Du Dieu sachet-de-thé au Dieu électro-aimant

Jean 3:1-21

Culte du 24 octobre 2010
Prédication de pasteur James Woody

( Jean 3:1-21 )

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Culte du dimanche 24 octobre 2010 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, naître et grandir dans une famille chrétienne c’est être un peu comme un bol d’eau chaude dans lequel on plonge un sachet de thé. La théine et l’arôme du thé se répandent dans le bol, l’eau se colore, prend le goût du thé, les molécules se mélangent et cette boisson devient intégralement du thé. Naître et grandir dans une famille chrétienne, c’est souvent être imprégné d’une spiritualité chrétienne, une immédiateté de la foi, diffuse, sans contour, sans limite. La foi s’impose à soi comme le baptême d’un petit enfant s’impose à celui ou celle qui le reçoit. Dieu est là, comme une évidence, comme un ami de la famille, presqu’un parent en compagnie duquel on grandit : Dieu est comme un sachet de thé qui a donné à notre vie une couleur, une saveur, une odeur qui font désormais partie intégrante de nous-mêmes. Et du haut de ses huit ans, l’enfant considère Dieu selon ce qui lui a été transmis dans cette ambiance familiale. Il lui parle comme on parle à un ami, un ami fidèle qui est toujours à notre écoute, toujours disponible pour nous aider : c’est un Dieu très personnel, presque domestique ; c’est mon Dieu. Du haut de ses huit ans, l’enfant plonge dans les textes bibliques comme on plonge son regard dans les yeux d’un ami : la Bible devient une sorte de face à face direct avec Dieu ; il lit Dieu dans chaque ligne, chaque mot, à la lettre près. Dieu est là, dans chaque histoire, faisant ce qui est écrit, pensant ce qui est écrit, étant comme cela est écrit. Du haut de ses huit ans, l’enfant connaît Dieu à travers tout ce qui lui a été transmis par son entourage, à travers l’infusion de ce sachet de thé qui a été plongé dans son existence.

C’était bien la foi de mes huit ans : c’était simple, c’était merveilleux, ça allait de soi. C’est une foi qui va tellement bien que c’est la foi que l’on garde avec soi, comme un bien précieux. C’est cette foi des huit ans que l’on prend avec soi pour se lancer dans la vie, assuré qu’on arrivera à bout de toutes les difficultés qui pourront se présenter. C’est la foi qu’on nous a transmise par infusion et avec laquelle nous faisons corps et que l’on entretient tranquillement au rythme des rencontres, des activités, des lectures, des célébrations destinées à conforter le bon goût du thé auquel nous nous sommes habitués. On se rend auprès des marchands de ce thé divin pour entretenir la vigueur de notre infusion.

Et puis un jour vient où une rencontre va bouleverser cette harmonie. Alors qu’on s’attend à une petite gorgée de thé supplémentaire puisée au samovar de notre enfance, on se retrouve frustré du goût d’autrefois. Le breuvage a soudainement un goût amer. On n’a pas le temps de demander ce qu’on voulait obtenir auprès du docteur ès théologie que celui-ci nous bouscule comme Jésus qui déstabilise Nicodème qui a à peine le temps de lui adresser une formule de politesse que sa requête est déjà bloquée. Nicodème, spécialiste en débat théologique, s’adresse à Jésus comme à un confrère un peu plus érudit que lui, un maître, un « didascalos » et Jésus l’interrompt aussitôt en le sortant d’une discussion théologique dans laquelle il serait certainement très à l’aise pour l’amener sur un autre registre : la vie, à travers son acte inaugural qu’est la naissance. A Nicodème qui comptait s’adresser à Jésus sur le plan de la théorie, Jésus oppose une sorte de fin de non recevoir et le fait quitter le monde des idées pour rejoindre celui des questions existentielles.

Tout se passe comme si le Christ refusait d’être un sachet de thé qu’on plonge dans l’eau tiède pour redonner un peu de corps au breuvage. Tout se passe comme si Jésus présentait un autre aspect de Dieu que celui auquel on s’attend, du haut de sa foi de huit ans : non pas un sachet de thé, mais un électro-aimant qui va produire du mouvement et un déplacement.

