Evangile et violence

Marc 10:13-16

Culte du 14 juillet 2019
Prédication de Béatrice Cléro-Mazire

Vidéo de la partie centrale du culte

    Peut-être est-il étrange de prêcher aujourd’hui un texte qui raconte la crucifixion de Jésus. Nous ne sommes pas un vendredi juste avant Pâque, et c’est un jour de joie pour nous qui avons baptisé deux petits enfants. 

    Mais c’est justement l’un de ces deux enfants qui a choisi ce texte pour son baptême. Lors de notre dernière rencontre chez ses grands parents, Enzo m’a dit que, pour lui, le texte qu’il préférait dans sa Bible pour enfant, c’était celui de la crucifixion de Jésus. Très surprise, je lui ai demandé pourquoi.  

Il m’a répondu : «  parce qu’il a fait ça pour nous ». 

    Cela méritait bien que nous nous y arrêtions ensemble ce matin, d’autant plus qu’aujourd’hui est un jour de fête nationale. Le 14 juillet commémore un évènement fondateur de notre nation. À vrai dire, même si, dans l’imaginaire collectif, le 14 juillet fête la prise de la Bastille et les évènements violents qui se sont produits autour, la réalité est plus complexe que cela. C’est bien le 14 juillet 1789 qu’a eu lieu la prise de la Bastille, mais quand le député Benjamin Raspail, un siècle plus tard, souhaite instituer une fête nationale en se référant à cet évènement, les sénateurs trouvent que l’épisode est trop violent pour constituer le symbole de la République. Ils vont donc retenir le 14 juillet 1790, fête de la Fédération, instituée par La Fayette, comme date symbolique de l’unité nationale. 

    Dans l’imaginaire collectif, c’est la prise de la Bastille qui reste le symbole fort de la Révolution, et peu importe la violence et la terreur qui s’en suivirent puisque de l’évènement violent, seraient nées la liberté, l’égalité et la fraternité de tout un peuple. 

    C’est une étrange chose de vouloir voir dans des évènements violents de notre histoire l’inauguration d’un temps plus juste, plus libre, plus beau. 

    Sublimer la violence est souvent très dangereux et fait naître des idées qu’il faut ensuite combattre. Voir la mort d’un homme comme le sacrifice d’un seul pour le salut de tous est le meilleur moyen de continuer à en sacrifier quelques-uns, quand l’utilité s’en fait sentir. Ainsi, le salut censé être acquis une fois pour toutes, est souvent remis en question pour pouvoir éliminer toute opposition et toute contestation au dogme ainsi établi. Les chrétiens ont eu ainsi, à travers l’histoire, une fâcheuse tendance à faire de leurs meurtres et de leur massacres des exemples et des actes de purifications en les présentant comme nécessaires au salut d’un royaume, d’une unité nationale, ou de la vraie foi. 

    Si l’on pense, par exemple à l’affaire Calas, dont Robert Badinter dit qu’il s’agit d’un crime de la justice elle -même, on voit que, par haine des protestants, on peut monter de toute pièce une affaire criminelle visant à prouver que le Huguenot Calas a tué son fils pour l’empêcher de se convertir au catholicisme. 

Pour parvenir à donner raison à la haine, on va alors jusqu’à demander aux fidèles, lors des prêches dominicaux dans les églises catholiques, de s’adonner à la délation publique sous peine d’excommunication. Et, comme le dit Badinter, « on a assassiné Calas », non pas le fils, mais le père, pour faire un exemple, pour en faire un exutoire au climat de haine qui régnait à Toulouse en 1761. 

    À une autre époque, et dans un tout autre contexte, on pense évidemment à l’affaire Dreyfus, bouc émissaire qui permit d’extérioriser l’antisémitisme de certains milieux. 

   

    Sans doute le protestantisme n’est-il pas exempt d’avoir utilisé de faux coupables pour sa cause et l’on pense au 

malheureux Michel Servet dont aucun chantre de la « vraie foi » n’est venu sauver la vie. Sans doute était-il utile qu’un opposant au calvinisme meure pour impressionner quiconque essaierait, dans la Genève protestante, la voie de la contestation. 

