Aux mamans

Luc 2:41-52

Culte du 26 mai 2019
Prédication de Béatrice Cléro-Mazire

Vidéo de la partie centrale du culte

La période de l’adolescence n’est pas une période facile.

Et même Jésus, le héros des récits évangéliques, est assez difficile à comprendre dans cette période de sa vie. Seul l’Évangile de Luc nous raconte cette histoire d’adolescent fugueur. Alors, la question récurrente devant ce type de texte est bien sûr : pourquoi raconter une telle histoire ? Est-ce uniquement, dans la continuité des récits d’enfance, pour ajouter au merveilleux qui entoure la personne de Jésus ? Est-ce pour montrer le caractère extraordinaire de l’intelligence de celui qu’il faut accréditer comme fils de Dieu ? Si ce n’était pas Jésus, on s’inquiéterait plutôt pour son équilibre psychique, la fugue est souvent une alerte importante dans le comportement d’un enfant. Et puis sa façon arrogante de traiter ses parents ne nous le rend pas sympathique : « ne savez-vous pas qu’il faut que je m’occupe des affaires de mon père ? »

L’enfant prodige est un peu donneur de leçon. Il faut dire que les parents de Jésus ne s’illustrent pas comme des modèles dans cette histoire. Ils rentrent du pèlerinage à Jérusalem, et oublient de vérifier avant de partir si leur fils est bien avec eux. C’est assez invraisemblable, même dans une caravane de pèlerins qui se connaissent et se font confiance. Tout parent, normalement attaché à son enfant, vérifie qu’il reprend bien le chemin du retour et n’attend pas une journée entière avant de s’en assurer. Pourtant, c’est ainsi que sont présentés les parents de Jésus. Et, comme si cela ne suffisait pas, on ajoute à la fin du récit : « ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait ». Décidément, les parents de Jésus n’apparaissent pas très futés. Et le narrateur insiste sur leur incapacité à comprendre ce qu’un enfant lui-même comprend très bien. Alors que veut nous dire ce texte ? La scène se passe dans un contexte de fête très particulier. La Pâque est une des trois fêtes que tout homme juif adulte devait venir célébrer au temple de Jérusalem, avec la Pentecôte et la fête des tentes. Ces fêtes commémorent la sortie d’Egypte et le périple jusqu’au premier lieu de campement dans le désert: Souccot. Et dans ce cycle de la libération du peuple par Dieu, la fête de Pessah célèbre le fait que Dieu a épargné les premiers nés du peuple hébreu quand tous les premiers nés des Égyptiens, jusqu’au fils du pharaon, eux, périrent en une nuit. Jésus est donc dans ce contexte particulier de la fête des enfants épargnés, sauvés.

À aucun moment on ne raconte ce que Jésus dit aux maîtres en théologie qui sont dans le temple. La seule chose qui est rapportée, c’est la posture étonnante de cet enfant qui écoute, interroge les rabbins, et leur donne des réponses d’une grande intelligence. Parle-t-il de la Pâque ? discute-t-il du sens de cette libération du peuple hébreu ? Donne-t-il aux maîtres du temple une interprétation nouvelle de l’Exode ? Rien ne nous le dit. Seules les paroles de Jésus nous éclairent un peu sur son propos : il doit s’occuper des choses qui concernent son Père. Quel contraste entre cet enfant devenu subitement grand et raisonnable, responsable d’une mission et l’enfant qui nous est décrit à Nazareth comme soumis à ses parents !

Le texte pointe d’avantage l’étonnement que produit l’intelligence des propos de Jésus que le détail de ce qu’il dit. Le philosophe Descartes, dans son oeuvre : Les passions de l’âme; note que l’étonnement et l’admiration vont de pair. Il écrit: Lorsque la première rencontre de quelque objet nous surprend, et que nous le jugeons être nouveau, ou fort différent de ce que nous connaissions auparavant ou bien de ce que nous supposions qu’il devait être, cela fait que nous l’admirons et en sommes étonnés ; et parce que cela peut arriver avant que nous connaissions aucunement si cet objet nous est convenable ou s’il ne l’est pas, il me semble que l’admiration est la première de toutes les passions. Les maîtres en théologie sont en admiration devant Jésus parce qu’ils ne s’attendent pas du tout à ce qu’un enfant converse avec eux de cette manière. Jésus fait rupture dans leurs habitudes et même s’ils ne savent pas encore si ce qu’il fera de son intelligence leur conviendra ou non, ils sont dans l’admiration et donc surpris par l’autorité de ce petit garçon.

