Imagine et recommence !

Psaume 8 , Jean 15:26-16:4 , Romains 5:1-5

Culte du 16 juin 2019
Prédication de Jean-Pierre Rive

Vidéo de la partie centrale du culte

Il flotte comme un parfum de fin du monde sur nos têtes. De toutes parts, nous sommes alertés par les dangers qui montent autour de nous, de toutes parts, nous sommes informés des drames qui se jouent tout près de nous, à nos frontières, ou très loin, mais finalement très près par les images ou les quelques heures d’avion qui nous mèneraient au cœur même des événements ; nous ne pourrons pas dire à nos enfants, à nos petits enfants que nous ne savions pas ; saurons-nous être pour eux de bons ancêtres qui leur auront légué autre chose que des injustices, des dettes et des déchets ? Et ici que l’on ne balaie pas d’un revers de manche ces faits, en taxant de pessimisme ceux qui relaient avec persévérance ces informations, qui certes nous gênent un peu.

Mais je n’ai pas envie ce matin d’énumérer dans une espèce de litanie culpabilisante ce à quoi je fais allusion, il suffit comme le demandaient les prophètes d’Israël d’ouvrir ses oreilles, d’écarquiller les yeux et la réalité apparaîtra dans toute sa vérité, dans toute son autorité.
Alors bien sûr cette réalité peut provoquer chez nombre d’entre nous une sidération paralysante, un sentiment d’impuissance tenace, une forme de déprime mortifère, désespérée en face de l’avenir qui nous attend.

C’est comme si nous étions en train de perdre ce monde qui est le nôtre, comme si le socle de nos existences de nos histoires personnelles ou collectives se dérobait sous nos pieds. Certains à ce sujet ont dit d’ailleurs que ce n’était pas tant le monde qui était en train de se perdre, mais le monde commun, celui qui faisait que quelles que soient les difficultés à franchir, les obstacles à lever, les conflits à dépasser, nous habitions un monde où rien ne pouvait arriver sans que d’autres avec nous, pour le pire comme pour le meilleur n’y soient impliqués ; le paradoxe est immense, à l’heure où nous mesurons avec force l’interdépendance mondialisée de nos actes, chacun de nous vit un peu dans son monde propre, dans une espèce de solipsisme, prégnant, un individualisme poussé à son paroxysme, dont nos smartphones, producteurs permanents de mondes virtuels, sont un des symptômes les plus marquants. Il suffit de se déplacer dans nos transports dits « en commun », pour expérimenter à quel point chacun de nous est dans « son monde », si bien que le moindre geste de solidarité, de sympathie, heureusement il y en a encore, passe pour un miracle, quand ce n’est pas pour une déviance provoquant l’interrogation, la surprise et l’étonnement.

Je parlais de sidération, d’impuissance. On pourrait parler de désespérance, comme si l’avenir d’une vie commune féconde était définitivement occulté. Tous, nous ne réagissons pas de la même manière, les uns croient encore à la bunkerisation de nos sociétés indécemment prospères, les autres se laissent aller à toutes les jouissances sans lendemain dans un geste indifférent proche du « Après nous le déluge » déjà dénoncé il y a des lustres par des essayistes de renom ; d’autres encore s’enlisent dans une triste neurasthénie morbide et suicidaire. Et puis il en reste quelques uns, un petit reste comme toujours, dans ce temps qui reste, dans cette imminence de l’irruption d’un chaos, d’une catastrophe, d’une apocalypse ; il y a, comme déjà les prophètes l’avaient vu, un petit reste qui d’ailleurs ne demande qu’à devenir innombrable, un reste qui au cœur même de l’absurde et du non sens, se tient debout, cherche du sens, prend soin de l’autre, des autres, de tous les autres, de ce monde qui pourrait nous demeurer commun.

Alors, c’est ici que notre incorrigible tropisme vers le texte biblique nous entraîne, ceci n’est pas un détail. A l’heure où dans une espèce de relativisme généreux certains vont chercher du sens dans des spiritualités exotiques, se tourner vers le texte biblique est une première marche vers la confiance en un avenir porteur de fruits. Tout simplement parce que ce texte, du début à la fin, parle de l’homme, de la femme, des peuples, de la paix attendue, de la justice réalisée, de la fraternité retrouvée, et surtout il parle de Jésus-Christ, cet homme de Palestine – Ecce Homo, a dit Pilate – icône de l’humanité accomplie dans sa plénitude : celle que nous attendons ici et maintenant.

