Comme l’huile qui dégouline sur la barbe, la barbe d’Aaron

Psaume 133

Culte du 25 novembre 2012
Prédication de pasteur Marc Pernot

(Psaume 133)

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Culte du dimanche 25 novembre 2012 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Marc Pernot

J’ai choisi de vous offrir pour ce matin une vraie perle de petit Psaume. Il nous parle de bénédiction, de vie bonne et agréable, il nous parle de paix et même de vie éternelle, ce qui est rarissime dans le premier testament, et qui donne à ce texte un parfum d’évangile.

J’ai choisi ce texte parlant de l’union fraternelle pour ce jour où notre église s’apprête à avoir une assemblée générale extraordinaire. Ce n’est pas pour essayer de vous influencer sur votre façon de voter, vous êtes assez grand pour avoir votre propre opinion. Mais j’ai choisi ce texte car il me semble plein d’encouragements, plein d’enthousiasme et plein d’enseignements précieux pour notre vie de tous les jours, et donc aussi pour celle de notre église.

Ah comme c’est agréable et bon de demeurer ensemble comme des frères et sœurs unis…

C’est vrai. Et l’on pourrait ajouter, si l’on était moins positif que ce Psaume : Ah comme les disputes, les coups par derrière sont fatigants, nocifs, et amères. Ce Psaume 133 ne propose pas pour autant que nous pensions tous la même chose, comme dans une nouvelle Babel  et sa pensée unique (Genèse 11), nous le verrons plus loin à propos de la rosée sur l’Hermon. Mais néanmoins une union où nos désaccords puissent se vivre de façon féconde et agréable.

Comment faire pour avancer dans ce domaine ?

Parfois, nous avons bien conscience que c’est notre caractère qui est le problème, notre manque de maturité, nos réactions incontrôlables, ou bien une forte idée de la justice et de la vérité qui nous pousse à jouer le rôle du justicier. Parfois, souvent, nous pensons avoir fait notre part, largement notre part dans les efforts de paix, et que maintenant la bonne entente dépend des autres.

Notre Psaume n’entre pas dans cette question de savoir qui a tort dans la dispute : est-ce moi, est-ce l’autre, les autres, ou tout le monde, ou les circonstances. Ce Psaume, en définitive, semble nous dire, à chacun, que l’important c’est que nous soyons motivés, nous pour une bonne union. Et pour cela, il explique que c’est une question fondamentale, pas seulement un petit plus qui rend la vie plus douce.

Ce Psaume va même jusqu’à dire que l’union fraternelle est LE lieu où l’on reçoit la vie éternelle. Rien de moins. Mais ce Psaume ne tombe pas pour autant dans le moralisme, il travaille sur notre motivation, sur notre appétit, sur notre espérance d’une union fraternelle. Pour le reste, les progrès arriveront comme venant tout seuls, progressivement, ils viendront comme par miracle, et c’est bien un miracle, en fait, nous dit le Psaume en conclusion, un miracle dont Dieu est la source.

Bref, c’est vrai que pour faire la paix, il faut être deux, mais notre mission est déjà de commencer par évoluer nous-mêmes, et pour cela, rien de tel que d’espérer la paix et de l’attendre par la foi. De faire de cela une priorité dans notre existence.

Un texte étonnant

Ce Psaume est étonnant aux oreilles d’un lecteur d’aujourd’hui, avec ce curieux catalogue d'images hétéroclites. Quelle rapport y a-t-il entre l'huile versée sur la tête, deux barbes dont celle d’Aaron, les franges du manteau, la rosée qui coule d’une manière invraisemblable d'une montagne sur une autre... Qu’est-ce que tout cela veut dire ?

Il ne s’agit pas d’un code secret, ces images étaient limpides pour des oreilles de l’époque de sa rédaction, car elles sont très classiques dans la Bible.

Par contre le message de ce psaume était tout à fait étonnant, voire choquant pour bien des lecteurs de l’époque, et le fait que ce Psaume soit intégré dans la Bible, et même à une place particulière dans le Psautier, comme la dernière marche dans cette série des « Psaumes des montées » qui accompagnaient le pèlerinage au temple de Jérusalem. Vous cherchez Dieu, nous dit ce Psaume, vous attendez ses bénédictions, une vie douce et agréable, plus de justice et de paix pour notre peuple ? Vous faites bien, mais cela vous ne pourrez le recevoir que dans l’union fraternelle.

Dans ce contexte religieux, on s’attendrait à ce que la clef pour recevoir la vie éternelle soit dans une bonne et saine doctrine, non. Ce n’est pas non plus dans des rites fait bien comme il faut. Ce n’est pas non plus dans la générosité… mais dans l’union fraternelle. Cela n’annule pas l’importance du temple, du culte, de prière et la Bible qui sont évoqués ici également comme nous allons le voir, Mais vécus dans une riche, large, généreuse union fraternelle rassemblant des personnes aussi diverses que possible. C’est là que  Dieu envoie sa bénédiction.

