Christ ne doit pas, ne veut pas, régner sur notre vie !
Jean 6:5-21
Culte du 16 octobre 2011
Prédication de pasteur Marc Pernot
( Évangile selon Jean 6:5-21 )
(écouter l'enregistrement) (voir la vidéo)
Culte du dimanche 16 octobre 2011 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Marc Pernot
Je vais vous lire un récit des évangiles qui est curieux à plus d’un titre, il comprend deux miracles incroyables et cette nouvelle surprenante : le Christ refuse de régner sur nos vies ! Voilà de quoi me fâcher avec les scientifiques et les théologiens, allez-vous me dire. Pour ce qui est des scientifiques, je peux les rassurer tout de suite, je ne pense pas non plus qu’il faille lire ces récits comme des miracles au sens physique du terme. Quant aux théologiens (les prêtres et pasteurs, mais aussi les fidèles), certains seront peut-être un peu choqués de m’entendre dire que le Christ ne doit pas régner sur nous, mais cela pourra lancer une discussion intéressante entre nous, et peut-être arriveront-ils à me faire évoluer sur ce point-là aussi.
En tout cas, vous allez l’entendre dans ce texte, Jésus-Christ refuse à ce moment-là de régner sur les personnes qui l’entourent même quand elles le lui demandent avec enthousiasme. Ce texte peut nourrir notre réflexion sur notre place dans la société, en tant qu’église mais aussi en tant que simple croyant.
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Jésus ne faisait pas l’unanimité, tant s’en faut. Mais dans ce texte, il enthousiasme une foule de partisans. Ils reconnaissent en lui un prophète, un vrai, une personne qui porte quelque chose de cette dynamique extraordinairement positive qu’est Dieu, et ils veulent le faire roi.
Cela semble une excellente idée. Ils veulent, de bonne foi, que Dieu règne ainsi sur leur vie, que sa Parole les dirige et que l'action du créateur puisse ainsi être pleinement à l'œuvre dans leur vie et dans le monde. Bonne idée ? Et bien non. Aussi bizarre que ça puisse paraître, Christ refuse de régner sur nous, ce qu’il veut, nous dit ce texte, c’est plutôt nous offrir de faire pour nous les 2 miracles racontés ici :
D’abord nourrir notre être, comme dans le 1er miracle, et nous rendre capable de nourrir un peu les autres.
C’est aussi nous aider à atteindre Capernaüm, selon le 2e miracle, c’est-à-dire littéralement le lieu de la consolation, ce qui est précieux quand nous ramons dans la nuit, comme ces disciples ; mais plus largement nahum en hébreu c’est la consolation mais aussi l’accomplissement de notre être avec Dieu (l’Esprit étant appelé aussi dans l’Évangile selon Jean, le Consolateur).
Christ refuse d’être roi, d’ailleurs Dieu lui-même ne veut pas régner sur notre vie. C’est normal. Que penserait-on de parents qui voudraient régner sur leurs enfants, régner sur eux à vie ? Dieu ne s’impose pas en nous comme une brute.
C’est en grande partie parce que Jésus refuse d’être roi que la foule et d’ailleurs aussi la plupart de ses disciples vont l’abandonner. Ce serait extrêmement confortable et rassurant d'avoir le Christ pour roi. Il distribuerait du pain à ceux qui ont faim, il imposerait une juste paix entre nous, il calmerait les tempêtes. Il nous dirait ce que nous devons penser, quel projet avoir... Et bien non. Christ n'est pas fait pour régner sur nous.
Christ refuse d’être roi, mais cela ne veut pas dire qu’il ne doit pas y avoir de skipper sur les bateaux. Heureusement qu’il y a des chefs de service dans les hôpitaux, des maires, des généraux, des cordonniers, des professeurs. Que Christ refuse d’être roi, cela veut dire plutôt que nous ne devrions pas régner spirituellement sur les autres, c'est-à-dire dominer la pensée d'un autre, régner sur son génie propre et sur son estime de soi. Que nous soyons président de la République ou enfant à l'école nous sommes appelés par ce texte à nourrir notre prochain et à l’aider à avancer de différentes façons.
