L'enlèvement de Jésus, l'Ascension

Actes 1 : 1-11

Culte du 25 mai 2006
Prédication de Rémy Hebding

( Actes 1 : 1-11)

Culte à l'Oratoire du Louvre,
par Rémy Hebding, le 25 mai 2006

L'Ascension c'est peut-être un terme assez malheureux pour désigner ce qui s'est passé, pas simplement ce qui s'est passé, pas simplement ce qui s'est passé physiquement mais ce qui s'est passé dans l'esprit et dans le cœur de ceux qui en ont été témoins. C'est un terme qui sert à désigner cette montée au Ciel du Christ ressuscité. L'Evangile de Luc et le texte des Actes des Apôtres mentionnent explicitement cet épisode. Les représentations médiévales qui représentent cette montée au Ciel sont souvent des figurations très naïves. Les apôtres sont tournés vers des pieds, les pieds du Christ qui s'élèvent dans les nuages. Représentation naïve d'un fait qui résiste à la transcription en image. Dans Luc 24, quotes 50 à 53, il est dit que le Christ ressuscité se sépare d'eux. Il se sépare des disciples avant d'être emporté au Ciel. Et dans le texte des Actes il est question d'un enlèvement de Jésus au Ciel. Plus qu'une Ascension, c'est un enlèvement et le quote 3 précise qu'il a lieur 40 jours après la résurrection de jésus, période pendant laquelle Jésus apparut vivant à ses disciples et leur parla des choses qui concernent le royaume de Dieu.

Ainsi, le ressuscité est enlevé. Il est enlevé pendant que les disciples le regardent et qu'une nuée le dérobe à leurs yeux. C'est plus un départ qu'une montée vers les Lieux et les mythes des religions parlent aussi d'Ascension, d'escalade, d'escalade de l'échelle mystique permettant d'atteindre un degré supérieur de connaissance mais le Christ, lui, ne gravit pas les divers cieux qui le séparent du monde céleste pour accéder enfin à ce qui serait une lumière supraterrestre. La montée des âmes vers le Ciel de la perfection. Non.

Celui qui est enlevé possède déjà la gloire de la vie. Le ressuscité est enlevé à la vue de ses disciples, celui avec qui ils cheminaient durant 40 jours leur est aujourd'hui dérobé et on peut comprendre l'insatisfaction des disciples face à ce qu'ils peuvent considérer comme la frustration d'une présence. Ils ressentent un manque, ils ressentent un abandon. Pendant 40 jours ils étaient avec lui et aujourd'hui celui-ci part. On ne peut pas dire qu'il s'enfuit mais qu'il est dérobé, dérobé à leur vue, dérobé à leur présence, dérobé à leur amour, dérobé à leur désir. Or dans cet enlèvement, c'est Dieu qui est le sujet de l'action. Il agit à l'encontre du désir des disciples. Ceux-ci voudraient que leur seigneur demeure à jamais à leurs côtés, avec eux, qu'il continue à vivre avec eux pour leur parler du Royaume de Dieu. Mais Dieu décide de leur dérober cet homme qu'ils aiment tant. Dieu se heurte à leur désir de communion avec Jésus. Là où nous pourrions voir l'accomplissement d'une montée apothéose du héros Jésus, je dirai qu'il y a une intervention de Dieu, une intervention de Dieu pour séparer Jésus de ses proches, pour séparer Jésus de ceux qu'il aime, pour séparer Jésus de ses disciples.

C'est un enlèvement. C'est un enlèvement de notre prétention à saisir celui qui constamment nous échappe. Celui qui nous échappe est celui qui nous rejoint, nous visite, est avec nous. Et nous voyons là, comme les disciples, un trajet impossible entre Dieu et nous. Entre nous et Dieu. Parler de montée au Ciel - qui est notre désir le plus fort - équivaut à exprimer l'inaccessible, le non concevable, l'inexprimable. Nous pensons alors que seul un homme hors du commun, qui n'est déjà plus un homme, peut y prétendre. Même cela, si cela nous est refusé, même cela leur est refusé.

