Dieu est Père et Mère

Genèse 49:22-26 , 1 Pierre 2:2-3

Culte du 30 mars 2008
Prédication de pasteur Marc Pernot

( Genèse 49:22-26 ; Genèse 50:15-21 )
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Prédication à l'Oratoire du Louvre le 30 mars 2008
par le pasteur Marc Pernot

Le 1er dimanche après Pâques est traditionnellement appelé “ dimanche de quasimodo ”, ce nom vient du passage de la 1e lettre de Pierre : “ quasimodo geniti... ”, “ Comme des enfants nouveau-nés, désirez le lait pur de la Parole, afin que par lui vous grandissiez pour le salut, vous avez goûté comme le Seigneur est bon. ” (1 Pierre 2:2-3) Ce quote compare Dieu à une mère qui allaite son bébé avec le lait de sa Parole donnée en Christ.

Comparer Dieu à un Père est bien passé dans les usages. Mais la Bible compare également Dieu à une mère, même si cela a été trop oublié car, jusqu'au siècle dernier, il était apparemment difficile d'imaginer Dieu autrement que comme masculin. Cela semblait une évidence dans une société où un roi, un chef d'entreprise, un savant ou un grand cuisinier ne pouvait être qu'un homme. La Bible est bien plus ouverte que cela.

Dès la première page de la Bible, il nous est dit que : “ Dieu créa l’humain à son image, il le créa à l’image de Dieu, il les créa homme et femme. ” (Genèse 1:27) Ce récit laisse supposer une parité totale entre l'homme et la femme, et il dit explicitement que l'image de Dieu est ni homme ni femme, mais homme et femme.

Il y a également des passages où Dieu est comparé à une mère qui nous enfante et qui nous allaite comme nous le rappelle le dimanche de Quasimodo. Cela adoucit considérablement l'idée que nous pouvons nous faire de Dieu. Il n'est pas seulement le Père qui dirige comme un Seigneur, il est aussi la Mère qui nous enfante et nous allaite avec tendresse.

C'est déjà ce Dieu-là, Père et Mère à la fois, qu'invoque Jacob pour bénir son fils Joseph dans ce beau texte que je vous propose de regarder maintenant.

La bénédiction de Joseph par Jacob commence ainsi :

Joseph est le rejeton d'un arbre fertile,
Le rejeton d'un arbre fertile près d'une source ;
Les branches s'élèvent au-dessus de la muraille.
Ils l'ont provoqué, ils ont lancé des traits ;
Les archers l'ont poursuivi de leur haine.
Mais son arc est resté ferme, ses mains ont été fortifiées
Par les mains du Puissant de Jacob.
Il est ainsi devenu le berger, le rocher d'Israël.

Il est bon de remarquer, nous aussi, tout ce que nous avons reçu de bon des générations qui nous ont précédées. Comme Joseph, nous sommes une petite branche nouvelle qui pousse sur la souche d'un arbre ancien. Tout n'est pas bon dans la façon de vivre de nos pères, mais il y a une vraie fertilité qu'il est bon de recevoir et de prolonger par notre propre développement.

Parmi les très bonnes choses que Joseph reçoit de ses Pères, il y a la source même de la fécondité de vie d'Abraham, d'Isaac & de Jacob : c'est le fait d'être planté “ près d'une source ”. Cette source est bien connue dans la Bible : c'est Dieu et sa Parole. Comme dans le 1er des Psaumes :

Heureux l'homme... qui trouve sa joie dans la Parole de l'Éternel, et qui la médite jour et nuit ! Il est comme un arbre planté près d'un ruisseau, il porte du fruit en son temps et jamais son feuillage ne sèche...

Cet enracinement est un héritage précieux que nous recevons de nos pères, l'enracinement dans ce monde, dans un corps, dans une histoire, une culture, certes, mais irriguée par cette source qu'est Dieu. Cet héritage de foi n'est pas une charge pour nous, c'est au contraire une source de fertilité et de joie, une source de force.

