( Apocalypse 12 )

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Culte du dimanche 9 mars 2014 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, ce chapitre de l’Apocalypse est un texte symbolique, à la manière de bien des contes. Il fait partie des mythes bibliques qui nous aident à découvrir ce qu’est la vie dans ses aspects les moins évidents, les plus secrets : ce qui n’est pas visible à l’œil nu, ce qui ne tient pas dans la main. Ce passage évoque la vie affronté au mal.

Deux signes apparaissent dans le ciel : une femme et un dragon. La femme évoque la première femme mentionnée dans la Bible, Eve, dont le livre de la Genèse déclare qu’elle enfantera dans la douleur, comme c’est le cas ici. Cette femme est donc une figure de la vie voulue par Dieu. Le dragon, lui, en revanche, est relié à l’antique serpent, également rencontré en Genèse 3, dont il est dit qu’il y aura de l’inimitié entre lui, la femme et sa descendance.

En utilisant ces figures de la femme et du dragon, ce texte nous enseigne sur la nature du mal. Il nous dit que le mal, représenté par le dragon, n’est pas de même nature que l’être humain. Mieux que cela, en prenant la figure du dragon, un être purement fictif, qu’on ne rencontre que dans les contes, ce texte cherche à nous faire comprendre que le mal n’existe pas en soi. Pour le dire de manière aussi simple que possible, selon ce texte, le mal c’est une absence d’humanité. Il y a du mal lorsque nous ne sommes pas entièrement humain. Lorsqu’une part de notre humanité fait défaut, notre histoire se porte mal : il y a du mal. Autrement dit, en utilisant un personnage fantastique pour désigner le mal, l’auteur de ce passage éloigne l’hypothèse qu’il y aurait un être réel qui serait à l’origine du mal ou alors que le mal serait une chose faisant partie de ce qui nous constitue, une sorte de cellule qui serait dans notre corps.

Le mal n’est ni un être à part entière, ni un élément constitutif de l’être humain. Le mal, dans la perspective biblique, c’est lorsque l’homme cesse d’être humain ; c’est lorsque l’homme est aux abonnés absents. C’est lorsque l’homme ne répond pas à l’appel de la vie, quand il n’est pas responsable, quand il n’est pas clair, pour lui, qu’il est effectivement, le gardien de son frère. Cette référence à Caïn (qui tue son frère Abel, selon Gn 4), raconte qu’en se repliant sur soi, le mal est tapi à la porte de Caïn. Parce que Caïn n’est pas responsable, parce qu’il est recroquevillé sur lui-même, Caïn réduit sa part d’humanité et laisse place du même coup à la non-humanité : le mal. Le mal, c’est plus que l’absence de bien, ce que disait fort justement Augustin (Confessions III, 7, 12), le mal c’est l’absence de l’homme assoiffé d’humanité. Le mal, c’est lorsque nous cessons d’être tendu vers la vie telle que Dieu l’espère, telle que la Bible en rend compte, telle que ces textes symboliques nous y sensibilisent.

Lorsque nous cessons d’être une âme (c’est le mot employé pour parler de l’homme humain), lorsque nous cessons de nous tenir face à l’absolu, nous devons dragon, nous devenons serpent, nous devenons diable, nous devenons satan. Dragon et serpent sont envisagés ici comme des synonymes. Diable, c’est le fait d’être divisé. Est diabolique ce qui divise ou ce qui est divisé. C’est le cas lorsque nous sommes séparés de nous-mêmes, lorsqu’il y a une distance entre ce que nous pourrions faire pour rendre la vie plus vivable et ce que nous faisons effectivement. C’est lorsque nous avons le sentiment d’être déchirés à l’intérieur, qu’il y a comme une lutte en nous. Quant au satan, c’est ce qui accuse. C’est le fait d’être culpabilisé.

Et pour bien souligner que le mal est un manque d’humanité, le rédacteur du texte va raconter que l’objectif du dragon, c’est de dévorer l’enfant à naître, ce qui signifie que le mal, c’est ce qui empêche la venue au monde d’un supplément d’être. Cela veut dire que ce n’est pas la question de la vie biologique qui serait seule en jeu, ici. C’est la question de ce que chacun apporte à l’histoire, de ce que nous injectons, de ce que nous sommes en interaction avec les autres.

Comment réagir face au mal

L’apocalypse ne se contente pas de révéler ce qu’est le mal, elle révèle aussi comment ne pas se laisser dévorer par le mal. A travers trois attitudes.

La fuite

La première possibilité, c’est la fuite. La femme fuit au désert pour une période de 1260 jours, ce qui fait trois ans et demi, soit un temps, des temps, et la moitié d’un temps. Si on ne peut pas faire face au mal, autant se mettre à distance, se préserver. Pas d’esprit sacrificiel dans ce récit. On pourrait même en faire un abrégé sur l’art de la guerre : n’engage pas une guerre que tu sais perdue d’avance. Mieux vaut te préserver du mal en fuyant que d’y succomber. C’est une grâce divine que de pouvoir se retirer du jeu sans perdre la face. L’expérience du désert dit cela. Les Hébreux qui quittent l’Egypte entrent dans le désert. Jésus aussi, se retirera au désert, où il ne sera pas inquiété par le tentateur qui n’aura aucune prise sur lui. Le désert, la retraite, c’est l’expérience de tous ces croyants qui vont se ressourcer pour être mieux équipés dans la vie. Ici, il s’agit de recharger son humanité pour que le mal soit foulé aux pieds. C’est d’ailleurs sur des ailes d’aigles qu’il est dit que les Hébreux ont portés depuis l’Egypte (Ex 19/4), ce qui atteste bien que nous sommes non seulement autorisés, mais encouragés à fuir les situations dangereuses, sans avoir à culpabiliser de cela. Quand on n’est pas en mesure de faire face à une situation difficile, quand ça tourne mal, mieux vaut partir que d’être complice d’actes qui dégradent l’humanité. Si on ne sait pas comment répliquer face à un raciste, si on ne sait pas comment réagir quand un mauvais plan est en train de se préparer, il y a déjà la possibilité de fuir.