    Jésus a été lui aussi condamné sous les cris d’une foule qui lui a préféré un bandit : Barabas. La mort du bandit ne présentait aucun intérêt idéologique. Le rabbin encombrant, qui avait tant intéressé les foules, lui, représentait une victime de choix et faire de lui un coupable était bien plus utile que laisser punir un véritable coupable. 

    Il faut donc se rendre à l’évidence, la violence est souvent vue comme fondatrice de l’unité des peuples. Se réunir autour d’une violence, dans un imaginaire collectif, est souvent plus efficace que de se fédérer autour d’un pacte de paix.

    Le christianisme naissant s’est lui-même constitué comme une idéologie du martyr et la croix du Christ a été bien vite utilisée comme socle symbolique pour remplacer les premiers symboles beaucoup plus pacifiques qu’étaient : le poisson et la Voie ( nom donné au christianisme naissant).  

    Avec la croix, on pouvait se camper en victime et fédérer les nouveaux convertis qui souvent se vivaient eux-mêmes comme des victimes d’un pouvoir qui ne les reconnaissait pas. 

    Alors ont surgi des théologies de la croix, des signes de croix, des objets cultuels en forme de croix, et l’on a fini par en faire un bijou plaisant et luxueux. 

    La violence de cet outil de torture a fini par devenir, non seulement acceptable, mais un symbole de communication d’une efficacité redoutable. Certaines croix clignotent aux frontons des églises, d’autres sont stylisées telles des oeuvres abstraites. L’horreur qu’inspirait ce supplice a été édulcorée et banalisée et dans le même mouvement, la mort du juste est devenue non seulement un fait mais encore un bienfait. Et la violence est devenue salvatrice. 

    Que ce serait-il passé si le Christ était mort de vieillesse dans son lit ? Aurait-il pu être notre sauveur ? 

    Sans doute, Paul n’aurait-il pas été touché par le discours d’un vieux sage, comme il l’a été par Jésus crucifié. Sans doute aussi les Évangiles n’auraient-ils jamais été écrits, si la mort de Jésus s’était passée en douceur. La violence semble donc constitutive du succès de certains courants idéologiques ou religieux. 

   

    Pourtant, il existe des révolutions tranquilles bien plus efficaces pour la survie d’un peuple que tous les soubresauts  de révolte qui malheureusement se terminent souvent par de nouvelles privations de liberté et des régimes de terreurs. 

    Un bon législateur est parfois un héros digne de faire des disciples autour d’une cause juste. Revenons à Robert Badinter, qui obtint l’abolition de la peine de mort en France. N’était-ce pas un évènement capable de fédérer pour longtemps un peuple tout entier ? Pour lui, la violence faite aux hommes est toujours restée une violence. Et la justice fut le combat de toute sa vie. Non par fascination du pouvoir de la violence mais par exécration du mal.  

    Prenons aussi l’exemple de Simone Weil : n’était-ce pas une révolution de permettre aux femmes de disposer de leur corps et aux citoyens de rompre avec une hypocrisie qui coûtait la vie à beaucoup d’entre elles ? 

   

    On a retenu leur nom, bien sûr, mais  ce qu’ils ont obtenu ne serait pas, aujourd’hui, cité unanimement comme un symbole d’unité d’un peuple. Sans doute parce qu’ils ne recherchaient pas, dans ces actions, leur pouvoir, ni le pouvoir de leur idéologie, mais parce qu’ils souhaitaient le bien commun. Sans doute aussi parce qu’ils n’y ont pas laissé leur vie. 

   

    Faut-il inévitablement un sacrifié pour qu’un temps nouveau advienne ? 

    La crucifixion de Jésus a ouvert un temps nouveau, en effet. Mais c’est au prix de nombreux discours apologétiques et, osons le dire, d’une propagande à peine voilée,  que la religion chrétienne s’est forgée une identité. Et souvent, cette identité s’est fondée contre les autres. La crucifixion de Jésus a permis d’obtenir une indépendance par rapport au judaïsme si proche et auquel Jésus lui-même appartenait, avant qu’on en fasse un chrétien. 