Concernant toutes les églises et les religions, tous les bien pensants et les redresseurs de torts, cela remet sacrément les pendules à l’heure. Et le réglage des pendules n’est pas fini. Ces curieuses images qui sont au milieu du Psaume sont également assez subversives.

L’huile de bénédiction & de vocation

Première image : l’union fraternelle est comme l’huile qui est versée sur notre tête. L’huile est dans la Bible symbole de la bénédiction de Dieu et le signe d’une vocation personnelle, comme chargé de mission par Dieu pour embellir le monde d’une certaine façon.

Qu’est-ce que cela nous dit pour nous et notre église ?

D’abord que cette union fraternelle est à recevoir comme une bénédiction venue de Dieu. Et c’est formidablement déculpabilisant. Oui, nous avons du mal à vivre en bonne entente. Mais cela nous est donné comme la bénédiction de Dieu, par grâce, comme un don, comme une surprise, c'est un miracle.

Mais il semble qu’il y a là un paradoxe. Puisque l’union fraternelle est à recevoir comme une bénédiction qui vient de Dieu, et que l’union fraternelle est le seul lieu où Dieu puisse envoyer sa bénédiction, comment faire ? Il peut y avoir effectivement un cercle vicieux dans nos existences et dans notre église. Moins nous aimons les autres, moins nous laissons Dieu nous donner la foi. Et moins nous avons la foi moins nous aimons nos frères et sœurs quand ils sont différents...

Si une chose semblable nous arrivait physiquement, d'être trop faible pour avoir faim et de ne pas assez manger pour être en forme, comment nous en sortirions-nous ? En nous forçant un tout petit peu à manger, et de plus en plus, de bonnes choses. Pour ce qui est de la foi et de l'union fraternelle, cela vient de Dieu, comme une bénédiction. Mais on peut délibérément choisir d’espérer activement la bénédiction de Dieu et à l'entente fraternelle. Le cercle peut devenir alors vertueux plutôt que vicieux, nous donnant de grandir dans ces deux domaines fondamentaux.

C’est pourquoi la pensée délibérée de prendre l’union fraternelle et l’espérance en Dieu comme priorités conjointes est une bonne piste. Sans se culpabiliser de ne pas être assez cœur à cœur avec Dieu ni avec les autres, nous pouvons travailler là-dessus. Et l’Église peut vraiment être un des bons lieux pour cela.

Et puisque l’huile est également le signe d’une mission personnelle, cette image nous invite à ne pas seulement attendre et recevoir mais à militer avec des gestes prophétiques posant notre petite pierre pour l’union fraternelle et favoriser la foi de tous.

La tête et la barbe

Cette huile de bénédiction, nous dit le Psaume, ruisselle de la tête jusqu’à la barbe. En hébreu le mot tête signifie également le commencement, ou la jeunesse. Et le mot barbe signifie également la vieillesse. Nous pouvons donc dire que l'amour fraternel et la bénédiction de Dieu sont dans notre vie comme une naissance qui illumine notre vie tout entière. C'est une réalité. Nous sommes nourris, illuminés, construits par tout instant de relation vraie avec Dieu ou avec notre prochain.

Cela attire aussi notre attention sur une union qui rassemble tous les âges, une église qui rassemble et s’intéresse à chacun. Comme le disait James la semaine dernière, les jeunes ne sont pas l’avenir de l’église il en sont d’abord le présent. Et les personnes âgées ne sont pas les dernières à bâtir l’avenir, à témoigner souvent avec un vrai rayonnement de ce qui fait la valeur de la vie et de la foi. Quand les générations se parlent, s’enrichissent mutuellement de leurs enthousiasmes respectifs, nous avons là, oui, le lieu d’une bénédiction formidable.

La barbe d’Aaron

Mais en regardant de plus près le texte, il y a en fait deux barbes, la seconde étant la barbe d’Aaron, le premier grand prêtre d’Israël, il est le symbole même de l'homme dans sa relation avec Dieu.

L’union fraternelle et la bénédiction de Dieu dégoulinent comme une huile qui coule sur la barbe d’Aaron. Le culte, la lecture de la Bible et la prière ont leur utilité, décuplée par l’union fraternelle qui favorise, stimule, nourrit notre foi.

Par contre, nous savons tous que nous avons du mal à prier quand nous sommes pleins de rancœurs. Encore un cercle vicieux possible. Alors, quand cela nous arrive, prions malgré tout, prions pour demander à Dieu de nous donner d'abord un cœur un peu plus en paix et de bonnes intentions pour bâtir la paix. Quand nous ne sommes pas en forme, reprenons aussi doucement quelques relations avec une personne que l’on aime et qui nous écoute avec attention et bonté. Quand nous avons eu un moment de réelle amitié, cela nous met dans une bonne disposition pour nous tourner vers Dieu et recevoir sa bénédiction.

