Garde ton cœur

Proverbes 4:23

Culte du 23 juin 1940
Prédication de André-Numa Bertrand

Culte à l’Oratoire du Louvre

23 juin 1940
Garde ton cœur

Sermon du pasteur André-Numé Bertrand.

Garde ton cœur plus que toute autre chose,
car c'est de lui que vien-nent les sources de la vie.
Proverbes IV, 23.

Les évènements de ces dernières semaines n'ont pas seulement bouleversé notre vie intérieure et meurtri notre cœur, ils ont aussi marqué d'une empreinte profonde et qui sans doute ne s'effacera plus, notre vie intérieure jusque dans ses profondeurs religieuses : et il est bon que nous prenions conscience de cette dépendance réciproque de notre vie et des événements que nous vivons : une vie chrétienne qui ne subirait pas le contre-coup de la vie réelle, aussi bien qu'une vie chrétienne qui ne mettrait pas sa marque sur nosx existence, nxtre vie quotidienne, se révèlerait comme une chose artificielle et sans réalité profonde. D'autre part, il est naturel que, meurtris par le monde, nous ne repliions sur nous-mêmes, et que n'ayant plus qu'un asile inviolable et inaccessible à la violence des choses, notre cœur, nous veillions sur lui avec une particulière attention. Le bonheur trop souvent disperse notre attention sur les objets extérieurs, il nous laisse croire à une sorte de bienveillance du monde et des choses, qui fait que nous nous laissons envahir par elles, et que nous sommes portés à vivre hors de nous-mêmes. Le malheur nous replie sur nous même, il nous apprend à défendre âprement notre trésor intérieur, et à garder ce cœur, chose précieuse entre les plus précieuses, source de la vie, déjà parce qu'il est le lieu dans lequel nous nous rencontrons avec nous même, et plus encore parce qu'il est le lieu où s'accomplit notre contact, notre rencontre avec Dieu.

Aussi l'exhortation qui nous vient du fond des Écritures: "Garde ton cœur plus que toute autre chose, car c'est de lui que viennent les sources de la vie", est-elle aujourd'hui plus actuelle que jamais, et je voudrais dire avec vous ce matin ce que doit être cette garde du cœur par laquelle nous sauvegardons en nous les sources mêmes de la vie.

Je dirai d'abord brièvement qu'il faut le garder contre les forces du dehors. Il faut donner à notre vie intérieure des aliments sains, ou pour prendre une autre comparaison, puisqu'il s'agit d'une source, il faut prendre garde que riren d'impur ne vienne la souiller. Ce que l'Écriture appelle "notre cœur", ce n'est pas seulement ce que nous appelons ainsi dans le langage courant, c'est-à-dire l'organe de notre sensibilité, cette partie de notre être qui éprouve la douleur ou la joie, et que nous distinguons volontiers de notre cerveau, organe de la pensée ; le cœur ici, tout l'ensemble de notre être intérieur, celui qui souffre mais aussi celui qui pense et qui veut, celui qui aime Dieu et les hommes mais aussi celui qui connaît la vérité et réalise le bien par son effort. C'est cette réalité profonde, d'où ruissellent toutes les sources de la vie religieuse, morale, intellectuelle autant que sensible, qu'il s'agit de protéger contre tout ce qui pourrait détruire notre équilibre intérieur, rompre cette paix du cœur en dehors de laquelle nous ne pouvons plus réaliser notre contact avec Dieu.

Il faut prendre garde que le choc des événements, et plus encore l'ébranlement de simples possibilités ou suppositions dont la vie encombre notre esprit, vienne jeter en nous le trouble, le découragement ou la colère. Il est naturel que dans notre situation, coupés du reste de la France, et pour beaucoup d'entre nous coupés de ceux que nous aimons le plus intimement, nous ayons soif de nouvelles, que nous voulions savoir et que par conséquent nous accueillions tout ce qu'on nous offre. Prenons garde, veillons sur notre cœur, ne laissons pas entrer en nous n'importe quel bruit mal contrôlé, ne soyons pas à la merci de tout ce qui se dit ou tout ce qui se lit, sachons dominer ce fatras, au lieu de nous laisser dominer pas lui ; sans quoi ballotés d'une impression à l'autre, nous ne serons plus maîtres de notre cœur, il sera la proie de forces adverses qui nous arracherons cette royauté sur nous-même qui est le dernier refuge de notre liberté de chrétiens.