Joseph en aura bien besoin, car il a eu une vie excessivement dure. Ses frères l'ont vendu par jalousie, il sera esclave, prisonnier d'un tyran... tout cela contre la volonté de Dieu, bien entendu, mais grâce à une force qui lui vient de Dieu, Joseph va pouvoir surmonter tout cela, il va retourner, convertir le mal en bien. Il va même avoir la force de pardonner et d'être une source de vie pour ses frères si peu sympathiques. Ce retournement est l'œuvre du “ Puissant de Jacob ” nous dit ce texte, c'est-à-dire de l'extraordinaire puissance de résurrection qu'est Dieu, même dans les épisodes les plus dramatiques de l'existence humaine.

Le mot "puissant" qui est utilisé ici est clair, il désigne la force du taureau ou du cheval de guerre. Oui, Dieu est puissant, et il est bon de s'en souvenir pour avoir confiance en notre avenir grâce à lui et malgré tout ce qui peut nous tomber dessus. Nous ne sommes pas hors du monde, mais si nous sommes vraiment enracinés dans ce monde nous sentirons du bout de nos racines qu'une source n'est pas loin, cette source qu'est Dieu, source de genèse dans l'univers et pour nous. Planté près d'une telle source nous pouvons surmonter nos peurs légitimes, peur des limites de nos forces, peur de la méchanceté humaine, peur de ces catastrophes qui surviennent malgré la volonté de Dieu.

Joseph a donc pu s'en sortir et il est même devenu “ le berger et le rocher d'Israël ”. Dans la Bible, ces titres sont normalement attribués à Dieu lui-même, ils sont ici donnés à l'homme, image de Dieu comme le dit la Genèse, ou “ de peu inférieur à Dieu ” comme le dit le Psaume 8. C'est à cela que Dieu nous destine quand il nous adopte comme enfant, et c'est cela que Dieu nous donne quand il fait de nous son enfant. Dieu est le berger de Joseph et il lui donne de pouvoir être le berger de ses frères. Dieu est ainsi une puissance de résurrection très concrète pour nous, c'est un fait d'expérience, mais ce n'est as tout, il nous permet de devenir une source de résurrection pour les autres.

Voilà la première face de notre Dieu, le Dieu Père, le “ Puissant de Jacob ” qui nous sauve. La suite est plus étonnante. Si étonnante même, que depuis des générations les traducteurs ont eu du mal à mettre ce qui est réellement dans le texte.

Voici l'œuvre du Dieu de ton père, il t'aidera ;
Voici l'œuvre du Dieu “ Tout Puissant ”, il te bénira :
Des bénédictions des cieux en haut,
Des bénédictions des eaux en bas,
Des bénédictions des seins et du ventre maternel.

J'ai laissé le texte tel qu'il est habituellement traduit. On y parle de “ Dieu tout puissant ”, en hébreu “ El-Shaddaï ”.

Déjà, une chose est certaine, c'est que cette traduction “ Dieu tout puissant ” est fausse, car il n'y a pas trace du mot “ tout ” dans le texte biblique. Ce n'est pas rien, il y a ici un mensonge extrêmement grave qui parasite l'idée de Dieu que nous avoir à partir de ce texte. Que Dieu soit infiniment puissant, d'accord. La prodigieuse évolution de l'univers nous invite à le penser et c'est ce que nous venons de voir dans la 1e partie où Jacob parle de Dieu qui a la puissance d'un cheval de guerre. Mais ce qui est très discutable, c'est l'idée que Dieu serait TOUT puissant. C'est même insupportable quand un malheur terrible arrive comme la mort d'un enfant, car alors Dieu est injustement rendu plus ou moins responsable de cette catastrophe. Heureusement, cette notion de toute-puissance de Dieu est discutable et elle n'est absolument pas dans ce texte de la Bible, elle n'est d'ailleurs dans aucun texte de l'Ancien Testament et des Évangiles. Traduire El-Shaddaï par “ Dieu tout puissant ” est une faute qui montre plutôt la puissance de nos fantasmes que la puissance de Dieu.