Le récit des Actes est le seul texte canonique décrivant la montée de Jésus au Ciel. Mais c'est une description extrêmement discrète. C'est une extrême discrétion, c'est un tableau sobre, trop sobre peut-être à nos yeux. Non, non, non, ce n'est pas l'apothéose du héros païen comme Romulus ou Mithra ni même les précédents bibliques comme ceux d'Hénoch ou d'Elie faisant intervenir le nuage stéréotypé. Certes il y a un nuage comme dans les théophanies, il y a aussi une parole angélique qui explique la scène mais le texte renonce à fournir du mystère une description purement réaliste, elle serait d'un goût douteux comme dans certains textes apocryphes. Non, le texte se limite à ce que nous pourrions considérer comme des données essentielles qui évoquent le sens, qui évoquent le sens de cette glorification terrestre du Christ. Celle-ci est inséparable de sa résurrection mais surtout elle est inséparable de sa crucifixion. Celle-ci oriente directement la vision donnée par l'Ascension. La croix lui confère son véritable mystère car c'est le crucifié, l'homme Jésus qui entre dans la gloire céleste. C'est le rejeté, le laissé pour compte, celui qui n'a rien pour attirer le regard, c'est celui-là, celui-là. Dieu l'a désigné pour donner un nouveau sens, une nouvelle traduction au mot gloire et aussi au mot ciel qui est considéré comme l'habitat de la divinité - car le mot ciel sert de métaphore pour désigner le lieu où réside la divinité. Or maintenant, depuis la crucifixion, depuis la résurrection, depuis l'Ascension, le Ciel n'est plus ce lieu inaccessible que l'on atteint par l'ascèse dans un dialogue personnel et privilégié avec Dieu. Le Ciel n'est plus le fruit d'un détachement mystique mais d'une rencontre mystérieuse avec celui qui est d'autant plus présent lorsque nous renonçons à l'enfermer dans un savoir initiatique qui serait réservé à quelques uns.

La vérité qu'il nous révèle est toute autre. La vérité qu'il nous révèle est plus proche de notre quotidien : ce n'est pas un au-delà de notre vie. Elle est au centre de notre existence cette vérité, elle n'est pas au Ciel, très loin, au-delà des nuages. Elle est là, elle est là tout près, toute proche, trop proche peut-être pour en percevoir la possibilité. Nous attendions l'impossible et c'est le possible que nous ne savons pas discerner. Or le crucifié qui est aussi le Christ triomphant de la mort - inaugure un monde nouveau, un mode nouveau de vie auprès de Dieu. Dès maintenant nous sommes appelés à entrer dans cette réalité nouvelle, cette réalité du monde nouveau où règne le Christ. Nous sommes invités à vivre d'une façon nouvelle qui soulève ce monde vers la transformation de gloire à laquelle Dieu l'appelle. Et c'est dans le texte des Ephésiens que nous avons lu tout à l'heure qu'il est dit que celui qui est descendu est aussi celui qui est monté, mais qui est monté plus haut que tous les cieux afin de remplir l'univers. On voit là la dimension cosmique de cet accomplissement. Plus haut que tous les cieux, plus haut que toutes les divinités inventées par les hommes, plus haut que l'humainement concevable, plus haut que nos désirs d'escalader le Ciel.

Gens de Galilée, pourquoi, pourquoi restez-vous là à regarder vers le Ciel ? Pourquoi ? Voilà la question qui est posée aux disciples qui ne se remettent pas de cet abandon. Ce Jésus avec qui ils avaient vécu 40 jours dans l'espérance de son Royaume, voilà qu'il leur est subtilisé pour leur montrer que le ciel, le Royaume, ce que nous désirons le plus n'est pas au-delà mais au cœur de nos vies. Il suffit sans doute d'écouter, de voir, d'être réceptif, de s'arrêter un instant, de cesser de s'affoler pour des choses inutiles et de comprendre ainsi, de comprendre toute une vie, toute une existence, de se comprendre totalement. Dire oui, dire oui à celui qui nous attend et qui nous montre un chemin qui n'est pas un chemin de perfection mais un chemin d'accueil, d'amour et de reconnaissance.

Amen.

 

Lecture de la Bible

Actes 1 : 1-11

Théophile, j'ai parlé, dans mon premier livre, de tout ce que Jésus a commencé de faire et d'enseigner dès le commencement jusqu'au jour où il fut enlevé au ciel, après avoir donné ses ordres, par le Saint Esprit, aux apôtres qu'il avait choisis. Après qu'il eut souffert, il leur apparut vivant, et leur en donna plusieurs preuves, se montrant à eux pendant quarante jours, et parlant des choses qui concernent le royaume de Dieu. Comme il se trouvait avec eux, il leur recommanda de ne pas s'éloigner de Jérusalem, mais d'attendre ce que le Père avait promis, ce que je vous ai annoncé, leur dit-il; car Jean a baptisé d'eau, mais vous, dans peu de jours, vous serez baptisés du Saint Esprit. Alors les apôtres réunis lui demandèrent: Seigneur, est-ce en ce temps que tu rétabliras le royaume d'Israël? Il leur répondit: Ce n'est pas à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. Mais vous recevrez une puissance, le Saint Esprit survenant sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, dans la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre. Après avoir dit cela, il fut élevé pendant qu'ils le regardaient, et une nuée le déroba à leurs yeux. Et comme ils avaient les regards fixés vers le ciel pendant qu'il s'en allait, voici, deux hommes vêtus de blanc leur apparurent, et dirent: Hommes Galiléens, pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel? Ce Jésus, qui a été enlevé au ciel du milieu de vous, viendra de la même manière que vous l'avez vu allant au ciel.