Construire demain pour vivre aujourd'hui

Jérémie 32:6-16 , Jérémie 32:24-25

Culte du 26 janvier 2020
Prédication de Béatrice Cléro-Mazire

Vidéo de la partie centrale du culte

    Nous retrouvons Jérémie dans la cour des gardes du roi Sedécias. Le roi a fait de ce prophète de malheur son prisonnier. Il ne supporte plus qu’il prophétise tant de malheurs. Peut-être a-t-il raison, mais il ne faut pas le dire, l’énoncer clairement. 

    Nous avons nous aussi nos prophètes de malheur, ceux qui nous préviennent que la terre va mal, que la crise écologique entraînera une terrible crise sociale. Nous avons par exemple une jeune fille prophète qu’un président des États Unis traite de prophète de malheur. Elle est comme Jérémie, jeune et passionnée et elle dénonce une génération qui détourne le regard d’une réalité que nul ne peu plus nier. 

    Déjà certaines régions de notre pays manquent d’eau, d’autres son ravagées par des intempéries effrayantes, et pourtant, la réaction se fait attendre, la conversion ne vient pas vite. 

    Jérémie a prophétisé les malheurs qui allaient s’abattre sur Jérusalem et le roi ne veut pas l’entendre. La vérité effraie, elle est comme une violence dans la paix de l’indifférence. Jérémie a été violent en disant la vérité, il est emprisonné. Comme un lanceur d’alerte qu’il faut museler, comme un sage qu’il faut faire taire, Jérémie est en prison. 

    Trop jeune pour prendre légitimement la parole, lui qui vient de la ville des prêtres maudits d’Anatoth, Jérémie est dans la cour des gardes. Et durant sa détention, une parole lui parvient, une parole, incongrue. À première vue du moins. 

    Quelle est donc cette histoire de contrat d’achat, de champ à racheter, quel est le rapport entre la situation du prophète et cette transaction ? 

    À Anatoth comme dans nos régions, il existe un droit patrimonial. Le patrimoine de la famille est régi par des règles de succession et de rachat. Dans notre droit de succession, nous héritons des biens qui nous reviennent et ils deviennent les nôtres. Dans le cas présenté dans le livre de Jérémie, les biens, ou les terres, sont vendus à des héritiers légitimes. Il y a donc un droit des héritiers à racheter des terres dans le cas où un ascendant meurt en laissant son patrimoine à sa veuve, ou quand le patrimoine est abandonné pour des raisons d’exil ou est vendu pour cause de trop grande pauvreté. C’est ce qu’on appelle le droit de rédemption. Écoutons ce que dit le livre du Lévitique à ce sujet : 

    Dieu dit : « La terre ne se vendra pas à titre définitif , le pays m'appartient, et vous êtes chez moi des immigrés et des résidents temporaires. Dans tout le pays qui est votre propriété, vous accorderez un droit de rédemption pour la terre. Si ton frère devient pauvre et doit vendre une portion de sa propriété, son rédempteur, son parent proche, pourra venir reprendre ce que son frère a vendu. » ( Lév 25, 23-25)

    Jérémie a donc un droit de rédemption sur le patrimoine de son cousin : Hanaméel. Comme dans le livre de Ruth où Booz avait le droit de rédemption sur le patrimoine d’Elimeleck, le mari de Naomie. 

   

    Jérémie n’est pas obligé de racheter, il pourrait passer son tour et ce serait le « racheteur » suivant dans la lignée qui aurait l’opportunité de racheter. 

Mais ici, Dieu demande à son prophète de racheter un champ à son cousin ; lequel, quand il aura de nouveau l’argent nécessaire à sa disposition, pourra venir le lui racheter. 

    Jérémie se trouve donc dans une situation tout à fait étonnante et paradoxale : il est enfermé dans la cour de garde du roi Sédécias qui pourrait, s’il le voulait, attenter à ses jours. C’est alors Dieu lui demande de racheter un patrimoine qui deviendra donc le sien. 

    A quoi peut bien servir de racheter un champ quand on est prisonnier et que la guerre se prépare ? 

    Quelle est donc cette invitation de Dieu à user de son droit de rédemption? 

    Jérémie pense accomplir la volonté divine en achetant le champ que son cousin ne peut garder. Il met donc à l’abri le patrimoine de sa famille en attendant des jours meilleurs. 

    Peut-être Jérémie aurait-il pu racheter sa liberté au lieu de racheter un champ ? Avec l’argent du champ, il aurait peut-être pu payer une rançon pour lui-même, mais au lieu de cela, il rachète pour le bien futur d’un autre. 

