Amitié protestante et judaïsme

L'Oratoire du Louvre accorde une attention toute particulière au judaïsme contemporain depuis deux siècles. Ont été invité à prêcher au cours du culte plusieurs rabbins libéraux :

Le 14 novembre 2019, a eu lieu un concert exceptionnel croisant Psaumes du Psautier huguenot et Psaumes hébraïques de la musique synagogale traditionnelle, avec la cantor Sofia Falkovitch.

Le 12 février 2023, nous avons commémoré des 80 ans de l'opération de sauvetage de 63 enfants juifs par l'Oratoire du Louvre durant la Seconde guerre mondiale, avec de grands témoins de l'époque, Pierre-François Veil, président du Comité français pour Yad Vashem, le Grand-rabbin de France Haim Korsia.

Sur cette page, après l'album photo retrouvez :

  1. Histoire des relations entre juifs et protestants à Paris
  2. Relations spirituelles entre juifs et protestants

Histoire des relations entre juifs et protestants à Paris

Sous l'Ancien régime, les communautés juives et protestantes, minorités réprimées par le pouvoir royal, s'entraident et luttent conjointement pour leur émancipation. Les huguenots pratiquent clandestinement leur culte au "Désert", forment une diaspora dans les pays du Refuge et s'identifient au peuple de la Bible. Les protestants français sont philosémites, portent volontiers des prénoms inspirés de l'Ancien testament. Ils sont accusés de "judaïser" le christianisme. Contrairement à Luther, qui après un premier élan constructif se fourvoie dans un antijudaïsme médiéval, Jean Calvin accorde un grand intérêt aux communautés juives. Significativement, il considère que les juifs peuvent être prédestinés au salut, sans avoir besoin de se convertir. Les Pays-Bas calvinistes deviennent un lieu d'accueil bienveillant pour les communautés ashkénazes et séfarades expulsées par les rois très catholiques.

À la Révolution française, cela se traduit par l'engagement du député protestant Jean-Paul Rabaut Saint-Etienne pour la liberté (et non seulement la "tolérance") de conscience et d'exprimer ses convictions religieuses - lire son Discours sur la liberté des opinions religieuses de 1789. Son frère Jacques Antoine Rabaut-Pommier est pasteur de notre paroisse de 1803 à 1816. Les deux cultes sont organisées de la même manière par Napoléon dans le cadre du régime concordataire, en Consistoires - le Consistoire israélite de France et son Grand-rabbin existent encore aujourd'hui.

Durant le XIXe siècle, les deux communautés travaillent à l'établissement d'une République laïque, face à une Église catholique qui entend maintenir sa position prédominante dans la société française et dont les relais sont souvent monarchistes. De nombreux protestants et juifs sont ainsi à l’œuvre pour la mise en place de l'école laïque (Ferdinand Buisson, Jules Steeg, Félix Pécaut...), puis pour la loi de séparation des Églises et de l’État en 1905 (Eugène et Jean Réveillaud, Louis Méjan auprès d'Aristide Briand). Lors de l'explosion antisémite de l'Affaire Dreyfus, les intellectuels protestants s'engagent également, notamment le président du Sénat Auguste Scheurer-Kestner, l'universitaire Gabriel Monod, le théologien Raoul Allier. Ces prises de positions sont remarquées par l'extrême droite, et Charles Maurras fantasme dans ses écrits les quatre "États confédérés" qui conspireraient à détruit l'esprit français : les juifs, les protestants, les francs-maçons et les "métèques". Les élites industrielles et financières protestants et juives, notamment d'origines alsaciennes, font décoller l'industrie française et nouent des alliances matrimoniales décrites par Patrick Cabanel dans Juifs et Protestants en France : Les Affinités électives : XVIe-XXIe siècle.

Durant le Seconde guerre mondiale, de nombreux protestants refusent le régime de Vichy, s'engagent dans la Résistance et rejoignent Londres (et trouvent refuge en particulier à l'église huguenote de Londres, à Soho). Le centre social de l'Oratoire La Clairière devient une adresse du secrétariat de la Zone Nord du Conseil national de la Résistance (CNR). Elle devient une boîte aux lettres de premier ordre, reçoit postes émetteurs et récepteurs, journaux clandestins, courriers, armes, et est un endroit de réunion de dirigeants du CNR.

