EB Luc 1:26-38 : La Fête de l’Annonciation
Mercredi 25 mars 2020 jour 9 du confinement national.
Aujourd’hui, 25 mars, de nombreux Chrétiens fêtent l’Annonciation. C’est une fête importante en particulier pour l’Eglise Catholique. Les protestants y prêtent un intérêt relatif, mais aujourd’hui, dans le contexte inédit qui est le nôtre, exceptionnellement, nous nous joindrons ce soir à tous les chrétiens, quelle que soit leur dénomination, nous allumerons une bougie, à 19h30, pour marquer notre solidarité avec tout le monde, simplement, parce que nous appartenons à la même humanité, infectée et souffrante. Ce soir, à 19h30, les cloches de toutes les églises de Paris et de l’ensemble de la France, et peut-être même plus largement, sonneront pendant 10 mn. Et celle du temple de l’Oratoire aussi en signe de communion. Elles redonneront de la vie à la ville et de la musique à la rue. Tout le monde les entendra et chacun se sentira relié à l’autre. Tous reliés les uns aux autres.
Mais l’Annonciation c’est quoi ? C’est un récit de la Bible, que nous trouvons dans le Nouveau Testament, dans l’Evangile de Luc. Il est lu principalement au moment de la période de Noël, parce que c’est un récit qui raconte la venue au monde de Jésus.
L’Evangile de Luc est attribué à un médecin, non juif, compagnon de voyage de l’apôtre Paul. Il se présente comme la première partie d’un ouvrage en deux volumes, adressés aux Grecs et aux Romains. Le second volume, ce sont les Actes des Apôtres.
La rédaction de cet Evangile se situe aux environ entre les années 60 à 80 de notre ère. Il cherche à montrer que Jésus est venu pour être le Sauveur de tous les hommes, juifs et non-juifs. Il relate ses paroles et ses actes. Cet Evangile forme avec ceux de Matthieu et de Marc le groupe des Evangiles « synoptiques », autrement dit qui se ressemblent, car ces trois Evangiles présentent la vie de Jésus dans une perspective similaire, avec néanmoins des caractéristiques ou des détails propres à chacun.
Je vous propose d’écouter ce récit, que nous prendrons dans l’Evangile de Luc, au chapitre 1, des versets 26 à 38, pour commencer.
« Le sixième mois, l’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée appelée Nazareth, chez une vierge fiancée à un homme de la famille de David, appelé Joseph. Le nom de la vierge était Marie. L’ange entra chez elle et dit : Je te salue, toi à qui une grâce a été faite, le Seigneur est avec toi. (Tu es bénie parmi les femmes.) Troublée par cette parole, Marie se demandait ce que pouvait signifier une telle salutation. L’ange lui dit : N’aie pas peur, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu seras enceinte. Tu mettras au monde un fils et tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut, et le Seigneur lui donnera le trône de David, son ancêtre. Il règnera sur la famille de Jacob éternellement, son règne n’aura pas de fin. Marie dit à l’ange : comment cela se fera-t-il puisque je n’ai pas de relations avec un homme ? L’ange lui répondit : le Saint-Esprit viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. C’est pourquoi le saint enfant qui naîtra sera appelé Fils de Dieu. Voici qu’Elisabeth, ta parente, est elle aussi devenue enceinte d’un fils dans sa vieillesse. Celle qu’on appelait « la stérile » est dans son sixième mois. En effet, rien n’est impossible à Dieu. Marie dit : Je suis la servante du Seigneur. Que ta parole s’accomplisse pour moi ! Et l’ange la quitta. »
L’annonciation est ce mot qui désigne l’annonce faite à Marie, par un ange, appelé Gabriel, de sa maternité prochaine. Elle est choisie pour donner naissance à Jésus. Par son attitude particulièrement réceptive à cette annonce étonnante, Marie est présentée comme le modèle de la première disciple du Christ, en accueillant la parole de Dieu sans douter.
La salutation de l’ange précède le trouble causé par son apparition. La plupart des versions traduisent à juste titre : Réjouis-toi. C’est une allusion aux promesses messianiques contenues dans le premier Testament, que nous pouvons retrouvons dans le livre de Sophonie ou celui de Zacharie. C’est aussi la récurrence du thème de la joie, quand celle-ci est liée à l’annonce d’une intervention salutaire et gratuite de Dieu.