Le bord du vêtement

Ensuite, l’huile de bénédiction coule jusqu’au « bord du vêtement » d’Aaron. Ce vêtement était bordé de franges rituelles que les juifs appellent les tsitsith, et qui symbolisent les petits et grands actes de justice et de bonté que nous sommes appelés à avoir dans notre vie de chaque jour. L’huile dégouline sur ces franges du vêtement de l’homme ou de la femme de prière que nous sommes.

Oui, l’union fraternelle nous aide à faire des prodiges ensemble, grâce à notre complémentarité. Et c’est vrai que nos actes de solidarité ne seront une bénédiction pour une autre personne qu’à condition que nous ayons dans le cœur le sentiment que l’autre est un frère et que nous sommes sur terre, dans cette vie, comme dans la même maison.

Le sentiment profond que les autres personnes soient en réalité des frères n’est pas une évidence totale, si nous voulons bien regarder lucidement ce que nous avons dans le cœur, pas seulement ce que nous savons que nous devrions ressentir et penser. Mais cela aussi se reçoit comme une bénédiction, comme un ruissellement d’huile qui coule doucement sur notre vie entière, jusqu’à bénir et rendre fécond de petits gestes et les rencontres que nous pouvons avoir.

La rosée qui descend de l’Hermon

Après l'huile, c'est de la rosée qui se met à couler. Dans ces pays secs, la rosée est comme un miracle venu de l’invisible et portant la vie, à l’image de la bénédiction de Dieu.

Pour une religion « normale », si je puis dire, le rite est le lieu où l’on reçoit la bénédiction. Pour les hébreux d’alors, le cœur de la religion était normalement le Temple de Jérusalem, sur la montagne de Sion. Bien des Psaumes célèbrent la paix qui vient de Sion, des fleuves d’eau vive dégoulinant du Temple et irrigant notre existence et l’humanité toutes entières.

Mais dans ce Psaume, c'est l'inverse. La rosée vient de l’Hermon, c'est-à-dire de la frontière extrême d’Israël, du côté de ses pires ennemis, et que cette rosée, la bénédiction reçue là, à la marge, va fertiliser la montagne de Sion.

Cela a dû faire grincer des dents, et la présence de ce Psaume montre que les hébreux et les premiers chrétiens étaient bien plus libéraux qu’on ne l’imagine.

Et là encore, il est possible de comprendre cela dans les deux sens. Que nous soyons capable de vivre ensemble comme des frères avec des personnes qui sont pour nous à la marge de ce qui est acceptable est un tour de force dont seule une bénédiction nous rend capable. Et inversement, c’est dans le débat respectueux avec des personnes qui sont à la frontière que nous pouvons nous découvrir, et recevoir quelque chose qui vient de Dieu pour nous, sans pour autant finir par penser la même chose, une bonne discussion enrichit notre conception de la réalité avec une dose d’ouverture, d’humilité, de cheminement possible.

En science également, c’est aux limites du modèle, là où il ne fonctionne plus très bien, que l’on peut avancer. Dans l’église également, tant que nous restons dans un club très homogène nous passons à côté des plus grandes bénédictions, des plus grandes chances de recevoir la nouveauté que Dieu nous envoie. Quelle chance de rencontrer dans une même église une telle diversité que la nôtre. Quelle chance de pouvoir inviter à sa table ou être reçu entre personnes de « classes » ou de sensibilités théologiques ou d’origines, ou d’âges différents.

Le Psaume ne dit pas non plus que la rosée coule quand même depuis Babylone, mais simplement de la frontière. Il est donc utile de ne pas tout confondre, de ne pas nous diluer dans une ouverture à n’importe quoi. Mais une large et généreuse diversité.

L’essentiel reste la montagne de Sion, c'est le but de la rosée. L'essentiel, c'est bien la foi, la présence de Dieu dans l’intimité de notre être, de notre église, des multiples facettes de notre être et de notre vie.

L'essentiel c'est la foi, mais l’union avec des personnes qui seraient normalement presque étrangères, presque ennemies, ce petit effort d’union est non seulement bon pour le monde, mais est indispensable à notre vie spirituelle. Indispensable ouverture à la bénédiction de Dieu, la vie, pour l’éternité. Rien de moins.

Lecture de la Bible

Psaume 133

1 Psaume des montées. De David.

Voici, oh! qu’il est agréable,
qu’il est bon
Pour des frères
de demeurer ensemble!

2 C’est comme l’huile précieuse qui, répandue sur la tête,
Descend sur la barbe,
sur la barbe d’Aaron,
Qui descend
sur le bord de ses vêtements.

3 C’est comme
la rosée de l’Hermon,
Qui descend
sur les montagnes de Sion;
Car c’est là que l’Eternel
envoie la bénédiction,
La vie, pour l’éternité.

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