Jésus et Jean-Baptiste

Matthieu 11:2-15

Culte du 18 avril 1982
Prédication de André Gounelle

Culte à l'Oratoire du Louvre

18 avril 1982
« De la difficulté d’être disciple »


Culte présidé par le professeur André Gounelle
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Prédication : De la difficulté d’être disciple

Frères et Sœurs,

Il n’est pas très facile de dire quelles ont été les relations exactes entre Jean-Baptiste et Jésus. Il est possible qu’à l’origine ils aient appartenu au même mouvement, qu’ils aient travaillé ensemble un certain temps, et qu’avant d’affirmer son autonomie et de prendre ses distances, Jésus ait fait partie du groupe des disciples de Jean. Il est certain que chacun d’eux a vu dans l’autre un envoyé et un serviteur de Dieu ; cependant, leur accord, leur estime, leur reconnaissance réciproque n’allaient pas sans réserves. Ainsi Jésus affirme que Jean-Baptiste est un prophète, le plus important de tous, mais, ajoute-t-il, « le plus petit dans le Royaume est plus grand que lui ». Aux yeux de Jésus, Jean était donc resté sur le seuil de l’Évangile, il n’avait pas vraiment franchi le pas. Le nouveau Testament nous raconte que de son côté, Jean-Baptiste, à plusieurs reprises et très clairement, a rendu témoignage à Jésus ; il le désigne comme « l’agneau de Dieu qui ôte le péché du monde », comme celui qu’il avait pour mission d’annoncer, et il déclare vouloir s’effacer devant Jésus : « il faut qu’il croisse et que je diminue ». Et pourtant, Jean ne s’est pas rallié à Jésus, il a poursuivi son action propre, continué son mouvement ; il a conservé des disciples qui ne deviendront pas des chrétiens ; après la mort du Baptiste, ils formeront une secte qui sera en rivalité, en concurrence avec l’Église naissante.

Notre texte de ce matin reflète bien cette ambiguïté des relations entre le Baptiste et Jésus. Il nous rapporte un épisode qui se situe à la fin de la vie de Jean. Depuis la prison où l’a enfermé Hérode, il envoie deux de ses disciples interroger Jésus. Ils sont chargés de lui demander : « es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » Question curieuse, étrange puisque Jean y a déjà répondu par ses déclarations antérieures, puisqu’il a publiquement affirmé que Jésus était le Fils de Dieu et le Messie attendu par Israël. Que signifie donc sa démarche ? Quels sont les motifs, les sentiments qui le poussent à l’entreprendre ? Comment l’interpréter ? Trois explications différentes ont été proposées par les commentateurs.

