La peine de l’amour

1 Thessaloniciens 1:1-10

Culte du 6 décembre 2009
Prédication de pasteur James Woody

( 1 Thessaloniciens 1:1-10 )

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Culte du dimanche 6 décembre 2009 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, cette épître de Paul est le texte le plus ancien conservé dans le Nouveau Testament. Paul est dans son deuxième voyage missionnaire, quelques temps après son passage à Thessalonique, au plus tard vers l’an 51, probablement à Corinthe. Le texte le plus ancien du Nouveau Testament… cela donne envie de le lire comme le témoignage le plus ancien sur la foi qui est en train de devenir chrétienne ; comme le témoignage de la théologie la plus proche de la prédication de Jésus, sur le plan chronologique. Cela donne envie de lire ce texte comme un documentaire qui présenterait le modèle originel du disciple du Christ.

Mais le lecteur avisé se méfie et se doute bien qu’il ne trouvera rien de pareil dans ce texte. D’abord parce que Paul ignore tout à fait qu’il est en train d’écrire le texte le plus ancien du Nouveau Testament (d’ailleurs il ignore qu’il est en train d’écrire un texte biblique). Ensuite parce qu’il semble que les textes bibliques prennent toujours un malin plaisir à ne pas répondre à nos attentes, à ne jamais livrer sur un plateau d’argent les réponses à nos questions.

Mais là, justement, pas de chances : nos doutes ne sont pas exaucés car Paul commence sa lettre en disant que les Thessaloniciens sont – justement - un modèle pour tous les croyants en Macédoine et en Achaïe (v. 7). Voilà qui ne nous arrange pas, nous qui nous méfions des modèles en matière de foi ; nous qui refusons une standardisation du croire ; nous qui soutenons qu’il y a non seulement une pluralité théologique, mais aussi une pluralité des façons d’être croyant.

Alors, la figure du croyant que défend Paul… est-ce celui qui sait le texte biblique par cœur au point de pouvoir le réciter dans un sens, dans l’autre, en disant un mot sur deux ? est-ce plutôt celui qui a une morale irréprochable, qui applique à la lettre ce que la loi de Dieu recommande ? est-ce plutôt celui qui montre une obéissance exemplaire aux responsables religieux ? est-ce celui qui arrive à placer les mots « Dieu », « foi », « Jésus-Christ », « salut » dans plus de 50% de ses phrases ?

Selon l’apôtre Paul, la figure même du croyant consiste, je cite, à « avoir reçu la parole au milieu de beaucoup de détresses, avec la joie de l’Esprit Saint » (v.6). Non, il n’est pas besoin d’être un animal de foire théologique, il n’est pas besoin d’être un pharisien zélé, il n’est pas besoin d’être aveuglément soumis à sa hiérarchie, il n’est pas non plus besoin d’être de ces prosélytes qui ont avalé un dictionnaire du patois de Canaan. Selon Paul, dans le cas de la communauté de Thessalonique, le croyant remarquable est celui qui a accueilli la parole alors qu’il était en pleine détresse, avec la joie de l’Esprit saint.

Ce fait est notable car il va à l’encontre de l’élan naturel de l’Homme qui, dès qu’il est assailli par la détresse, se renferme sur lui, se replie sur lui et verrouille tout ce qui pourrait l’ouvrir vers l’extérieur. Nous l’avions constaté au sujet des disciples, juste après la mort de Jésus : ils s’enferment dans une pièce parce qu’ils avaient peur (Jean 20/19). Nous comprenons bien cette envie de se calfeutrer pour trouver un peu de réconfort quand ça ne va pas bien. Nous comprenons bien cette attitude qui consiste à se recroqueviller sur soi pour se retrouver et, par là même, retrouver un peu de confiance en soi, un peu d’assurance. N’est-ce pas ce que font les autruches, au moins dans l’imaginaire populaire ? dès qu’il y a un problème, elle se cachent la tête dans le sol : comme cela, elles ne voient plus le problème et elles se sentent mieux.

Pour Paul, cette méthode n’est pas un modèle du genre. Le repli sur soi, la crispation identitaire vont à l’encontre de ce que Paul valorise : accueillir une parole extérieure, une parole qui ne vient pas de soi, parce que c’est cette parole autre qui va pouvoir nous rendre la joie de vivre alors que ruminer inlassablement notre seule parole ne peut provoquer que de l’amertume. Se refermer sur soi, sur sa vie, sur ses pensées, sur sa seule compréhension de ce qui nous entoure, c’est inévitablement s’enfermer dans une forme d’obsession qui nous rendra malade.