    Il choisit d’obéir à ce qui lui apparaît comme une parole de Dieu : « Je reconnus que c’était la parole du Seigneur. »

    Mais tout en faisant ce qu’il croit être juste devant Dieu, Jérémie interroge : « On élève des remblais pour prendre la ville ; la ville sera livrée aux Chaldéens qui l’attaquent, vaincue par l’épée, par la famine et par la peste. ( …) Néanmoins, Seigneur Dieu tu m’as dit : Achète un champ ? »

    Que comprendre dans une telle histoire ? 

    Dans cet étonnant texte où il est question de contrat et de champ, nous voyons un homme dont la situation semble bien désespérée, et pourtant il fait un acte qui traduit l’espoir qu’il a dans l’avenir. En l’occurrence, c’est Dieu qui espère pour lui et le conduit vers l’avenir au moment où il est emprisonné dans une ville en état de siège, ravagée par la guerre, la famine et la peste. 

   

    Acheter un champ, c’est espérer le replanter un jour, c’est espérer qu’un jour la paix reviendra. Car en temps de guerre, on ne cultive plus tranquillement les champs ; en temps de guerre, même les arbres sont abattus. La terre souffre autant que les hommes de la violence et de la destruction. 

    Souvenez-vous, le jeune prophète d’Anatoth, Jérémie, a été appelé par Dieu pour détruire et arracher, mais aussi pour construire et pour planter. Et au milieu du marasme il achète maintenant un champ. 

   

    N’avons-nous pas à nous inspirer, dans nos vies, de ce jeune homme qui, dans l’adversité entend en son coeur l’appel à espérer et investit dans l’avenir en accomplissant son devoir à l’égard de son patrimoine ? 

    Dans les moments où le mal semble s’abattre sur nos vies, quand la maladie frappe sans qu’on puisse la combattre, quand aucun remède au mal ne se laisse discerner, quand nos vies semblent se rétrécir comme dans la cour d’une prison, parce que l'avenir est oblitéré par le malheur, comment réagir ? 

    Faut-il courber le dos et attendre en silence le salut de Dieu ? 

    Faut-il se révolter et chercher des raisons au malheur qui nous frappe ? 

    Ou faut-il miser sur la vie puisqu’elle est toujours là et qu’elle nous donne des devoirs ? 

    Courber le dos peut bien durer un moment, le temps de se reposer de l’épreuve, mais sans action, le temps n’a plus aucun sens. Il faut bien se remettre à agir. 

    Se révolter est légitime et le cri de révolte contre le mal qu’on n’a pas mérité est bien compréhensible, mais passé le retentissement du cri, la question que faire ? reste entière. 

   

    Il ne reste donc plus qu’à vivre, vivre malgré le mal, vivre malgré l’inconnu de notre destin, vivre malgré le risque d’une issue contre laquelle on ne peut rien. 

    Dans le livre de l’Ecclésiaste ( ou Qohélet) , au chapitre 11, verset 1, il est écrit : « jette ton pain à la surface de l’eau car avec le temps tu le retrouveras. » Cette parole de sagesse nous enjoint à une prendre des risques pour l’avenir, à donner pour l’avenir. Quand bien même l’avenir semblerait incertain, il faut risquer demain, poser des actes de construction là même où la destruction semble être devenue la règle, des actes de partage, là même où l’égoïsme semble triompher, des actes qui créent des liens entre les hommes, là même où l’on institue la violence comme seule règle. Avoir assez confiance pour jeter son pain à la surface de l’eau, c’est comme semer une graine au lieu de s'en nourrir ; c’est parier sur le fait que notre espoir ne sera pas vain. 

    Acheter un champ, comme Jérémie, c’est d’abord faire son devoir, ne pas perdre de vue ce que l’on doit aux autres, et ce que l’on se doit à soi-même. Quand tout vacille, le moindre sens du devoir permet souvent de résister et de sauver ce qui peut-l’être. 

    Acheter un champ, comme Jérémie, c’est aussi faire de demain la règle de son aujourd’hui, et rester vivant, tourné vers l’avenir. 

     Acheter un champ comme Jérémie le fait dans les circonstances dans lesquelles il le fait, c’est enfin aimer Dieu et aimer son prochain, car Dieu nous veut vivant, et notre prochain a besoin de notre dignité ; et Jérémie reste digne de confiance parce qu’il fait son devoir même quand tout semble perdu.

   

    En cette semaine où nous commémorons la libération des camps de la mort, comment ne pas penser à tous ces captifs qui ont cherché jour après jour à garder leur place dans le monde des vivants, alors qu’une politique raciste voulait les vouer à la disparition ? Comment ne pas penser à ces gestes de générosité, de politesse, d’humanité, parfois même d’humour face au projet nazi de déshumanisation.

