrai berger qui la libèrera. Là, on lui indique une ferme où le propriétaire lui explique que moutons, brebis et agneaux l’ont suivie parce qu’elle est arrivée au bon moment ; celui où habituellement le berger va les chercher. A peine arrivée chez son père, celui-ci se précipite vers elle, l’œil humide pour lui dire : « j’ai assisté cet après midi à une scène biblique, émouvante… là dans la vallée voisine, en contre bas : un troupeau s’est rassemblé en un clin d’œil autour de son berger qui devait sans doute se faire reconnaître par sa voix ! »
Ce détour par la petite histoire c’est pour nous sortir de l’enclos de l’imagerie pastorale, toujours un peu convenue : l’image du Messie, en tenue de « berger véritable du peuple d’Israël » ne nous étonne plus comme elle ne nous parle plus vraiment. Notre écoute glisse sans nous bousculer. Comme pour cette anecdote, soyons attentifs à ce qui peut nous arrêter et commençons donc par ce qui ne va pas tout à fait dans le sens de ce qu’on attendrait.

Il est vrai que ça bêle de partout dans ce texte ! Les brebis sont dispersées à tout bout de phrase et tout tourne autour d’elles ! Le meilleur comme le pire ! Mais c’est le pire qui domine. Avec ces voleurs, ces brigands et ces loups, on perçoit bien un climat d’hostilité. Les brebis sont l’enjeu d’un combat de rivaux, elles stimulent la convoitise de tous ceux qui veulent et peuvent se faire passer pour berger.

Ensuite, quelque chose semble ne plus aller de soi. Si on veut absolument s’installer dans une rêverie bucolique, on est embarrassés par une succession d’images qui ne s’enchaînent pas de façon cohérente.

Le berger des brebis entre par la porte que lui ouvre le portier mais pour dire plus loin : « Je suis la porte des brebis » Et c’est bien là que l’attention trébuche ! Pour retrouver l’image plus prévisible et rassurante du berger dans la suite du texte, il faut passer par cette porte ! Curieux ! Rien ne nous dit qu’elle est fermée - les brebis vont et viennent - et pourtant les voleurs la contournent. Quel intérêt à enfoncer une porte ouverte, direz-vous ! En tous cas, il va nous falloir forcer la signification de cette porte.
Autre embarras enfin : passer par cette porte là, c’est pour les brebis, la garantie d’une vie en abondance. Vous pouvez le vérifier, ça ne leur apporte rien en matière de sécurité : les voleurs sont justement attirés par l’enclos. C’est même la clôture qui facilite leur tâche : elles sont toutes là, les brebis qu’on imagine transies de peur ; toutes à l’abri et en même temps offertes aux intentions malveillantes qui les environnent. D’ailleurs, remarquez que par la suite l’enclos n’empêche pas de voir venir le loup, au contraire !

Résumons : une porte-berger ouverte mais contournée, une porte qui n’est pas une garantie contre tout danger et une porte passage qui apporte la vie en abondance. Le mystère s’épaissit. On comprend pourquoi la porte n’est pas l’image que nos catéchismes retiennent volontiers pour désigner le Christ. Mais il faut sans doute en passer par là, pour accéder à une autre signification et entrevoir un autre ordre de réalité.

En effet, cette porte sert au discernement : l’éviter c’est signifier l’importance qu’elle a. Passer par elle comme la contourner, c’est recevoir sa qualification. On est soit brebis, soit faux berger, soit loup. Elle désigne indirectement le danger : les docteurs de mensonges, les faux bergers qui avancent masqués ou les imposteurs qui escaladent par l’autre côté. Si les faux bergers l’évitent, c’est bien parce qu’elle risque de les démasquer comme adversaires d’une part et comme faux berger d’autre part.

Il faut dire que ces imposteurs opèrent de nuit, quand les risques sont au maximum pour les brebis transies de peur. Elle ne sont pas en mesure de discerner la nature du danger : elles n’y voient rien. Ces faux bergers spéculent sur la peur et utilisent le besoin de sécurité du troupeau. Ils avancent, bardés de fausses bonnes intentions, mais ils ne se laissent pas connaître ; ils restent des étrangers. Et surtout, ils ont eux-mêmes peur : dès que le danger arrive, avant même qu’un prédateur cherche à s’introduire, ils se défilent pour conserver leur vie.