Regardons ce que peut vouloir dire en réalité ce El-Shaddaï litigieux. Il y a deux possibilités, parce que le mot Shaddaï peut vouloir dire deux choses bien différentes :

  • Shaddaï peut venir de Shadad qui signifie dévaster. C'est le sens retenu par ceux qui traduisent (dans le meilleur des cas) El-Shaddaï par “ Dieu puissant ”, sous entendu très puissant pour dévaster le mal. Le problème, c'est que dans la Bible ce verbe “ dévaster ” est toujours employé au sens de faire le mal, ce qui ne va pas bien avec le Dieu créateur de la Bible.
  • Shaddaï peut venir également de Shad le sein de la mère, et comme les femmes ont deux seins nous avons shadaï ou shadaïm selon la forme employée pour le pluriel double. El-Shaddaï serait alors le “ Dieu qui nous allaite ” comme une mère allaite son enfant.

L'hébreu de la Bible permet ces deux sens possibles pour l'expression El-Shaddaï. Comme en science, la théologie pose des hypothèses de compréhension des textes bibliques, puis elle cherche à vérifier la pertinence de ces hypothèses. C'est assez facile ici, car il n'y a que 6 textes de la Genèse où il est question de El-Shaddaï (17:1, 28:3, 35:11, 43:14 , 48:3, 49:25). Dans absolument tous ces passages, il n'est pas question d'action violente de Dieu contre le mal, mais dans les six passages il est explicitement question de Dieu comme source de fécondité, de tendresse et de salut. C'est en particulier le cas ici, dans cette bénédiction de Joseph, et très clairement, quand Jacob dit :

Dieu te bénira des bénédictions des seins (Shadaïm)
et du ventre maternel !

Dieu-Shaddaï ne voudrait donc pas dire “ Dieu puissant ” qui envoie le malheur ou le bonheur, la vie ou la mort, mais c'est le Dieu qui allaite son propre enfant, qui lui donne à manger sa propre substance en lui donnant le sein. C'est bien cela que manifeste le Christ par son existence tout entière qu'il nous offre, c'est bien cela que nous dit l'Évangile quand il nous propose de manger son corps pour avoir la vie.

Ce sens possible pour El shaddaï a été relevé depuis l'antiquité par les Rabbins et les Pères de l'Église, mais ce sens a été souvent écarté parce que cela cadrait mieux avec le machisme ambiant de comparer Dieu à un Seigneur Tout-Puissant plutôt qu'à une femme qui accouche et qui allaite. C'est encore un petit peu choquant maintenant, ça l'était encore plus à l'époque de la Bible, à cause de la place de la femme dans ces sociétés patriarcales et parce qu'à cette époque l'allaitement était réservé aux servantes. Et bien, pourtant, la Genèse, nous dit que Dieu ne trouve pas indigne de nous donner à naître et de nous allaiter elle-même comme une petite servante. Peut-être est-ce là le cœur même de l'Évangile du Christ.

Selon Jacob, Dieu nous bénit, littéralement, des bénédictions des seins et de l'utérus maternels, si l'on accepte d'utiliser ici les termes scientifiques. Et à propos d'utérus, il est important de remarquer que dans la Bible c'est ce mot précis (raram) qui est aussi utilisé pour évoquer l'amour de Dieu, sa miséricorde, ou sa tendresse.

  • D'abord parce que Dieu a cette tendresse plus forte que tout qu'a normalement une mère pour son enfant.
  • Et aussi parce que la tendresse de Dieu est comme une matrice qui nous donne la vie.

C'est ainsi que dans la Bible chaque fois qu'il est question de la miséricorde de Dieu, c'est cette image d'une mère qui nous est proposée pour comprendre qui est Dieu, une mère qui nous donne la vie et qui nous allaite avec tendresse.

Jacob a d'abord montré la puissance de Dieu, celle d'un Père, d'un chef de famille. Jacob complète cette image en évoquant la tendresse de Dieu.

Voici l'œuvre du Dieu de ton père, il t'aidera ;
Voici l'œuvre du Dieu aux deux seins, il te bénira.