Mais c'est surtout contre nous-mêmes qu'il faut nous garder, contre les forces intérieures de dissolution, car rien ne peut atteindre un cœur chrétien qui a remis entre les mains de Dieu la garde vigilante qui doit être assurée sur lui-même, aussi longtemps qu'il ne se trouble pas lui-même. Mais si nous nous troublons nous-mêmes, ou si l'on veut, si nous ouvrons au trouble les portes de notre cœur, toute notre vie qui a sa source en lui en est troublée elle-même.

Il faut nous garder d'abord contre l'esprit de récrimination et d'amertume. Certes, si on voulait récriminer, la matière ne manquerait pas : mais il faut résister à cette tentation, il faut renoncer volontairement à rejeter la faute sur les autres, et à juger comme si nous savions tout et comme si nous disposions de toute sagesse. Ne nous laissons pas ravir la seule chose qui reste encore à la France dans son malheur, l'unité morale dont elle a plus besoin que jamais, la cohésion, l'entente de tous pour reconstruire matériellement et spirituellement. S'il y a un devoir qui soit urgent, c'est bien celui-là. Ne laissons pas se créer un esprit d'amertume et de dénigrement.

Veillons sur notre cœur, pour qu'il demeure compréhensif, paisible, disposé à la bienveillance. De cet esprit-là, on aura besoin partout, dans la vie française, dans la vie d'Église, et dans la vie internationale, quand il y aura à nouveau une vie internationale. Car il est bien clair que le devoir urgent, premier, c'est de faire face au malheur, tous ensembles, unis, comme un bloc que rien ne pourra entamer.

Et ne croyez pas qu'en parlant ainsi j'apporte ici un simple conseil de moraliste, que je parle simplement an homme préoccupé de la vie française. Nous sommes ici au cœur même de la vie chrétienne. Car cet esprit d'amertume et de récrimination, quel est son fond sinon un égoïsme qui nous fait considérer notre malheur personnel comme seul important au milieu de la détresse commune, sinon un orgueil qui nous porte à penser que nous seul avons vu clair que ce qui arrive est de la faute de tout le monde excepté de nous, en sorte que nous n'avons pas seulement besoin de bienveillance envers les autres, nous avons besoin d'humilité, nous avons besoin d'oubli de soi, nous avons besoin d'amour et de pardon, en d'autres termes, nous avons besoin de ce que Jésus donne, de ce qui est l'essentiel dans la vie qui vient de Lui.

Le chrétien ne garde pas son cœur avec ses propres forces, ses propres ressources, ses propres armes ; il ne le garde qu'avec les armes de Dieu, avec les armes du Christ.

Et c'est pourquoi il faut surtout garder notre propre cœur du doute ou de l'incrédulité. Beaucoup de chrétiens parmi nous sont troublés à l'heure actuelle, non pas seulement déchirés dans leur cœur, mais troublés dans leur foi, parce qu'ils avaient cru légitime, et personnellement je persiste à croire qu'ils devaient en effet considérer comme légitime, de placer leur espérance entre les mains de Dieu et de Le prier avec ferveur pour la cause qui était la nôtre, en sorte qu'il leur semble assister maintenant soit à un abandon, soit à une défaite de Dieu. Autrefois c'était l'ennemi qui disait au croyant : "Où est ton Dieu ?" Maintenant c'est le croyant qui courbe la tête et qui murmure: "Où est mon Dieu ?"

Oui, je crois qu'il était légitime, qu'il demeure légitime que nous prions pour la France et que nous remettions sa cause entre les mains de Dieu. Mais je sais aussi qu'il ne suffit pas de remettre sa cause à Dieu pour re-faire l'histoire et en changer le cours ; et ne suffit pas de se jeter dans la prière juste à l'heure de l'épreuve décisive. C'est toujours qu'il faut vivre dans un esprit de prière et de telle sorte que Dieu puisse m'exaucer. Toujours, et non pas seulement à l'heure de l'épreuve et du danger.

Certes, je ne dis pas que le spectacle de l'Europe actuelle ne soit pas de nature à jeter le chrétien dans un trouble immense ; il faudrait plaindre celui qui ne serait pas troublé ; mais jamais Dieu ne nous a été plus nécessaire qu'aujourd'hui, jamais les forces spirituelles ne nous ont été plus désirables qu'à l'heure où nos forces matérielles semblent fléchir ; et il ne faut pas juger de la réalité de Dieu et de sa puissance par les évènements extérieurs. Dieu est une force de l'âme, il agit dans le domaine de l'Esprit et par l'Esprit ; c'est là qu'il faut nous réfugier, car notre refuge est en Lui.

