Annoncer Jésus-Christ dans une société laïque

Culte du 21 mars 2004
Prédication de pasteur Florence Taubmann

 

Culte à l'Oratoire du Louvre,
par le pasteur Florence Taubmann

Chers amis,

Il y a quelques dimanches, j’avais évoqué avec vous le thème des synodes de l’an prochain : «Annoncer Jésus-Christ dans une société laïque ; qui fait autorité dans notre vie ?»

Mais je vous avais proposé une question préliminaire : « de quel Jésus-Christ s’agit-il? En quelle image du Christ chacun d’entre nous se reconnaît-il ? »

Aujourd’hui je voudrais aborder plus directement le thème du synode, et ce n’est pas sans lien avec notre assemblée générale, et avec un thème que nous avons abordé dans notre journée de réflexion du Conseil presbytéral : à savoir le prosélytisme, le témoignage, l’annonce de Dieu dans le monde dans lequel nous vivons. Vous avez trouvé d’ailleurs un petit article sur ce thème dans la feuille rose, ainsi qu’un article sur le piétisme, qui était l’autre thème de notre rencontre.

Pourquoi et comment annonce-t-on Dieu dans le monde ?

D’abord, me semble-t-il, ce désir d’annoncer se fonde sur une conviction universaliste. Mais la question de cet universalisme se pose à deux niveaux.

D’abord, du point de vue de la Bible, du point de vue du Dieu que nous confessons, toutes les familles de la terre sont bénies, y compris celles qui n’appartiennent pas à notre religion, à notre culture, à notre classe sociale, etc…Aux yeux de Dieu nul n’est supérieur, nul n’est méprisable. Le genre humain est aimé de Dieu, les individus sont aimés de Dieu. La création entière est bénie. Bien sûr cela semble une évidence, mais est-ce une conviction profonde en nous-mêmes, est-ce une réalité que nous vivons sur le plan éthique et spirituel? Il faut toujours se le demander, me semble-t-il.

Mais alors vient la deuxième question : la Parole qui nous est confiée et dont nous sommes porteurs vaut-elle d’être partagée, annoncée, traduite, enseignée, expliquée ? Cette Parole, c’est la Parole de bénédiction de la Bible, c’est la Parole de justice et d’amour de Dieu, c’est la Parole biblique présentée dans la multiplicité de ses interprétations. Pas une Parole assénée comme une vérité qui juge et qui écrase, pas une Parole dogmatique, mais une Parole ouverte par tous ceux qui l’ont interprétée avant nous et qui l’interprètent autour de nous. Donc Parole de la Bible et Parole de la Bible dans l’histoire. Parole et traditions au pluriel et sans le grand T de la tradition. Tradition au sens juif du terme peut-être du commentaire infini.

Voilà donc déjà une condition pour témoigner et annoncer Dieu dans l’espace public : être convaincu que tous les hommes peuvent se sentir concerner par ce Dieu, par cette Parole là, par l’interprétation de cette Parole-là. Ce Dieu-là ne regarde pas que les chrétiens, il regarde toute l’humanité et toute humanité.

La seconde condition pour annoncer Dieu dans le monde, c’est le désir. Le réel désir de témoigner, d’annoncer, d’accueillir.

Chez nous quand on pense témoignage, on pense plutôt témoignage en actes que témoignage en paroles. Cela correspond à une conviction profonde que nous avons qu’il faut une cohérence entre notre foi et nos actes, d’où des efforts pour nous comporter en chrétiens dans le monde et dans la société. Ce témoignage actif n’est pas forcément explicite. Autrement dit, il ne nécessite pas que l’on dise ici et là qui inspire nos actes, nos attitudes, nos pensées. Dans notre Eglise Réformée, où l’on est volontiers pudique et réservé en matière de foi et de sentiment religieux, c’est souvent ce mode de témoignage que l’on choisit, à travers des engagements divers et variés associatifs humanitaires sociaux politiques.

Cependant, me semble-t-il, le défi d’aujourd’hui et de demain est aussi le témoignage explicite, l’annonce publique du Dieu de la foi chrétienne. Il y a une transmission verticale, généalogique, à poursuivre et à renforcer, mais il y a aussi une transmission horizontale, à l’adresse de nos contemporains et du monde extérieur. Si nous pensons que le christianisme a quelque chose d’important, de riche à dire au monde, il nous faut le partager à l’extérieur. Car les défis spirituels et religieux de notre monde actuel sont si importants qu’on ne peut faire l’économie de cette communication. Sauf à penser que l’histoire chrétienne protestante réformée n’est qu’une affaire de famille.

Il ne s’agit pas, évidemment, de devenir intolérant ou méprisant à l’égard des autres religions ou philosophies de l’humanité, mais de tenir dignement notre place parmi ceux qui offrent des outils pour penser le monde, pour le vivre humainement, pour le rendre plus généreux. Peut-être faut-il retrouver cette énergie première des apôtres, habité, tiré, poussé par une conviction très forte : celle d’avoir à dire quelque chose d’essentiel et d’ultime au monde sur Dieu, sur son amour, sur la vocation humaine, sur l’espérance…Trésor qui brûle les lèvres…puisqu’il s’agit justement d’une bonne nouvelle, comme le dit son nom d’Evangile. Qui ne ferait alors les 42 kilomètres du marathon pour l’annoncer ? Ou pour porter ces lettres aux intéressés ces lettres de Paul, Pierre, Jacques, Jean Jude… ? Si l’Evangile n’est pas annoncé, il meurt comme évangile.

