Début de Dieu, début de l’Homme

Genèse 4:17-26

Culte du 4 octobre 2015
Prédication de pasteur James Woody

(Genèse 4:17-26)

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Culte du dimanche 4 octobre 2015
prédication du pasteur James Woody

 

Chers frères et sœurs, ce passage biblique s’achève sur l’entrée de Dieu dans l’histoire des hommes. En effet, le dernier quote indique qu’à la naissance d’Enosh, on commença à invoquer le nom de l’Eternel. Comment en est-on arrivé là ? Comment en est-on arrivé à créer de la religion ? C’est la question que nous pose ce texte, ce matin.

Tout commence par une énigme policière. Qui Lamech a-t-il tué ? Quel est cet homme qu’il avoue avoir tué à ses deux femmes ? Un homme et un enfant, précise-t-il ? Si nous en restons au récit biblique, il n’y a pas six milliards de personnes qui peuplent la terre. Ils sont une double poignée. Il y a Adam et Eve, Caïn, et ses descendants, parmi lesquels Lamech qui est la sixième génération à partir de Caïn, qui a deux femmes, trois fils et une fille. C’est dans cette liste qu’il faut trouver la victime dont le texte ne dit pas explicitement le nom. L’élément le plus probant pour trouver le nom de la victime est de fouiller autour de l’aveu de Lamech. Autour de ce quote, il est question des femmes qui sont encore vivantes et de Caïn, dont on ne parle plus. Il est justement question de la vengeance liée au meurtre commis par Caïn et d’une vengeance semblable au sujet de Lamech, vengeance décuplée. Dans l’épisode précédent, qui faisait suite au meurtre d’Abel, nous avions appris que Caïn serait susceptible d’être vengé sept fois s’il venait à être tué lui-même. Du moins est-ce la traduction classique que nous avons en tête. Mais le commentateur juif Rachi offre une lecture bien différente qui éclaire d’un jour nouveau le reste de l’histoire. Au lieu de lire la phrase d’un seul tenant, il propose de la couper en deux temps, ce qui est tout à fait envisageable, compte tenu du fait que le texte hébreu n’avait pas de ponctuation, dans un premier temps. Cela donnerait « Malheur à celui qui tuera Caïn » pour la première partie de la phrase et « il sera vengé à la septième génération ». En l’occurrence, celui qui sera vengé sera Abel. Mais il ne sera pas vengé tout de suite. Il faudra attendre la septième génération, ce qui est une manière d’introduire le temps de la repentance et du pardon.

Dès lors, notre texte biblique et l’aveu de Lamech devient beaucoup plus clair, et nous comprenons que la victime est Caïn, du moins pour ce qui concerne l’homme. Mais l’enfant ? Les enfants de Lamech sont justement la septième génération. C’est à eux qu’appartient la possibilité de la vengeance. Le Midrash, qui est un commentaire juif des premiers livres de la Bible hébraïque, la Torah, reconstitue l’épisode de la manière suivante. Lamech allait à la chasse avec son fils Tubal-Caïn (qui porte justement le nom de l’aïeul qui nous occupe), celui qui forgeait des instruments de fer et d’airain. Un jour qu’ils étaient à la chasse, le fils voit un buisson bouger, le signale à son père qui tire sur le buisson. C’est Caïn qui était dans le buisson et qui meurt à cause de Tubal-Caïn, de la septième génération. Fou de douleur, Lamech tue son fils, l’enfant qui est mentionné dans l’aveu.

Cet épisode biblique indique que la branche Caïn n’arrive pas à se sortir de la violence. Elle est empêtrée dans ce cycle infernal de la vengeance qui va croissant. Une sorte de fatalité s’abat sur les générations qui, en dépit du temps qui leur est offert, reproduisent la même scène de violence. Cette branche et toute entière fondée sur la violence. Cela fait-il civilisation ? C’est ce que récuse le texte biblique qui considère que le meurtre originel ne peut tenir lieu de fondation. S’il y a eu un progrès au cours des générations, c’est qu’une forme de moralité s’est installée. Désormais Lamech ne s’étonne plus, comme son Caïn, qu’on lui demande des comptes après le meurtre. C’est Lamech, de lui-même, qui se sent responsable de ce qu’il a fait. Cela indique qu’un changement a bien eu lieu, faisant entrer l’Homme dans l’ère de la civilisation.

