Comme des vivants revenus de la mort

Romains 6:3-13

Culte du 1 avril 2018
Prédication de Richard Cadoux

Vidéo de la partie centrale du culte

Au cœur du christianisme, il y a l'extraordinaire personnalité de l'homme de Nazareth. Aux origines de l'Eglise, la mémoire de Jésus a été conservée et transmise par deux traditions.

Les uns avaient été fascinés par le maître, le rabbi. Ils ont précieusement retenu ses paroles et son enseignement : les béatitudes, cette charte du royaume ; les paraboles, ces historiettes pleines de sel, qui donnent à penser ; le Notre Père ; les apophtegmes et les sentences qui révèlent un maître de sagesse. Et puis encore les questions que Jésus, tel un Socrate galiléen, avait l'art de poser. Ses controverses avec ses adversaires, qu'il clouait sur place par ses réparties aussi inattendues que définitives. Pour beaucoup Jésus était avant tout un prophète, un sage, un pédagogue et dans tous les cas un maître de la parole.

D'autres ont été subjugués par la Résurrection de l'homme que l'on avait fait périr sur la croix : Celui qui était mort est vivant, Celui qui gisait a été relevé, mis debout, celui qui s'était endormi, s'est réveillé. Abaissé, il a été exalté par Dieu. Autant d'expressions, de langages, employés avec des mots humains, pour essayer de dire ce qui relève de l'impensable et de l'inimaginable. Les évangiles, ces opuscules auxquels notre foi ne cesse de se référer, sont nés d'ailleurs de la fusion de ces deux traditions : Ils nous racontent, rapidement, ce que fut le ministère de Jésus, ils nous décrivent sa passion et ils nous transmettent la joyeuse annonce qui nous rassemble en ce matin de Pâques : le Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité ! L'apôtre Paul, dont je viens lire un extrait de la lettre qu'il a envoyée aux chrétiens de Rome, se rattache nettement à la seconde tradition. Jamais dans ses épîtres, il n'évoque les péripéties de la vie de Jésus. Il ne cite quasiment aucune des paroles du rabbi de Nazareth. En revanche, il ne cesse d'évoquer la Résurrection, qui pour lui est comme le tournant de l'histoire. Son affirmation est claire, déterminée, vous l'avez entendue : « nous le savons en effet : ressuscité d'entre les morts, Christ ne meurt plus. La mort n'a plus sur lui d'emprise. » Alors en quoi cette affirmation de la résurrection constitue-t-elle une bonne nouvelle ? Eh bien, le message pascal est pour nous une promesse, un constat et un appel.

Une promesse tout d'abord.
Paul écrit que « si nous avons été totalement unis, assimilés à sa mort, nous le serons aussi à sa résurrection. » Nous ne sommes donc pas, pas encore, associés à la résurrection de Jésus. Mais bonne nouvelle : nous le serons. C'est un futur. Paul s'applique à montrer comment l'espérance de notre propre résurrection vient se greffer sur la foi en celle du Christ. Il le dit et le redit : « Dieu, qui a ressuscité le Seigneur, nous ressuscitera, nous aussi...» (1 Co 6, 14) : « Celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus nous ressuscitera nous aussi avec Jésus. » (2 Co 4, 14). Ce que Dieu a fait pour cet homme, il le fera également pour nous. Telle est donc la certitude fondamentale. Il y a de ce fait une parole possible sur les fins dernières, sur l'au-delà. Par-delà la nuit du tombeau, nous goûterons la joie de vivre en la présence de Dieu, avec le Christ ressuscité. Comment cela se fera-t-il ? Nous n'en savons rien. Nous en avons seulement la ferme espérance. Le Nouveau testament se refuse à nous livrer une description de l'au-delà. Le monde de la Résurrection est aussi inimaginable que Dieu lui-même. Prétendre savoir, de science certaine et informée, ce qui est au-delà de la mort, c'est peut être même se prendre pour Dieu. Mais renoncer à décrire un arrière-monde, c'est encore témoigner une marque de confiance à l'égard de l'Eternel. L'éternité est l'avenir de Dieu. L’au-delà est le lieu de Dieu. Nous sommes invités à nous en remettre à lui. Nous sommes appelés à consentir à sa radicale nouveauté. Car la résurrection n'est certainement pas la continuation ou la reproduction de la vie d'ici-bas. Et nous devons donc casser toute idée de continuité entre les représentations de l'avant-mort et celles de l'après. Mais ce qui nous est donné à penser, c'est qu'elle est l’œuvre de Dieu, l’œuvre du Dieu créateur. Confesser Dieu comme celui qui donne la vie conduit à le reconnaître aussi comme celui qui peut la redonner, qui peut recueillir en son souffle une vie lorsqu'elle s'éteint, afin de lui accorder un nouvel élan, un nouveau bond. Enfin nous pouvons tenir qu'il y a une permanence entre l'avant et l'après de la mort. Le ressuscité est bien le même que le crucifié et je peux espérer que ce que je suis, Dieu le recueillera et le renouvellera d'une manière que lui seul connaît. Oui, il nous est promis que nous aussi, nous ressusciterons. Tout le reste nous échappe. Notre espérance est mise au défi.

