Joseph : interprète du salut

Matthieu 1:18-25

Culte du 8 décembre 2019
Prédication de Béatrice Cléro-Mazire

Vidéo de la partie centrale du culte

    La naissance de Jésus-Christ, ne semble pas être le coeur du problème que soulève ce texte de l’Évangile de Matthieu. 

    Seul le dernier verset du texte nous donne l’information d’un fils, né de Marie et auquel Joseph donna le nom de Jésus. Ce récit de naissance qui commence par : « voici comment arriva la naissance de Jésus-Christ » est en fait le récit d’un contexte problématique sur lequel de nombreux mots vont être posés et dans lequel Joseph semble être le personnage central, tout en étant le plus éloigné de la naissance à proprement parler. 

    Joseph n’est ni le père biologique de Jésus, ni son père adoptif, ni tout à fait encore l’époux de Marie, même s’il lui était promis. Il n’est donc relié à Jésus que par une parole qui le place au centre d’un problème dont il pourrait très vite s’extirper. 

    Le rôle de Joseph n’existe pas encore dans le récit d’accomplissement du salut de Dieu qu’entreprend l’auteur de l’Évangile de Matthieu. Ou plutôt, Joseph est représenté sur le point de rompre le seul lien qu’il a avec cette histoire en pensant répudier en secret celle qui lui est promise. 

   

    Ce fil ténu qu’est la parole donnée devient le seul lien de Joseph avec Marie et Jésus. Le récit de naissance qui nous est proposé est une méditation sur la vie et la puissance d’une parole.  

    Joseph peut choisir de remplir un rôle symbolique de père ou partir sans se retourner sur cette naissance d’un fils qui n’est pas de lui. C’est l’histoire de ce choix que nous raconte cette narration étrange dans laquelle tout ce qui est bancal, honteux, surnaturel, ou transgression semble aller de soi. Sans scandale ni exclamation, un homme est en train de changer d’avis sur une situation qui risque d’engager sa vie toute entière. 

    Plus que Joseph lui-même, c’est la parole qui est le personnage principal de ce récit. Une parole polymorphe qui, d’un engagement de mariage pris devant les hommes, devient secret honteux mais vertueux : Joseph veut répudier, mais pas publiquement. La parole se fait pensée, parole pour soi-même, balance de justice et conscience intime. 

    Puis la parole s’invite dans un rêve, et se personnifie sous les traits invisibles et pourtant évidents d’un ange : l’ange du Seigneur, dont le simple nom fait comprendre sa présence, sa fonction, son autorité. Le rêve lui-même est forme de parole, discours d’une conscience qui se laisse visiter par ce qu’elle ne peut comprendre ou accepter . Transgression d’une raison qui règle au grand jour les problèmes de la vie, le rêve emporte le rêveur dans les lieux où la solution est plus obscure, où rien n’est jamais vraiment réglé, mais seulement représenté dans une interprétation onirique. Lieu de l’intimité de soi avec sa représentation de soi, le rêve est une terre inconnue où l’inconnu s’invite, pour nous parler de possibles encore insoupçonnés. 

    La parole de l’ange est un récit dans le récit, une histoire déjà sue et qui, pourtant, n’est pas encore accomplie. On y parle d’une parole spirituelle : l’Esprit Saint, qui est capable de donner naissance aux enfants. On y parle d’un certain Jésus qui sauvera tout un peuple, et l’on convoque une autre forme de parole : cette fois, c’est une prophétie. Celle du prophète Esaïe qui annonce un futur qui se réalise dans le présent de Joseph. 

    Puis la parole se fait traduction : l’Emmanuel annoncé par le prophète est un code divin : Dieu avec nous ; mais aussi un pont entre deux traditions : celle de la Torah et celle de l’incarnation. Le Messie spirituel annoncé par les prophètes au peuple d’Israël devient un Messie humain vivant avec l’humanité tout entière. 

    Joseph a ouvert les portes du rêve à ce messager de sa foi ; il se permet toute les interprétations, tous les blasphèmes, toutes les transgressions, au coeur même de son héritage religieux et spirituel. Et si Marie, la femme qu’il s’apprête à répudier, devenait signe de salut ? Et si elle pouvait revêtir une autre signification que celle qu’elle revêt pour la société normée dans laquelle évolue Joseph ? 

    À son réveil, Joseph obéit à son rêve. Il inverse les normes du réel et de la fiction et accorde plus de vérité à son rêve qu’à sa condition empirique devant les hommes. 