Le Christ, n’est pas uniquement dans le régime de la transmission et de la continuité : il est dans l’ordre de la rupture et de la naissance de quelque chose de neuf. A Nicodème qui l’interpelle sur le registre du savoir, de ce qui relève de la compétence d’un maître, le Christ réagit sur le plan de l’existence et de la naissance à nouveaux frais. Dit plus clairement, le Christ bouscule Nicodème dans ses certitudes, dans ce qu’il croit être une bonne interprétation des signes que Jésus a accomplis. L’image que Nicodème s’était faite de Jésus et de Dieu va devoir être revisité, rénovée et recréée. Il va même falloir naître d’en haut.

Voilà notre situation, du haut de notre foi de huit ans, lorsque nous rencontrons quelqu’un qui s’efforce d’être le témoin du Dieu vivant. Nous sommes comme au contact d’un électro-aimant qui, selon la polarité, va nous attirer ou nous repousser mais, de toute évidence, nous mettre en mouvement. Concrètement, le Dieu de nos huit ans, c’est-à-dire notre Dieu, est remis en cause, il se heurte à ce Dieu qui se révèle dans l’expérience et le discours qui me sont opposés. Et cela m’oblige. Cela m’oblige à reconsidérer ma foi, à reconsidérer mon Dieu. Et si, au fond, tout cela n’avait été que douce illusion ? si tout cela n’avait été que supercherie et jeu de dupe ?

Une manière de faire face à cela, c’est d’appliquer à soi-même l’attitude du philosophe Descartes en passant Dieu au crible du doute systématique, en osant aller au bout de cette démarche de remise en cause systématique, en acceptant de se poser véritablement la question de Dieu et d’en tirer les conséquences pour soi-même. Cette naissance d’en haut, n’est pas une deuxième naissance qui serait semblable à la première, comme Nicodème pourrait le penser. C’est le travail de l’esprit qui intervient ici. Aller jusqu’au bout de sa nuit, nier Dieu, rejeter toutes les évidences, jeter les sachets de thé, ce qu’on nous a raconté, ce qu’on nous a transmis, remettre en cause les certitudes des autres qu’on tenait pour vraies et tenir bon, tenir plusieurs jours, plusieurs semaines, plusieurs mois, car cette nuit-là doit bien durer le temps d’une gestation. Et au bout du compte mettre au monde le fruit de nos entrailles.

C’est au terme de cette longue nuit de plusieurs semaines, résumée par Jean le temps d’une rencontre, c’est au terme de cette gestation que nous pouvons dire avec l’apôtre Paul « lorsque j’étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant ; lorsque je suis devenu un homme, j’ai délaissé ce qui était de l’enfant » 1 Co 13/11. Et c’est alors qu’on réalise que nous n’étions qu’en présence des ombres de la vie véritable, de la vie éternelle dont on ne percevait que l’ombre se projetant sur les parois de notre existence.

Ce que le Christ fait advenir dans l’existence des croyants, ce n’est rien de moins que la vie éternelle qui ne se transmet pas à la manière d’une doctrine mais qui doit naître en l’homme lui-même. Seule une expérience personnelle permet cela, seule la traversée de sa propre nuit permet cela, seul le travail personnel permet d’accéder à cette vie en plénitude. Si Calvin appelait « nicodémites » ceux qui ont honte de vivre leur foi au grand jour, ce qui restent cachés, qui adorent Dieu dans l’ombre, en catimini, nous pouvons nous reconnaître dans cette figure de Nicodème à chaque fois que nous préférons nous en tenir au Dieu des experts, des théologiens patentés au lieu de faire nous même l’expérience de Dieu. Le Christ révèle Dieu en nous renvoyant à notre propre expérience car c’est au cœur de notre être que nous pouvons découvrir que Dieu est le fondement même de l’être. C’est au cœur de notre personne que nous pouvons découvrir que Dieu est personnel en ce sens qu’il n’est pas une personne parmi d’autres ou une personne au-dessus des autres mais ce qui nous permet d’être nous-mêmes une personne. C’est au cœur de notre vie que nous pouvons découvrir que Dieu est ce qui nous pousse ou nous attire vers la vie, à la manière d’un électro-aimant, nom délicieux où se mêlent l’amour et la puissance de l’énergie que Dieu met en œuvre pour nous sauver d’une vie dans l’ombre, d’une vie sans éclat et sans œuvre véritable : une vie passée face au néant.

