La Maître est là et il t’appelle
Jean 11 , Psaume 19
Culte du 17 décembre 1939
Prédication de André-Numa Bertrand
Culte à l’Oratoire du Louvre

André-Numa Bertrand au travail
Service religieux radiodiffusé le dimanche 17 décembre 1939, à midi au Poste Radio-37.
Présidé par le pasteur André Numa-Bertrand
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« Elle appela secrètement Marie, sa sœur, et lui dit : Le maître est ici, et il t'appelle. »
Jean XI, 28
Prière
Seigneur, nous savons bien que toute notre vie est une attente à laquelle Seul Tu peux répondre. Nous allons à travers la vie, quêtant l'appel capable de fixer notre destin, et aussi longtemps que Tu Te tais, nous allons au hasard, menant une vie qui nous paraît vide, malgré tout ce que nous entassons dans chacune de ces journées, et qui se révèle finalement comme une vie perdue.
À moins, cependant, que Tu ne parles ; car alors tout change la route se dessine, nette, vers les horizons éternels, et chacun reçoit le mot qui lui livre le secret de son propre cœur. Quelle parole as-tu en réserve pour chacun de nous ? Toi seul le sais, ô Dieu, Toi seul es Celui qui accueille Ta Parole d'un cœur confiant et docile ; car pour chacun Tu as la parole particulière, personnelle, intime, que lui seul peut comprendre, que Toi seul peux donner. Mais savons-nous seulement écouter quand Tu parles ? Saurons-nous écouter quand cette heure de salut et de vie sonnera pour nous ? Saurons-nous comprendre, obéir, aimer ? ou serons-nous de ceux qui ont des oreilles et n'entendent pas, et dont le cœur se ferme à la Parole qui vient de Toi ?
Seigneur, aie pitié de nous : il faut encore que Tu fasses notre œuvre après avoir fait la Tienne. Parle-nous, Seigneur, et donne-nous en même temps des cœurs capables de recevoir Ta parole et de lui obéir, dans la communion de Ton Fils Jésus-Christ.
Amen.
Méditation
Le drame dans lequel est plongé le monde, continue à peser, que nous le voulions ou non, sur toute notre pensée, sur toute notre sensibilité. Comme le soleil couchant couvre toute chose d'un voile de pourpre et d'or, ainsi la lueur des explosions et des incendies colore toute notre vie d'une teinte sanglante à laquelle rien n'échappe, ni nos joies ni nos douleurs, ni les jeux de nos enfants ni les travaux de leurs pères. Notre piété elle-même doit faire face à des problèmes nouveaux, et par conséquent se tourner vers des horizons inconnus. Non pas qu'elle doive être autre qu'en temps normal ; sa beauté, sa grandeur et son efficacité même sont liées précisément à son immutabilité ; elle cesserait de pouvoir nous aider si pour ce faire elle acceptait de se laisser dominer par le tumulte du monde ; mais le monde qu'elle doit vaincre et dominer est un autre monde, et la victoire de la foi aura par conséquent un autre visage, un autre aspect.
Or cette identité, cette permanence de la foi à travers les circonstances diverses que la vie nous impose, ne peut se réaliser que si nous restons en contact avec les vérités éternelles. Et c'est pourquoi j'ai voulu faire retentir ce matin jusqu'au fond de vos cœurs la parole toujours adressée au chrétien, voile de sa vocation éternelle et de son obéissance : « le Maître est là et Il t'appelle ». Le Maître est là, suprême joie, source éternelle de confiance et d'espoir ; Il t'appelle, ordre divin, source de toute obéissance et de toute action chrétienne. Des temps pourraient-ils venir où semblable parole cesserait d'être actuelle ?
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La première fois qu'elle a été prononcée, adressée par une sœur à la plus tendre et la plus douloureuse des sœurs, elle a retenti dans ce cœur blessé comme une promesse de délivrance et de victoire. C'est le Libérateur qui s'approche. Celui devant lequel il n'y a pas de mort. Cette parole va chercher dans sa douleur une pauvre femme perdue dans ses larmes, pour la remettre dans la vie, dans l'espérance et dans la foi. Aussitôt elle se lève, quittant le cercle de ses consolateurs, et s'en va. Oui, disent les cœurs superficiels, c'est bien cela, Jésus nous appelle à quitter notre douleur, à sortir à la rencontre des hommes et de la vie, au lieu de rester là à pleurer. Vous vous trompez, vous qui voyez dans le Christ un prédicateur de distraction et d'oubli. Cette femme en deuil, Jésus l'attend près du tombeau de celui qu'elle a perdu. Il ne l'appelle pas à fuir sa douleur, mais au contraire à se placer devant elle, à la regarder en face et à la vaincre.