Et pour l'instant que sommes-nous ? Sommes-nous morts ? Sommes-nous vivants ? Va savoir. Paul en fait dresse un constat lorsqu'il s'adresse aux membres de l'Eglise qui est à Rome. Paul y va très fort. Il soutient que nous avons été ensevelis avec Jésus en sa mort, unis à lui par une mort semblable à la sienne. Nous sommes morts. Nous avons été plongés dans la mort de Jésus. Cet homme est l'envoyé de Dieu, né d'une femme, appartenant à un peuple, à une culture bien précise. Il a vécu en témoin de Dieu, dans une relation filiale à celui qu'il appelait son père, il est allé jusqu'au bout de son engagement et Dieu lui a finalement rendu justice en le relevant d'entre les morts. Et Paul nous assure que nous sommes en communion avec cet homme, dans toutes les dimensions de sa trajectoire, de sa vie, jusque dans la mort.

Mais par quel moyen ? Paul parle du baptême à deux reprises. Alors il faut bien mesurer la portée de cette affirmation. Il serait illusoire de penser qu'un rite suffirait à nous associer quasi-automatiquement à Christ. Ce qui nous unit à Jésus, c'est la foi. C'est elle qui nous rattache à lui ; c'est par elle que nous sommes greffés sur lui, par un lien vital, existentiel, parce que la foi ça nous prend dans toutes les dimensions de notre être : intelligence, affectivité, volonté. Paul emploie un mot très fort : nous ne sommes pas seulement plongés mais nous sommes immergés en Lui. Deux mots différents. Un écrivain de l’antiquité parle de la recette pour faire des conserves au vinaigre, et pour ce faire il utilise les deux mots : le légume doit d'abord être plongé (bapto) dans de l'eau bouillante, puis immergé (baptizo) dans le vinaigre. Il y a deux bains, en quelque sorte. Le premier est bref, le second est une action de longue durée, considérée comme définitive.

En soutenant que le croyant est immergé en Christ, Paul fait plus référence à la vie de foi qu'au passage très bref dans l'eau du baptême. Le rite n'est qu'une parole mise en geste, il n'est que le symbole de cette foi qui prend toute notre existence, cette foi par laquelle nous adhérons à Jésus-Christ. Entre lui et nous, c'est à la vie et à la mort. Alors quand Paul écrit : vous avez été immergés dans la mort du Christ, c'est un équivalent de : vous avez cru en Lui. Unis à sa mort. Paul ne dit pas que nous sommes rendus participants de sa mort et de sa résurrection. En disant que nous sommes associés à la mort de celui qui est aujourd'hui vivant, il nous ouvre une fenêtre non pas sur un au delà fantasmatique, mais sur le réel de nos vies, ici et maintenant : « nous avons été ensevelis en sa mort, afin que nous menions aussi UNE VIE NOUVELLE. » Nous ne ressuscitons pas avec le Christ, mais il nous est donné d'entrer en nouveauté de vie. Notre foi dans le Christ ressuscité peut modifier de façon décisive les horizons de notre existence et notre façon de vivre la vie. La réalité de l'expérience chrétienne se formule, non point en termes de résurrection, mais en termes de vie et plus précisément de vie nouvelle. La foi nous enseigne qu'un homme a accompli la totalité du chemin qui mène à Dieu. L'espérance nous indique que cet accomplissement sera aussi le nôtre. En attendant, la foi nous pousse à entrer dans le même mouvement que Christ, puisque nous sommes unis à lui.