Le combat

Michel est en mesure, lui, de faire face au dragon. Le combat, le face à face est la deuxième attitude. Michel n’est pas plus fort que le dragon, mais il est en mesure de lui tenir tête. Il est capable de dire non et de s’en tenir à sa position, sans faiblir, sans défaillir. La foi, c’est cette capacité à s’affirmer, c’est le courage d’être soi, selon la formule du théologien Paul Tillich. On est capable de dire non aux pratiques dangereuses : on est capable de tenir bon face à celui qui nous divise intérieurement, qui nous diabolise en provoquant un conflit de la morale. On est capable de dire non à un prétendu ami qui insiste pour consommer ce qui est manifestement nuisible pour nous. On est capable de dire non à un prétendu amoureux qui insiste pour avoir un rapport sexuel non protégé. On est capable de dire non à un l’idée d’un mauvais coup à faire à quelqu’un. Michel ne terrasse pas le dragon, dans cet épisode, mais il le fait dégringoler de son piédestal. Le dragon, dont les couronnes rappellent son désir de régner, trouve chez Michel et ses messagers, des âmes fortes, qui ne se laissent pas avoir par la stratégie de séduction (v. 9) ni par la menace que constitue l’aspect terrifiant d’un dragon rouge feu. Ces âmes font vont endiguer la déferlante du mal.

L’humour

La troisième attitude se révèle dans la description finale. Le dragon rouge feu ouvre sa gueule et… ce n’est que de l’eau qui sort. C’est ridicule. Quand un dragon ne crache pas du feu, il est ridicule. Et il ne fait plus peur, il n’impressionne plus. Oh oui, il y a beaucoup d’eau qui sort, mais elle est aussitôt absorbée par la terre qui éponge la vomissure du dragon. Si la scène était portée à l’écran dans un film d’animation, tout le monde rigolerait. C’est Roberto Benigni, dans La vie est belle, qui transforme un internement en camp de concentration nazi en un gigantesque jeu avec son jeune fils qui s’en sortira, selon ses propres mots, « en mourant de rire tout le temps ». Ce chapitre 12 se transforme en farce. Le dragon, le mal, devient ridicule. Il est semblable à ce soldat allemand, aussi aimable qu’une porte de fou crématoire, qui vient donner les règles du camp à la chambrée dans laquelle sont Cuido et son fils Josué , règles que Cuido (Roberto Benigni) va traduire de l’allemand ou, plus exactement, interpréter : « On commence le jeu. Le premier qui marque 1000 points gagne un véritable char d’assaut. Nous, on joue le rôle des très très méchants, qui aboient sans arrêt, qui donnent des ordres en hurlant. Ceux qui ont peur perdent des points. Dans trois cas on peut perdre le total des points acquis. Premièrement tous ceux qui se mettent à pleurer. Deuxièmement tous ceux qui demandent à voir leur maman. Troisièmement, tous ceux qui se plaignent d’avoir faim et qui demandent un goûter… aucun goûter ». Et la scène se poursuit en faisant passer le soldat pour un goinfre qui s’empiffre de sucettes.

Rappelons-nous que nous avons commencé en soulignant que le mal, c’est l’absence d’humanité. Ici, l’humanité reprend sa place par l’humour qui donne au dragon, au mal, sa juste place : dérisoire. N’est-ce pas ainsi que l’humoriste Pierre Desproges ne s’est pas laisser dévorer par son cancer ? N’est-ce pas ainsi, d’ailleurs, que nous pourrions réagir face à la maladie, notamment celles qui nous déshumanisent. Passer du dramatique à la comédie quand nous sommes avec une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer, non pas pour nous moquer d’elle, certainement pas, bien au contraire, mais pour remettre la maladie à sa juste place, pour lui donner sa véritable valeur : dérisoire. James Bond, en pleine séance de torture, se moque du supplice qui lui est infligé dans Casino Royale, en en demandant encore plus parce que ça le gratouille un peu.

En affirmant que ce sont le sang de l’Agneau, c’est-à-dire la vie de Jésus, et les paroles prononcées, qui permettent la victoire, le v. 11 rappelle que Jésus a passé son temps à remettre les gens à leur place, élevant les humbles, rabaissant l’orgueil. Jésus, c’est celui qui a pondéré, qui a restitué la véritable valeur des personnes rencontrées, qui a réduit à rien les prétentions mal placées, qui a révélé la beauté, ce qui est vrai, ou ce qui est mortifère. Jésus a incarné l’humour qui sauve les personnes de la mort sociale, l’humour qui permet d’avaler les couleuvres, les vomissures de dragon et donc de neutraliser le mal, ce qui fait mal. En ouvrant cette voie, nous pouvons dire que Jésus a offert une victoire définitive sur ce qui altère l’existence : victoire sur ce qui tente de dégrader l’humanité, victoire sur le malheur, victoire sur ce qui nous empêche de mettre au monde une existence vivable.

Amen