Job, une figure de l’homo sapiens

Job 28:9-24

Culte du 1 juillet 2012
Prédication de pasteur James Woody

(Job 28:9-24)

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Culte du dimanche 1er juillet 2012 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, c’est une banalité de dire que les parents veulent ce qu’il y a de mieux pour leurs enfants. C’est une banalité pour les adultes, mais l’expérience montre que les enfants, eux, ne sont pas toujours convaincus que les parents font au mieux et que leurs réactions, les activités qu’ils proposent, les rythmes de vie qu’ils imposent, toutes ces petites choses qui peuvent passer pour des tracasseries aux yeux des enfants, sont à ranger dans la belle et grande case « c’est pour ton bien ». Comme à chaque génération, les parents se font du souci pour leur progéniture et, comme à chaque génération, les parents estiment que les temps sont plus durs, que c’était plus facile avant et qu’il faut donc être d’autant plus préparé à affronter la vie d’adulte. De quelle manière les parents aident-ils leurs enfants à se préparer pour la suite ?

Ce qui revient le plus souvent dans l’esprit et la bouche des parents est la question du métier : quel métier faire plus tard ? Le métier est à la fois une manière d’obtenir l’argent qui sera utile pour vivre, et une manière d’accomplir une grande part de son existence, de se réaliser. Pour avoir un métier intéressant, il s’agit d’apprendre des méthodes de travail, d’acquérir des savoir-faire et des techniques. Par cette éducation, l’enfant devient un homo faber, un être capable de travailler, de produire des biens de consommation, de réaliser des œuvres ou encore de faire progresser la connaissance du réel. Il est capable de transformer les montagnes en vallées, de faire passer des autoroutes au dessus du vide, de construire des barrages, d’éclairer le dessous de la mer et, si l’auteur du livre de Job avait bien voulu patienter 1500 ans, il aurait pu parler des protons, des quarks, de l’ADN, des ultra-violets, de la conquête de la lune, de Tweeter et autres joyeusetés techniques.

L’auteur du livre de Job aurait pu compléter sa liste et, néanmoins poser la même question : « la sagesse, où se trouve-t-elle ? » Depuis Job, l’histoire a montré que l’homo faber n’est pas automatiquement doté de la sagesse qui est le point sur lequel tout le livre de Job va tâcher de nous orienter. Pour le dire en une formule : on peut découvrir la fusion nucléaire le matin et envoyer une bombe H l’après-midi. La technique ne nous rend pas plus sage ; elle nous donne des moyens plus sophistiqués pour exprimer notre humeur du moment quand ce n’est pas notre folie.

La folie, d’ailleurs, sait-on bien ce que c’est ? Quand une personne est-elle folle ? Nous ne le savons toujours pas. Nous savons calculer la distance entre Mars et la Terre, mais nous ignorons ce qu’est la folie. Comme le philosophe Pascal nous pouvons dire que nous sommes tous fous ou alors décider d’une limite à partir de laquelle quelqu’un est fou. Mais les psychiatres ne retiennent pas ce terme qui est assez imprécis pour être, selon eux, non scientifique. Ceci pour dire que la technique, si elle est précieuse pour améliorer nos conditions de vie, n’est pas suffisante pour nous faire accéder à la meilleure part de nous-mêmes, à ce que la langue biblique nomme la sagesse. II n’y a là aucune dépréciation de la technique, aucune dépréciation du travail, aucune dépréciation des efforts déployés par les uns et les autres pour être de bons artisans, de bons ingénieurs, de bons scientifiques, de bons artistes, mais un avertissement pour ne pas faire de l’homo faber l’homme accompli ; pour ne pas faire du travail, de la technique, une idole. La sagesse est ailleurs, nous dit Job.

Homo cultor

Dans nos milieux, les parents misent sur un autre aspect de la vie : la religion. Non seulement nos enfants apprendront sérieusement un métier, mais ils auront une religion. Ils seront baptisés, ils iront au culte, ils recevront une instruction religieuse, connaîtront des textes bibliques, des prières, mangeront le pain et le vin de la cène et sauront chanter A toi la gloire les yeux fermés ! Cette fois, ce n’est plus l’homo faber, mais l’homo cultor, celui qui pratique un culte, celui qui sonde le Nil, celui qui offre argent, or, onyx, saphir à la divinité, et dont le grand prêtre se pare. Ces pratiques cultuelles du proche Orient ancien évoquées par le livre de Job, sans être disqualifiées, sont jugées étrangères à la sagesse. Les rituels ne transmettent pas la sagesse. Les rituels ne sont pas une garantie d’accéder au cœur de l’humanité accomplie.