Finalement, c’est l’enclos qui devient dangereux. L’espace de la stabilité devient un lieu précaire ; l’espace de repos ne protège pas des exactions et des tentatives de séduction qui peuvent être subtiles. L’enclos qui sert à rassembler et à protéger n’est pas une garantie contre le rapt et la dispersion du troupeau.

Les faux bergers seraient-ils donc ceux qui savent parler au bon moment ? Au moment où on a besoin d’être rassuré, au moment où on voudrait coûte que coûte être débarrassé de nos angoisses ? peut - être sont-ils ceux qui arrivent au bon moment : quand on se sent mourir de peur, on cherche un guide rassurant qui va savoir nous dire ce qu’on veut entendre. Les faux bergers tirent profit de besoin légitime de sécurité qui nous habite tous. Pas besoin de pointer du doigt l’actualité internationale, il y a pour chacun de nous, appelé par son nom et reconnu comme être unique, des enclos où on fuit ce qui nous terrorise ; il y a pour chacun, des nuits où on se presse contre les autres sans trouver la paix et pour chacun, l’expérience où on a troqué sa liberté pour une sécurité trompeuse.

A contrario, cette porte contournée désigne le vrai berger. D’après les témoignages historiques, la porte de cet enclos en pierre n’avait pas de battant. La porte, c’était le berger couché de tout son long ; le berger qui veille, barrant l’entrée de tout son corps pour éviter le passage des prédateurs. La porte est ainsi le lieu du combat sans merci que le berger est prêt à livrer pour défendre son troupeau. On comprend pourquoi les voleurs ne tiennent pas à se mesurer à une telle détermination.

C’est la sécurité et la vie de ses brebis que le vrai propriétaire veut, et pour cela, il est près à se dessaisir de sa vie ; en rigueur de terme, à la déposer ou à l’exposer. La sécurité repose sur la capacité du berger à perdre la sienne, à prendre tous les risques, mort comprise, pour défendre les siens des faux bergers. Voilà une sécurité qui présente des garanties exceptionnelles : celui qui l’assure a si peu peur pour lui-même, qu’il ne met pas la main sur son troupeau, il ne cherche même pas à exercer une emprise en limitant les initiatives et les désirs des siens et surtout, il n’a pas peur de tout perdre. En laissant la porte ouverte, ouverte au libre passage de ses brebis, il n’élimine pas les dangers, il ne cherche pas le « risque zéro » mais il leur offre une liberté qui repose sur son pouvoir à lui. Pouvoir de tout donner pour eux, jusqu’à sa propre vie, mais aussi pouvoir de reprendre cette vie. Pas de sécurité pour les brebis en dehors du désir de sécurité pour elles, et surtout en dehors des risques personnels qui ont été pris pour elles. Elles vont et viennent, libres parce que devant elles, avant elles, le berger a librement exposé sa vie. A berger libre, brebis libres.

Qui peut garantir à la fois la sécurité et la liberté en dehors de Celui qui est la vie ? Qui peut se permettre à la fois ce souci de chacun et cette latitude offerte ? Certainement pas une capacité humaine ! Il n’y a pas à se tromper. On ne peut passer que par cette porte là, dans un sens comme dans l’autre, au gré des circonstances et des désirs. Il n’y a pas à se tromper, on ne peut être que brebis si on veut une vie véritable, exposée certes comme celle du berger, mais abondante. Car il n’y a pas d’autre berger comme celui-là ! On le reconnaît à cette voix qui sait nous distinguer dans la masse, dans la foule, parmi mille autres. Et cette vie abondante, on lui doit parce qu’il nous pousse à nous exposer à toutes les rencontres, les meilleures comme les pires, mais assurés que quelqu’un se donne pour qu’on vive. C’est celui qui dans les évangiles, ne cesse de dire « Ne crains pas ! » et « va, désormais, ne pêche plus » par peur d’avoir peur.