Le Christ nous révèle que la vie ne consiste pas dans un savoir que l’on se transmet de bouche de maître à oreille de disciple. La vie selon Dieu, c’est ce que le théologien John Cobb nomme « l’appel à aller de l’avant, au-delà de ce qui a été réalisé dans le passé et au-delà de la sécurité de ce qui est établi et habituel » (Dieu et le monde, p. 45) et c’est aussi la réponse que nous donnons à cet appel.

Cette réponse, nous ne pouvons la formuler que si nous avons forgé une confiance personnelle en Dieu, si nous avons éprouvé Dieu, en quelque sorte, si nous avons éprouvé le Dieu de nos huit ans pour n’en retenir que le Dieu bien vivant, à l’œuvre dans notre vie. C’est par la confiance que nous avons en Dieu que nous pouvons prendre au sérieux cet appel à une vie plus harmonieuse et plus juste et que nous pouvons en vivre. La foi n’est pas accessoire ; la foi personnelle, cette confiance qui se distingue de la foi traditionnelle dans laquelle il faudrait croire, c’est elle qui permet d’accueillir ce que Dieu nous offre, de lui faire une place dans notre histoire. Comme le dit John Cobb par ailleurs, Dieu est « celui qui ne peut donner que ce que nous voulons recevoir » (Dieu et le monde, p. 66). C’est ainsi que Jean, à sa manière, exprime que nous sommes sauvés d’une vie sans consistance, d’une vie qui ne serait que l’ombre d’elle-même par grâce seule, au moyen de la foi.

Amen

Lecture de la Bible

Jean 3:1-21

Il y eut un homme d’entre les pharisiens, nommé Nicodème, un chef des Juifs, 2 qui vint, lui, auprès de Jésus, de nuit, et lui dit: Rabbi, nous savons que tu es un docteur venu de Dieu; car personne ne peut faire ces miracles que tu fais, si Dieu n’est avec lui.

3 Jésus lui répondit: En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu.

4 Nicodème lui dit: Comment un homme peut-il naître quand il est vieux? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère et naître?

5 Jésus répondit: En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît d’eau et d’Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. 6 Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est Esprit. 7 Ne t’étonne pas que je t’aie dit: Il faut que vous naissiez de nouveau. 8 Le vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit; mais tu ne sais d’où il vient, ni où il va. Il en est ainsi de tout homme qui est né de l’Esprit.

9 Nicodème lui dit: Comment cela peut-il se faire?

10 Jésus lui répondit: Tu es le docteur d’Israël, et tu ne sais pas ces choses ! 11 En vérité, en vérité, je te le dis, nous disons ce que nous savons, et nous rendons témoignage de ce que nous avons vu; et vous ne recevez pas notre témoignage. 12 Si vous ne croyez pas quand je vous ai parlé des choses terrestres, comment croirez-vous quand je vous parlerai des choses célestes? 13 Personne n’est monté au ciel, si ce n’est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est dans le ciel. 14 Et comme Moïse éleva le serpent dans le désert, il faut de même que le Fils de l’homme soit élevé, 15 afin que quiconque croit en lui ait la vie éternelle. 16 Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle.

17 Dieu, en effet, n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour qu’il juge le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. 18 Celui qui croit en lui n’est point jugé; mais celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. 19 Et ce jugement c’est que, la lumière étant venue dans le monde, les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs oeuvres étaient mauvaises. 20 Car quiconque fait le mal hait la lumière, et ne vient point à la lumière, de peur que ses oeuvres ne soient dévoilées; 21 mais celui qui agit selon la vérité vient à la lumière, afin que ses oeuvres soient manifestées, parce qu’elles sont faites en Dieu.

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