Ces petits objets retrouvés, ces dessins, ces notes de musique griffonnées quand même témoignent pour la vie et pour la dignité de chaque être humain victime de cette extermination de masse. 

    Comment rester humain, digne, quand on est en enfer ? 

    Jérémie parle de cette ville où il est captif, une ville assiégée où les ennemis ne manqueront pas de les laisser mourir de la faim, de l’épée ou de la peste. Il va pourtant continuer à faire ce qu'il doit faire avec la même conscience que si l’avenir était ouvert devant lui. 

    Jérémie est, par son droit de rachat du patrimoine de ses ancêtres, un rédempteur. Par son acte de générosité à l’égard de ce cousin d’Anatoth qu’il ne reverra peut-être jamais, Jérémie sauve la mémoire et le patrimoine de ceux qui l’ont précédé, ici, un oncle, et il ouvre un espoir devant ce cousin qui, un jour peut-être, pourra à nouveau lui racheter son champ. Quand la guerre sera finie, quand la paix permettra à chacun de cultiver son champ en sécurité. Quand une nouvelle génération arrivera. 

    Tout homme ignore la vie qui lui qui sera la sienne dans le futur. S’il choisit la vie, alors il est condamné à espérer. 

    Les cyniques diront que cela ne sert à rien. Les naïfs diront que tout va s’arranger, sans même y croire eux-mêmes. Mais entre ces deux positions, il peut y avoir une place pour les exigeants, ceux qui considèrent que faire correctement ce qu’ils ont à faire, tant que la vie est là, donne sa dignité à leur vie. 

    En faisant ce qu’il devait faire, Jérémie a agi pour que le patrimoine de ses ancêtres ne soit pas réduit à néant et pour que les générations qui le suivront retrouvent ce patrimoine. Au milieu de ces deux générations, Jérémie assure la continuité de la vie et c’est peut-être ainsi qu’il trouvera le salut pour lui-même. 

    Quand le découragement nous menace, quand le mal nous atteint, souvenons-nous de Jérémie qui, dans un acte prophétique, avait acheté un champ de cette terre maudite que ces ancêtres avaient labourée. Soyons nous aussi des rédempteurs pour ce qui peut être sauvé. 

Amen   

Lecture de la Bible

Jérémie 32/6-16 , 24-25

6 Jérémie dit : La parole de l'Éternel m'a été adressée en ces mots :
7 Voici que Hanaméel, fils de ton oncle Challoum, va venir auprès de toi pour te dire : Achète mon champ qui est à Anatoth, car tu as le droit de rachat pour l'acquérir.
8 Et Hanaméel, fils de mon oncle, vint auprès de moi selon la parole de l'Éternel dans la cour de la prison et il me dit : Achète mon champ qui est à Anatoth, dans le pays de Benjamin, car tu as le droit de propriété et de rachat, achète-le ! Je reconnus que c'était la parole de l'Éternel.
9 J'achetai de Hanaméel, fils de mon oncle, le champ qui est à Anatoth, et je lui pesai l'argent, dix-sept sicles d'argent.
10 J'écrivis un contrat que je cachetai, je pris des témoins et je pesai l'argent dans une balance.
11 Je pris ensuite le contrat d'achat, celui qui était cacheté, avec l'acte et les clauses, ainsi que celui qui était ouvert
12 et je remis le contrat d'achat à Baruch, fils de Nériya, fils de Mahséya, à la vue de Hanaméel, fils de mon oncle, à la vue des témoins qui avaient signé le contrat d'achat, et à la vue de tous les Juifs qui se trouvaient dans la cour de la prison.
13 Et je donnai sous leurs yeux cet ordre à Baruch :
14 Ainsi parle l'Éternel des armées, le Dieu d'Israël : Prends ces contrats, ce contrat d'achat, celui qui est cacheté et ce contrat qui est ouvert, et mets-les dans un vase de terre, afin qu'ils se conservent longtemps.
15 Car ainsi parle l'Éternel des armées, le Dieu d'Israël : On achètera encore des maisons, des champs et des vignes dans ce pays.
16 Après avoir remis le contrat d'achat à Baruch, fils de Nériya, j'adressai cette prière à l'Éternel :


24 Voici que les terrassements sont dressés pour prendre la ville ; La ville sera livrée entre les mains des Chaldéens qui l'attaquent,
(Vaincue) par l'épée, par la famine et par la peste.

La parole que tu as prononcée est arrivée, et tu le vois.

25 Néanmoins, Seigneur Éternel, tu m'as dit :
Achète un champ pour de l'argent, prends des témoins...

Et la ville est livrée entre les mains des Chaldéens !

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