Sans doute l’Évangile de Luc interroge-t-il la figure de l’enfant et l’étonnement que produit son caractère paradoxal. Pourtant, cet enfant qui fait l’admiration des maîtres en théologie n’est-il pas le même que tous les enfants ? Pour peu que l’on prenne le temps d’écouter ce qu’ils ont à nous dire. Beaucoup de propos des enfants nous enchantent par leur justesse et par leur intelligence, et là où l’on s’attendrait à « niaiser », ils nous subjuguent parfois avec des raisonnements dignes des meilleurs philosophes. L’enfant sage n’est pas seulement celui qui se tient tranquille, il est aussi celui qui regarde le monde sans les filtres et les a priori dont l’âge adulte est encombré. Le manque d’expérience se traduit souvent chez l’enfant par une clarté du discernement qui a de quoi nous étonner.

Tout au long du récit, se déploie le champ lexical de la filiation : parents, père, mère, enfant Jésus. Mais cette figure évolue au fil du récit . De l’enfant Jésus : ο παις Ιησους du début du récit , on passe à mon enfant : τεκνον, qui, dans la bouche de Marie, est un terme affectueux qui signifie : ma postérité, ma descendance ; mon fils, pour arriver à : Jésus, qui progresse en sagesse, en taille et en grâce auprès de Dieu et auprès des humains. Le récit de Luc est en fait en train de dresser l’itinéraire d’un enfant, non pas gâté, mais d’un enfant dont le destin est tracé de toute éternité, entre humanité et divinité. Plus encore, l’Évangile met en récit la croissance du personnage Jésus. Du petit enfant Jésus, au Jésus en passant par l’enfant de ses parents qui leur échappe. La tentation est grande, à la lecture de ce texte, et sans doute dès sa rédaction même, de faire de Jésus un demi-dieu, héros hellénistique qui se débat dans sa double origine, divine et humaine.

Dans le projet apologétique de l’Évangile de Luc, on comprend qu’il soit nécessaire de faire ressortir les accents merveilleux d’une enfance dont on ne sait évidemment pas grand chose. Mais dans une lecture critique et contemporaine de ce récit, la question se déplace un peu. Il ne s’agit pas de dire ce qui fait de Jésus un être à part et hors norme, mais bien plutôt de chercher ce qui fait de Jésus un frère pour nous autres humains, qui avons bien du mal à nous occuper comme il le fait, des affaires de notre « divin Père ». L’image de l’enfant est intéressante parce qu’elle implique une croissance, une dépendance, et une probabilité. Une croissance, parce qu’on ne peut rester enfant toute sa vie, sauf à disparaître dans son jeune âge. Une dépendance parce que l’enfant ne se fait pas seul, et il dépend pour ses besoins vitaux d’autres plus grands que lui. Une probabilité, parce qu’un enfant est une fenêtre ouverte sur des possibles si variés, qu’il est impossible d’en faire la liste.

Ainsi, dans le même Évangile, Jésus dit-il : laissez venir à moi les petits enfants et ne les empêchez pas ; car le royaume des cieux est pour ceux qui leur sont semblables. ( Luc 18, 16) Ainsi, pour comprendre en quoi consistent les affaires de Dieu le Père, il faudrait être comme cet enfant, toujours en croissance, dépendant et tendu vers les possibles de l’avenir. Mais comment revenir à l’enfance quand on est déjà vieux de tout ce que le monde nous a appris ou désappris ? Friedrich Nietzsche, dans son livre : Ainsi parlait Zarathoustra, décrit les trois métamorphoses de l’esprit. Il écrit : Je vais vous dire trois métamorphoses de l’esprit : comment l’esprit devient chameau, comment le chameau devient lion, et comment enfin le lion devient enfant. Dans l’Évangile de Luc, il semble que l’esprit de Jésus subisse les trois métamorphoses. Il apprend la religion de ses parents et se rend avec eux au pèlerinage de Pâque, comme le prescrit la loi, et il se charge ainsi, comme un chameau se charge de son lourd fardeau, de toutes les connaissances qu’il doit acquérir, puis il échappe à l’autorité et fugue comme un lion sauvage. Il veut faire lui-même ses expériences et se faire libre par l’invention de nouvelles valeurs, il vit sa Pâque, sa libération et peu importe l’angoisse de ceux qui l’aime. Et Nietzsche reprend: Mais, dites-moi, mes frères, que peut faire l’enfant que le lion ne pouvait faire ? Pourquoi faut-il que le lion ravisseur devienne enfant ?L’enfant est innocence et oubli, un renouveau et un jeu, une roue qui roule sur elle-même, un premier mouvement, une sainte affirmation.