Le Christ a refusé de régner. Ni l’église, ni les pasteurs, ni la Bible ne doivent penser à la place des gens. C’est à la base de réformes comme celles de Pierre Valdo au XIIe siècle à Lyon qui offrit la connaissance du texte de l’Évangile à ses ouvriers tisserands. C’est à la base de ce projet de Luther et Calvin d’apprendre à lire aux hommes, femmes & enfants, même les plus modestes, pour qu’ils lisent la Bible par eux-mêmes, qu’ils réfléchissent par eux-mêmes, et prient Dieu directement. C’est le rôle du travail d’interprétation de la Bible de nous aider à lui donner sa juste place.
Le Christ refuse d’être roi, mais que fait-il donc ?
Ce texte commence en disant que Jésus « lève les yeux » pour voir les personnes qui s’avancent vers lui. Il ne les regarde pas de haut en bas, mais de bas en haut, comme un serviteur, ou plutôt comme quelqu’un qui veille sur les besoins d’un autre qu’il aime. Un regard de bas en haut, vous savez, ça se sent. Ça se reçoit comme un geste qui nous met debout, qui révèle notre dignité.
Un questionnement
Après ce regard, Jésus pose une question à ses disciples : comment faire pour nourrir les gens qui sont autour d'eux. Un grand service de la Bible est de nous aider à nous poser des questions. Nous adorons apporter nos réponses et nos vérités aux autres. C’est d’autant plus naturel que nous avons des convictions qui nous font vivre, des convictions fortes que nous nous sommes faites en réfléchissant par nous-mêmes (comme nous y encourage Jésus, Mt 22:37). Mais asséner nos vérités est un comportement de roi. Jésus préfère aider les gens à se poser des questions. Il a des convictions bien affirmées qui transparaissent mais il les dit souvent d’une façon qui pose question, soit avec une parole visiblement exagérée, soit par une énigme, soit par des gestes symboliques. Ici, Jésus élargit le questionnement de ses disciples à la foule des personnes qui les entourent, il présente comme une évidence qu’ils sont concernés par la faim de ces gens, et les invite à se demander comment faire.
La capacité de donner
Bien sûr, comme Philippe & André dans cette histoire, il n'est pas difficile de se rendre compte de l'immensité des besoins de l’humanité, mais ils découvrent aussi que nous ne sommes pas sans avoir une certaine richesse, même si elle semble ridiculement petite, comme celle d’un enfant qui aurait 5 pains d'orge et 2 poissons. Comment cela va t-il suffire ?
Jésus va multiplier ces pains et ces poissons. Au sens physique, c’est impossible et un rapide calcul montre que si Jésus avait physiquement créé une telle quantité de pain, il aurait produit une énergie équivalente à celle développée par 2300 centrales nucléaires pendant un an.
À mon avis, ce texte n’est pas un reportage sur le formidable développement d’énergie fait par un magicien, mais c’est plutôt une mise en récit d’une vérité théologique et existentielle qui nous concerne profondément. Il existe des nourritures que se multiplient miraculeusement si l’on s’y prend bien et avec l’aide de Dieu, ce sont les nourritures spirituelles et cela n’est pas sans conséquences non plus sur les nourritures terrestres.
Ce texte est un signe. La qualité de la nourriture qu’offre le garçon évoque des richesses spirituelles :
Cinq pains d’orge : ce chiffre cinq évoque la Torah, la Bible. Et la Bible est souvent comparée à un pain dans la Bible elle-même. C’est vrai qu’elle a fait ses preuves comme nourriture pour la réflexion et la prière de chacun, de génération en génération et sous toutes les latitudes.
