Brève rencontre à Jericho

Luc 19:1-10

Culte du 10 septembre 2017
Prédication de pasteur Richard Cadoux

Dimanche 10/9/2017
prédication du pasteur Richard Cadoux

Tintin, Gaston la Gaffe, Astérix, Lucky Luke : ces personnages de bandes dessinées ont été les compagnons de mon enfance. Et quand il m’arrive d’ouvrir un album de leurs aventures, je les retrouve alors, instantanément, dans la fraîcheur de leur jeunesse, comme la première fois où je les ai rencontrés. Ces héros ne sont pas comme moi, ils ont le privilège de ne pas vieillir. Zachée leur ressemble. Lui aussi, je l’ai découvert quand j’étais enfant, au KT, et je le fréquente désormais comme un vieil ami éternellement jeune. Je ne me lasse pas d’écouter ou de lire le récit de ses aventures. De son aventure plutôt, puisque Zachée ne fait qu’une très courte apparition dans l’évangile de Luc. Jésus est en route pour Jérusalem où il va être arrêté, jugé et exécuté. Il fait halte à Jéricho et interpelle cet homme monté sur un sycomore pour voir passer l’idole des foules. Entre ces deux hommes, c’est l’histoire d’une brève rencontre. Jésus reprendra sa route et de ce qu’il est advenu de Zachée par la suite, nous ne savons strictement rien. Mais à dire vrai, Zachée est un personnage énigmatique. Qui est cet homme en vérité ? Car enfin sur lui, les avis sont divergents.

Il y a d’abord ce qu’il dit de lui-même. Zachée prend la parole. Alors écoutons-le ! : « Je donne aux pauvres la moitié de ce que je gagne et si j’ai lésé quelqu’un, je lui rends le quadruple ». Très souvent on interprète cette déclaration en la mettant au futur. La rencontre avec Jésus entraînerait la conversion de Zachée et celle-ci se traduirait en actes concrets, des fruits de repentance. Le récit alors nous indiquerait comment vivre quand on est bénéficiaire du salut de Dieu. Mais cette déclaration peut aussi se comprendre au présent. Zachée est un homme généreux, il pratique l’aumône qui, dans le judaïsme, est une œuvre de miséricorde. Il fait d’ailleurs partie des gros donateurs. Et s’il a lésé quelqu’un, il s’efforce de réparer. Il peut donc faire le bien comme le mal. C’est un homme, comme vous et moi, partagé entre des aspirations diverses. En tout cas, il est dans le faire, dans l’activité. Finalement, dans la vie, il a réussi, comme on dit. Son parcours professionnel est brillant. Il est riche. Il est au faîte de la hiérarchie sociale : C’est le patron des percepteurs. Mais voilà, s’il parle de la sorte, en mettant en avant ses bonnes actions, c’est qu’il est tenu de se justifier.

Il y a, en effet, ce que la foule dit de lui, ce qu’elle murmure à son sujet : « C’est un pécheur ». Il est montré du doigt. Peu importe de définir ce qu’est le péché. Peut-être Zachée est-il une fripouille. Peut-être le contact avec des païens le rend-il impur au regard de la loi. Mais l’essentiel est ailleurs. Il est sous le coup d’un jugement, d’un jugement sans appel. Juger, à l’origine, c’est opérer une distinction. Identifier qui je suis et qui est l’autre, en quoi je lui ressemble et en quoi je suis différent de lui. Le jugement est, de fait, aussi essentiel et naturel que la respiration. Ce n’est que lorsque l’on passe de l’altérité, caractère de ce qui est autre, à l’altération, action de dégrader, que le jugement se retrouve pollué. La foule enferme Zachée dans une catégorie dépréciative qui le met au ban de la société. Le jugement de la foule l’exclut du groupe. Mais en fait, les accusateurs de cet homme projettent sur Zachée ce qu’ils ont du mal à reconnaître en eux. Eux aussi sont travaillés par le mal. Ils ont eux aussi leur part d’ombre. C’est cette part d’ombre qui leur fait attribuer à Zachée, via un mécanisme de projection bien rodé, des turpitudes qui les tentent, mais sans qu’ils soient capables de se l’avouer. En désignant Zachée comme un pécheur, ils se rassurent à moindre frais. En jugeant, ils s’épargnent la question angoissante : moi-même où en suis-je avec le mal ? L’homme fasciné, attiré par ce que la Bible appelle le péché, qui est là tapi à sa porte et vers lequel le porte son désir, pour parler comme on parle dans la Genèse, préfère voir des pécheurs partout plutôt que de considérer son propre cœur. Nous jugeons plus sévèrement les auteurs d’actions immorales si nous sommes tentés de les commettre. C’est encore une façon de nous punir, par procuration, de nos désirs interdits et inavoués. Les hommes de la foule, ce sont de pauvres pécheurs qui s’ignorent ou qui se refusent à la reconnaître et qui préfèrent trouver en Zachée un bouc émissaire : C’est un pécheur. On comprend alors que Jésus prenne la parole pour rétablir une vérité.