La semaine dernière, Jean-Luc Mouton, qui a commencé sa mission en Côte d’Ivoire, nous racontait son effarement de constater que des personnes participant au même culte étaient capables de se voler mutuellement. Les rituels ne sont pas magiques. Le culte n’offre pas la sagesse, la culture ne suffit pas à nous rendre véritablement humains. En une formule, cette fois de Georges Steiner, l’histoire nous a montré que l’on peut jouer du Chopin le matin et allumer les fours crématoires l’après-midi. L’échec des rituels est de même nature que l’échec de la technique : l’homme, par ses propres efforts, ne peut accéder à la sagesse. Cela, l’apôtre Paul le dira également dans sa lettre aux Corinthiens en affirmant qu’on peut avoir une science hors du commun, la capacité de transporter des montagnes, qu’on peut distribuer tous ses biens pour la nourriture des pauvres, se faire brûler à la manière des martyrs, si nous n’avons pas l’amour, cela ne sert à rien.

L’homo faber, l’homo cultor, ne sont pas homo sapiens, du moins au sens biblique du terme.

Homo sapiens

C’est ce qu’explique le livre de Job en précisant que la sagesse n’est pas sur la terre des vivants. La sagesse n’est pas dans la technique, elle n’est pas dans la culture, elle n’est pas non plus génétique. Il n’y a pas un gène de la sagesse parce que la sagesse n’est pas une chose, ni une liste de chose. La sagesse n’est pas la loi dont il est promis, qu’un jour, elle sera dans le cœur de l’homme. La sagesse ne consiste pas en un quelque chose qui serait caché quelque part et qui serait réservé aux seuls initiés. En disant que la sagesse est cachée aux yeux des vivants, le livre de Job veut nous révéler qu’elle n’est pas visible, qu’elle n’est pas dans le domaine du sensible, que ce n’est pas quelque chose.

Parce qu’elle n’est pas dans le monde des vivants, la sagesse est donc quelque chose que nous ne pouvons pas posséder, ce n’est pas quelque chose que nous pourrions acquérir. Parce qu’elle dépasse la science, elle ne peut être définie ; parce qu’elle dépasse le culte, elle ne peut être représentée. Pour mieux comprendre ce que cela signifie, nous pouvons faire appel à un maître de sagesse, qui n’est pas biblique au sens strict du terme, mais qui fait largement écho à ce qu’expriment les textes bibliques. Confucius, ce chinois contemporain du rédacteur final du livre de Job, affirmait au sujet du sage : « il est sans idée » (Entretiens IX, 4). Confucius ne veut pas dire qu’un sage est un idiot qui n’aurait aucune idée. Ce qu’il veut exprimer, c’est que le sage n’a aucune idée en particulier, il n’en privilégie aucune au détriment des autres. Il n’est donc prisonnier d’aucune idée en particulier. Parce qu’il n’a pas une idée plutôt qu’une autre, le sage est celui qui peut les avoir toutes.

La sagesse n’étant pas là, immédiatement disponible, immédiatement saisissable, la sagesse est l’art de sortir de nos habitudes, de nos coutumes, de nos modèles, pour fréquenter d’autres référentiels. Et c’est là que nous retrouvons notre thème de la folie, présent en particulier sous la plume de l’apôtre Paul qui parle de la sagesse de Dieu qui est folie pour les hommes (1 Co 1/18, 21 ; 3/19). La sagesse, ici, est une attitude de l’homme vis-à-vis du monde. La sagesse est une posture conquérante qui rompt avec le déjà-là, avec le prêt à penser, avec le prêt à vivre. Il paraît que l’histoire ne repasse pas les plats, c’est heureux, car la sagesse biblique n’est pas une manière de réchauffer le repas d’hier ou de savoir à coup sûr quel menu il faut prendre. L’ensemble du livre de Job est une protestation contre les réponses toutes faites, contre les formules de catéchisme qui voudraient détenir la vérité. Le livre de Job est un éloge de la protestation contre la pensée commune des amis qui voudraient ramener Job à leur raison. Le livre de Job est l’expression d’une révolte qui est portée au statut de sagesse par Dieu lui-même qui jugera que Job a bien parlé, contre ses amis arc-boutés sur leur science et sur leur culte.