    La parole se transforme alors en une chronique : Marie est la femme de Joseph et son enfant sera leur fils. Joseph sera père, donnant de son autorité le nom qu’il a choisi pour ce fils qui n’avait, jusque là, avant le rêve, aucun lien avec lui. Il restera un père de parole, un père symbolique, jusqu’à la naissance de l’enfant. Séparé, et en même temps, engagé pour cet enfant qui n’est pas de lui, mais qui lui est donné.

    Joseph ne dit rien. Il ne dit rien sur Dieu. Il n’a pas de théorie sur ce qui vient de se passer. Joseph ne revendique rien dans un éventuel plan divin. Joseph n’est pas théologien. 

    Joseph est exégète, interprète d’une parole qui se donne à lui sous des formes variées et qui n’épuise jamais tout ce qu’elle a à dire. D’une annonce angélique à une prophétie en passant par une histoire du salut, Joseph lit cette parole comme une Écriture sainte dont la clôture reste bel et bien le ventre de Marie : lieu secret d’un passé et d’un futur inconnus. 

    Joseph devient, par sa façon de recevoir cette parole, exégète de ce qui lui arrive. Il est celui qui, selon l’étymologie du mot exégète, « guide et conduit dehors » ce qu’il a, grâce à l’intelligence de sa foi, « lu et à l’intérieur ». Joseph est un maïeuticien de la grâce qui lui est donnée ; il est accoucheur de la parole de Dieu dans ce monde. Son rêve était sa gestation à lui. 

    Dans son texte : Peut-on parler de Dieu ? Rudolf Bultmann écrit : « Dans la foi, l’homme se comprend lui-même d’une façon nouvelle. Comme disait Luther, dans son interprétation de l’Épître aux Romains : en sortant de lui-même, Dieu nous fait rentrer en nous-mêmes ; en se faisant connaître à nous, il nous fait connaître à nous-mêmes. » 

( Rudolph Bultmann, Peut-on parler de Dieu? Éd. Des bergers et des mages, coll. Petite bibliothèque protestante. 1999.  p 59.)  

    Joseph a découvert des ressources intimes qu’il ne soupçonnait pas. Comme exégète, Joseph reçoit une parole qui devient pour lui une écriture, une mise en récit de sa propre vie, de ce qui lui arrive. 

    De la temporalité de l’événement qu’il vivait comme un surgissement, Joseph passe à la temporalité du récit de sa foi : il inscrit l’événement dans les promesses ancestrales des prophètes, il pose les mots de la foi sur les mots du quotidien, il synthétise en son rêve, ce qu’il doit être, ce qu’il croit, ce qu’il désire et ce que Dieu est pour lui. Cette interprétation intime des faits inavouables en paroles de salut relève d’une véritable gestion de crise. 

Dans l’inavouable, dans le secret du reniement, Joseph l’exégète va faire émerger la révélation du salut de Dieu. Un salut pour tout évènement inavouable, pour toute femme adultère, pour toute souillure. 

   

    Joseph est dans une « mécompréhension" de ce dont il a pourtant connaissance. Devant lui, deux interprétations s’opposent et se contredisent : Ou bien la femme qui devait devenir la sienne, en ayant été celle d’un autre rend impossible l’alliance entre lui et elle selon la morale de son temps ; ou bien l’enfant qui va naître peut devenir le sien contre les dictats de sa société et selon une foi dans l’amour de Dieu qui lui inspire une décision d’adoption dont lui seul a la clé de l’interprétation. 

    Entre ces deux membres d’une alternative, se joue une herméneutique de crise, propre à la foi. Une herméneutique, c’est à dire une interprétation à deux inconnues, qui n’a son pourquoi et son comment qu’en Dieu : pourquoi transgresser au nom de la foi des règles que la morale religieuse elle-même édicte, et comment vivre en société dans ce nouveau régime qui vous met à part ? 

    La raison, l'honneur de Joseph l’enjoint à répudier Marie, et la bonté l’enjoint de le faire en secret. Mais sa foi et son Écriture intime lui donne une nouvelle interprétation selon laquelle les normes jusque-là admises deviennent elles-mêmes impossibles à vivre. 

    Joseph a changé. Un enjeu assez grand pour le faire changer s’est présenté à lui : une vie, nouvelle, celle d’un enfant, celle de Marie, mais aussi la sienne. 

   

    La lecture croyante d’une tradition de foi n’est pas, on le voit ici, une science d’où sortirait tout prêt un savoir sur soi, ou sur Dieu. La lecture croyante interpelle le lecteur et l’appelle par son nom pour mieux l’engager : « Joseph ! Joseph !" 