Alors, ce matin, dans ce monde commun, dans cette communion qu’est l’Église, trois textes nous sont proposés, qui peut-être vont nous donner quelques signes sur cette piste incertaine qui dans la forêt de nos errances, s’ouvre devant nous. Tout d’abord ce psaume que nous évoquons souvent dans nos liturgies, qui est un hymne à la création et qui pose l’homme, y compris dans son enfance, non seulement comme le gardien d’un bien inestimable, mais comme celui qui en donne tout le sens ; et l’auteur a pour sentiment, qui le détermine fondamentalement la gratitude, la reconnaissance : l’homme peut être heureux tout d’abord de vivre dans le monde, ce n’est pas rien. Ce psaume comme beaucoup d’autres attribué à David, signale au passage que la vie n’est pas simple, qu’elle est même dangereuse, David en savait quelque chose d’ailleurs, mais que par-dessus tout, il faut se réjouir, être dans une espèce de joie imprenable, indélébile, dans cette création qui nous est offerte. Dans notre monde souvent désabusé, désespéré, il est bon de se planter fermement dans ce Oui inconditionnel, dans cette reconnaissance, dans cette confiance, fermes et généreuses, en ce don qui se présente à nous. C’est là la fondation de tout ce qui par la suite peut advenir, c’est là notre foi première.

Et puis il y a ce texte de l’évangéliste Jean, un texte qui nous rappelle que cette foi n’est pas un long fleuve tranquille, qu’elle n’est pas un confort d’habitudes et de certitudes. La foi ne se mérite pas certes, elle a un coût même ; tout près de nous, Dietrich Bonhoeffer nous l’a rappelé par ses écrits et par sa vie. Cette terre créée, ce monde offert, ont été abîmés, se sont abîmés dans l’obstination de l’homme à ne pas accueillir dans la gratitude les bienfaits d’un présent qui était sans tâche. Et dans cette ingratitude qui s’est crue souveraine, la méfiance s’est installée, est devenue notre mauvaise conseillère. Aussi les disciples, ces témoins, ces héritiers survivants de la confiance originelle, ne peuvent que résister à ce qui aussi bien sous la Rome impériale qui avait exilé Jean, que comme sous le joug de nos empires contemporains, nuit à une vie apaisée, heureuse, et digne pour tous.

Si la foi est d’abord gratitude, reconnaissance, Oui à cette création confiée à notre liberté, elle est fermement, décidément Non à ce qui l’abîme ; elle est un chemin de résistance sans complaisance qui s’oppose à cette trahison de ce qui est la vocation de l’homme en son sein. Il y a de saintes colères nécessaires en face de ce que nous pouvons entendre et voir. Et puis il y a ce texte de Paul aux Romains, cet hymne à la paix, par delà ce Oui contrarié, par delà ce non obligé, il y a cette promesse d’une paix, d’une réconciliation qui de toute façon inaugurera des commencements, des recommencements bienfaisants. Il y a eu, il y a, il y aura toujours une terre promise, un horizon d’espérance que rien ni personne ne pourra abolir, et cette promesse n’est pas un opium destiné à nous faire patienter, mais le geste actuel sans cesse répété d’un surgissement de la vie, là même où elle est la plus bafouée. Comme hier, comme aujourd’hui, et encore demain, il y aura toujours des appelés pour être témoins et acteurs de cette paix de cette réconciliation ; disciples de Jésus-Christ, ou pas, membres de l’Église visible, mais aussi invisible, il y aura toujours et nous pouvons en être, des porteurs de flambeaux de ce combat, douloureux parfois, inconfortable souvent, mais toujours apaisé, pour que parmi nous, autour de nous, la paix profonde qui inonde les cœurs trace son sillon.

Si l’on voulait résumer ce qui vient d’être dit, je dirais qu’en fait notre existence est en tension entre trois dimensions, trois pôles que je qualifierai ainsi. Il y a la gratitude envers ce qui a été reçu, ensuite la colère contre ce que parfois nous en avons fait, et enfin la paix, qui sans cesse nous est redonnée, lorsque les combats ont été menés. Et ici autorisez-moi brièvement à parler de la Trinité. Ne sursautez pas et que personne ne se sente provoqué. Je veux en parler d’abord parce qu’aujourd’hui dans la liturgie de nos frères catholiques romains, c’est la fête de la Sainte Trinité. Mais au-delà du dogme ancien, il y a quelque chose de plus important. Notre Dieu n’est pas le Dieu d’un monothéisme rigide, omnipotent là-haut dans un ciel lointain, et peut-être bien source de nombreux totalitarismes. Il est un mystère que nos prédécesseurs, les Pères de l’Église, et même les réformateurs dans la suite de certains conciles anciens ont adopté et ce faisant, ont essayé d’expliciter dans des formulations bien obscures il est vrai aujourd’hui. Pourtant, il en demeure quelque chose d’essentiel ; quand nous confessons la Trinité, en fait nous affirmons trois choses, celles-là même que nous venons de dire.