Les pasteurs de l'Oratoire du Louvre Paul Vergara, Gustave Vidal et André-Numa Bertrand, lequel est par ailleurs vice-président de la Fédération protestante de France en zone occupée, prêchent explicitement en chaire la résistance spirituelle au nazisme (lire sur notre site 15 prédications entre 1940 et 1945). La résistante belge Suzanne Spaak, membre du Mouvement national contre le racisme, réfugiée à Paris dans le quartier de l'Oratoire du Louvre, apprend ces prises de positions par sa fille Lucie, inscrite à l'École alsacienne où elle a un camarade de classe protestant. En février 1943, Suzanne Spaak apprend que des rafles menacent des enfants des centres de l'Union générale des israélites de France (UGIF) de la région parisienne. Elle prend contact avec le pasteur Vergara, et avec l’aide d'une trentaine de paroissiennes, de routières Éclaireuses unionistes, et de l'assistante sociale de La Clairière, Marcelle Guillemot, ils parviennent à sauver 63 enfants, les héberger, leur donner de faux-papiers et les convoyer en sécurité dans des familles à la campagne. Le 17 février 1943, dénoncé par son concierge, le pasteur Vergara échappe de peu à l’arrestation. Il se réfugie en Suisse, mais son épouse Marcelle et leur fille Sylvie sont internées à la prison de Fresnes, et leur fils Sylvain est déporté au camp de Neue Bremm puis à Buchenwald, mention Nacht und Nebel. Il a alors 17 ans. Leur fille Éliane, agent de liaison des FFI, transporte des messages à vélo. À la Libération, Marcelle Guillemot, le pasteur Paul Vergara et sa femme Marcelle ainsi que trois paroissiens, Lucie Chevalley-Sabatier, Odette et Fernand Béchard, reçoivent le titre de Juste parmi les nations. Quatre plaques en marbre commémorent cet engagement, deux dans la nef, une au 1 rue de l'Oratoire et une dans la cour du 60 rue Greneta. Paul Vergara s'engage ensuite à la Ligue contre l'antisémitisme (LICRA).

Au cours du XXe siècle, les pasteurs de l'Oratoire poursuivent ce dialogue constant. Le pasteur Élie Lauriol est élu au comité directeur de l'Amitié judéo-chrétienne de France (AJCF) en 1949. Laurent Gagnebin est membre du comité d'honneur. La pasteure Florence Taubmann préside cette association de 2008 à 2014. James Woody s'engage à la Fraternité d'Abraham.

Relations spirituelles entre juifs et protestants

La Réforme protestante, née de l'humanisme de la Renaissance, opère un retour au texte hébraïque qui favorise les relations entre juifs et protestants. Alors que l’Église catholique sacralise la traduction latine de la Vulgate par Jérôme de Stridon au IVe siècle, les réformateurs se rapprochent des rabbins du XVIe siècle pour étudier la Bible dans le texte original et le retraduire dans la langue vernaculaire en corrigeant les erreurs d'interprétation. Les pasteurs, encore aujourd'hui, doivent apprendre l'hébreu biblique durant leurs études de théologie, alors que les prêtres catholiques privilégient le latin et le grec.

Certains positions liturgiques rapprochent juifs et protestants : la centralité du texte, le chant, le refus très clair de représenter Dieu (et chez les réformés, de représenter Jésus sur la croix), des tableaux, des statues. Au temple de Charenton, sous l'Ancien régime, des textes bibliques illustrent les portes et au plafond de la nef sont inscrites les Tables de la Loi, en lettres d’or sur fond bleu. Au cœur du temple et de la synagogue trône la Bible. L'adoration de l’hostie - un bout de pain - révulsent également juifs et protestants.

Les fidèles sont encouragés à l'étude, sont responsabilisés. Il n'y a pas de clergé hiérarchisé, pas de vie monacale développée, pas de sacralité accordé au rabbin et au pasteur. Aucun des deux cultes n'impose le célibat, hommes et femmes rabbin ou pasteurs se marient, ont des enfants et une vie de famille. L’Église protestante et la communauté juive s'organisent sous un aspect démocratique, avec des assemblées élues. Juifs et protestant revendiquent une certaine proximité avec Dieu, et refusent une représentation monarchique qui nécessiterait pour l'atteindre l'intercession d'un prêtre, d'anges, de saints, de Marie ou de Jésus - ils prient Dieu directement. Dans leurs traductions francophones de la Bible, le nom de Dieu, le tétragramme, est d'ailleurs traduit de la même façon par l’Éternel, un choix effectué par Olivétan, un cousin de Jean Calvin, en 1538.

Entre juifs et protestants libéraux, les relations sont fortes : étude historico-critique des textes fondateurs, mise en perspective des traditions, intérêt pour le dialogue avec la culture, les sciences, les mouvements sociaux et sociétaux contemporains dont l'écologie, les inégalités, le féminisme, les questions d'identité de genre et d'orientation sexuelle. Ils nourrissent un débat riche et constamment renouvelé.