    Joseph a lu les signes qui ponctuaient sa religion, il a écouté sa foi, et les dimensions de sa vie ont changé. Son action tout à coup n’était plus l’acte anodin d’un quotidien, mais une révélation du salut de Dieu accompli dans ce monde. 

    Que serait son acte de reniement au regard de l’éternité ? Une médiocrité à oublier ? Et que serait sa transgression des codes moraux de son temps au regard de la vie de cet enfant et de sa mère ? Peut-être bien un accès à l’éternité. 

    Être lecteur de la parole de Dieu, c’est être mis en demeure de l’accomplir dans ce monde par nos actes et nos choix. Il n’est pas de parole de foi qui n’engage. 

    Dans la gestation de sa fiancée, Joseph voit sa propre éternité se jouer. Quel homme sera-t-il au yeux de Dieu ? Et si le salut consistait justement à aimer au-delà de toute convention ? 

    Et si son rôle à lui, le père symbolique, était de sauver cet enfant de l’indignité, de l’illégitimité, en lui donnant un nom et donc un père au yeux des hommes ? 

    Et si donner un père humain devenait parole de salut en traduisant sur la terre la filiation divine de tout homme ? 

    Joseph, en étant l’exégète de son rêve, devient sauveur pour le monde. Il sauve une parole qui, sans lui, n’aurait pas émergé. Il place Jésus dans une lignée humaine pour que cet amour, qui coûte tant à l’honneur d’un homme, devienne la représentation de cet amour infini de Dieu. 

    La poésie du personnage de Joseph, tient dans la conversation qu’il entretient dans la foi avec le divin et qui échappe à la rationalité ordinaire, en lui échappant à lui aussi. 

    Le temps d’un rêve, le monde est transformé, et le salut en gestation dans le ventre de Marie s’apprête à naître. 

    En ce temps de l’avent, que faisons-nous des rêves qui nous annoncent le salut de Dieu ? Sommes-nous prêts à agir en fonction de ces rêves ? 

    Nos rêveries peuvent-elles devenir exégèse du salut ? Révélation qui engage nos actes ? 

    L’enfant que nous attendons ensemble dans la foi est enfant de l’Esprit Saint. C’est-à-dire, enfant de notre capacité à lire l’espérance d’un Dieu pour nous au milieu de nos rêves, de nos rencontres angéliques, de nos désirs de vie nouvelle. 

    Dieu nous interpelle chacun par notre nom, il nous appelle à accomplir la révélation que nous recevons à travers les Écritures. Les Écritures contenues dans la Bible, mais aussi les Écritures que nous découvrons dans nos vies à travers les mises en récits que nous faisons des événements qui nous arrivent.

   

    Joseph ne réapparaîtra pas dans les récits suivants. Personnage évanescent, il représente la parole qui n’a de force qu’en sa fragilité. Homme juste, homme qui tient parole, Joseph semble n’être là que pour porter l’ambiguïté d’une parole : force de transgression et force de tradition. Sans Joseph, Jésus n’aurait pas de lien avec le contenu des promesses de la tradition messianique ; mais avec lui, Jésus entre dans cette tradition par la voie de la crise.  

    Ce temps de l’avent est pour nous un temps de crise, et notre société porte sans cesse ce régime de crise en elle ; mais c’est au coeur de ce régime de crise que peuvent advenir les rêves les plus fragiles et les plus féconds. Il n’est pas vain de rêver ; par nos rêves, nos coeurs peuvent devenir lieu de gestation d’une parole fragile mais forte pour un monde meilleur. 

                        AMEN.       

Lecture de la Bible

Matthieu 1/18-25

18 Voici comment arriva la naissance de Jésus-Christ. Marie, sa mère, était fiancée à Joseph ; avant leur union elle se trouva enceinte (par l'action) du Saint-Esprit.
19 Joseph, son époux, qui était un homme de bien et qui ne voulait pas la diffamer, se proposa de rompre secrètement avec elle.
20 Comme il y pensait, voici qu'un ange du Seigneur lui apparut en songe et dit : Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre avec toi Marie, ta femme, car l'enfant qu'elle a conçu vient du Saint-Esprit,
21 elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés.
22 Tout cela arriva afin que s'accomplisse ce que le Seigneur avait déclaré par le prophète :
23 Voici que la vierge sera enceinte ; elle enfantera un fils Et on lui donnera le nom d'Emmanuel, ce qui se traduit : Dieu avec nous.

24 A son réveil, Joseph fit ce que l'ange du Seigneur lui avait ordonné, et il prit sa femme chez lui.
25 Mais il ne la connut pas jusqu'à ce qu'elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus.

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