Désir de témoigner, désir d’annoncer, il faut également ajouter désir d’accueillir. En effet, on ne peut annoncer Dieu dans le monde et dans la société qui nous entoure si on ne se sent pas prêt à accueillir ceux à qui on l’annonce. Pour mémoire le prosélyte, en grec, c’est celui qui s’approche, c’est le nouveau venu. Faire du prosélytisme, cela devrait vouloir dire être prêt à accueillir le nouveau venu. Or l’on sait bien, par expérience, qu’accueillir des nouveaux venus change nos habitudes. Avoir des invités à la maison, ce n’est pas comme être entre soi : cela demande un soin particulier, une attention, des gestes de bienvenue. ET si les invités deviennent gens de la famille, cela implique forcément des évolutions, des changements, des remises en question.

Donc c’est important, collégialement et personnellement, de nous demander, en vérité, si nous avons ce désir de témoigner, ce désir d’annoncer, ce désir d’accueillir. Et cela, nous devons nous le demander à l’aune de la Parole de Dieu, à l’aune de la demande de Jésus telle qu’elle s’exprime dans l’évangile de Matthieu, dans ce texte d’institution du baptême.

Mais admettons que nous ayons notre conviction universaliste, admettons que nous éprouvions le sincère désir de témoigner, d’annoncer, d’accueillir, maintenant vient la dernière question : comment ? Comment annoncer Dieu dans notre monde et dans notre société ? Comment inviter et accueillir ? Comment témoigner ? Rassurez-vous, je ne vais pas faire une liste de recettes ou d’activités nombreuses et variées à mettre en œuvre. Car je ne crois personnellement ni aux recettes, ni à l’activisme. D’autre part, nous faisons déjà certaines choses dans notre paroisse, et le rapport d’activités que vous entendrez tout à l’heure vous en rendra compte.

Pour réfléchir à la question du comment, je crois que c’est important d’affiner notre identité, notre vocation, notre style. Pour donner un exemple, l’armée du salut, que nous accueillons chaque année pour son concert, a un style bien à elle, une devise qui lui donne son orientation : « soupe savon salut ». Elle vit et partage son christianisme en manifestant sa vocation propre dans le monde. Quelle est notre vocation propre, notre tâche spécifique à nous chrétiens protestants réformés libéraux ? Cela fait beaucoup d’adjectifs mais est-ce que tant de précisions nous encombrent ou est-ce que, au contraire, elles peuvent nous aider à envisager nos devoirs et nos actions pour aujourd’hui et pour demain ? Il y a là matière à réflexion personnelle et collégiale.

Par le passé s’est développé à l’Oratoire un christianisme à la fois spirituel et social , et le Professeur Gagnebin nous rappelait l’articulation essentielle des deux dans une conférence sur Wilfred Monod. Dans une société déchristianisée comme la nôtre, ne pourrait-on y ajouter aujourd’hui la nécessité de promouvoir un christianisme culturel par exemple. Nous qui ne sommes pas confessants au sens des évangéliques ou des pentecôtistes, peut-être avons-nous un autre charisme pour parler à nos contemporains : celui de pouvoir traduire les questions de foi en termes profanes, en termes existentiels, voire philosophiques.

Si nous sommes convaincus de l’universalisme de la Parole biblique et des religions qu’elle a générées, si nous pensons que le christianisme est un système de sens pertinent pour comprendre et habiter ce monde aujourd’hui, comment allons-nous articuler, exprimer, figurer la proposition chrétienne pour la rendre compréhensible par nos contemporains ? Comment allons-nous leur dire, non pas « Jésus vous sauve » car ils ne comprendraient peut-être pas de quoi il s’agit, et ce genre de proclamation, les évangéliques le font mieux que nous, mais « La question de Dieu est trop importante pour que vous la laissiez aux seuls fous de Dieu, et même aux croyants raisonnables. » La question de Dieu est votre question à vous aussi, même et surtout si vous n’avez pas eu de catéchisme, même si vous n’êtes pas bien sûr d’y croire, même si cela vous fait peur, ou vous dérange… » La question de Dieu est une question humaine, profondément humaine. D’une certaine façon nous sommes responsables de Dieu. Lui-même nous rend responsables de lui, de son nom, de ses images, des questions qu’il suscite. Et il est important de remettre librement cette question de Dieu au centre de nos existences, car autrement elle nous sera imposée de l’extérieur, et de la façon la plus terrible qui soit , comme on le voit aujourd’hui avec le terrorisme meurtrier qui s’exerce au nom de Dieu. ».

Annoncer Dieu, présenter le Dieu biblique, Dieu d’Abraham, d’Isaac, et de Jacob, Dieu de Moïse et de Jésus au monde, cela ne peut se faire sans ces trois conditions :

- approfondir notre conviction intime et communautaire que l’amour de ce Dieu s’étend à toute l’humanité et à la création tout entière.

- Travailler notre désir et notre vocation de témoignage, d’annonce, d’accueil dans l’espace public.

- Réfléchir ensemble à la manière d’agir, manière qui ne peut provenir d’un plagiat de ce que d’autres font, mais d’une inspiration profonde issue de notre histoire, de nos expériences d’aujourd’hui, et d’échanges fraternels entre nous.

Nous avons donc du pain sur la planche. Mais comme pour tous les bons ouvriers, avoir du pain sur la planche cela veut dire aussi avoir du pain dans sa besace et du pain pour nourrir les siens. Car ce pain sur la planche, c’est évidemment le pain du partage et de la communion.

Amen