  1. La première se trouve chez Calvin. Pour le Réformateur, Jean n’éprouve aucun doute ; il n’est pas le moins du monde hésitant ni perplexe. Le Baptiste est certain que Jésus est le messie. Il n’a pas changé d’avis ; sa foi reste solide, inébranlable, sans défaillance jusqu’au bout. Alors pourquoi fait-il poser cette question à Jésus ? Ce n’est pas pour lui, répond Calvin, mais pour ses disciples. Ces hommes ont suivi Jean, se sont attachés à lui, et ne sont pas disposés à le quitter ; ils ont des réticences devant cet autre prédicateur qui a surgi, devant cet autre mouvement qui s’est développé à côté du leur. Jean regrette leur attitude, il déplore leurs réserves. Il décide donc de leur faire rencontrer Jésus, pour qu’ils le voient, l’entendent, pour qu’ils se convertissent à lui.
    Avant de mourir, Jean adresse ses disciples à Jésus, et leur indique ainsi la direction, l’orientation à prendre. Ruse, astuce du Baptiste pour que ses disciples s’attachent à lui, tel est, selon Calvin, le sens de cet épisode. Il faut reconnaître que ce n’est pas très convaincant. Les disciples de Jean ne jouent qu’un rôle mineur, ils ne sont pas du tout au centre de cette scène. Rien dans notre texte ne fonde ni ne justifie l’explication proposée par Calvin.
  2. Selon d’autres commentateurs, c’est la seconde explication, la démarche de Jean-Baptiste est liée à la situation critique qui est la sienne. Il est prisonnier, et ne se fait guère d’illusion sur le sort que lui réserve Hérode. Il sait qu’il risque d’être exécuté d’un moment à l’autre. Il est convaincu que Jésus est le messie ; comme beaucoup d’Israélites, il pense que le messie va renverser les pouvoirs politiques, qu’il va chasser les gouvernants impies ou païens pour établir le règne de Dieu ; ce sera un monde nouveau d’où les méchants auront disparu, où les croyants vivront dans la liberté et dans la joie. Pour le Baptiste, ce monde nouveau sera l’œuvre de Jésus, et sa venue est imminente. C’est ce qu’il a prêché et annoncé. Maintenant sa vie est en danger, il ne peut plus attendre, il faut que l’évènement se produise très vite pour le sauver. C’est pourquoi Jean envoie deux émissaires auprès de Jésus ; ils viennent lui demander de passer à l’action. Sa question est une véritable mise en demeure : « sors de l’expectative, ne diffère pas, ne retarde pas plus longtemps la venue du Royaume. Il y a urgence ; montre que tu es bien celui qui doit venir ». C’est un appel au secours, et un appel à déclencher l’insurrection que Jean adresserait donc à Jésus. Et alors, la réponse de Jésus serait un refus, une fin de non-recevoir : il ne s’agit pas de prendre le pouvoir, de provoquer une action violente, mais d’aider, de soulager ceux qui souffrent, les aveugles, les boiteux, les lépreux les sourds, les pauvres.
  3. Cette seconde explication est possible. Mais, en fin de compte, c’est la troisième qui me paraît la plus juste, la plus proche du texte, et c’est celle que, pour ma part, j’adopterai. Elle considère que la question de Jean-Baptiste est une vraie question ; elle exprime un doute, un embarras, une inquiétude qu’il ressent profondément. Il se demande vraiment qui est Jésus, et il ne sait pas ce qu’il doit penser. Au début du ministère de Jésus, Jean a vu en lui l’Envoyé de Dieu, et il l’a dit haut et fort. Mais au fur et à mesure que le temps passe, il s’interroge et se demande s’il ne s’est pas trompé, s’il n’a pas parlé trop vite. En effet, Jésus ne vit pas, ni n’agit comme il s’y attendait. Il est discret, il ne s’impose pas avec éclat ; il fréquente des gens douteux, des païens, des péagers, des pécheurs notoires ; il ne mène pas une vie d’ascète, mais il mange et boit avec eux. Au lieu de les menacer, de les invectiver, d’appeler le châtiment de Dieu sur eux, il les accueille, et les reçoit dans le cercle de ses intimes ; il ne cherche pas à soulever le peuple contre ses chefs. Bref, Jésus ne se conduit pas du tout en messie, et son comportement étonne, déconcerte et déçoit Jean. Sa démarche auprès de Jésus traduit son trouble et son insatisfaction. Il est vraisemblable que beaucoup de juifs pieux ont partagé cette perplexité, et ont éprouvé des sentiments mitigés à l’égard de Jésus. C’est probablement à eux que Matthieu pense quand il écrit son Évangile, et c’est pour eux qu’il raconte cet épisode, en espérant que la réponse de Jésus les éclairera.