Et c’est comme s’il n’y avait de sécurité possible qu’à la condition qu’il y ait la liberté du risque. Mais d’une liberté qui n’est pas celle qu’on croit ; il s’agit ici d’une liberté qui précède, qui passe devant et à la suite de laquelle on peut aller prendre des risques. Car ce qui distingue le vrai berger des usurpateurs, c’est l’absence de peur, comme cette porte qui reste ouverte. Sécurité et liberté ne sont pas souvent associées ; on perd l’une pour tenir l’autre. On instaure des couvre-feux, on contrôle les mouvements, on impose une surveillance inquiète, on se fait un sang d’encre pour ceux dont on a la responsabilité... Mais ici, le Christ se fait passage entre les deux, porte battante qui ouvre indifféremment sur la sécurité et sur la liberté. Car lui, il n’a peur ni pour lui ni pour nous. Quelle souffle de liberté que cette confiance et quelle sécurité que cette assurance !

Cette porte nous fait entrevoir deux réalités nouvelles. Une sécurité qui n’est pas exempte de danger et une liberté qui n’est pas l’exercice aléatoire d’une volonté abandonnée à elle-même. Toutes deux sont reçues du seul vrai berger, le bon, le « beau » même, selon le texte. Peu importe l’heure où il arrive, qu’importent les circonstances où il appelle, les brebis ne s’y trompent pas, elles qui n’ont plus un comportement moutonnier ; elles n’attendent plus tout des autres, elles ne vibrent même plus aux discours plus ou moins messianiques, elles ne se laissent pas abuser non plus par les promesses sécuritaires, ou par ces contrefaçons de la paix au cri de « paix, paix, paix » (Ézéchiel 13,10…) Elles suivent le berger, chacune pour son compte, à l’oreille et à la confiance : à la confiance qui leur est accordée et à la confiance qu’elles mettent en Christ qui n’est que confiance dans le Père. 

Lecture de la Bible

Jean 10, 1-18


1 « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui n’entre pas par la porte dans l’enclos des brebis mais qui escalade par un autre côté, celui-là est un voleur et un brigand.
2 Mais celui qui entre par la porte est le berger des brebis.
3 Celui qui garde la porte lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix ; les brebis qui lui appartiennent, il les appelle, chacune par son nom, et il les emmène dehors.
4 Lorsqu’il les a toutes fait sortir, il marche à leur tête, et elles le suivent parce qu’elles connaissent sa voix.
5 Jamais elles ne suivront un étranger ; bien plus, elles le fuiront parce qu’elles ne connaissent pas la voix des étrangers. »
6 Jésus leur dit cette parabole, mais ils ne comprirent pas la portée de ce qu’il disait.
7 Jésus reprit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis.
8 Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des brigands, mais les brebis ne les ont pas écoutés.
9 Je suis la porte : si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé, il ira et viendra et trouvera de quoi se nourrir.
10 Le voleur ne se présente que pour voler, pour tuer et pour perdre ; moi, je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance.

11 « Je suis le bon berger : le bon berger se dessaisit de sa vie pour ses brebis.
12 Le mercenaire, qui n’est pas vraiment un berger et à qui les brebis n’appartiennent pas, voit-il venir le loup, il abandonne les brebis et prend la fuite ; et le loup s’en empare et les disperse.
13 C’est qu’il est mercenaire et que peu lui importent les brebis.
14 Je suis le bon berger, je connais mes brebis et mes brebis me connaissent,
15 comme mon Père me connaît et que je connais mon Père ; et je me dessaisis de ma vie pour les brebis.
16 J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de cet enclos et celles-là aussi, il faut que je les mène ; elles écouteront ma voix et il y aura un seul troupeau et un seul berger.
17 Le Père m’aime parce que je donne ma vie, pour ensuite la recevoir à nouveau.
18 Personne ne me l’enlève, mais je la donne de moi-même ; j’ai le pouvoir de la donner et j’ai le pouvoir de la recevoir à nouveau : tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père. »

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