La patience, vertu des forts
Job 23:1-8 , Job 27:1-6 , Jacques 1:22-25
Culte du 16 mars 1941
Prédication de Paul Vergara
Culte à l'Oratoire du Louvre
16 mars 1941
« La patience, vertu des forts »
Culte présidé par le pasteur Paul Vergara
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Vous savez que nous déclarons bienheureux ceux qui ont souffert avec constance.
Vous avez entendu parler de la constance de Job, et vous avez vu la fin que le Seigneur lui a donnée ;
car le Seigneur est plein de miséricorde et de compassion.
Épître de Jacques, chapitre V, verset 11
Prédication
S'il est une vertu qui plus qu'aucune autre nous est nécessaire en ce moment, c'est cette force intérieure qu'on appelle la patience, force positive et active, et non pas négative et passive comme on le croit communément. Que de platitudes et de banalités ne débite-t-on pas sur la patience, qui ne s'appliquent en aucune manière à cette victorieuse attitude de l'âme dont l'Écriture nous propose l'exemple en nous disant : « Souvenez-vous de la patience de Job. » Pour s'en persuader, il n'est que de relire - aucune lecture ne sera mieux appropriée au moment - cet extraordinaire poème qu'est le Livre de Job et dont Victor Hugo disait qu'il était le plus grand chef-d'œuvre de l'humanité.
Dans les milieux intéressés à nous en persuader, on voudrait nous faire croire qu'un Chrétien ne doit jamais être indigné, qu'il ne doit jamais rien rencontrer d'intolérable, ne jamais être mécontent, ne jamais sentir son sang bouillir dans ses veines et ses nerfs se crisper, que pour lui toutes les peines, les épreuves, les erreurs les plus tragiques et les iniquités les plus affreuses de la vie devraient toujours être acceptées les mains jointes et les yeux fermés dans une immobilité de pierre, qu'on baptise du nom d'endurance, de constance, de patience. Tout exercice tyrannique du pouvoir, toute violation flagrante du droit, devraient être acceptés comme une bénédiction pour l'âme et supportés avec patience. Il n'y a pas de discours sur la patience qui ait davantage le don de vous impatienter que celui-là ; tout en nous se hérisse si violemment contre une telle conception de l'esprit chrétien qu'on peut être à peu près sûr que cette peinture de la patience n'est pas faite avec les couleurs de la vérité mais avec celles du mensonge. S'il est une chose dont nous pouvons être sûrs, en tout cas, c'est que ce n'est pas ainsi que la Bible nous parle de la patience. Aucun des Saints de l'Ancien Testament ne se montra très patient avec l'erreur, l'injustice et le crime. Les grands Prophètes n'hésitaient pas une seconde, au nom d'une patience qui serait une vertu céleste (et encore moins au nom des humaines prudences) à dénoncer les rois et les gouvernements injustes ou immoraux.
On tente aussi fréquemment de nous réduire au silence en nous objectant le texte de saint Paul sur la soumission aux pouvoirs établis ; mais ceux qui citent les paroles du grand Apôtre oublient qu'il parle du législateur comme ministre de Dieu pour notre bien, et qu'il n'envisage pas le cas où le législateur serait le ministre du Démon pour notre perdition. Il est vrai que le Christ a dit : « Rendez à César ce qui appartient à César... » « Ce qui appartient », la limitation est importante et résout le problème pour les consciences ; il est des choses et des biens que nous n'avons pas à rendre à César parce qu'elles ne lui ont jamais appartenu. Il est vrai que le Christ a dit : « Si quelqu'un te frappe à la joue droite, tends-lui l'autre. » Mais Jésus n'a pas eu l'intention d'établir ainsi une règle universelle ; si le résultat d'une semblable attitude devait être le triomphe de l'injustice et de l'oppression, Celui qui ne tendait pas la joue aux Pharisiens, mais les attaquait courageusement, serait le premier à dire : « Ce n'est pas ce que j'entendais. »
Lorsqu'une injure est personnelle, lorsqu'elle commence et finit avec nous, notre devoir de Chrétiens est de la supporter avec les sentiments que Jésus-Christ a eus. Mais lorsque l'injure nous est faite en tant que membres d'un corps, d'un groupe, lorsqu'elle nous dépasse et s'en va, au-delà de nous, frapper d'autres êtres, notre devoir n'est-il pas de résister. Les paroles du Maître concernant l'acceptation de l'injure, s'adressaient aux individus, pris isolément, et elles les menaient très loin, jusqu'au martyre inclusivement ; mais Jésus n'entendait pas les appliquer aux nations captives. Est-il possible de s'y méprendre ? Celui qui enseignait les droits égaux de tous les hommes devant Dieu, celui qui dénonçait le riche exploitant le pauvre, celui qui attaquait avec indignation, à Jérusalem, les classes dirigeantes qui méprisaient le peuple, celui qui renversait le jugement social concernant les publicains et les pécheurs, celui qui n'a jamais été complaisant pour le mal, si haut placé soit-il, peut difficilement être accusé d'avoir encouragé la servilité. Et en fait, les peuples, tout au long de l'histoire, ne s'y sont jamais trompés, et c'est dans l'Évangile qu'ils sont allés puiser les ferments de toutes les justes indignations. Lorsque, dans l'ordre général, une chose est mauvaise, les communautés humaines n'ont pas à les supporter avec patience, et, prétendre que le Christianisme encourage une passive endurance, serait prétendre qu'il n'y a pour lui ni conscience sociale ou politique, ni amour de la liberté, ni lutte pour le droit.