Deux poissons : ce chiffre de deux évoque la parole et le poisson évoque la vie spirituelle, grandissant sans cesse, gardant toujours l’œil ouvert, évoluant sans cesse dans l’eau de la bénédiction.
En tant qu'Église, ou en tant que chrétien, nous avons été nourris par ces pains et ces poissons, ce n’est pas l’expérience de tout le monde mais c’est notre expérience. Nous avons cela dans notre panier. Cette histoire nous dit que ce n’est pas peu de chose pour nourrir le monde.
Quelle idée a eue ce garçon d’offrir ses pauvres cinq pains et deux poissons ? Quelle idée a eue André de relayer cette offre minuscule ? C’est le miracle du regard de bas en haut comme celui que porte ici le Christ au début, c’est le fait de se poser des questions et de se sentir concerné par les autres, comme le Christ nous y invite.
Ce garçon fait un geste, ce geste touche André et éveille en lui un minuscule début d’espérance possible. Jésus partira de ça pour nourrir la foule et en faire un peuple. Comme quoi, les richesses spirituelles peuvent être ainsi, communicatives, contagieuses. Le geste de solidarité du garçon apporte une nourriture matérielle modeste mais ce geste est également porteur d’une richesse spirituelle qui, elle, peut se multiplier à l’extrême et faire avancer la situation non seulement sur le plan spirituel mais aussi matériel.
La nourriture spirituelle n’est pas tout, nous avons besoin de nourritures de toutes sortes pour vivre et pour nous épanouir. Mais tous les domaines qui concernent l’humain sont profondément liés. En ce qui concerne les pains matériels, pour que tout le monde ait à manger, c’est une question de ressources, certes, et c’est aussi une question de cœur, d’intelligence, d’enthousiasme. C’est donc une question en grande partie spirituelle.
Jésus nous apprend ici à multiplier, à démultiplier les dons spirituels, les nôtres et ceux des autres.
La prière d’action de grâce
Pour ce faire, Jésus commence par prier. Il ne prie pas pour demander à Dieu de faire pleuvoir des pains. Dieu ne peut pas faire ça, à mon avis (sinon il le ferait pour que ses enfants ne meurent pas de faim). Mais la prière de Jésus en l’occurrence est de rendre grâce.
Cette prière est d’abord une humilité devant Dieu, humilité de nos forces et de notre sagesse devant un élan et une grâce qui nous dépasse. C’est là encore un regard de bas en haut, il laisse une chance à Dieu ne nous apporter ce qu’il a à nous apporter, toujours une bonne surprise. À mon avis cela vaut mieux que de penser devoir expliquer à Dieu ce qu’il devrait faire !
La prière de gratitude nous aide aussi à nous réjouir sur ce qu’il y a de bon en nous et dans notre vie, ce qu’il y a de merveilleux dans ceux qui nous entourent (il n’y a pas que du mal dans le monde). Oui, même quand nous sommes chômeurs, abandonnés, malades, trop jeunes ou trop vieux, même quand nous sommes coupables d’horribles choses, nous avons de vraies richesses de toutes sortes en nous.
La prière de gratitude change aussi notre façon de concevoir la propriété personnelle. Que serions-nous, qu’aurions-nous si nous n’avions rien reçu par grâce ? Si nous n’avions jamais été aimé, si nous n’avions pas été nourris dès notre enfance, accueillis dans une culture, une société ? Cette prière nous apprend à recevoir et à donner.
Bref, cette prière de gratitude replace l’ensemble dans une vision non seulement de bas en haut, mais aussi de haut en bas, de très haut pour voir qu’un petit geste serait un beau prolongement à cette gratitude, qu’un petit geste de bas en haut changerait le monde et nous donnerait de la joie.
Le regard qui fait se sentir digne, le questionnement qui fait se sentir responsable, la prière, le geste d’un petit, l’encouragement d’un autre … Tout cela se multiple tranquillement sous les mains et la prière du Fils de l’Homme.