Ceux qui se sentent vaincus d'avance devant la douleur prennent la fuite ; ils ferment les yeux sur la réalité (et il peut bien arriver que chez plusieurs la piété soit ainsi une sorte d'évasion, une fuite devant soi-même et devant la vie). Mais ce n'est pas à cela que le Maître nous appelle. « Regarde ta douleur en face ; je suis plus grand qu'elle. Voilà Sa vraie parole. À celui qui est devant la mort Il dit : Je suis la Résurrection et la vie ; à celui qui est devant la chute : Je suis le relèvement et le pardon ; à celui qui est devant la haine : Je suis la réconciliation et l'amour, à celui qui succombe dans la nuit du mensonge : Je suis la Lumière et la Vérité ; à celui qui ne peut plus respirer dans un monde en guerre : Je suis votre Paix ; à celui qui est seul pour toujours : Je suis avec toi, jusqu'à la fin du monde.
À cela nous pouvons mesurer la profondeur de notre infidélité dans le témoignage, que précisément nous croyons devoir éviter de prononcer les mots qui sont les plus nécessaires, ceux que le Christ aurait prononcés. Parler de liberté dans une prison, ou de vérité dans un milieu où personne n'ose dire sa pensée, nous paraît une cruauté ou une maladresse. Mais quand le Maître est là, c'est autre chose ! Il appelle, Il prend Marie par la main, Il la conduit au tombeau de son frère, et Il fait éclater la vie, la Vie éternelle au sein même de la mort. Il faut avoir le courage de Le suivre, lorsqu'Il appelle ainsi ; avec Lui on peut tout porter, parce qu'il offre toujours une espérance de renouvellement, de pardon, de vie changée, et pour tout dire, de salut dans notre perdition. Ne suffit-il pas d'ailleurs, pour raffermir les cœurs qui sont à Lui, d'entendre la parole pleine de promesses : « Le Maître est là et Il t'appelle ? »
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Il n'est pas interdit cependant au chrétien de faire sortir cette parole du cadre historique dans lequel elle nous est parvenue, et de lui chercher des applications plus larges : il arrive si souvent que le Maître entre dans notre vie et qu'il formule ses exigences. Il était venu à son heure, et nous ne savions pas qu'Il était là, à la porte, prêt à frapper. Et puis tout à coup la vocation s'est précisée, elle s'est révélée comme une force victorieuse le Maître est là ; II t'appelle.
Tant de chrétiens avaient vécu au milieu de la souffrance, de la misère d'un monde où les faibles sont écrasés, et ils avaient lu la parabole du Jugement dernier, où le fils de l'Homme accueille ceux qui lui ont donné à manger quand Il avait faim. Et cependant ils ne savaient pas, ils ne pensaient pas que dans cette foule affamée, dans cette humanité à qui manque tragiquement le pain des corps, et plus tragiquement encore le pain des âmes, le Maître, aujourd'hui, Lui aussi les appelait. Et puis brusquement un jour le cri a jailli : le Maître est là ! C'est Lui qui appelle. Et cet appel, cette vocation, a fait les grands fondateurs d'œuvre, les saint Vincent de Paul, les John Bost, les William Booth. D'autres prosaïquement s'étaient penchés sur les atlas, sur cette image desséchée, abstraite, d'une terre cependant dévorée de souffrance et d'espoirs déçus. Et longtemps ils n'avaient vu là que des traits rouges et noirs, des mers bleues, des continents de couleur conventionnelle. Et puis tout à coup cette mappemonde avait pris son relief, sa réalité. Un soupir douloureux s'exhalait de ces terres lointaines. Alors dans l'âme de ces hommes un cri a jailli : le Maître est là, Il t'appelle. Ainsi sont nés les grands missionnaires, les saint François-Xavier, les Livingstone, les Coillard.