Il y a le Père qui nous a donné la création pour lequel nous exprimons notre reconnaissance qui nous fait dire Oui, c’est une bonne chose que de vivre dans ce monde. Et puis, il y a le Fils, le Fils en colère contre ce qui est arrivé, celui qui chasse les marchands du Temple, qui pleure sur Jérusalem ses injustices et ses trahisons, et qui mène le combat contre tout ce qui a été abîmé. C’est cette colère qui est salutaire. Et puis, il y a l’Esprit, l’Esprit Saint, qui est cette présence continue, de ce Oui et de ce Non, dont nous sommes désormais les porteurs en vue des recommencements sans fin pour que l’humanité, réconciliée, consolée, vive dans la justice et la paix. Le royaume de paix, dont nous sommes les héritiers, mais aussi les redevables, nous impose non seulement d’être des hommes et des femmes de célébration et de louange, de parole, d’annonce, de proclamation, mais aussi de création, recréation incessante de ces espaces et de ces temps où la paix et la justice règnent pour la joie de tous.

Alors maintenant il me reste à dire un peu plus. De même que chacun de nous est appelé à traverser son existence selon les circonstances, dans la confrontation avec ces trois regards portés sur le monde, il demeure pour l’Église dans la persévérance et la fidélité à celui qu’elle a choisi pour maître de porter toujours et encore une bonne nouvelle fusse-t-elle annoncée dans un monde dont nombreux sont ceux qui annoncent la fin.

La fin d’un monde n’est pas la fin du monde, disait déjà Saint-Augustin, et aujourd’hui alors que les alarmes se multiplient, tournons à nouveau nos regards vers Paul, cet apôtre dont on peut dire qu’il fut sinon contestable, du moins contesté, mais qui dans son humanité rongée de contradictions, sut dire à ceux-là mêmes qui sombraient dans des délires, affolés par l’imminence d’un avenir trouble, qu’il y avait toujours un chemin de vie, une ligne de crête à parcourir au milieu des abîmes et des précipices menaçants. Et précisément, au-delà du texte aux Romains, je pense à ce passage de la première Epître aux Corinthiens où Paul met en avant cette formule si souvent reprise dans l’histoire de l’Eglise qui signifie en une synthèse éclatante, qu’il nous faut vivre maintenant « comme s’il n’en était rien », oserais-je interpréter. Ces Corinthiens déboussolés entre l’attente d’un royaume qui tarde, la vue d’une société de moins en moins régulée, ne savaient plus où donner de la tête et savaient encore moins quoi annoncer, quoi proclamer, et comment agir ; et Paul tente de leur redonner confiance et pour lui, cette confiance s’enracine dans ce que plus tard on appellera les trois notes qui caractérisent la vie de l’Eglise, trois notes qui sont le miroir de ce que nous venons d’évoquer, trois notes qui sont la partition de ce qu’il nous faut vivre quelles que soient les circonstances. La première est la nécessité de la célébration, la nécessité de ce rite commun que sont nos rassemblements liturgiques. Par cette réunion, nous attestons que nous avons un monde commun à partager, qu’il est bon et beau et qu’il faut comme avec le psalmiste, en être reconnaissant.

