Jésus et le lépreux ou la colère de Jésus
Marc 1:40-45 , Jean 10:11-21
Culte du 4 septembre 2011
Prédication de pasteur Louis Pernot
( Marc 1:40-45 ; Jean 10:11-21 )
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Culte du dimanche 4 septembre 2011 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Louis Pernot
Voilà un récit qui semble être un simple et beau récit de miracle, de guérison du Christ, mais en fait, ce texte est extrêmement embarrassant, tellement embarrassant que depuis deux mille ans, les copistes, puis les traducteurs ont voulu le corriger pour le rendre plus acceptable en édulcorant le texte.
Ce qui pose problème, c’est d’abord le quote 41: le texte habituel donne, « Jésus ému de compassion étendit la main », mais en fait les manuscrits les plus anciens ont tout à fait autre chose : « Jésus en colère, étendit la main ». Puis au quote 43, la plupart des versions disent quelque chose comme : « Jésus lui fit de sévères recommandations », alors que le verbe utilisé là signifie bien « s’irriter », « ressentir une violente émotion », et ce, d’une façon plutôt négative.
L’idée que Jésus ait pu se mettre en colère est évidemment dérangeante, et l’on comprend que les copistes aient voulu la remplacer par une autre plus conforme à l’idée que l’on se fait du Christ. Mais précisément, le texte présentant le Christ en colère qui est certainement l’original est extrêmement Intéressant : il donne une image de Jésus qui n’est pas lisse, loin de l’idée reçue qu’il aurait été tout doux, tout gentil, incarnation du « peace and love » des années 70, guérissant un peu tout le monde dans un immense élan de générosité et de compassion.
Il se pourrait bien, donc, que les choses ne soient pas si simples... et même que Jésus ait pu s’être mis en colère.
Il est vrai que ce serait contradictoire même avec son enseignement, lui qui a dit : « Quiconque se met en colère contre son frère est passible du tribunal » (Matt 5:22). Sans doute est-ce la raison pour laquelle cette colère de Jésus a semblé inacceptable à certains copistes ou traducteurs et ils ont aplati le texte. Mais en ce faisant, ils ont certainement fait disparaître un enseignement très essentiel de l’Evangile.
La question est donc de savoir s’il est possible de justifier, ou de comprendre la colère que Jésus ressent quand le lépreux lui demande de le guérir. Plusieurs pistes sont possibles.
On peut d’abord penser que cela serait dit simplement pour montrer l’humanité de Jésus. Peut-être, effectivement, avons nous là une réaction purement humaine, et qu’il a eu tort, peut-être aurait-il dû se montrer plus patient, mais cela peut nous rassurer, nous qui ne sommes pas parfaits. Jésus serait ainsi plus humain, plus proche de nous, plus apte à nous comprendre. Oui, même Jésus peut avoir des défauts, il n’est pas un sauveur lointain, et cela ne l’a même pas empêché d’être le Fils de Dieu. Voilà qui serait bien rassurant et encourageant.
Reste à savoir pourquoi il s’est mis en colère : on peut penser qu’il a été agacé de cette demande, de ce lépreux qui le touche et donc le contamine, et lui force la main d’une certaine manière... En effet, dès qu’il s’est approché, Jésus n’a plus le choix, il devient lui-même impur et condamné à rester à l’écart. Ou donc Jésus le guérit, ou il est condamné à être malade et exclu avec lui. La lèpre était en effet très contagieuse, et d’après la loi juive quiconque touchait ou était touché par un lépreux devenait lui même impur à son tour.
On peut comprendre donc que Jésus se mette en colère... mais il faut remarquer qu’il aidera quand même le malade. Même si il lui parle assez durement par la suite, Jésus renâcle, il montre son agacement, mais il fait quand même ce qu’il a à faire en dépassant son propre sentiment négatif, et ça, c’est peut-être l’essentiel.
Mais considérer que Jésus ait pu avoir une réaction aussi mauvaise est fort discutable, on peut donc préférer essayer de trouver une « explication » positive à cette colère, et essayer de voir ainsi comment on pourrait penser qu’elle puisse être bonne et justifiée.