Mais elle est aussi pour les plus humbles, la grande parole de la vocation chrétienne : le Maître est là et Il t'appelle. La vie chrétienne n'est et ne peut être qu'une vocation. On n'y entre pas parce qu'on l'a voulu, parce qu'on l'a choisie, on y entre parce qu'on y a été appelé, parce qu'on a été choisi par elle. À chaque enfant qui entre à l'instruction religieuse, et dimanche après dimanche à chaque chrétien qui entre dans le sanctuaire pour l'adoration, l'Église rappelle inlassablement : le Maître est là et Il t'appelle. Une Église où le Christ ne serait pas, une Église où Il n'appellerait pas chacun de ceux qui ouvrent leur cœur à Sa parole, ne serait pas une Église chrétienne.
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Un jour viendra cependant où cet appel qui est de tous les instants revêtira pour chacun de nous une solennité particulière. Lorsque nous arriverons au terme de notre route terrestre, quelle est la voix chargée de tendresse, quel est le regard d'émotion et de gratitude, qui nous dira : le Maître est là, Il t'appelle ; ton œuvre est achevée, il faut partir. D'autres chemins t'attendent et d'autres travaux, un autre repos aussi, que ne connaît pas notre terre. Oh ! que cet appel ne nous effraie pas plus que les autres puisqu'Il est là, puisque le même amour nous enveloppe, puisque toutes les tendresses authentiques nous suivent, répondons paisiblement à son appel. Car la mort pour le chrétien est aussi une vocation, un rappel. Le Maître est là : Il t'appelle.
Mes Frères, comment ne dirions-nous pas en terminant ce qui, certainement, est la pensée de beaucoup : dans les circonstances actuelles, ce caractère paisible de la mort chrétienne ne semble-t-il pas singulièrement voilé ? Si tout notre être se hérisse d'horreur devant la guerre, n'est-ce pas précisément parce que des jeunes hommes, qui n'ont terminé ni leur œuvre ni leur course, sont appelés à mourir, alors que le Maître les appelait à la vie, et que Dieu avait accumulé dans leur organisme des réserves de forces qui auraient fait battre leurs artères pendant bien des années encore ? Mais là même la foi triomphe et Dieu règne. Cette mort que hâte le crime des hommes, le chrétien ne la subit pas, il l'accepte, il l'accueille ; il y voit un sacrifice consenti à une juste cause ; ce n'est plus qu'un chemin vers son Dieu, un espoir d'être avec Christ ; et par là il assure la souveraineté de sa vocation de chrétien, le caractère invincible de son espérance et de sa foi.
Quelle que soit l'heure tardive ou prématurée, quelle que soit la voie paisible ou sanglante par laquelle tu quitteras notre terre de péché, ne crains point, chrétien ; le Maître est là ; Il t'appelle, et c'est dans les bras de Dieu qu'Il te fera reposer pour l'éternité ; car pour être apaisé, ton cœur n'a besoin de savoir qu'une chose le Maître est là.
Amen.
Pour aller plus loin
- A.-N. Bertrand, P. Vergara et G. Vidal, Voix chrétiennes dans la tourmente, 1940-1944, 1945, Paris, 192 pages, recueil de 15 prédications prononcées à l'Oratoire du Louvre durant l'Occupation (lire sur notre site)
- A.-N. Bertrand, Berger d'âmes, 1945-1946, avec 8 prédications, suivies des hommages ci-dessous (lire sur notre site)
- A.-N. Bertrand, Vocation, 1949 (lire sur notre site)
Lecture de la Bible
Psaume 19, 1-5 et 8-11
1Au chef des chantres. Psaume de David.
2Les cieux racontent la gloire de Dieu,
Et l’étendue manifeste l’œuvre de ses mains.
3Le jour en instruit un autre jour,
La nuit en donne connaissance à une autre nuit.
4Ce n’est pas un langage, ce ne sont pas des paroles
Dont le son ne soit point entendu :
5Leur retentissement parcourt toute la terre,
Leurs accents vont aux extrémités du monde,
Où il a dressé une tente pour le soleil. [...]