La sagesse qui émane de ce livre et qui fait de Job une figure du sage, de l’homo sapiens, nous indique que la sagesse est un rapport décomplexé et iconoclaste à l’égard du monde. Décomplexé car Job n’hésite pas à remettre en cause les orthodoxies de l’époque en vertu de ce qu’il expérimente au quotidien et qui est contradictoire avec le discours officiel. Iconoclaste car Job casse les idoles qui n’ont rien à nous dire, rien à nous apprendre de la vie, qui ne nous aident pas à vivre. Job ne vénère pas les reliques d’un passé glorieux. Sa sagesse consiste à interroger le réel et à s’ouvrir à tous les possibles qui s’offrent à lui avant de choisir la voie la plus juste. Parce qu’il prend conscience qu’il est sage de fréquenter l’Eternel pour trouver la bonne dimension de son existence, Job change de référentiel : il meurt d’une compréhension étriquée de la vie et ressuscite, et son histoire familiale avec lui, ultimement. Il ressuscite avec une foi que les professeurs Gagnebin et Picon qualifieraient à juste titre de foi insoumise. La sagesse développée par Job n’est pas une gymnastique pour apprendre à courber l’échine sans trop de douleur. Ce n’est pas une discipline qui nous apprend à avaler les couleuvres sans nous étrangler. La sagesse de Job est animée par cette foi insoumise qui dit non à ce qui opprime l’humanité pour dire oui à ce qui la libère. La foi biblique est insoumise parce qu’elle tire son autorité de Dieu et dès lors, un chrétien découvre qu’il n’a rien à conquérir, rien à mater, rien à soumettre parce qu’il a déjà reçu de Dieu ce dont il a besoin pour exister.

Voilà pourquoi cette sagesse nous fait changer de référentiel et nous permet de ne pas être du côté de ceux qui ligotent les consciences, mais du côté de Dieu qui libère les hommes et les autorise à être acteurs à part entière de leur vie. Cette sagesse est la seule qui soit capable de nous permettre d’affronter la vie sous tous ses aspects ; la seule qui nous permette de faire face aux événements absurdes, ceux qui n’ont pas de cause précise, ceux pour lesquels il n’y a pas un coupable identifiable. Cette sagesse nous permet de faire face à ce qui nous arrive parfois et qui n’est rattachable à rien du tout. Cette sagesse est efficace quand on est renvoyé à nulle part, quand les montagnes s’effondreraient et que les collines chancelleraient. Cette sagesse est efficace pour nous aider à surmonter ce qui est franchement inhumain et qui ne saurait donc se résoudre avec nos seuls moyens trop humains. La sagesse de Job nous révèle qu’on peut traverser l’horreur, mais elle n’est pas une recette de cuisine qu’il suffirait de reproduire à l’identique. C’est à ce prix que cette sagesse nous permet d’assumer les discontinuités de la vie, les moments de rupture, les moments de pure folie.

Amen

Lecture de la Bible

Job 28:9-24

L’homme porte sa main sur le roc,
Il renverse les montagnes
depuis la racine;
10 Il ouvre des tranchées
dans les rochers,
Et son oeil contemple
tout ce qu’il y a de précieux;
11 Il arrête l’écoulement des eaux,
Et il produit à la lumière
ce qui est caché.

12 Mais la sagesse,
où se trouve-t-elle?
Où est la demeure de l’intelligence?
13 L’homme n’en connaît point le prix;
Elle ne se trouve pas
dans la terre des vivants.
14 L’abîme dit:
Elle n’est point en moi;
Et la mer dit:
Elle n’est point avec moi.
15 Elle ne se donne
pas contre de l’or pur,
Elle ne s’achète pas
au poids de l’argent;
16 Elle ne se pèse pas
contre l’or d’Ophir,
Ni contre le précieux onyx,
ni contre le saphir;
17 Elle ne peut se comparer
à l’or ni au verre,
Elle ne peut s’échanger
pour un vase d’or fin.
18 Le corail et le cristal
ne sont rien auprès d’elle:
La sagesse vaut plus que les perles.
19 La topaze d’Ethiopie
n’est point son égale,
Et l’or pur n’entre pas
en balance avec elle.
20 D’où vient donc la sagesse?
Où est la demeure de l’intelligence?
21 Elle est cachée
aux yeux de tout vivant,
Elle est cachée aux oiseaux du ciel.
22 Le gouffre et la mort disent:
Nous en avons entendu parler.
23 C’est Dieu qui en sait le chemin, C
’est lui qui en connaît la demeure;
24 Car il voit
jusqu’aux extrémités de la terre,
Il aperçoit tout
sous les cieux.

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