Prétendre qu'il y a équivalence entre le martyre volontaire d'un individu et la soumission d'un peuple, est la dernière des absurdités. Il y a des vérités - telles que les vérités religieuses - pour lesquelles nous ne pouvons pas combattre avec des armes temporelles, nous ne pouvons que mourir pour elles ; ce qui est d'ailleurs une manière irrésistible de les faire triompher. Un homme comme le diacre Étienne qui avait le monde entier contre lui n'avait d'autre alternative que de résister par le martyre. Mais un peuple n'a pas à adopter la position du martyre et à feindre, par servilité, de prendre le déshonneur pour l'honneur et le crime pour la vertu. Il y a une noble et il y a une ignoble patience. Celui qui fut la beauté, le courage et l'honneur incarnés, ne peut nous demander, en tant que peuple, autre chose qu'une noble patience. Et une noble patience c'est une patience qui est semblable à celle de Job. À vrai dire, ce n'est pas la patience an sens ordinaire où nous l'entendons qui frappe lorsqu'on lit ce célèbre poème. Que fait Job quand l'affliction tombe sur lui ? Il garde d'abord le silence pendant plusieurs jours, en proie au plus vif ressentiment, puis il maudit le jour de sa naissance, puis lorsque de faux amis viennent tenter de justifier les raisons de son épreuve, il se jette contre eux et conteste avec une ardente véhémence le bien-fondé de leurs affirmations, et finalement il défie Dieu lui-même d'établir sa culpabilité. Est-ce là accepter l'épreuve avec humilité, soumission et patience ? Aucunement. Il y a cependant au début des discours de Job une phrase qui contient l'idée de la véritable patience dans l'épreuve que veut nous enseigner l'auteur de ce grand livre, et cette phrase, la voici : « L'Éternel l'avait donné, l'Éternel l'a repris, que le nom de l'Éternel soit béni. » Voilà le point sur lequel Job ne variera pas. Dieu est juste quand il donne, Dieu est juste quand il retire, même si nous ne comprenons pas présentement.
La foi qui est la racine maîtresse de la vraie patience, c'est la foi en la justice de Dieu, c'est la ferme assurance que quoi que Dieu fasse, il est impossible qu'Il veuille autre chose que la justice et le bien. Job peut être déchiré par le doute, ne pas comprendre, contester que ses souffrances puissent être la juste rétribution de ses fautes, il est du moins sûr d'une chose, il est sûr de la justice de Dieu. La terre et le ciel peuvent s'écrouler avec lui, tant qu'il peut croire cela, rien de ce qui a vraiment de l'importance pour son âme n'est détruit.
Et c'est là, et là seulement, qu'est la source de la vraie patience, c'est la foi invincible au bien éternel et absolu; quand la patience est basée sur cette foi-là, elle s'approfondit et résiste en dépit de tous les orages, tandis que la simple résignation à l'inévitable s'écroule tôt ou tard sous les coups répétés du malheur. Il peut y avoir dans le cœur la tempête et le doute dans l'esprit, mais plus profond que le doute et la colère, se tient la foi en la justice de Dieu, la foi que tout ce qui arrive, à nous et au monde, est voulu dans l'intérêt de l'ensemble, est contenu dans l'éternelle et immuable justice de Dieu, fait partie d'une loi trop grande pour que nous la puissions comprendre, mais où la justice prévaut, et qui le montrera un jour.
Garder dans nos âmes cette patience-là sur son socle d'airain est une austère consolation, mais c'est une consolation réelle, la seule qui puisse être de taille à nous assister efficacement dans les grandes peines.