Cette intervention « gratuite » de Dieu est illustrée dans le récit par la double expression : « Toi la graciée » au verset 28, et « Tu as trouvé grâce aux yeux de Dieu », au verset 30.
La grâce qui lui est faite, c’est de concevoir et de mettre au monde un enfant, un fils, à qui elle donnera le nom de Jésus : Le Seigneur sauve.
On ne sait rien de Marie, sinon qu’elle est fiancée à Joseph. Elle est au seuil de sa vie d’adulte. Toutes les décisions qu’elle prend maintenant vont orienter sa vie future. A quoi aspire-t-elle pour sa vie future d’adulte ? Sans doute veut-elle faire comme ses parents et comme tout le monde de son entourage : aller à la synagogue, avoir des amis, se marier, mettre au monde ses enfants, réussir son mariage et sa vie de couple, être une bonne maîtresse de maison et vieillir entre son mari et ses enfants. En tout cas, c’est ce qu’une jeune fille de Palestine en ce temps là peut rêver tout simplement, parce qu’il n’y a pas vraiment d’autres possibilités.
Marie n’a pas vraiment son mot à dire. Elle ne peut faire que l’expérience de sa faiblesse et de son impuissance. Elle vit dans un monde d’hommes qui décident de tout, et elle, elle ne décide de rien. Donc Marie a appris à se taire, à écouter, à accueillir. Elle n’a pas appris à décider, à juger ni à trancher. Elle est toute « attente ».
Alors Marie espère en silence. Et c’est justement dans ce silence, que Dieu vient la rencontrer. Elle fait l’expérience de cette présence tangible, de ce choc sensible, de cette présence intérieure du divin, tout proche d’elle à la manière d’un souffle, à la manière d’une voix, elle fait l’expérience d’une présence invisible mais palpable. Elle découvre que Dieu vient à elle, comme il est venu auprès de celles et ceux qui l’ont précédée. Dieu s’approche du monde en passant à travers elle. Il ne peut faire que cela, Dieu, car Marie ne lui fait pas d’obstacle. Dieu a la première place en Marie. Et l’impossible devient possible, tout simplement parce que Marie ne met aucune barrière pour l’accueillir.
Ce récit de l’Annonciation est écrit à la manière des grands récits littéraires de naissances hors du commun. Ce n’est ni un conte, ni un récit historique, encore moins une histoire gynécologique, même si Luc est médecin. Ce récit propre à l’Evangile de Luc est centré sur le mystère de Jésus fils de Dieu. Tout l’Evangile tente de répondre à cette question : De qui Jésus est-il le fils ? Fils de Joseph, fils de Dieu ? Tout au long de l’Evangile, ce sera à celles et ceux qui donneront leur propre réponse, en fonction de la rencontre qu’ils auront faite avec Jésus. Et cela est toujours d’actualité, avec nous aujourd’hui. C’est à chacun de dire qui est Jésus pour lui.
Pour le moment, c’est Marie qui accepte dans une totale confiance le projet de Dieu pour elle. Marie, ici, est présentée comme la figure typique de la foi, à la manière de ses ancêtres, en particulier Abraham. Pourtant, un léger doute l’inquiète quand même: comment vais-je devenir mère, puisque, pour le moment, je n’ai pas de relation masculine? Alors, l’ange Gabriel lui fait une réponse plutôt alambiquée, que l’on pourrait résumer ainsi : que Marie ne s’en fasse pas, Dieu va se débrouiller pour faire comprendre au monde que cet enfant sera autant un enfant né d’une femme, mais rempli de l’Esprit Saint et qu’en lui on pourra reconnaître la présence divine. Certes il est question d’une naissance virginale, parce que Luc souhaite que tous ses lecteurs, surtout les non-juifs, comprennent que Jésus est tout rempli de la présence divine, mais que nous sommes invités à comprendre ce récit plutôt dans une signification théologique que biologique. D’ailleurs, un autre signe est donné à Marie : Elisabeth sa cousine, est enceinte dans sa stérilité et sa vieillesse. Au fond ce n’est pas important la manière dont cela va se passer. Ce qui compte, c’est de dire Oui à ce projet, dans une totale confiance, et c’est cette expérience là qui est la plus importante. Marie est cette fois convaincue. « Voici la servante du Seigneur, que ta parole s’accomplisse pour moi ».
Continuons notre lecture.