Je crois que c’est la meilleure explication, la plus naturelle. La question de Jean-Baptiste traduit bien un doute, elle exprime une véritable interrogation. Après la question, il passe à la réponse : aux envoyés de Jean, Jésus déclare : « allez, annoncez à Jean ce que vous entendez et voyez, les aveugles recouvrent la vue, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent et l’Évangile est annoncé aux pauvres ! » Qu’est-ce que cela veut dire ? Que signifie cette réponse ? Pour la bien comprendre, il faut faire 3 remarques, noter 3 choses :

    1. D’abord, Jésus répond par des citations de l’Ancien Testament, plus précisément par des phrases tirées de divers passages de ce livre d’Ésaïe qu’il semble avoir beaucoup aimé. Entre parenthèses, en les citant, Jésus opère des coupures, il fait des suppressions. Ainsi, il saute les paroles d’Ésaïe sur la libération des prisonniers, omission qui a dû singulièrement frapper le Baptiste dans la situation où il se trouvait. De plus, Jésus passe sous silence tout ce que ces textes disent de la vengeance de Dieu et du châtiment destiné à ses ennemis. Jésus écarte menaces et condamnations pour ne garder que l’annonce de la grâce. Il n’est pas sûr que le Baptiste, dont la prédication fut violente, en ait été très satisfait. Quoi qu’il en soit, Jésus le renvoie à l’Écriture. C’est, je crois, une manière de lui dire : « mais si, je remplis bien le programme annoncé ; seulement ce programme n’est pas ce que tu crois. Il n’est pas cette manifestation de force et de puissance dont tu rêves. Il consiste avant tout à soulager les malheureux, à leur ouvrir une vie qui mérite d’être vécue. Regarde bien les textes : tu y verras que je fais ce que je dois faire, et que je suis bien celui qui devait venir ». Il faut donc que Jean se confronte avec les Écritures : alors il comprendra qui est Jésus.
    2. En second lieu, il faut souligner que Jésus ne renvoie pas seulement à des textes, mais aussi à des faits. Car ces aveugles qui retrouvent la vue, ces boiteux qui marchent, ces lépreux qui sont purifiés, ces sourds qui entendent, ces morts qui redécouvrent la vie, ces pauvres à qui l’Évangile est annoncé, ils ne sortent pas seulement des pages d’un vieux livre, ce ne sont pas de simples réminiscences littéraires ou des citations savantes. Mais ils sont là, en chair et en os ; ils entourent Jésus ; les envoyés du Baptiste peuvent les voir, leur parler et assister à des guérisons, à des résurrections. À côté du témoignage des Écritures, existe également celui des actes. Jésus invite Jean-Baptiste à constater ce qui se passe : il aide, il guérit, il délivre, il rend la vie. Toute cette activité au service des hommes montre bien que c’est l’œuvre de Dieu qu’il poursuit. S’il ne transforme pas les structures du monde, comme le voudrait Jean, par contre il transforme la vie des gens qui viennent à lui ; il change l’existence quotidienne d’hommes malheureux.
    3. Enfin, je remarque que Jésus compte sur l’expérience des envoyés du Baptiste. « Allez annoncer à Jean, leur dit-il, ce que vous entendez et voyez ». Il les appelle à témoigner, bien sûr, mais je crois qu’aussi et plus profondément, il les invite à discerner, à percevoir ce qui se passe, à s’ouvrir aux paroles et aux évènements pour en comprendre, pour en recevoir le message. Il me semble que Jésus demande ici à ces hommes de se faire une opinion personnelle, de se forger une conviction propre, de se laisser intérieurement persuader. Les textes et les faits ne suffisent pas ; il faut comprendre ce qu’ils veulent dire, il faut en percevoir et en recevoir le sens.

    Voir, entendre, ce n’est pas seulement constater, c’est aussi réfléchir, faire preuve de discernement, d’intelligence, dégager l’important de l’accessoire, c’est savoir accueillir l’essentiel dans son esprit et dans son cœur.

    Telle est donc la réponse de Jésus. Il nous faut maintenant pour terminer nous interroger sur l’actualité de cette réponse. Que pouvons-nous en tirer pour nous, pour notre vie, pour notre foi ?

