Afin que tout se fasse

1 Pierre 4

Culte du 11 juin 1944
Prédication de André-Numa Bertrand

Culte à l’Oratoire du Louvre

11 juin 1944

Culte présidé par le pasteur André-Numa Bertrand

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Contexte historique : le mardi 6 juin 1944 — appelé jour J — a commencé le parachutage puis le débarquement allié en Normandie. Cette prédication a lieu le dimanche de cette semaine. À ce moment-là, seules les plages sont libérées, les Allemands contre-attaquent ; Cherbourg n’est libérée que le 26 juin, Caen le 19 juillet, Paris le 25 août.


...afin que tout se fasse à la gloire de Dieu par Jésus-Christ
I Pierre IV, 11 (b)

Prédication

Est-il permis au Pasteur d'entretenir parfois les fidèles de son propre ministère, des principes qui l'inspirent et des raisons qui déterminent son attitude ou sa parole devant l'Église ? Il a semblé à celui qui vous parle, que non seulement le Pasteur avait le droit de parler des problèmes que la vie pose devant lui et des solutions qu'il leur a données, mais qu'il avait le devoir de ne pas tenir l'Église à l'écart de ces débats intérieurs qui n'intéressent pas seulement l'âme du berger, mais celle du troupeau lui-même ; ils déterminent, en effet, l'orientation d'un ministère et la teneur d'une prédication dont le Pasteur peut se demander parfois s'il faut dire que l'Église l'accueille ou qu'elle la subit. L'Église a le droit de savoir non seulement ce que dit son pasteur ou ce qu'il fait, mais pourquoi il le dit et il le fait, et si en portant dans la chaire chrétienne les problèmes parfois brûlants de l'heure présente, il cède à la pente naturelle de son esprit, à quelque entraînement sentimental, ou bien s'il obéit à sa vocation même et à sa qualité de serviteur du Christ.

Ces questions s'imposaient à nous avec une acuité particulière ces jours derniers, en raison même des souvenirs que nous revivions et des événements qui bouleversaient une fois de plus la vie française. D'une part, il y aura quatre ans dans trois jours, ceux d'entre nous qui étaient restés à Paris assistaient à l'entrée dans notre ville des armées victorieuses de l'ennemi. Tandis que montaient vers leurs fenêtres fermées les chants de triomphe des vainqueurs, leurs cœurs recevaient une blessure qui ne cicatrisera jamais complètement ; ils croyaient avoir le droit de penser que les larmes qui coulaient sur leur visage étaient les plus amères qu'il fût possible de verser ils ont vu pire depuis ; mais il n'empêche que cette heure les a marqués comme au fer rouge pour le reste de leur vie. Et d'autre part, depuis cinq jours l'histoire de la France est entrée dans une nouvelle période ; l'épreuve française a pris une nouvelle forme, plus tragique pour l'instant que celle dont trop de Français avaient fini par s'accommoder confortablement et nul ne sait devant ce nouvel acte du drame, quelles péripéties nous attendent ni vers quelle fin elles nous acheminent et ce n'est pas ici le lieu de le rechercher. Une chose est certaine cependant, c'est que notre vigilance chrétienne doit s'orienter dès maintenant vers de nouveaux problèmes, vers de nouvelles tentations, et que nous ne pouvons pas nous soustraire à l'impression que la période ouverte le 14 juin 1940 devant l’Église aussi bien que devant la France, a fait place à une période nouvelle.

Comment dès lors la pensée du prédicateur chrétien ne reviendrait-elle pas en arrière vers ce bloc de quatre années, pour réfléchir sur les mobiles qui ont inspiré son ministère et sur ce qu'il a cru devoir faire pour que l'Église restât fidèle à la vocation qu'elle a reçue de son Chef, et « qu'en toute chose Dieu fût glorifié » ?