Ce qui est juste et bon pour l'ensemble nécessite souvent notre souffrance, et c'est une part de la vraie patience que de le croire. Nous avons agi selon la justice et l'honneur, nous avons fait ce qu'il fallait faire et nous souffrons à cause de cela, au sein d'un monde inique. « Est-ce juste ? Pourquoi suis-je affligé, torturé ? » disons-nous. La seule, austère, mais réelle consolation, c'est de nous dire que c'est la loi, que l'ordre du monde l'exigeait, que le salut de l'humanité le demandait. À cause de ma souffrance il y a quelque chose qui va être redressé par l'éternelle justice de Dieu, et il vaut mieux que je souffre pour que l'œuvre de l'universelle justice ne soit pas retardée. Garder cette foi à travers l'épreuve et la tentation, le péché, le doute et la malédiction de soi-même et la méchanceté des hommes, à travers mille orages, c'est la patience, la plus haute patience qui soit au monde. Job avait cette patience-là, l'épître de Jacques nous convie à nous en souvenir. Dieu veuille nous aider à l'édifier dans nos cœurs afin que nous puissions traverser victorieusement ces jours mauvais.
Si nous avons la patience de Job, Dieu nous pardonnera d'y mêler nous aussi quelque impatience, parce que ces impatiences sont des preuves de vie, et que Dieu nous aime mieux vivants qu'inertes comme des cadavres.
Et les sujets d'impatience ne manquent pas.
Parce que le malheur est tombé sur nous, parce que nous sommes nus et dépouillés comme job sur son fumier, nous recevons, comme le patriarche, la visite des faux amis, les Tsophars, les Eliphas, les Bildad, nous devons subir leurs exhortations conventionnelles et équivoques à « l'humiliation nationale » sous le sac et la cendre. Ces discours ne peuvent provoquer dans les cœurs droits qu'une impatience indignée. Croire que la souffrance est toujours méritée, qu'elle est toujours une rétribution du péché, ce n'est pas de la patience, c'est de la superstition, et lorsque les discoureurs se font théologiens pour nous enseigner cela, ils se servent d'une théologie de mensonge, contre laquelle la Croix du Calvaire se dresse comme une éternelle protestation. S'il y eut une souffrance imméritée, c'est bien celle-là, et elle en a enfanté de semblables, et elle en enfantera encore, jusqu'à ce que le monde soit sauvé.
Quand le principe de l'action qui a déterminé l'épreuve a été juste - autant que les hommes peuvent l'être - la vraie patience n'implique nullement l'humiliation, la vraie patience consiste à maintenir ce que l'on croit juste, à le maintenir, comme Job, avec indignation contre les menteurs, non pour sauver notre honneur à nous qui ne sommes rien, mais pour sauver l'honneur de Dieu, pour sauver la justice de Dieu. Dieu ne peut pas être injuste, et si nous en venions à douter de sa justice, après avoir tout perdu sur la terre, nous aurions tout perdu dans le ciel ; ce qui serait le malheur suprême.
Nous dirons donc avec une foi opiniâtre : « Il doit y avoir quelque autre raison à nos épreuves, que nous ne distinguons pas présentement. Peut-être souffrons-nous afin que Dieu, par notre souffrance, puisse sauver les autres et étendre ici-bas son règne et sa justice. » Comme le patriarche, nous lutterons jusqu'à la fin sans fléchir, parce que Dieu est juste et que ceux qui persévéreront jusqu'à la fin seront sauvés.
Il arrive que nous nous trouvions dans une de ces impasses de la vie où nous ne pouvons plus rien faire extérieurement. Est-ce que notre âme va partager l'inaction forcée de notre être extérieur, est-ce que nous allons nous laisser glisser dans l'inertie d'une fausse patience ? Est-ce là l'attitude à adopter par une âme qui ne veut pas mourir d'asphyxie ? Cent fois non. Là encore, souvenons-nous de la patience de Job. Regardons-le dans son affliction. Que fait-il ? Après quelques jours de silence où il est comme assommé par le coup de l'épreuve, nous le voyons se redresser plein de vigueur, éclater en arguments intellectuels et spirituels ; il démonte l'une après l'autre toutes les accusations dressées contre lui par ses amis, il les étreint tour à tour comme un lutteur, il conteste, il discute, comme Jacob au torrent de Jabock, il défie Dieu lui-même, il parle de justice éternelle et de vérité absolue, il n'est pas de puissance intérieure, pas d'émotion du coeur, pas de vision de l'imagination, qu'il n'utilise au maximum avec une indomptable impatience pour se dégager de l'impasse où il est enfermé, pour retrouver la liberté, pour conserver encore des raisons de vivre et de croire que Dieu ne l'a pas abandonné et qu'un jour viendra où il vengera son serviteur. Il maintient ainsi intactes, pour l'heure où la route sera débloquée, toutes les puissances de son âme.
Là est la leçon pour nous. Et elle est d'une singulière opportunité. Puisque les circonstances nous ont placés dans une situation où nous devons attendre, que notre attente ne soit pas de celles où nos puissances intérieures s'atrophient dans une résignation mortelle.