Le message pascal est donc un appel lancé à celui qui reçoit l'Evangile : Estimez-vous comme morts au péché, mais vivants pour Dieu en Jésus-Christ. Vous espérez en la résurrection, vous croyez que Jésus est sorti du tombeau, et bien en attendant vivez comme des ressuscités. Et quelle est la forme de cette vie nouvelle ? Tout d'abord, elle est libération. De quoi ? De ce que Paul appelle le péché. Le péché et pas les péchés. Le péché, qui pour Paul prend les allures d'une puissance, c'est la condition humaine tout entière dans sa faiblesse, dans son impuissance, dans ce qui la sépare de Dieu. Il s'agit d'une reconnaissance de ce qu'est l'être humain en profondeur, lorsqu'il cède à la tentation de tirer son origine et son identité de soi tout seul. Le péché, c'est le refus par l'homme de reconnaître son statut de créature qui reçoit de Dieu la vie, le mouvement et l'être. Le péché, c'est l'existence qui se pose elle-même comme son propre fondement. En fin de compte, c'est le contraire de la foi. C'est, devant Dieu, la situation de l'homme qui se veut autonome. Or Christ, l'homme qui n'a été que oui à Dieu, que pure capacité de Dieu, qui n'a vécu que pour accomplir l’œuvre de Dieu, qui n'a été que relation à son Père, eh bien cet homme a vaincu le péché. A tout homme, il ouvre la voie d'une vie libérée de la servitude, d'une vie réconciliée avec Dieu. Et Paul l'assène aux Romains : grâce à Dieu, vous êtes morts au péché. Nous ne sommes plus esclaves du péché, de cette puissance qui nous fascine, nous asservit et qui nous coupe des sources de la vie. Il n'a plus aucune prise sur nous.

Notre vieil homme est au cimetière. Il convient de laisser les morts ensevelir les morts.

Alors la vie nouvelle est aussi service de Dieu. Vous êtes vivants pour Dieu en Jésus-Christ ! Et ce service, cette diaconie, ce n'est pas autre chose que l'accueil et la mise en pratique de l'évangile. Le seul culte, le culte raisonnable, c'est la vie chrétienne conçue comme service de la parole qu'il faut recevoir, partager et transmettre au fil des travaux et des jours. Livrez-vous à Dieu, pour la justice ! L'enseignement de Paul souligne que la vie nouvelle débouche sur des choix spirituels et éthiques. Il n'est pas nécessaire d'en décrire le contenu. C'est en effet, une vie suscitée par l'Esprit de Dieu. C'est en toute liberté que ce souffle inspire notre action. L'éthique n'est rien d'autre que l'action de l'Esprit qui porte du fruit dans nos vies. Ce qui ne veut pas dire que celles et ceux qui vivent en Christ soient au-dessus des notions ordinaires de bien et de mal. Ils ne sont plus soumis aux lois, aux normes. Ils agissent sous la motion de cet Esprit qui répand en leurs coeurs la foi, l'espérance et l'amour, ces vertus qui se traduisent en des gestes, des paroles, des actes très concrets. La vie nouvelle ne fait pas de nous des êtres surnaturels, elle nous rend pleinement humains car elle nous donne le goût de ce qui est vrai, de ce qui est bon, de ce qui est juste. La vie nouvelle, c'est la vraie vie, une vie humaine tout simplement, désencombrée, accomplie.