Montrer Jésus enfant au milieu des rabbins, c’est montrer un enfant qui s ‘adonne à la sainte affirmation, et qui, en essayant ses réponses et ses hypothèses en toute innocence, enseigne aussi à ceux qui l’enseignent. Les commentaires de ce passage, souvent s’arrêtent au caractère extraordinaire d’un enfant qui enseignerait aux adultes. Mais n’est-ce pas l’étonnement et l’admiration des adultes devant cette innocence, qu’ils ont eux-mêmes tant de mal à retrouver, qui constituent la clé de ce récit ? Il arrive souvent que les adultes ne se souviennent plus de cette phase de la vie où tout est à découvrir. Et il arrive aussi qu’ils préfèrent calmer ce désir chez leurs enfants, soucieux qu’ils sont de ne pas les laisser grandir trop vite et de ne pas les laisser découvrir ce que la vie réserve de choses graves et difficiles à expérimenter. Joseph et Marie rentrent à Nazareth et l’auteur du texte nous dit que Jésus de nouveau leur obéit ; Il rentre à la maison, comme si rien ne s’était. Marie garde tout dans son coeur, comme une vérité concentrée en un évènement qui menace d’éclater à tout moment. Que fera Jésus au nom de ce Père dont il parle sans plus d’égard pour Joseph ? Quel destin aura-t-il, ce fils qui comme un lion les renie ?

L’Évangéliste, comme c’est le cas à chaque fois, connaît la fin. Et l’enfant qui est là, si fragile, et pour qui ses parents éprouvent de l’angoisse, un jour sera grand et provoquera chez cette mère une angoisse plus grande et irréparable. Comment ne pas frémir en voyant Jésus si petit au milieu des spécialistes de la foi ? Comment ne pas penser au Sanhédrin qui le sacrifiera comme un agneau au jour d’une autre Pâque, pour faire un exemple, pour faire taire toute intelligence de la foi, pour ruiner toute velléité de rechercher une nouvelle vision de Dieu, pour tuer le lion ? Ceux qui savent Dieu, bien souvent, n’aiment pas ceux qui le cherchent. Marie regarde son fils, comme ces Madones qui portent leurs yeux au-delà de l’enfant Jésus et semblent le traverser pour noyer leur regard dans un avenir terrible. Comme cette vierge au Chardonneret de Raphaël, qui voit dans la gorge rouge du fragile oiseau que le petit Jean-Baptiste tend à l’enfant Jésus, le présage de sa fin tragique. Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? semble-t-elle dire. Marie, (Myriam : la voyante, en hébreu), comprend que le ciel réalise son histoire dans la vie de son petit d’homme et qu’il faut qu’elle conserve bien serré dans son coeur l’image intacte de son enfant.

Sans doute les récits d’enfance sont-ils ainsi faits qu’ils condensent le salut de Dieu dans un instant d’enfance. La conviction de ces récits est que Dieu aime toute vie humaine comme on aime un enfant. Bien sûr il arrive qu’un parent n’aime pas son enfant. Cependant dans ce récit, Marie nomme ce lien et s’adresse à Jésus en lui disant : « mon enfant ». C’est cet amour qui nous montre le chemin du royaume. Un amour plein de joie, mais aussi plein de peur et d’incertitude. Un amour qui accepte tous les possibles d’une vie, qui les redoute ou les désire, un amour qui répare déjà les erreurs que l’enfant fera, qui pardonne ses fautes a priori, qui espère contre toute espérance le meilleur pour l'autre, pour celui qui vient après et qui semble avoir été là avant nous tant il est important, tant il concentre en lui toute notre attention, toute notre passion. Cet amour là est infini, comme le royaume des ceux.

Mon enfant, ma postérité, mon avenir, mon salut, semble dire Marie à Jésus quand elle le retrouve enfin. Nous avons baptisé une enfant aujourd’hui. Elle a reçu le signe du salut de Dieu.

Que sa présence parmi nous soit le signe du royaume de Dieu ici et maintenant.

Amen

Lecture de la Bible

Luc 2/41-52
41 Ses parents allaient chaque année à Jérusalem, pour la fête de la Pâque.

42 Lorsqu'il eut douze ans, ils y montèrent selon la coutume de la fête.
43 Puis, quand les jours furent achevés et qu'ils s'en retournèrent, l'enfant Jésus resta à Jérusalem, mais ses parents ne s'en aperçurent pas.
44 Pensant qu'il était avec leurs compagnons de voyage, ils firent une journée de chemin et le cherchèrent parmi les gens de leur parenté et leurs connaissances.
45 Mais ils ne le trouvèrent pas et retournèrent à Jérusalem en le cherchant.
46 Au bout de trois jours, ils le trouvèrent dans le temple, assis au milieu des maîtres, les écoutant et les interrogeant.
47 Tous ceux qui l'entendaient étaient stupéfaits de son intelligence et de ses réponses.
48 Quand ils le virent, ils furent ébahis ; sa mère lui dit : Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Ton père et moi, nous te cherchions avec angoisse !
49 Il leur répondit : Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que j'ai à faire chez mon Père ?
50 Mais ils ne comprirent pas ce qu'il leur disait.
51 Puis il descendit avec eux à Nazareth ; il leur était soumis. Sa mère retenait toutes ces choses.

52 Et Jésus progressait en sagesse, en stature et en grâce auprès de Dieu et des humains.

Audio

Écouter la prédication (Télécharger au format MP3)

Écouter le culte entier (Télécharger au format MP3)