Pour cela, on peut, en particulier, penser que Jésus n’est pas en colère contre le lépreux, mais qu’il a éprouvé un sentiment de révolte contre cette situation : cet homme souffrant, rejeté de tous, condamné à vivre hors de la ville, à ne voir personne, et rejeté même par sa propre religion au point qu’il n’avait même pas le droit d’aller au temple pour prier. C’est cela qui rend Jésus furieux, et il va donc réagir, il va le ré-intégrer, et lui donner le droit et l’ordre d’aller voir les prêtres.
On parle en effet aujourd’hui beaucoup de « tolérance », c’est bien la tolérance, si c’est le fait d’accepter des petites différences, qu’il y ait des protestants et des catholiques par exemple. Mais la tolérance en soi n’est pas toujours une vertu, il y a de l’intolérable, il y a des révoltes qu’il faut avoir, des combats qu’il faut mener, des « saintes colères » à avoir.
Le tout, c’est de bien savoir contre quoi on se met en colère, ne pas se tromper d’objet. Cela est vrai, mais de toute façon, il faut avoir une dynamique, et être mû par des sentiments forts.
C’est ce qu’exprime, par exemple, ce texte de San Antonio qui a été publié il y a quelque temps par la très sérieuse revue du Service Protestant de Mission :
Il n'y a qu'une vertu en ce monde : LA CHARITE !
Et la charité, c'est quoi ? De la colère !
Uniquement de la colère,
Car la charité consiste à s'indigner.
La charité, c'est pas de chialer sur la misère du monde, mais de la combattre !
La charité n'est pas humble, elle est belliqueuse !
La charité, c'est de l'amour !
Et en amour, faut pas s'aplatir, car çà, c'est inopérant et négatif !
La carpette ? Jamais ! Dieu a horreur des serpillières !
Cela dit cela n’explique pas tout : au V43, Jésus semble bien s’irriter contre lui, et le renvoie loin de lui. On peut justifier cela en disant que c’est plutôt bien, il ne cherche pas à le garder sous sa coupe, il l’autonomise, le rend à la société, et lui demande d’aller pratiquer sa propre religion, même si Jésus n’attribuait sans doute pas beaucoup d’importance aux sacrifices rituels du Temple. Jésus l’envoit au Temple pour l’aider à trouver la dimension spirituelle du geste purement matériel que Jésus a fait. Sa crainte, justement devait être de passer pour un guérisseur. Pour éviter cela, il invite le lépreux, une fois guéri à aller pus loin et à intégrer cela dans une démarche spirituelle.
Toutes ces justifications sont bonnes, mais n’expliquent pas que, quand même, Jésus traite durement le lépreux, pourquoi donc ? Sans doute, comme nous l’avons vu, le lépreux force-t-il la main de Jésus ce qui n’est pas très bon. Jésus va agir quand même selon son souhait, mais il sait que cela va lui coûter à lui un prix très très important. Il va se mettre à dos les prêtres, et surtout faire un acte l’identifiant au Messie. Guérir un lépreux, comme ressusciter un mot était en effet des signes attendus du Messie, il lui faudrait ensuite donc se justifier...
Et puis guérir un lépreux comme ça sans autre forme de procès était contraire à toute la religion de son époque qui voulait que la lèpre soit une sorte de volonté divine, une conséquence méritée du péché de l’intéressé. Le geste de Jésus est là très fort : il guérit le lépreux sans savoir s’il était quelqu’un de bien ou non, il le réintègre un peu de force dans la communauté d’où on l’avait exclu, sans aucun contrôle. Jésus à son tour va forcer la main de la communauté en s’arrogeant un rôle reconnu alors comme divin : celui de punir ou de lever une punition. Le lépreux le pousse donc à se révéler comme Messie sans doute un peu plus vite qu’il l’aurais voulu, un peu comme dans l’épisode des « noces de Cana » dans l’Evangile de Jean où Jésus hésite aussi en disant : « mon heure n’est pas encore venue »... mais finalement fait ce qui est attendu de lui.
On peut penser que Jésus semble vouloir minimiser les conséquences néfastes de son geste en disant au lépreux de ne rien dire à personne... Mais en même temps il demande d’aller l’annoncer aux prêtres, ce qui n’est pas très cohérent. Non il faut croire que Jésus assume les conséquences de son geste, mais veut juste éviter de passer pour un simple guérisseur. Jésus ne faisait pas de miracles pour faire une sorte de publicité, mais pour faire du bien à quelqu’un. Et nous voyons que même pour Jésus, faire le bien a un prix, prix qu’il payera de sa vie même.