    Il me semble que nous pouvons nous retrouver dans la question du Baptiste : qui est vraiment Jésus ? Que représente pour nous le prédicateur de Nazareth, le Ressuscité de Pâques ? Les chrétiens sont divisés quant à la réponse à donner à cette question, ils ne s’entendent pas sur les formules doctrinales qui définissent l’être, la nature et la personne du Christ. Quand nous discutons avec des athées, quand nous dialoguons avec des adeptes de religions non-chrétiennes, quand nous réfléchissons pour nous-mêmes, nous nous apercevons vite qu’il n’est pas très facile d’exprimer la réalité et la vérité de Jésus de manière claire, convaincante et juste.

    Certes, on trouve dans le Nouveau Testament des réponses nettes et catégoriques à notre question : Jésus est le Christ, le Messie, le Fils de Dieu vivant, le Sauveur du monde. C’est vrai ; mais ces affirmations, si justes, si nécessaires soient-elles, risquent de devenir pour nous des phrases toutes faites, des formules que nous répétons machinalement sans en mesurer la portée ni le sens, sans bien savoir ce qu’elles veulent dire. Ce qui m’intéresse, me touche, m’interpelle dans notre texte de ce matin, c’est qu’il ne nous propose pas une formule, mais qu’il nous invite à une recherche, à une quête qui doit sans cesse être reprise, qui n’est jamais achevée, qui est l’affaire de toute notre vie. Nous avons toujours à découvrir à nouveau Jésus, même quand nous le connaissons ou quand nous croyons le connaître très bien.

    Jésus nous invite donc à chercher, et il indique les trois directions dans lesquelles cette recherche doit se faire pour aboutir, pour réussir.

    D’abord dans la Bible : en méditant, en étudiant les Écritures, nous apprendrons à le connaître, sa personne et son œuvre s’éclaireront pour nous. Ensuite dans la réalité ; il est celui qui transforme des vies, qui change des existences, et son action parmi les hommes peut se constater. Enfin, en nous-mêmes, car il agit aussi en nous ; chaque jour, nous pouvons expérimenter que nous sommes ces malheureux soulagés, ces infirmes guéris dont parlent le prophète et l’Évangile. Nous sommes ces aveugles à qui Jésus fait voir la lumière divine, ces sourds à qui il fait entendre la Parole de Dieu, ces boiteux qu’il fait marcher dans les chemins du Seigneur, ces souillés qu’il purifie, ces morts qu’il appelle à la vie, ces pauvres qui reçoivent l’Évangile. La Bible, la réalité, et l’expérience se rejoignent pour nous dire : vous ne savez peut-être pas très bien qui est Jésus mais voilà ce qu’il fait : il aide à vivre, il apprend à aimer, il nous ouvre l’Éternité. C’est cela l’essentiel.

    Amen.

    Lecture de la Bible

    Évangile selon Matthieu 11, 2-5

    Or Jean, dans sa prison, avait entendu parler des œuvres du Christ. Et il envoya dire par ses disciples : "Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ?"

    Jésus leur répondit : "Allez annoncer à Jean ce que vous entendez et voyez : les aveugles recouvrent la vue, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent et la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres."

    Ésaïe 35, 4-6

    Dites à ceux qui ont le cœur troublé : "Prenez courage, ne craignez point ; voici votre Dieu, la vengeance viendra, la rétribution de Dieu ; il viendra lui-même, et vous sauvera. Alors s'ouvriront les yeux des aveugles, s'ouvriront les oreilles des sourds ; alors le boiteux sautera comme un cerf, et la langue du muet éclatera de joie. Car des eaux jailliront dans le désert, et des ruisseaux dans la solitude.

    Ésaïe 61, 1-2

    L'esprit du Seigneur, l'Éternel, est sur moi, car l'Éternel m'a oint pour porter de bonnes nouvelles aux malheureux ; il m'a envoyé pour guérir ceux qui ont le cœur brisé, pour proclamer aux captifs la liberté, et aux prisonniers la délivrance ; pour publier une année de grâce de l'Éternel, et un jour de vengeance de notre Dieu ; pour consoler tous les affligés.