Contre une posture de repli qui considère qu’il vaut mieux revenir à une messe en latin et à la théologie médiévale pour se préserver d’une société qui fait diminuer le nombre de pratiquants, ou qu’il vaut mieux envelopper les femmes qui, par le seul fait de leur présence, peuvent menacer notre moralité, ou qu’il vaut mieux interdire l’érection d’édifices d’un autre culte que le nôtre pour éviter de disparaître dans la masse… Paul est reconnaissant vers ceux qui ne s’enferment pas dans leur chapelle mais qui témoignent d’un esprit d’ouverture - ouverture qui devient une véritable force de témoignage et de retentissement au-delà de notre sphère habituelle.

Oui, il est bien question de modèle de croyant sous la plume de Paul, et cette figure exemplaire se dessine dans la perspective de la disponibilité, de l’ouverture et, ultimement, de la communication vers l’extérieur, vers l’autre, vers ce qui nous est étranger.

Un amour malmené

Cette ouverture se réalise également dans un autre fait notable : au tout début de sa lettre, Paul évoque déjà sa chère trinité - foi, espérance et amour – (v. 3) en qualifiant chacune de ces vertus. La foi est agissante, l’espérance est endurante, quant à l’amour, contrairement à ce que la plupart des traductions françaises expriment, l’amour est en peine ! le terme grec « kopos » peut même évoquer la souffrance. L’amour en peine, l’amour qui souffre, cela semble être un aspect positif pour Paul dans la mesure où sa trinité place tout au même niveau, dans un même mouvement, sans donner le sentiment qu’il faille se lamenter sur la condition de l’amour au sein de la communauté de Thessalonique. C’est probablement ce qui explique que les traducteurs aient préféré utiliser le terme neutre de « travail » qui, après tout, dans son étymologie latine, évoque tout de même la torture.

Ce fait est notable dans la mesure où ce texte témoigne d’un état ancien d’une communauté pré-chrétienne, en quelque sorte. Toujours par rapport à nos envies de découvrir dans l’histoire ancienne à quoi pouvait bien ressembler les communautés primitives, proches de Jésus, nous avons là une trace qui a de quoi nous faire réfléchir sur l’un de nos fantasmes d’Eglise. Je veux parler du fantasme de l’amour parfait : l’idée selon laquelle une communauté chrétienne devrait être bâtie sur l’amour et cet amour devrait être sans tâche, sans imperfection. Une communauté chrétienne, ce devrait être nécessairement un petit coin de paradis où tout est beau, tout sent bon, et au sein de laquelle il règne une harmonie parfaite, une sorte d’unité qui confine à la fusion… Mais voilà que cette communauté modèle de Thessalonique est marquée par le fait que l’amour est à la peine. Faut-il en être déçu ?

Il faut surtout en être conscient ! cette communauté idyllique où l’amour aurait régné dans une sérénité totale n’a pas existé. Du moins les archives bibliques n’en font nullement état. Là, comme ailleurs, l’amour est à la peine. L’amour s’émousse, il se lasse, il encaisse les coups. C’est un fait. Et c’est heureux. Oui, il est heureux que les textes bibliques assument ce qui peut être une profonde déception : le fait qu’il n’y a pas eu de communauté idéale.

Il n’y en a pas eu, et mieux vaudrait qu’il n’y en ait pas. C’est le théologien Dietrich Bonhoeffer qui a le mieux exprimé cette conviction. Dans son ouvrage sur la vie communautaire, il écrit : « Certes, il est inévitable qu'un chrétien sérieux apporte avec lui, la première fois qu'il est introduit dans la vie de la communauté, un idéal très précis de ce qu'elle doit être et essaye de le réaliser. Mais c'est une grâce de Dieu que ce genre de rêves doive sans cesse être brisé. Pour que Dieu puisse nous faire connaître la communauté chrétienne authentique, il faut même que nous soyons déçus, déçus par les autres, déçus par nous-mêmes. »

Selon Bonhoeffer, c’est Dieu lui-même qui est à l’origine de cette déception. C’est Dieu lui-même qui s’efforce de briser cette vision idyllique d’une communauté idéale au sein de laquelle l’amour serait parfait au sens où il serait total, c’est-à-dire sans faille, sans brèche, sans imperfection. Dieu serait donc celui qui nous fait éviter le « tout amour », celui qui nous fait éviter cet amour qui empoisonne la vie en prétendant tout nous donner, en prétendant tout rendre possible, en prétendant produire le bonheur absolu immédiatement.

