La croix huguenote
Histoire et symboles
La croix huguenote est depuis le 17e siècle l'insigne des protestants réformés français, les huguenots, qu'on appelle aussi calvinistes et familièrement parpaillots. Les luthériens se reconnaissent plutôt dans la "rose de Luther", et les évangéliques dans le poisson ichtus. Les réformés et presbytériens des autres pays que la France utilisent généralement le symbole du buisson ardent.
L'origine exacte de la croix huguenote reste un mystère. Une légende dit qu'elle a été inventée par un orfèvre nîmois, Maystre ("maître" ?), en s'inspirant de la croix occitane. Des mystiques font alors des liens avec les cathares du Moyen-Âge, eux-aussi pourchassés pour hérésie dans la région.
D'autres voient un lien avec la croix de Malte ou croix de Saint-Jean, utilisée par les chevaliers hospitalier, moines-soldats de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte. Cela plaît en particulier à l'Ordre de Saint-Jean, une belle association caritative protestante, bien que ce ne soit pas historique.
En réalité, il ne fait pas de doute que la croix huguenote est inspirée de la croix de l'ordre du Saint-Esprit, plus haut ordre de noblesse de l'Ancien Régime depuis d'Henri III. C'est quasiment le même symbole, superposant une croix de Malte boutonnée pour le côté chevaleresque, quatre fleurs de lys pour la loyauté envers la France et la monarchie capétienne, et une colombe pour l'Esprit chrétien. La colombe y est inscrite au milieu de la croix, alors que chez les protestants elle est pendante au dessous.
Justement, lors baptême du Christ par Jean-Baptiste dans le Jourdain, une colombe est décrite descendant des cieux : « il vit les cieux se déchirer et l’Esprit descendre sur lui comme une colombe. Il y eut une voix venant des cieux : "Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie." » - évangile selon Marc 1, 10-11. Le pigeon blanc apparaît également dans l'Ancien testament, au chapitre 8 de la Genèse, à la fin de l'épisode du Déluge. Pour cette raison, c'est le symbole universel de la paix et de l'espérance.
À l'Oratoire du Louvre, on retrouve une colombe sur le baptistère et à la croisée du transept.
En adoptant cette croix aux fleurs de lys, les huguenots ont certainement voulu montrer qu'ils restaient attachés à la France. Qu'on pouvait être d'une autre religion que le roi, mais loyal. En effet, dès cette époque et jusqu'à aujourd'hui, les protestants ont été suspectés de favoriser le pouvoir étranger protestant, anglo-saxon (britannique puis américain) ou allemand. Comme les juifs accusés plus tard d'être du côté de "l'anti-France", des "quatre États confédérés" (expressions du pamphlétaire d'extrême-droite Charles Maurras), les protestants français ont dû réaffirmer leur sincérité.
Avec cette croix, les protestants s'éloignent également du crucifix et de la croix latine, qui à leur yeux suscite trop d'idolâtrie. Pour la même raison, la croix latine est absente des temples réformés jusqu'à la Première Guerre mondiale. Ensuite, ce rejet a pu être interprété comme un rejet du dolorisme, du dogme sacrificiel, de l'insistance sur la souffrance du Christ "qui rachète les péchés", et revenir à la Bonne nouvelle annoncée au cœur des Évangiles.
Certaines croix anciennes ont à la place de cette colombe une forme de goutte (un trissou, en occitan). Elle permet à la croix d'être non-figurative : pour la même raison que les protestants réformés n'utilisent pas de crucifix, ils refusent toute représentation de Dieu - ils sont iconoclastes. Cette goutte a ensuite pu être interprétée comme une larme ou une goutte de sang, rappelant les persécutions ; ou une langue de feu telle que reçurent les disciples au jour de la Pentecôte, une autre image de l'Esprit de Dieu dans les Actes des apôtres.
Cette langue de la Pentecôte serait alors bienvenue pour les protestants, puisque le nom même de "protestant" ne signifie pas celui qui proteste contre quelque chose, mais dans le français du XVIe siècle, celui qui témoigne de sa foi (de pro = devant et testare = témoigner).
On peut interpréter encore d'autres symboles de la foi chrétienne, comme les huit Béatitudes par ses huit pointes (Matthieu V, 1-12). Celles-ci sont munies de "boutons" par allusion à ce que l'on met sur un fleuret d'escrime pour le rendre inoffensif.
Les quatre fleurs de lys forment quatre cœurs au centre, rappelant l'amour de Dieu manifesté en Christ, et l'amour que le Christ nous invite à avoir pour Dieu, pour le monde, pour notre prochain et pour nous-mêmes. Sur les modèles modernes de la croix, on ne reconnaît plus les fleurs de lys royalistes, seulement les cœurs.