On prête à Nietzsche un aphorisme sans doute apocryphe : « Je croirai à la résurrection du Christ le jour où les chrétiens auront des visages de ressuscités. » Cette remarque n'est pas sans justesse. Encore faudrait-il préciser qu'un visage de ressuscité n'est pas forcément un visage d'illuminé. C'est le visage d'un homme ou d'une femme qui prend la vie au sérieux et qui l'accueille dans tout ce qu'elle peut porter de promesses de nouveauté et d'invention. Pour ma part, je crois un peu plus en la résurrection du Christ, quand je considère autour de moi le visage d'hommes et de femmes qui se lèvent et se relèvent encore pour refuser la fatalité de l'injustice et de la bêtise, de la violence ou de l'égoïsme. Je crois un peu mieux en la résurrection quand je croise le visage d'hommes et de femmes qui, parce qu'ils ont de la lumière plein les yeux et de l'amour plein le cœur, attestent que Christ est vivant, sans même prononcer son nom, parfois même en ignorant son nom. Je crois davantage en la résurrection quand je vois des communautés chrétiennes, capables de devenir des espaces de pardon et de réconciliation. C'est là que se donnent à voir les vrais signes de la Résurrection et de la vie nouvelle célébrée par Paul. Il se peut aussi que nos vies, celle de nos communautés, puissent apparaître comme des contre-témoignages. La remarque de Nietszche peut s'avérer cinglante de pertinence. Au moins a-t-elle le mérite de nous rappeler qu'il est naïf de croire qu'il suffirait, pour entrer dans cette vie nouvelle, de se laisser porter par le courant de la résurrection, de se laisser emporter par un souffle bienfaisant, qui rendrait inutile le moindre effort.

Paul en effet, nous exhorte à vivre « comme des vivants revenus de la mort ». Cette vie nouvelle ne va pas sans prendre au sérieux le réel. Il faut avoir traversé la nuit pour connaître la valeur de la lumière. Vous est-il arrivé de faire cette expérience ? Vous étiez solidement arrimés à la vie. Et puis la tempête est arrivée : le deuil d'un être cher ; la maladie, la vôtre ou celle d'un proche ; un échec ; un ravage. Et vous avez découvert que rien ne nous est dû sur cette terre, ni santé, ni biens, ni amour, ni réussite. Rien. Vous avez pris conscience que nous sommes des voyageurs sans bagages. Et peut-être, que du fond de la déréliction, l'action de grâces est-elle montée du plus profond de votre cœur, timide, à peine audible, mais bien réelle, une action de grâce pour la vie qui surgit alors même que tout semble perdu, pour l'amour qui demeure quand l'amour même semble mort. Peut-être alors vous-êtes vous découvert comme un vivant revenu de la mort. Au fond c'est bien cela qui importe, frères et sœurs : quel signe plus éclatant de la crédibilité de la résurrection si ce n'est la force qu'elle place dans le cœur des blessés de la vie ? Comment croire en la résurrection si elle ne nous met pas debout nous-mêmes ? Comment la proclamer si nous n'en sommes pas les signes incarnés ? Oui frères et sœurs, bonne nouvelle aujourd'hui : vous êtes vivants pour Dieu, en Jésus-Christ.

Alors devenez ce que vous êtes !

AMEN

Lecture de la Bible

Romains 6/3-13
3 Ignorez-vous que nous tous qui avons été baptisés en Christ-Jésus, c'est en sa mort que nous avons été baptisés ?
4 Nous avons donc été ensevelis avec lui dans la mort par le baptême, afin que, comme Christ est ressuscité d'entre les morts par la gloire du Père, de même nous aussi nous marchions en nouveauté de vie.
5 En effet, si nous sommes devenus une même plante avec lui par la conformité à sa mort, nous le serons aussi par la conformité à sa résurrection ;
6 nous savons que notre vieil homme a été crucifiée avec lui, afin que ce corps de péché soit réduit à l'impuissance et que nous ne soyons plus esclaves du péché ;
7 car celui qui est mort est quitte du péché.
8 Or, si nous sommes morts avec Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui
9 sachant que Christ ressuscité d'entre les morts ne meurt plus ; la mort ne domine plus sur lui.
10 Car il est mort, et c'est pour le péché qu'il est mort une fois pour toutes, et maintenant qu'il vit, il vit pour Dieu.
11 Ainsi vous-mêmes, considérez-vous comme morts au péché, et comme vivants pour Dieu en Christ-Jésus.

12 Que le péché ne règne donc pas dans votre corps mortel, et n'obéissez pas à ses convoitises.
13 Ne livrez pas vos membres au péché, comme armes pour l'injustice ; mais livrez-vous vous-mêmes à Dieu, comme des vivants revenus de la mort, et (offrez) à Dieu vos membres, comme armes pour la justice.

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