Nous avons besoin de l'aide de Dieu, du Dieu fort de la 1e partie du texte. Mais Dieu n'est pas seulement le Dieu qui nous aide avec force, il est aussi le Dieu qui nous bénit, le Dieu dont la bénédiction est naissance et allaitement, le Dieu de la grâce et du pardon, El-Shaddaï, le Dieu qui nous regarde comme une mère regarde son bébé et l'allaite. Cette image a dû choquer les théologiens du passé, et ils ont préféré l'idée d'un Dieu violent, plutôt que l'idée de sa tendresse et de son don de soi pour nous. Ces théologiens sont même allés jusqu'au mensonge en traduisant par “ Dieu TOUT Puissant ” cet extraordinaire El-Shaddaï.

Dieu s'offre à manger pour que son nourrisson grandisse. Et c'est précisément parce qu'il est tout petit, qu'il est incapable par lui-même de produire encore quoi que ce soit qu'il a besoin d'être allaité. El-Shaddaï, c'est le Dieu de la tendresse et de la grâce, c'est le Dieu dont la force est d'aimer et de pardonner. Cette notion n'annule pas la puissance du Dieu fort, les deux notions se complètent, se répondent et se relativisent mutuellement. Dieu n'est pas seulement Père comme dans des théologies machistes, il n'est pas non plus seulement Mère comme l'avancent des théologies féministes, mais il serait plutôt Père et Mère, comme ici, et comme le dit Saint Augustin dans son discours sur le Psaume 27 : “ Dieu est un père, parce qu’il crée, parce qu’il appelle à son service, parce qu’il ordonne, parce qu’il gouverne ; il est une mère, parce qu’il réchauffe, qu’il nourrit, qu’il allaite, qu’il porte dans son sein, « Mon père donc et ma mère m’ont abandonné ; mais le Seigneur m’a pris » pour me diriger et me nourrir. ”

Le dimanche de Quasimodo nous invite à mieux reconnaître notre Dieu, El-Shaddaï, comme un bébé trouve en sa mère son bonheur et la source de sa croissance. Éternel, notre Père et Mère en Jésus-Christ, donne-nous de recevoir chaque jour le lait de ta Parole, et de rendre gloire à ta puissance créatrice.

Amen

Lecture de la Bible

Genèse 49:22-26

Joseph est le rejeton d’un arbre fertile,
Le rejeton d’un arbre fertile près d’une source;
Les branches s’élèvent au-dessus de la muraille.
Ils l’ont provoqué, ils ont lancé des traits;
Les archers l’ont poursuivi de leur haine.
Mais son arc est demeuré ferme,
Et ses mains ont été fortifiées
Par les mains du Puissant de Jacob:
Il est ainsi devenu le berger, le rocher d’Israël.
C’est l’œuvre du Dieu de ton père, qui t’aidera;
C’est l’oeuvre du Tout-Puissant, qui te bénira
Des bénédictions des cieux en haut,
Des bénédictions des eaux en bas,
Des bénédictions des mamelles et du sein maternel.
Les bénédictions de ton père s’élèvent
Au-dessus des bénédictions de mes pères Jusqu’à la cime des antiques collines:
Qu’elles soient sur la tête de Joseph,
Sur le sommet de la tête du prince de ses frères!

Genèse 50:15-21

Quand les frères de Joseph virent que leur père était mort, ils dirent: Si Joseph nous prenait en haine, et nous rendait tout le mal que nous lui avons fait! Et ils firent dire à Joseph: Ton père a donné cet ordre avant de mourir: Vous parlerez ainsi à Joseph: Oh! pardonne le crime de tes frères et leur péché, car ils t’ont fait du mal! Pardonne maintenant le péché des serviteurs du Dieu de ton père!

Joseph pleura en entendant ces paroles.

Ses frères vinrent eux-mêmes se prosterner devant lui, et ils dirent: Nous sommes tes serviteurs.

Joseph leur dit: Soyez sans crainte; car suis-je à la place de Dieu? Vous aviez médité de me faire du mal: Dieu l’a changé en bien, pour accomplir ce qui arrive aujourd’hui, pour sauver la vie à un peuple nombreux. Soyez donc sans crainte; je vous entretiendrai, vous et vos enfants. Et il les consola, en parlant à leur coeur.

 

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