Et c’est en ce sens, me semble-t-il, que nous pouvons comprendre Paul qui dit des Thessaloniciens qu’ils se sont détournés des idoles pour se tourner vers le Dieu vivant et vrai. Les Thessaloniciens refusent d’accaparer Dieu comme le ferait un amour que l’on espère fusionnel, ou, du moins, ils laissent Dieu échapper à la mainmise que nous sommes toujours tentés d’effectuer. Et c’est ainsi qu’ils ne font pas du Dieu vivant un objet, une breloque. Dieu reste sujet, Dieu reste vivant, en restant à distance, en n’étant pas entièrement absorbé par la volonté humaine. Cela nous aide à comprendre que la déception peut effectivement relever d’une pédagogie de Dieu pour nous éviter de nous faire une fausse idée de l’amour, pour éviter que l’amour ne soit étouffant ou tyrannique, voire meurtrier.

Cette peine de l’amour, cette mise à distance de Dieu, c’est aussi ce qui s’exprime par l’attente du Fils : parce qu’il est absent, le Fils rappelle que Dieu n’est pas tout à fait là. Dieu n’est pas tout à fait là : c’est ce qui explique que tout est loin d’être parfait dans notre monde, dans notre existence, dans notre Eglise, dans notre famille, dans nos relations. Dieu n’est pas tout à fait là : c’est ce qui explique que le bonheur ne soit jamais total. Mais c’est aussi ce qui rend possible l’amélioration de chacune de nos situations de vie, c’est aussi ce qui rend possible le renouvellement de notre vie vers un mieux être. Parce que notre vie n’est pas figée dans un état particulier, un mieux est encore à venir ; parce que tout n’est pas définitif une fois pour toutes dans notre vie, nous pouvons encore recevoir cette joie que Dieu instille en nous par ce que Paul appelle l’Esprit Saint.

La peine de l’amour peut être comprise comme un drame, un échec, le dernier mot de notre histoire. L’Evangile que Paul annonce y voit, au contraire, l’empreinte laissée par Dieu qui vient nous bousculer pour nous faire avancer, pour nous faire faire un pas de plus, pour nous faire progresser vers une joie parfaite.

Amen


Lecture de la Bible

1e lettre de Paul aux Thessaloniciens 1:1-10

Paul, Silvain et Timothée, à l’Eglise des Thessaloniciens, qui est en Dieu le Père et en Jésus-Christ le Seigneur: que la grâce et la paix vous soient données!

2 Nous rendons continuellement grâces à Dieu pour vous tous, faisant mention de vous dans nos prières, 3 nous rappelant sans cesse l’oeuvre de votre foi, le travail de votre amour, et la fermeté de votre espérance en notre Seigneur Jésus-Christ, devant Dieu notre Père.

4 Nous savons, frères bien-aimés de Dieu, que vous avez été élus; 5 notre Evangile ne vous a pas été prêché en paroles seulement, mais avec puissance, avec l’Esprit-Saint et avec une pleine persuasion; car vous n’ignorez pas que nous nous sommes montrés ainsi parmi vous, à cause de vous.

6 Et vous-mêmes, vous avez été mes imitateurs et ceux du Seigneur, en recevant la parole au milieu de beaucoup d’afflictions, avec la joie du Saint-Esprit, 7 en sorte que vous êtes devenus un modèle pour tous les croyants de la Macédoine et de l’Achaïe. 8 Non seulement, en effet, la parole du Seigneur a retenti de chez vous dans la Macédoine et dans l’Achaïe, mais encore votre foi en Dieu s’est fait connaître en tout lieu, de telle manière que nous n’avons pas besoin d’en parler. 9 Car on raconte, à notre sujet, quel accès nous avons eu auprès de vous, et comment vous vous êtes convertis à Dieu, en abandonnant les idoles pour servir le Dieu vivant et vrai, 10 et pour attendre des cieux son Fils, qu’il a ressuscité des morts, Jésus, qui nous délivre de la colère à venir.

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