Luc 1, versets 39 à 56
« A la même époque, Marie s’empressa de se rendre dans une ville de la région montagneuse de Juda. Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Elisabeth. Dès qu’Elisabeth entendit la salutation de Marie, son enfant remua brusquement en elle et elle fut remplie du Saint-Esprit. Et elle s’écria d’une voix forte : tu es bénie parmi les femmes, et l’enfant que tu portes est béni. Comment m’est-il accordé que la mère de mon Seigneur vienne vers moi ? En effet, dès que j’ai entendu ta salutation, l’enfant a tressailli de joie en moi. Heureuse celle qui a cru, parce qu’il lui a été dit de la part du Seigneur s’accomplira.
Marie dit : mon âme célèbre la grandeur du Seigneur et mon esprit se réjouit en Dieu, mon Sauveur, parce qu’il a porté le regard sur son humble servante. En effet, voici, désormais, toutes les générations me diront heureuse, parce que le Tout-Puissant a fait de grandes choses pour moi. Son nom est saint, et sa bonté s’étend de génération en génération sur tous ceux qui le craignent. Il a agi avec la force de son bras, il a dispersé ceux qui avaient dans le cœur des pensées orgueilleuses. Il a renversé les puissants de leur trône et il a élevé les humbles. Il a rassasié de biens les affamés, et il a renvoyé les riches les mains vides. Il a secouru Israël son serviteur, et il s’est souvenu de sa bonté – comme il l’avait dit à nos ancêtres- en faveur d’Abraham et de sa descendance pour toujours.
Marie resta environ trois mois avec Elisabeth, puis elle retourna chez elle. »
Le consentement de Marie au projet de Dieu pour elle, est suivi immédiatement d’une démarche concrète. Elle se lève, nous dit le texte, un verbe, qui, dans le Nouveau Testament évoque la résurrection, elle s’en va, elle part, elle quitte le lieu où elle habite, qui fait penser à l’obéissance d’Abraham quand il a quitté son pays d’origine, pour se rendre en Canaan. Marie se rend en hâte chez Elisabeth, elle doit vérifier auprès de sa cousine le signe qui lui a été donné. Elle entre dans la maison de Zacharie pour partager avec Elisabeth son secret personnel. Cela devient un secret partagé. La maison de Zacharie devient également le lieu d’une reconnaissance mutuelle, entre les deux femmes. C’est même une explosion de paroles extérieures qui viennent concrétiser la joie de leur communication intra-utérines ! L’esprit Saint remplit maintenant Elisabeth et c’est elle qui proclame à haute voix la qualification de Marie comme la mère de son Seigneur.
Marie reçoit l'Évangile d’Elisabeth. Le OUI sans condition, accepté par Marie, se transforme en un chant d’allégresse. D’abord pour elle. Car on ne peut faire partager aux autres l'Évangile si on ne l’a pas soi-même accueilli dans la joie et la reconnaissance.
Puis Marie ouvre son chant à la manière des prophètes, elle élargit au monde entier la révélation qu’elle a reçue au plus profond de son humanité et de son intimité.
Marie reprend le cantique d’Anne, la mère de Samuel qui l‘a précédée de siècles. Elle y mêle le chant des Psaumes qui ont accompagné Israël tout au long de son histoire.
Mais surtout, elle y annonce le renversement décisif de l’ordre de la vie, qui sera manifesté dans la mort et la résurrection de son Fils et qu’elle ignore encore.
Désormais la vie est promise à engloutir la mort.
Voilà la vérité du règne de Dieu.
Voilà ce qui libère les êtres humains de toutes leurs faiblesses et de toutes leurs peurs.
Alors, dans le contexte qui est le nôtre aujourd’hui, nous ne ferons pas la fine bouche. L’heure n’est pas à la moue dédaigneuse. Et les cloches sonneront ce soir comme le témoignage que nous ne vénérons pas la vierge Marie, mais que nous aimons Marie, la femme de l’Evangile de Luc, comme une sœur que Dieu a mis sur notre chemin pour nous inviter à entrer à notre tour, dans la joie de l’Evangile. C’est le seul moyen que Dieu nous donne, aujourd’hui, pour résister à toutes les peurs.
Ouvrages consultés
- Charles L’Eplatennier, lecture de l’Evangile de Luc, Desclée, Paris 1982
- France Quéré, les femmes de l’Evangile, Seuil, Paris 1982
- Elian Cuvillier, Qui donc es-tu Marie ? Editons du Moulin, Lausanne 1994
- François Bovon, L’Evangile selon Saint-Luc, Labor et Fides, Paris 2007