Que les ailes du souvenir et de l'imagination par un vol incessant vers le passé et vers l'avenir nous arrachent aux croupissements du présent ; faisons appel à tout ce qui est positif dans notre être intérieur, à la raison, aux convictions morales, aux affections du cœur, aux intuitions de l'esprit, à la foi ci surtout que, puisque la justice est à la base de l'Univers, Dieu vengera notre cause si nous ne nous pétrifions pas.
Si nous agissons ainsi, si notre patience n'est pas un repos où l'on s'abîme, mais une occasion de donner du tranchant à toutes nos facultés en les aiguisant à la meule de l'épreuve, nous sortirons de l'impasse, au jour de la délivrance, en valant deux fois ce que nous valions en y entrant. Et pour n'avoir pas désespéré de la justice de Dieu, notre foi revêtira un caractère de profondeur et d'intimité qu'elle n'avait jamais connu auparavant. Nous pourrons dire à Dieu ce que Job lui disait à la fin de son épreuve : « Je te connaissais par ouï-dire, mais maintenant mon œil t'a vu. »
On raconte que l'écrivain Carlyle s'en vint trouver le nouveau pasteur de la paroisse dont il faisait partie, et qu'il lui dit avec la rude franchise qui le caractérisait : « Ce qu'il faut à cette paroisse, c'est un pasteur qui connaisse Dieu autrement que par ouï-dire. » Il le faut à toutes les paroisses. Mais dans les jours que nous traversons, je crois qu'il faut le souhaiter également aux paroissiens. Et le chemin qui y conduit au moment de l'épreuve, c'est le chemin de la patience, de la vraie patience qui n'est pas une simple soumission endolorie et endormie, mais une patience active, parce qu'elle a à sa base une foi indomptable en la justice de Dieu. C'est la forme de patience qui convient le mieux aux hauts instincts d'une âme immortelle, c'est la patience du patriote dans un pays opprimé, c'est la patience du martyr pour la vérité, c'est la patience du malade et de l'affligé qui aspirent à la guérison, c'est la patience du prisonnier maintenu dans l'inaction, c'est la patience du navigateur de la vie quand son bateau est secoué par l'ouragan, c'est la patience du mourant dont la pensée solitaire regarde en avant vers la vie éternelle et vers l'amour parfait. C'est la patience de tous ceux qui souffrent, mais qui lèvent leurs yeux vers le ciel et qui espèrent, parce qu'ils savent bien que c'est leur regard qui tremble et non pas les étoiles. Ce fut la patience de Job. Que ce soit aussi la vôtre.
Amen.
Pour aller plus loin
- A.-N. Bertrand, P. Vergara et G. Vidal, Voix chrétiennes dans la tourmente, 1940-1944, 1945, Paris, 192 pages, recueil de 15 prédications prononcées à l'Oratoire du Louvre durant l'Occupation (lire en ligne)
Lecture de la Bible
Job, ch. XXIII, v. 1 à 8, et ch. XXVII, v. 1 A 6.
Maintenant encore ma plainte est une révolte,
Mais la souffrance étouffe mes soupirs.
Oh ! Si je savais où le trouver,
Si je pouvais arriver jusqu'à son trône,
Je plaiderais ma cause devant lui,
Je remplirais ma bouche d'arguments,
Je connaîtrais ce qu'il peut avoir à répondre,
Je verrais ce qu'il peut avoir à me dire.
Emploierait-il toute sa force à me combattre ?
Ne daignerait-il pas au moins m'écouter ?
Ce serait un homme droit qui plaiderait avec lui,
Et je serais pour toujours absous par mon juge.
Mais si je vais à l'Orient, il n'y est pas ;
Si je vais à l'Occident, je ne le trouve pas.
Dieu qui me refuse justice est vivant !
Le Tout-Puissant qui remplit mon âme d'amertume est vivant !
Aussi longtemps que j'aurai ma respiration,
Et que le souffle de Dieu sera dans mes narines,
Mes lèvres ne prononceront rien d'injuste,
Ma langue ne dira rien de faux.
Jusqu'à mon dernier soupir je défendrai mon innocence ;
Je tiens à me justifier et je ne faiblirai pas ;
Mon cœur ne me fait de reproche sur aucun de mes jours.
JACQUES, CH. I, V. 22 A 25.
Mettez en pratique la Parole et ne vous contentez pas de l'écouter, en vous abusant vous-mêmes par de faux raisonnements. En effet, si quelqu'un écoute la Parole et ne la met pas en pratique, il est semblable à un homme qui regarde dans un miroir son visage naturel et qui, après s'être regardé, s'en va et oublie aussitôt comment il est. Mais celui qui aura plongé ses regards dans la Loi parfaite, la Loi de la Liberté, et qui l'aura contemplée avec persévérance, n'étant Pas un auditeur oublieux, mais un fidèle observateur de ses préceptes, celui-là trouvera son bonheur dans son obéissance.