Très simplement Jésus déclare : « Lui aussi est un Fils d’Abraham ». Zachée n’est plus désigné comme pécheur. Jésus le présente comme l’un de ceux, aussi nombreux que les étoiles de la mer et que le sable bord de la mer, qui ont part à la bénédiction divine. Jésus signifie à Zachée qu’il a trouvé grâce aux yeux de Dieu, qu’il est enfant donc héritier selon la promesse. Zachée n’a plus à se justifier. Il est délivré du regard des autres. Jésus, le fils d’Abraham par excellence, va au-devant du collecteur de taxes comme on va vers un frère très aimé. Puisque Zachée, lui aussi, a été agréé par Dieu, alors c’est vrai, le salut est venu pour sa maison.

Et nous voilà tout à coup devant l’un des gros mots de la foi. Un mot que l’on emploie sans trop savoir de quoi il s’agit. Il relève d’un vocabulaire rituel qu’on utilise volontiers pendant le culte : Si vous saviez quel sauveur je possède ! Chantons-nous par exemple. Mais si nous devions donner une définition de ce mot, nous serions peut-être plutôt embarrassés. De quoi Dieu pourrait-il bien nous sauver ? Et de quelle manière ? Ce salut a-t-il été déjà donné ? Peut-être la notion de salut recouvre-t-elle de vagues spéculations sur ce qui suit la mort. En tout cas il ne semble pas que le salut dont parlent les Eglises corresponde encore à une attente, à une inquiétude, à une aspiration ou à une recherche. Il n’empêche que la Bible, le Nouveau Testament, l’Evangile, ce récit lucanien nous parlent du salut et relancent notre questionnement. Alors à partir de l’histoire de Zachée, est-il possible de réfléchir au salut ?

Le salut se dit en termes de relation entre Dieu et l’homme. Ici la relation se joue d’abord dans les regards. Zachée cherche à voir qui était Jésus, mais il ne le peut pas à cause de sa petite taille. C’est pourquoi il monte sur un arbre pour voir. Il est un peu badaud, un peu spectateur, un peu voyeur, notre Zachée. Voir, nous le savons, c’est toujours un peu dominer. Le regard capte, saisit et enveloppe. Il est maître du champ de vision. L’idéal, c’est d’ailleurs de voir sans être vu. Mais Jésus lève les yeux vers Zachée et leurs regards se croisent. En prenant ainsi l’initiative, Jésus s’invite dans l’espace de Zachée. Il met fin au régime du pur spectacle dans lequel se complaisait Zachée pour lui substituer une communication véritable. Entre les deux hommes la conversation va pouvoir s’engager. Le salut est alors échange de paroles. Le salut est salutation, selon une formule célèbre. Le salut, c’est ce désir de Dieu d’entrer en conversation avec l’homme, en lui parlant comme on parle à un ami. C’est un régime d’intime qui est inauguré de la sorte entre le croyant et son Dieu.

Ensuite la parole de Jésus est impérative. De manière inattendue, le maître de l’Evangile s’invite. « Descends vite, aujourd’hui, il me faut demeurer chez toi. » Le salut s’épanouit en hospitalité. Car en fait, Jésus se met en position de quémandeur. Il y a là quelque chose d’étonnant. Celui qui est le donateur par excellence, se met en position de demander. Telle est l’humilité de Dieu. Mais ce qui est tout aussi étonnant, c’est la réponse de Zachée qui répond positivement à la demande. Il descend vite pour le recevoir. Or Zachée, jusque-là c’était l’homme du péage, le garde-barrière, celui qui barre la route pour récolter l’argent de ceux qui veulent passer par là. Or à celui qui passe, tel un mendiant, Zachée ouvre toutes grandes les portes de sa maison. Il se met en frais pour lui. C’est bien là le véritable changement dans la vie de Zachée. L’hospitalité est le fruit de leur intimité. Zachée aurait pu rester sur son arbre dans son splendide isolement ou descendre et prendre ses jambes à son cou. Il saisit la proposition. La métamorphose de Zachée se réalise à travers une pratique d’hospitalité qu’il met en œuvre dans sa vie à l’invitation du Christ.