Chute et relèvement
Les disciples sont épatés par Jésus. Ils reconnaissent en lui quelque chose qui vient de Dieu et veulent le faire roi, mais aussitôt, Jésus disparaît à leurs yeux. Et en une phrase, le texte nous montre le résultat de cette espérance déplacée : les ténèbres tombent sur eux et ils descendent vers la mer, comme si leur être s’enfonçait dans le chaos originel.
Vouloir prendre le Christ pour le faire roi est source de régression, combien bien plus encore quand c'est notre religion, notre Bible, ou notre catéchisme, quand c’est sur l’état ou la sécu que l’on compte pour penser et pour agir à notre place, pour être prophète à notre place, pour aider notre voisin à notre place...
Les disciples rament dans le noir, Jésus a refusé d’être roi, il va falloir regarder et penser par nous-même (ne vais-je pas me tromper ?), il va falloir agir, donner soi-même de sa propre richesse (est-ce que c'est bien utile, et ne va t-on pas manquer ?), et puis l'abîme est trop profond... pourtant Dieu est présent comme un souffle sur leur visage, mais même de ce souffle, ils ont peur. Alors Dieu se rend encore plus présent, encore plus visible, encore plus audible en Jésus-Christ. Il est un acte visible de Dieu pour créer l'humain. Il ne vient pas pour régner à notre place, mais pour nous élever comme on élève un enfant.
Et finalement le bon rapport, le bon usage que l'on peut faire de Dieu, c'est tout simplement de « vouloir le prendre dans notre barque ». Le Christ n'est pas fait pour régner sur nous, mais pour nous accompagner, pour nous donner ce réconfort qui nous manque afin de monter plus haut, et de savoir regarder d’en bas.
Amen.
Lecture de la Bible
Jean 6:5-21
Jésus, ayant levé les yeux, et voyant qu’une grande foule venait à lui, dit à Philippe : Où achèterons-nous des pains, pour que ces gens aient à manger ? 6 Il disait cela pour le faire réfléchir, car il savait ce qu’il allait faire. 7 Philippe lui répondit : Les pains qu’on aurait pour deux cents deniers ne suffiraient pas pour que chacun en reçoive un peu. 8 Un de ses disciples, André, frère de Simon Pierre, lui dit : 9 Il y a ici un jeune garçon qui a cinq pains d’orge et deux poissons ; mais qu’est-ce que cela pour tant de gens ?
10 Jésus dit: Faites-les asseoir. Il y avait dans ce lieu beaucoup d’herbe. Ils s’assirent donc, au nombre d’environ cinq mille hommes. 11 Jésus prit les pains, rendit grâces, et les distribua à ceux qui étaient assis ; il leur donna de même des poissons, autant qu’ils en voulurent. 12 Lorsqu’ils furent rassasiés, il dit à ses disciples : Ramassez les morceaux qui restent, afin que rien ne se perde. 13 Ils les ramassèrent donc, et ils remplirent douze paniers avec les morceaux qui restèrent des cinq pains d’orge, après que tous eurent mangé.
14 Ces gens, ayant vu le signe que Jésus avait fait, disaient : Celui-ci est vraiment le prophète qui vient dans le monde. 15 Et Jésus, sachant qu’ils allaient venir l’enlever pour le faire roi, s’enfuit sur la montagne, lui seul et là, il pria.
16 Le soir venu, ses disciples descendirent au bord de la mer. 17 Etant montés dans une barque, ils traversaient la mer pour se rendre à Capernaüm. La nuit était déjà arrivée, et Jésus ne les avait pas encore rejoints. 18 Il soufflait un grand vent, et la mer était agitée. 19 Après avoir ramé environ vingt-cinq ou trente stades, ils virent Jésus marchant sur la mer et s’approchant de la barque. Et ils eurent peur. 20 Mais Jésus leur dit: C’est moi; n’ayez pas peur ! 21 Ils voulaient donc le prendre dans la barque, et aussitôt la barque aborda au lieu où ils allaient.