Peut-être aussi, Jésus a-t-il été touché par la démarche du lépreux, on y trouve une sorte d’audace, de liberté, il transgresse la loi en venant vers Jésus alors qu’il aurait dû rester à l’écart, mais Jésus n’a que faire des convenances religieuses et des lois que les religions humaines imposent aux hommes. Ce qu’il voit, c’est sa détermination, son courage, sa liberté, il prend sa vie en main en se dirigeant avec confiance vers Jésus. Cela certainement lui a plu, et c’est pour ça qu’il a accédé à sa demande. Jésus en fait aurait pu refuser, il a montré dans bien d’autres situations qu’il était prêt à prendre des décisions difficiles quelles qu’en puisse être les conséquences. Il donne, certes, mais certainement pas sous la contrainte. Là se trouve la particularité du chrétien, il ne se laisse pas prendre par faiblesse, mais il donne. Ainsi Jésus dit-il dans l’Evangile de Jean : « Ma vie, personne ne me la prend, c’est moi qui la donne ».
La conséquence de tout cela sera une sorte de transfert : le lépreux sera purifié, il pourra aller dans la ville, mais c’est Jésus qui, d’après notre texte, deviendra chassé des villes et devra vivre dans les lieux déserts, exactement comme un lépreux. On ne peut qu’être saisi par le fait que l’on trouve là une illustration concrète du grand thème du « bouc émissaire » que l’on a en théologie souvent attribué à Jésus, lui qui meurt à notre place, qui se charge de notre péché, lui qui n’est pas pécheur, il meurt comme un pécheur, et c’est par cet acte de générosité que la grâce fait irruption dans nos vies de pécheurs et que nous sommes libérés des conséquences de notre péché.
Lecture de la Bible
Marc 1:40-45
Un lépreux vint à lui; et, se jetant à genoux, il lui dit d’un ton suppliant: Si tu le veux, tu peux me rendre pur.
41 Jésus, ému de compassion, étendit la main, le toucha, et dit: Je le veux, sois pur. 42 Aussitôt la lèpre le quitta, et il fut purifié.
43 Jésus le renvoya sur-le-champ, avec de sévères recommandations, 44 et lui dit: Garde-toi de rien dire à personne; mais va te montrer au sacrificateur, et offre pour ta purification ce que Moïse a prescrit, afin que cela leur serve de témoignage.
45 Mais cet homme, s’en étant allé, se mit à publier ouvertement hautement la chose et à la divulguer, de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer publiquement dans une ville. Il se tenait dehors, dans des lieux déserts, et l’on venait à lui de toutes parts.
Jean 10:11-21
Je suis le bon berger. Le bon berger donne sa vie pour ses brebis. 12 Mais le mercenaire, qui n’est pas le berger, et à qui n’appartiennent pas les brebis, voit venir le loup, abandonne les brebis, et prend la fuite; et le loup les ravit et les disperse. 13 Le mercenaire s’enfuit, parce qu’il est mercenaire, et qu’il ne se met point en peine des brebis. Je suis le bon berger.
14 Je connais mes brebis, et elles me connaissent, 15 comme le Père me connaît et comme je connais le Père; et je donne ma vie pour mes brebis.
16 J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cette bergerie; celles-là, il faut que je les amène; elles entendront ma voix, et il y aura un seul troupeau, un seul berger.
17 Le Père m’aime, parce que je donne ma vie, afin de la reprendre. 18 Personne ne me l’ôte, mais je la donne de moi-même; j’ai le pouvoir de la donner, et j’ai le pouvoir de la reprendre: tel est l’ordre que j’ai reçu de mon Père.
19 Il y eut de nouveau, à cause de ces paroles, division parmi les Juifs. 20 Plusieurs d’entre eux disaient: Il a un démon, il est fou; pourquoi l’écoutez-vous? 21 D’autres disaient: Ce ne sont pas les paroles d’un démoniaque; un démon peut-il ouvrir les yeux des aveugles?