Ah ! veillons sur notre foi, veillons sur notre cœur de croyant, sur notre cœur de chrétien, car jamais nous n'avons eu plus besoin d'être enracinés en Lui. Les disciples du Crucifié auraient-ils oublié que la présence de Dieu ne se mesure pas à la marche des évènements extérieurs ? Et l'épreuve qui a été réservée au Juste devait-elle être évitée aux pécheurs que nous sommes ? Mes Frères, nous ne sommes pas en état, dans le trouble où nous jette le drame de l'heure présente, de peser exactement les choses et de discuter les problèmes posés par les rapports de l'histoire et de la volonté de Dieu : ce n'est pas quand on a les yeux pleins de larmes que l'on peut voir clair dans un dédale de pensées et de sentiments, qui défie déjà en temps normal la plus haute pensée. Tenons-nous à l'essentiel, gardons notre cœur, notre cœur de croyant, notre cœur chrétien, et Dieu veuille que de lui jaillissent les sources de la vie, d'une vie nouvelle, d'une vie plus haute, d'une vie qui soit une résurrection sous le regard de Dieu !

Ainsi soit-il !


Pour aller plus loin

Lecture de la Bible

Proverbes IV

   1 Écoutez, mes fils, l'instruction d'un père, Et soyez attentifs, pour connaître la sagesse ; 2 Car je vous donne de bons conseils : Ne rejetez pas mon enseignement. 3 J'étais un fils pour mon père, Un fils tendre et unique auprès de ma mère. 4 Il m'instruisait alors, et il me disait : Que ton cœur retienne mes paroles ; Observe mes préceptes, et tu vivras. 5 Acquiers la sagesse, acquiers l'intelligence ; N'oublie pas les paroles de ma bouche, et ne t'en détourne pas. 6 Ne l'abandonne pas, et elle te gardera ; Aime-la, et elle te protégera. 7 Voici le commencement de la sagesse : Acquiers la sagesse, Et avec tout ce que tu possèdes acquiers l'intelligence. 8 Exalte-la, et elle t'élèvera ; Elle fera ta gloire, si tu l'embrasses ; 9 Elle mettra sur ta tête une couronne de grâce, Elle t'ornera d'un magnifique diadème. 10 Écoute, mon fils, et reçois mes paroles ; Et les années de ta vie se multiplieront. 11 Je te montre la voie de la sagesse, Je te conduis dans les sentiers de la droiture. 12 Si tu marches, ton pas ne sera point gêné ; Et si tu cours, tu ne chancelleras point. 13 Retiens l'instruction, ne t'en dessaisis pas ; Garde-la, car elle est ta vie.

14 N'entre pas dans le sentier des méchants, Et ne marche pas dans la voie des hommes mauvais. 15 Évite-la, n'y passe point ; Détourne-t'en, et passe outre. 16 Car ils ne dormiraient pas s'ils n'avaient fait le mal, Le sommeil leur serait ravi s'ils n'avaient fait tomber personne ; 17 Car c'est le pain de la méchanceté qu'ils mangent, C'est le vin de la violence qu'ils boivent. 18 Le sentier des justes est comme la lumière resplendissante, Dont l'éclat va croissant jusqu'au milieu du jour. 19 La voie des méchants est comme les ténèbres ; Ils n'aperçoivent pas ce qui les fera tomber. 

20 Mon fils, sois attentif à mes paroles, Prête l'oreille à mes discours. 21 Qu'ils ne s'éloignent pas de tes yeux ; Garde-les dans le fond de ton cœur ; 22 Car c'est la vie pour ceux qui les trouvent, C'est la santé pour tout leur corps. 23 Garde ton cœur plus que toute autre chose, Car de lui viennent les sources de la vie. 24 Écarte de ta bouche la fausseté, Éloigne de tes lèvres les détours. 25 Que tes yeux regardent en face, Et que tes paupières se dirigent devant toi. 26 Considère le chemin par où tu passes, Et que toutes tes voies soient bien réglées ; 27 N'incline ni à droite ni à gauche, Et détourne ton pied du mal.