« Que Dieu soit glorifié en toute chose. Cette brève parole résume magnifiquement la fin authentique du ministère chrétien. Dieu est souverain, seul souverain ; tout doit Lui être subordonné, tous doivent Lui être soumis. Voilà le mot d'ordre, l'unique mot d'ordre, éternel, immuable, valable pour tous les siècles et pour tous les continents : Gloire doit être rendue à Dieu en Jésus-Christ. Ceux qui disent que la prédication chrétienne et le ministère chrétien ont un seul but et par conséquent un seul objet éternellement le même, amener aux pieds de Dieu l'âme vaincue par Jésus-Christ, ceux-là ont raison ; l’Église est là pour assurer la souveraineté de Dieu, pour veiller à ce que lui soit rendu par ses enfants l'hommage, ou comme dit le langage biblique, la gloire qui lui appartient. Là est la mission éternelle de l’Église, et je dirai même son unique mission ; l’Église qui s'en écarte, s'écarte de la route tracée par Jésus-Christ et devient infidèle à la vocation qu'elle a reçue de Lui.

Le culte rendu par l'Église, la prédication par conséquent et l'enseignement, n'ont pas d'autre but que de rendre à Dieu l'hommage qui lui est dû, et non pas seulement l'hommage de nos lèvres, mais celui de nos cœurs, de notre pensée et de notre vie. Le culte a pour fin dernière de nous courber dans l'humilité du pécheur repentant, et de nous redresser dans la dignité surnaturelle du pécheur pardonné ; de nous incliner devant la majesté de Dieu et de nous faire entrer dans l'obéissance à Sa loi, dans la miséricorde souveraineté de Son amour paternel.

Il en est de même de toute l'activité de l’Église. Préparer la glorification de son Dieu est le but magnifique qui donne à ses activités leur valeur véritable. Le soin qu'elle prend de sa jeunesse, par exemple, serait une chose bien médiocre s'il ne tendait qu'à orienter celle-ci vers un groupement tout humain, s'il n'était dominé que par une préoccupation de recrutement ; son organisation charitable elle-même si elle ne tendait qu'à la distribution de secours matériels, serait une chose dérisoire devant le tragique de la misère et devant ce que devraient nous imposer les exigences de la solidarité chrétienne. Mais pour ce qui est de la jeunesse, il s'agit de l'orienter vers l'obéissance au Christ, vers le respect de la souveraineté divine ; et dans la vie des déshérités, il s'agit de faire jaillir les sources spirituelles en laissant au milieu des soucis quotidiens une place libre pour la pensée, pour la prière : libérer l'âme de la hantise des choses matérielles sous laquelle succombe son effort et l'offrir aux inspirations de Dieu, voilà le but d'une charité chrétienne qui ne veut être ni une aumône ni un secours, mais une attestation du prix que l'Église attache à la personnalité spirituelle de chacun de ses membres.

Ainsi la véritable mission de l’Église est de veiller à ce que tout se fasse pour la gloire de Dieu. Seulement ce mot tout ne s'applique pas seulement à ce qui se fait dans l’Église ou au nom de l’Église, mais à la vie entière du chrétien. « Tout », cela veut dire « tout ». Ainsi, non seulement ce qu'on appelle la vie religieuse du chrétien, mais sa vie privée, sa vie de famille, sa vie professionnelle, doit être dominée par l'idée de ce que Calvin appelait l'honneur de Dieu », c'est-à-dire par la préoccupation de vivre conformément au droit souverain qu'Il exerce sur nous, ou, comme disait Jésus lui-même, de telle sorte que les hommes, voyant nos œuvres bonnes, en rendent gloire à notre Père qui est dans les cieux. Ainsi le message chrétien déborde infiniment le cadre de l’Église, ou plutôt l’Église n'apparaît plus comme le terrain sur lequel doit se dérouler la vie chrétienne, mais comme le lieu où se réalise la transmission de cette vie d'une génération à l'autre. Le cadre de la vie chrétienne ce n'est pas l'Église, c'est le monde. L’Évangile ne doit pas inspirer seulement notre activité religieuse, mais notre vie toute entière dans tous les domaines.