    Prendre un symbole violent comme fondement d’un monde nouveau, d’un temps nouveau, c’est miser sur la rupture, c’est tuer le passé pour faire du nouveau.

    Pourtant, Jésus citait les prophètes, rappelait la loi de Moïse, dénonçait le manque de fidélité de son peuple au Dieu qui l’avait libéré de l’esclavage. Point de rupture dans ses sermons, point de temps présent suspendu dans le vide, mais toujours l’histoire d’un peuple libre. Il prend même les enfants comme exemple pour l’entrée dans le royaume des cieux, signe qu’il ne renie ni l’obéissance, ni l’autorité du Père. Pour lui, pas question de renverser sa religion. 

   

    On a parfois fait de Jésus un hippie, un révolutionnaire, un anarchiste, oubliant même sa foi en Dieu pour en faire un homme sans foi ni loi. Cette transformation de Jésus en une figure violente contre tout système légal, oublie complètement combien Jésus condamne, dans ses sermons au moins, la force et la violence. 

   

    Mais si Jésus n’est pas une figure de rupture, il n’en reste pas moins qu’il y a bien un avant et un après Jésus. À tel point que nous comptons le temps de notre civilisation à partir de sa date présumée de naissance. 

   

    Enzo, le baptisé de ce jour avait dit vrai, la crucifixion est fondatrice. 

Mais en quel sens fonde-t-elle une nouvelle foi ? 

    Quelle révolution représente la crucifixion ? 

Sans doute y-a-t-il une pédagogie dans le paradoxe de la croix. La croix reste un scandale, car sur elle, c’est le juste qui est crucifié à la suite d’un procès inique ; mais c’est aussi une révélation, car cet homme qui meurt ainsi est porteur, dans sa souffrance,  du mal dont est capable le genre humain. 

    Il ne s’agit donc plus de faire de la croix une breloque ou un objet de dévotion, mais d’en faire un langage sur notre condition humaine, sujette à la violence, peu encline à la justice, même si elle le revendique, et toujours menacée par sa soif de pouvoir. 

    Sans doute Jésus, comme après lui, Servet, Calas ou Dreyfus, n’a-t-il pas cherché à se retrouver victime d’un crime collectif. Sans doute n’y avait-il aucun plan de Dieu derrière cette machination fatale. 

    Et pourtant ce déchaînement de violence a fait advenir du langage, une force aussi puissante que celle de la violence physique. A partir de ce gâchis tragique, un déferlement de mots, de récits, de liturgies, de prières, s’est donné comme mission de venir à bout de la violence, du crime, du mal de tous les hommes. 

    Comme l’affaire Calas a donné à Voltaire l’occasion de fonder une autre idée de la justice en criant à l’infamie ; « l’affaire Jésus » a permis à des écrivains de fixer à jamais comme une bonne nouvelle la foi de cet homme en un Dieu juste qui libère les hommes. 

    Et c’est dans ces écrits que nous retrouvons l’image du bien capable de renverser le mal. Non pas en faisant une révolution sanglante, en tuant tous les opposants, mais en étant comme les enfants. C’est-à-dire comme des êtres en devenir, qui ont besoin de leur passé comme de leur avenir, mais qui vivent intensément leur présent. 

    L’évènement Christ n’est peut-être pas, au bout du compte la croix, mais plutôt cette scène de l’accueil inconditionnel d’un enfant et la mise en valeur de sa condition particulière dans le monde. 

                    AMEN. 

Lecture de la Bible

Marc 10/13-16
13 Des gens lui amenaient des enfants pour qu'il les touche de la main. Mais les disciples les rabrouèrent.
14 Voyant cela, Jésus s'indigna ; il leur dit : Laissez les enfants venir à moi ; ne les en empêchez pas, car le royaume de Dieu est pour ceux qui sont comme eux.
15 Amen, je vous le dis, quiconque n'accueillera pas le royaume de Dieu comme un enfant n'y entrera jamais.
16 Puis il les prit dans ses bras et se mit à les bénir en posant les mains sur eux.

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