La civilisation

Avant d’en arriver là, l’homme était Adam, figure de l’animalité de l’homme qui se nourrit selon son instinct, qui utilise le principe de plaisir comme critère de choix. Le philosophe Søren Kierkegaard parle du stade esthétique. C’est l’homme sans précepte moral qui se fie à ses pulsions.

Puis l’Homme est devenu Ish, en rencontrant une Isha, la femme. Ish, l’homme, est Isha, la femme, forment une socialisation. C’est l’accès de l’homme à la dimension de la culture. C’est l’homme de l’alliance, de la morale. Si Caïn n’était pas encore un être moral au moment de son conflit avec son frère Abel, Lamech, lui, est un être moral qui a conscience de sa faute, ce qui signifie qu’il a intégré la loi dans sa manière de voir le monde. D’ailleurs, les fils de Lamech représentent, pour le rédacteur biblique, les figures de la civilisation. L’un développe le pâturage, ce qui est la fonction du berger, de l’agriculture. L’autre développe la musique, ce qui est le domaine de la culture, le domaine des poètes. Enfin, le troisième développe l’art de la guerre en produisant ce qui peut tenir lieu d’arme. Voilà les trois fonctions de base pour fonder une civilisation, selon ce rédacteur biblique.

Nous ne sommes pas très loin des trois fonctions repérées par Georges Dumézil lors de ses observations des mythologies indo-européennes. Au lieu de mettre l’accent sur la musique, la culture, Dumézil parlera de la fonction sacerdotale qui gère le sacré. Mais l’artiste, le poète, n’est-il pas chargé, justement, de rendre disponible au grand public les trésors infinis du sacré qui peuple notre quotidien d’une manière parfois insoupçonnée ? Les poètes ne sont-ils pas le voleurs du feu sacré qu’ils vont ensuite porter jusqu’à notre connaissance pour que nous nous réchauffions des choses les plus belles, les plus vraies, les plus sacrées ? Le rédacteur biblique n’a pas tort d’attribuer à l’artiste cette part qui consiste à révéler au monde les forces à l’œuvre dans l’histoire, forces que nos sens ne parviennent pas à saisir sans leur aide.

Adam, l’homme au stade esthétique ; Lamech l’homme au stade moral - Ish ; c’est avec Enosh que nous atteignons le troisième stade, le stade religieux selon le terme de Kierkegaard : l’homme spirituel, celui qui invoque l’Eternel, celui qui fait appel à Dieu. Jamais Adam n’avait fait appel à Dieu, ni pour lui demander s’il était vraiment possible de manger du fuit qu’il avait sous les yeux, ni pour quoi que ce soit d’autre. Caïn, un peu à la manière de son père, avait plutôt fuit l’Eternel. Lamech, quant à lui, s’en remet à la loi, au code moral. Enosh, qui est une autre manière de dire l’homme en hébreu, à côté d’Adam et de Ish, est celui qui atteint l’étape suivante : faire appel à Dieu. C’est cela qui en fait un être spirituel, c’est cela qui ouvre la voie de la religion. C’est cela que nous devons observer maintenant.

La religion

Cet être spirituel n’est pas descendant de Caïn. C’est une nouvelle descendance d’Adam et Eve, une nouvelle semence dit le texte. Si la civilisation est capable de se construire sur une violence initiale –certains diraient que la civilisation se nourrit de la violence-, il a fallu en passer par une autre voie pour atteindre le degré supplémentaire. Mort et résurrection. Voilà ce que dit ce texte qui pose que Seth s’est levé à la place d’Abel. Abel est mort, Seth a été suscité pour forger une nouvelle lignée, une nouvelle civilisation capable de dépasser le stade de la violence latente. Oui, c’est bien de nouvelle civilisation que nous pouvons parler. Non pas ce qu’on nous fait prendre pour de grandes et belles civilisations et qui ne sont en fait que des sociétés temporaires qui connaîtront leur effondrement un jour ou l’autre. Ici, il est question de civilisation au sens le plus accompli qui soit, au sens le plus inconditionnel, qui ne doit pas à quelque intérêt circonstanciel, mais qui s’oriente intégralement vers la recherche du bien, du bon, du beau, pour le dire dans des catégories non bibliques.