Cela, l’Église s'efforce sans doute de ne pas le laisser oublier aux fidèles ; mais peut-être le répète-t-elle en termes trop généraux et avec une insuffisante précision. Un père de famille qui s'intitule chrétien et qui, dans l'éducation de ses enfants, ne cherche pas à les élever pour une vie qui sera à la gloire de Dieu, mais en vue du seul profit matériel ou des honneurs que donnent les hommes, n'est pas un père de famille chrétien. Un homme d'affaires, fût-il membre d’Église, qui déclare que « la religion n'entre pas au bureau », n'est pas un homme d'affaires chrétien. Il faut que l’Église se dresse de toutes ses forces contre cette religion d’Église, que les prophètes ont stigmatisée si fortement, et qui est une des déviations les plus redoutables du christianisme. N'y a-t-il pas des chrétiens qui sont généreux pour les pauvres de la paroisse et sans pitié pour un locataire indigent ou un employé malade, parce que pour eux l’Évangile règle leur vie dans l’Église, mais non leur vie dans le monde ? Ce sont des exceptions ? Il faut le croire ; mais ce sont malheureusement des exceptions qui existent et il ne faut pas négliger de les condamner ; car l’Évangile demande que tout se fasse pour la gloire de Dieu ; et encore une fois, « tout», cela veut dire « tout ».

Est-il normal dès lors que l'on prétende maintenir en dehors du rayonnement de l’Évangile les questions qui touchent à la vie publique ? Pourquoi la vie morale des nations échapperait-elle plus que celle des individus à la nécessité d'être toute entière à la gloire de Dieu ? Trop souvent dans ce domaine tout est subordonné à la gloire des hommes ou à leur prestige ; mais l'Église est là pour rappeler impérieusement à tout chrétien qu'il n'y a qu'une gloire qui doive être servie sans conditions, celle de Dieu, et que l'Église ne serait plus l'Église du Christ si elle renonçait à son droit de ne reconnaître qu'une seule souveraineté, celle de Dieu. Le premier devoir de l'Église c'est de maintenir la liberté de son jugement devant tous les puissants de ce monde, quels que soient d'ailleurs ces puissants, ceux d'aujourd'hui ou ceux de demain.

Nous autres Français, nous sommes tellement habitués à une sécularisation complète de la vie nationale, que nous sommes inquiets et pour l'Église et pour la nation, toutes les fois que l'on envisage le devoir pour l’Église de proposer à notre peuple l'idéal chrétien, et par conséquent de combattre tout idéal opposé qui peut lui être offert. Cependant, si la conception chrétienne de la vie est vraie pour l'individu, elle l'est aussi pour la société ; disons d'une façon plus précise : pour la nation ; si nous avons le droit d'offrir à tout Français l'idéal évangélique, nous avons aussi le droit de l'offrir à la France.

Assurément, le prédicateur de l'Évangile serait impardonnable s'il portait dans la chaire de Jésus-Christ des questions techniques concernant la vie nationale, alors qu'il n'a sur ce point aucune compétence décisive et que leur solution n'est nullement impliquée dans l'Évangile de Jésus-Christ ; plus impardonnable encore s'il parlait d'après ses préférences personnelles d'ordre sentimental ou idéologique, et non d'après la volonté de son Dieu. La chaire du haut de laquelle il parle n'est pas la sienne, c'est la chaire de Jésus-Christ ; il doit y porter la parole de Dieu et du Christ et non ses conceptions personnelles. Mais quand l'honneur qui est dû à Dieu Lui est refusé, quand un idéal de violence et de domination, où la force est le seul Dieu que l'on adore, est proposé à notre peuple avec toutes les séductions de la puissance et du succès, et que par suite la prédication de l'amour est considérée comme une prédication de faiblesse et d'abdication, l’Église faillirait à sa mission, elle abandonnerait l'honneur de Dieu si elle gardait le silence, si devant l'âme de notre peuple et devant ses fidèles elle ne dressait résolument l'idéal chrétien, si elle en arrondissait les angles pour dissimuler son opposition avec la pensée des maîtres de l'heure, si elle ne veillait pas sur la gloire de Dieu avec une intransigeance totale. Cet idéal, il ne s'agit d'ailleurs pas de le défendre avec des paroles, il s'agit de le dresser devant les hommes comme une réalité, de le vivre et de le servir. L’Église doit veiller d'abord sur elle-même, afin de ne pas se laisser contaminer par le paganisme ambiant ; elle doit révéler l'amour comme une force constructive, incarnée dans des existences d'hommes. Et qui oserait dire que ce devoir-là n'a pas été imposé depuis quatre ans à l’Église de France ?