8La loi de l’Éternel est parfaite, elle restaure l’âme ;
Le témoignage de l’Éternel est véritable, il rend sage l’ignorant.
9Les ordonnances de l’Éternel sont droites, elles réjouissent le cœur ;
Les commandements de l’Éternel sont purs, ils éclairent les yeux.
10La crainte de l’Éternel est pure, elle subsiste à toujours;
Les jugements de l’Éternel sont vrais, ils sont tous justes.
11Ils sont plus précieux que l’or, que beaucoup d’or fin ;
Ils sont plus doux que le miel, que celui qui coule des rayons.
Jean XI, 1-35.
1Il y avait un homme malade, Lazare, de Béthanie, village de Marie et de Marthe, sa sœur. 2C’était cette Marie qui oignit de parfum le Seigneur et qui lui essuya les pieds avec ses cheveux, et c’était son frère Lazare qui était malade. 3Les sœurs envoyèrent dire à Jésus : Seigneur, voici, celui que tu aimes est malade. 4Après avoir entendu cela, Jésus dit : Cette maladie n’est point à la mort ; mais elle est pour la gloire de Dieu, afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle. 5Or, Jésus aimait Marthe, et sa sœur, et Lazare. 6Lors donc qu’il eut appris que Lazare était malade, il resta deux jours encore dans le lieu où il était, 7et il dit ensuite aux disciples : Retournons en Judée. 8Les disciples lui dirent : Rabbi, les Juifs tout récemment cherchaient à te lapider, et tu retournes en Judée ! 9Jésus répondit : N’y a-t-il pas douze heures au jour ? Si quelqu’un marche pendant le jour, il ne bronche point, parce qu’il voit la lumière de ce monde ;10mais, si quelqu’un marche pendant la nuit, il bronche, parce que la lumière n’est pas en lui. 11Après ces paroles, il leur dit : Lazare, notre ami, dort ; mais je vais le réveiller. 12Les disciples lui dirent : Seigneur, s’il dort, il sera guéri. 13Jésus avait parlé de sa mort, mais ils crurent qu’il parlait de l’assoupissement du sommeil. 14Alors Jésus leur dit ouvertement : Lazare est mort.
15Et, à cause de vous, afin que vous croyiez, je me réjouis de ce que je n’étais pas là. Mais allons vers lui. 16Sur quoi Thomas, appelé Didyme, dit aux autres disciples : Allons aussi, afin de mourir avec lui. 17Jésus, étant arrivé, trouva que Lazare était déjà depuis quatre jours dans le sépulcre. 18Et, comme Béthanie était près de Jérusalem, à quinze stades environ, 19beaucoup de Juifs étaient venus vers Marthe et Marie, pour les consoler de la mort de leur frère. 20Lorsque Marthe apprit que Jésus arrivait, elle alla au-devant de lui, tandis que Marie se tenait assise à la maison. 21Marthe dit à Jésus : Seigneur, si tu eusses été ici, mon frère ne serait pas mort. 22Mais, maintenant même, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera. 23Jésus lui dit : Ton frère ressuscitera. 24Je sais, lui répondit Marthe, qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour. 25Jésus lui dit : Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort ; 26et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? 27Elle lui dit : Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, qui devait venir dans le monde. 28Ayant ainsi parlé, elle s’en alla. Puis elle appela secrètement Marie, sa sœur, et lui dit : Le maître est ici, et il te demande. 29Dès que Marie eut entendu, elle se leva promptement, et alla vers lui. 30Car Jésus n’était pas encore entré dans le village, mais il était dans le lieu où Marthe l’avait rencontré. 31Les Juifs qui étaient avec Marie dans la maison et qui la consolaient, l’ayant vue se lever promptement et sortir, la suivirent, disant : Elle va au sépulcre, pour y pleurer. 32Lorsque Marie fut arrivée là où était Jésus, et qu’elle le vit, elle tomba à ses pieds, et lui dit : Seigneur, si tu eusses été ici, mon frère ne serait pas mort. 33Jésus, la voyant pleurer, elle et les Juifs qui étaient venus avec elle, frémit en son esprit, et fut tout ému. 34Et il dit : Où l’avez-vous mis ? Seigneur, lui répondirent-ils, viens et vois. 35Jésus pleura.