Si nous regardons de plus près le texte hébreu, nous constatons que cela ne se fait pas aussi facilement que la traduction en donne l’impression. Car on ne s’est pas contenté de commencer à invoquer le nom de l’Eternel à partir d’Enosh. Le verbe hébreu hll signifie avant toute chose « profaner ». Ce dernier quote qui ouvre les portes de la religiosité passe donc par un acte de profanation. « C’est alors qu’on profana pour invoquer le nom de l’Eternel ». La spiritualité biblique est à la fois une profanation et une invocation. C’est le doute et la foi. C’est la réforme et l’adhésion. C’est la rupture est la confiance. C’est la démythologisation et la prédication. C’est casser des idoles et rédiger des professions de foi. C’est ne pas se tromper d’objet d’adoration. C’est ré-enchanter la vie et pas le décor qu’il y a autour.

Notons qu’il y a aucune théophanie, aucune apparition de l’Eternel à Seth ou à Enosh, pour l’encourager dans ce sens. Est-ce Adam et Eve qui ont transmis l’information directement en lui faisant sa catéchèse ? L’Eternel désigne-t-il autre chose qu’un personnage extraordinaire capable d’informer le monde sur le bien et le mal, sur ce qu’il est conseillé de faire ou de ne pas faire ? Enosh commence l’histoire de l’humanité véritable, de l’humanité accomplie, en profanant les images de Dieu qui circulaient à l’époque. Peut-être même a-t-il remis en question les images de Dieu transmises par ses parents et grands-parents. Peut-être s’est-il permis de penser par lui-même et de prendre le parti de s’adresser au divin sans intermédiaire, sans passer par la tradition familiale, sans passer par ce qu’il était coutume de dire et de faire. Peut-être Enosh a-t-il décidé de prendre sur lui cette question de l’Eternel et de se débrouiller personnellement avec ce surplus d’existence que nous appelons la spiritualité et qui est ici cette manière de fonder notre vie sur autre chose que de la violence et de la vengeance. La spiritualité d’Enosh tient peut-être à la découverte de son histoire familiale qui est une gestion de la violence latente et de la promesse d’une vie en plénitude. En apprenant, selon le mot de sa grand-mère Eve, que c’est Dieu qui a mis une autre postérité à la place d’Abel que tua Caïn, Enosh découvre qu’il y a dans la vie de la place pour injecter autre chose que de la violence et de la vengeance.

De ce mythe biblique, nous recevons cette leçon de théologie qui pose que le début de l’histoire de Dieu dans l’histoire des hommes coïncide avec le début de l’histoire de l’Homme enfin humain. L’invention de Dieu coïncide avec l’invention de l’Homme humain. C’est lorsqu’il invoque l’Eternel, ce qui en hébreu est un verbe « haya » conjugué au futur, qui désigné la possibilité que quelque chose ou quelqu’un advienne, que l’homme fait mieux que d’être un animal doué de raison : il atteint ce stade religieux, où sa dimension spirituelle le rend humain, c’est-à-dire capable de s’adresser à quelqu’un comme à un autre semblable. Mais cela ne se transmet pas génétiquement. Chaque nouvelle génération qui vient au monde est susceptible d’en passer par ce cheminement d’humanisation s’il veut s’arracher à chaque stade pour accéder au suivant et atteindre la félicité.

Amen

Lecture de la Bible

Genèse 4:17-26

Caïn connut sa femme; elle conçut, et enfanta Hénoc. Il bâtit ensuite une ville, et il donna à cette ville le nom de son fils Hénoc.

18 Hénoc engendra Irad, Irad engendra Mehujaël, Mehujaël engendra Metuschaël, et Metuschaël engendra Lémec.

19 Lémec prit deux femmes: le nom de l’une était Ada, et le nom de l’autre Tsilla.

20 Ada enfanta Jabal: il fut le père de ceux qui habitent sous des tentes et près des troupeaux.

21 Le nom de son frère était Jubal: il fut le père de tous ceux qui jouent de la harpe et du chalumeau.

22 Tsilla, de son côté, enfanta Tubal-Caïn, qui forgeait tous les instruments d’airain et de fer. La soeur de Tubal-Caïn était Naama.

23 Lémec dit à ses femmes: Ada et Tsilla, écoutez ma voix! Femmes de Lémec, écoutez ma parole! J’ai tué un homme pour ma blessure, Et un jeune homme pour ma meurtrissure.

24 Caïn sera vengé sept fois, Et Lémec soixante-dix-sept fois.

25 Adam connut encore sa femme; elle enfanta un fils, et l’appela du nom de Seth, car, dit-elle, Dieu m’a donnée un autre fils à la place d’Abel, que Caïn a tué.

26 Seth eut aussi un fils, et il l’appela du nom d’Enosch. C’est alors que l’on commença à invoquer le nom de l’Eternel.

Traduction NEG

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