Mes Frères, ce devoir clairement aperçu, comment l'avons-nous rempli ? Ce n'est pas à nous d'en juger; disons avec saint Paul : « Mon juge, c'est le Seigneur. » Ce que nous avons voulu, ce que nous voudrons demain, quelles que soient les circonstances, c'est veiller sur la dignité de l’Église et sur l'honneur de Dieu. Ce que nous disions au début, nous le répétons en terminant : Que tout se fasse à la gloire de Dieu. Voilà notre mot d'ordre, notre seul mot d'ordre. Si l’Église l'oubliait, ou si à côté de cette gloire-là elle acceptait d'en servir une autre ; si, oubliant qu'elle parle au nom du Christ, elle disait « oui » à toutes les sollicitations des puissants — quitte à changer de oui quand la puissance change de camp — elle ne serait plus qu'un sel sans saveur, elle enlèverait toute sa valeur à la Croix du Christ.

Car la Croix est le symbole éternel de l'opposition que le serviteur du Christ ne doit pas craindre de manifester à un monde qui s'éloigne de Dieu, quelque prix qu'il faille payer pour cela. Ce monde-là, le rôle du chrétien comme de son Maître n'est pas de l'attaquer directement, mais de dresser devant lui l'idéal que Dieu lui inspire ; de rester ferme, inébranlable, comme voyant Celui qui est invisible ; son rôle c'est d'être le témoin éphémère de l’Évangile éternel, afin que lorsque se seront évanouies toutes les folies des hommes et écroulés tous les empires de la violence et du mensonge, la Croix du Christ, sur laquelle la gloire de Dieu a resplendi de tout son éclat, se dresse toujours sur le monde, la même hier, aujourd'hui, éternellement.

Ainsi soit-il.

Pour aller plus loin

  • A.-N. Bertrand, P. Vergara et G. Vidal, Voix chrétiennes dans la tourmente, 1940-1944, 1945, Paris, 192 pages, recueil de 15 prédications prononcées à l'Oratoire du Louvre durant l'Occupation (lire sur notre site)
  • A.-N. Bertrand, Berger d'âmes, 1945-1946, avec 8 prédications, suivies des hommages ci-dessous (lire sur notre site)
  • A.-N. Bertrand, Vocation, 1949 (lire sur notre site)

Lecture de la Bible

Première épître de Pierre IV, 11 (traduction Segond)

1 Ainsi donc, Christ ayant souffert dans la chair, vous aussi armez-vous de la même pensée. Car celui qui a souffert dans la chair en a fini avec le péché, 2 afin de vivre, non plus selon les convoitises des hommes, mais selon la volonté de Dieu, pendant le temps qui lui reste à vivre dans la chair. 3 C'est assez, en effet, d'avoir dans le temps passé accompli la volonté des païens, en marchant dans la dissolution, les convoitises, l'ivrognerie, les excès du manger et du boire, et les idolâtries criminelles.

4 Aussi trouvent-ils étrange que vous ne vous précipitiez pas avec eux dans le même débordement de débauche, et ils vous calomnient. 5 Ils rendront compte à celui qui est prêt à juger les vivants et les morts. 6 Car l'Évangile a été aussi annoncé aux morts, afin que, après avoir été jugés comme les hommes quant à la chair, ils vivent selon Dieu quant à l'Esprit.

7 La fin de toutes choses est proche. Soyez donc sages et sobres, pour vaquer à la prière. 8 Avant tout, ayez les uns pour les autres une ardente charité, car la charité couvre une multitude de péchés. 9 Exercez l'hospitalité les uns envers les autres, sans murmures. 10 Comme de bons dispensateurs des diverses grâces de Dieu, que chacun de vous mette au service des autres le don qu'il a reçu, 11 Si quelqu'un parle, que ce soit comme annonçant les oracles de Dieu ; si quelqu'un remplit un ministère, qu'il le remplisse selon la force que Dieu communique, afin qu'en toutes choses Dieu soit glorifié par Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et la puissance, aux siècles des siècles. Amen !