Etre disciple de Jésus-Christ n’est pas qu’une affaire intime, c’est un geste communautaire dans lequel il faut persévérer, d’autant plus qu’il ne s’agit plus simplement de célébrer la Création, mais en plus il s’agit de célébrer la vie, la mort et la résurrection de celui qui lui a donné son sens ultime. Et de plus, il s’agit en sortant de nos murs, de prononcer devant tous, publiquement, cette parole salvatrice, fusse-t-elle teintée de colère, qui, quelles que soient les lucidités dérangeantes du moment, ou les mensonges qui lui résistent, atteste qu’une espérance demeure une espérance qui redresse les sentiers tordus, qui aplanit les montagnes infranchissables. C’est un peu comme si après la mise en scène de cette attente, que nous célébrons entre nous, nous procédions à une mise en parole pour que d’autres, beaucoup d’autres puissent l’écouter, l’entendre, et en être au bénéfice. Mais après cette mise en scène et cette mise en parole, il importe que la mise en œuvre soit réalisée. L’Eglise ne peut se contenter de sa liturgie, au risque d’en faire une routine stérile, l’Eglise ne peut se contenter de sa parole prophétique au risque d’en faire une incantation irresponsable, l’Eglise pour obéir à la plénitude de sa vocation se doit d’être servante, diaconale, aller sans cesse vers les plus fragiles, les plus vulnérables, les naufragés de ce monde parfois si injuste, si douloureux, et même si criminel.

Alors, au lendemain de cette Pentecôte, qui nous a établis dans la ferme certitude que l’Esprit ne renonce jamais, que l’Esprit nous habite, qu’il est sur nous, avec nous, nous saurons avec Marie que bientôt les humbles seront comblés de joie, que les orgueilleux et les tyrans seront renversés, que toutes larmes seront essuyées.
Alors célébrons ici cette promesse, témoignons avec zèle sans répit, de sa vérité, et mettons en œuvre sans tarder des signes visibles pour que tous soient dans la joie imprenable du Royaume de Paix et de justice qui vient.
En célébrant cette promesse, nous libérerons notre parole dans un monde prisonnier des lendemains sans horizon, et de même que Martin Luther King avait rêvé d’une monde autre, il nous est donné d’imaginer un avenir fraternel juste et paisible, et d’en poser les signes inconcevables, inattendus pour ceux qui n’ont pas la confiance nouée aux entrailles.

Ma sœur, mon frère, imagine-le ce monde, commence-le, recommence-le, il est déjà venu, il vient sans tarder. Il est là, sois-en le ferment.

Amen

Lecture de la Bible

Psaume 8
1 Psaume appartenant au répertoire du chef de chorale et au recueil de David. Accompagnement sur la harpe de Gath.

2 O Seigneur, notre Maître,
que ta renommée est grande sur toute la terre !
Ta majesté surpasse la majesté du ciel.

3 Mais c'est la voix des petits enfants, des tout petits enfants,
que tu opposes à tes adversaires.
Elle est comme un rempart que tu dresses
pour réduire au silence tes ennemis les plus acharnés.

4 Quand je vois le ciel, ton ouvrage,
la lune et les étoiles, que tu y as placées,

5 je me demande :
L'homme a-t-il tant d'importance pour que tu penses à lui ?
Un être humain mérite-t-il vraiment que tu t'occupes de lui ?

6 Or tu l'as fait presque l'égal des anges,
tu le couronnes de gloire et d'honneur.

7 Tu le fais régner sur tout ce que tu as créé :
tu as tout mis à ses pieds,

8 moutons, chèvres et bœufs, et même les bêtes sauvages,

9 les oiseaux, les poissons, et tout ce qui suit les pistes des mers.

10 O Seigneur, notre Maître,
que ta renommée est grande sur toute la terre !

Jean 15/26-27, 16/1-4
26  Quand viendra le Défenseur, celui que, moi, je vous enverrai du Père, l'Esprit de la vérité, qui provient du Père, c'est lui qui me rendra témoignage ;
27 et vous aussi, vous rendrez témoignage, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement.
1  Je vous ai parlé ainsi afin qu'il n'y ait pour vous aucune cause de chute.
2  Ils vous excluront des synagogues ; l'heure vient même où quiconque vous tuera pensera offrir un culte à Dieu.
3  Et ils feront cela parce qu'ils n'ont jamais connu ni le Père ni moi.
4  Je vous ai parlé ainsi pour que, l'heure venue, vous vous souveniez que, moi, je vous l'ai dit.

Romains 5/1-5
1  Etant donc justifiés en vertu de la foi, nous sommes en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ ;
2  c'est par son entremise que nous avons eu, par la foi, accès à cette grâce dans laquelle nous nous tenons, et que nous mettons notre fierté dans l'espérance de la gloire de Dieu.
3 B ien plus, nous mettons notre fierté dans les détresses, sachant que la détresse produit l'endurance,
4  l'endurance une fidélité éprouvée, et une fidélité éprouvée l'espérance.
5  Or l'espérance ne rend pas honteux, puisque l'amour de Dieu a été répandu dans notre cœur par l'Esprit saint qui nous a été donné.

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