Mais est-il si étonnant ce pouvoir créatif de Jésus ? Laissons remonter à notre mémoire une phrase de Paul : « Si quelqu’un est dans le Christ, il est une nouvelle créature ». Être dans le Christ, c’est être vivant. Mais, le récit nous l’apprend, nous ne sommes dans le Christ qu’en accueillant, réciproquement, le Christ en nous. L’hospitalité désigne tout à la fois celui qui accueille et celui qui est accueilli. L’hospitalité va enfin se déployer en communion fraternelle. En ouvrant sa maison au prophète de Nazareth, Zachée, l’exclu, est arraché à son isolement de baron perché. Lui aussi est un fils d’Abraham. Il est incorporé à une nouvelle famille, celle des hommes de bonne volonté, prêts à quitter leurs lieux trop bien établis, prêts aussi à ouvrir leur maison et leur cœur aux voyageurs qui passent à l’heure méridienne. Une vie nouvelle sous le signe de la fraternité, ce n’est pas rien !

Intimité, hospitalité, fraternité. Le salut est tout à la fois délivrance et accomplissement. Accomplissement car Zachée était en quête. Si l’envie de voir Jésus lui est venue, c’est bien qu’il n’avait pas comme seules préoccupations dans la vie que son compte en banque et sa surface sociale. Ce garçon, je l’imagine comme un battant, dynamique et astucieux, mais néanmoins insatisfait. Son désir de voir Jésus était sans doute riche d’attentes inexprimées et d’aspirations inconscientes. Dieu a répondu à ces attentes mais en les dépassant et en les déroutant par un don infiniment supérieur et totalement inattendu. Ce salut est aussi libération : Zachée est délivré de tout ce qui l’empêchait de vivre, délivré de sa solitude, de sa fortune, de ses bonnes œuvres, délivré du regard aliénant des autres, délivré de l’obligation de devoir sans cesse se justifier. C’est un être responsable et libre qui se tient debout devant Jésus dans une totale gratuité. Il est reconnu dans la vérité de sa personne : Zachée, ce nom, qui en Hébreu signifie Innocent, Zachée, l’innocent, rendu à la grâce originelle. Il est rendu à lui-même, disponible pour de nouvelles rencontres, disponible pour une vie nouvelle en Christ. Le signe qu’il en est ainsi c’est la joie qui désormais habite son cœur en plénitude D’où vient cette joie ? De ce que Dieu est comme un visiteur qui passe dans nos vies. Il frappe à la porte de notre cœur. Celui qui l’accueille fait l’expérience d’un dynamisme qui le porte et l’emporte. Tel Zachée il est paradoxalement libéré du souci de soi, du souci de son propre salut. Il est invité à vivre tout simplement dans la confiance.

Oui, qu’en Jésus le Christ notre joie demeure !

AMEN

Lecture de la Bible

Luc 19:1-10

Jésus entra dans Jéricho et traversa la ville. 2Alors un homme du nom de Zachée qui était chef des péagers et qui était riche 3 cherchait à voir qui était Jésus ; mais il ne le pouvait pas, à cause de la foule, car il était de petite taille. 4Il courut en avant et monta sur un sycomore pour le voir, parce qu'il devait passer par là. 5Lorsque Jésus fut arrivé à cet endroit, il leva les yeux et lui dit : Zachée, hâte-toi de descendre ; car il faut que je demeure aujourd'hui dans ta maison. 6Zachée se hâta de descendre et le reçut avec joie. 7A cette vue, tous murmuraient et disaient : Il est allé loger chez un homme pécheur. 8Mais Zachée, debout devant le Seigneur, lui dit : Voici, Seigneur : Je donne aux pauvres la moitié de mes biens, et si j'ai fait tort de quelque chose à quelqu'un, je lui rends le quadruple. 9Jésus lui dit : Aujourd'hui le salut est venu pour cette maison, parce que celui-ci est aussi un fils d'Abraham. 10Car le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu.

(Traduction Colombe)

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