Vivre de manière extraordinaire sans exploser en plein vol

Luc 17:5-10

Culte du 2 décembre 2012
Prédication de pasteur James Woody

(Luc 17:5-10)

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Culte du dimanche 2 décembre 2012 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, le monde n’irait-il pas mieux si chacun faisait ce qu’il a à faire, si chacun accomplissait honnêtement son devoir ? Du point de vue de Jésus, cela est tout à fait insuffisant.

Certes, faire ce que l’on doit faire semble normal, mais Jésus n’a que faire de la vie ordinaire. Quand nous atteignons nos objectifs, lorsque nous accomplissons notre mission, nous n’avons rien fait d’autre que faire ce qu’il fallait faire. Quel mérite y a-t-il à cela ? C’est comme aimer les gens qui sont aimables, même les païens le font, dira Jésus à un autre moment, nous invitant à aimer nos ennemis. Au jour le jour, nous sommes déjà contents lorsque nous avons réussi à faire ce que nous avions décidé. Et c’est encore plus vrai pour ceux qui nous entourent, pour lesquels nous avons beaucoup de facilité à repérer la paille qu’ils ont dans l’œil.

Mais Jésus nous fait comprendre que nous ne pouvons pas nous contenter de cela. Il ne suffit pas de faire ce qu’il y a écrit sur sa liste de tâche pour s’estimer quitte. Les machines aussi font ce pour quoi elles ont été fabriquées. Et nous sommes bien d’accord pour dire qu’il n’y a pas lieu de se répandre en remerciements envers son lave-vaisselle lorsqu’il a nettoyé les assiettes, ou envers son grille-pain lorsqu’il a rempli son office. On râle lorsque la voiture tombe en panne, mais on n’élève aucune action de grâce lorsqu’elle roule.

A notre niveau, nombreuses sont les choses que nous faisons et qui ne suscitent ni remerciements ni reconnaissance. Jésus attire notre attention sur le fait que c’est une situation compréhensible. Nous entrons dans le temple, tout est en ordre, propre, alors que c’était la vente il y a encore quelques heures. C’est normal. Le réfrigérateur est plein. C’est normal. Rien d’extraordinaire à cela. Et vous, conseillers presbytéraux, vous travaillerez sur des dossiers, vous procéderez à des arbitrages, vous ferez en sorte qu’il y ait une vie d’Eglise intéressante, sans recevoir à chaque fois un remerciement. C’est normal. Le conseil aura fait son travail. C’est ce qu’on attend de lui. Il est possible que vous entendiez ce qu’il faut améliorer, ce qui ne va pas. Il ne faut pas s’en émouvoir. Dans la logique de Jésus, faire ce que l’on doit faire, c’est accomplir la loi. Cela n’a rien d’exceptionnel.

2. Vivre l’ordinaire de manière extraordinaire

La loi doit être mieux que respectée. Elle doit être accomplie. Nous ne devons pas nous contenter de faire ce qu’il y a écrit dans notre fiche de poste au travail, dans nos engagements bénévoles, ni nous contenter de respecter les articles du code civil relatifs au mariage dans notre vie de couple. Accomplir la loi, c’est vivre selon l’Evangile qui nous invite à retrouver l’esprit de la loi et à lui permettre de donner toute sa mesure en y injectant notre personnalité. Le serviteur cesse d’être inutile lorsqu’il cesse d’être interchangeable, lorsqu’il apporte sa singularité, lorsqu’il offre son génie propre. Vous n’avez pas été appelés à former le conseil presbytéral pour faire nombre, pour atteindre les 17 participants, ni pour beurrer les sandwiches. Vous avez été appelés pour contribuer à l’effort commun avec vos talents, avec vos convictions, avec votre sensibilité. C’est l’alliance de ce que nous sommes, de ce que nous voulons, de ce que nous savons, de ce que nous croyons, de ce que nous représentons, qui nous permettra de ne pas ce contenter du possible et de ne jamais considérer une situation comme déterminée avant de s’en être préoccupé tous ensemble.

Le sycomore est réputé pour être un arbre particulièrement difficile à déraciner. Mais nous n’avons que faire des réputations. Nous n’avons que faire des idées reçues. Nous n’avons que faire des oiseaux de mauvais augure qui disent que « ça ne marchera jamais », « qu’on a déjà essayé ». Décider de déraciner un sycomore et de le planter dans la mer, c’est non seulement avoir la conviction qu’un autre ordre du monde est possible, qu’il n’y a pas de fatalité, mais aussi que les difficultés, les vrais problèmes (ce que représentait la mer pour le peuple hébreu), peuvent devenir un oasis, un lieu où la vie est possible.

L’Evangile, ce n’est pas déclarer la loi caduque, c’est dépasser la loi pour transfigurer le monde, pour le rendre plus vivable que ce que la loi permet. Là où la loi permet au monde de ne pas trop se défaire, l’Evangile nous invite à continuer à créer le monde, à le transfigurer. Comme le disait Théodore Monod, l’Evangile nous permet de vivre l’ordinaire de la vie de manière extraordinaire. L’Evangile, c’est cette invitation pressente à ré-enchanter le monde.

3. La foi qui nous évite le « burn out »

Ré-enchanter le monde ! Cela peut sembler un projet fou, inatteignable, aussi peu crédible qu’un sycomore qui irait se planter dans la mer : quelque chose tellement hors de notre portée que nous échouerons, et que nous ne serons guère plus qu’un serviteur inutile, un serviteur juste bon à faire ce qu’on attend de lui. Nous sommes toutes et tous guettés par ce moment où un feu intérieur nous dévore, laissant juste la façade d’un corps qui ne contient plus rien, vide de tout désir, de tout espoir. Nous sommes toutes et tous susceptibles d’être frappés par ce qui est appelé le « burn out », ce moment où nous ne faisons plus que nous fatiguer dans le service, où nous avons le sentiment que tous les objectifs deviennent inatteignables, où nous perdons toute estime de soi, où nous ne parvenons plus à prendre de décision, où il n’est bien sûr plus question de planter un sycomore dans la mer, tant nous nous noyons dans le moindre verre d’eau. C’est le moment où nous nous sentons cruellement un serviteur inutile.

Mais l’Evangile n’est pas hors de notre portée. Ce n’est pas quelque chose d’inaccessible ou une chimère improbable, un mirage qui un jour nous fera mourir de soif à force d’être toujours un peu plus loin. Cela peut sembler au-dessus de nos forces tant la tâche est immense, infinie et tant nos capacités sont modestes et tant notre foi est misérable au regard de ce qu’il faut accomplir. Et pourtant, Jésus indique que nous n’avons besoin de rien d’autre que notre foi minuscule pour accomplir de grandes choses. Inutile d’implorer le divin pour avoir une deuxième épaisseur de foi, c’est inutile ! Une foi grande comme un grain de sénevé suffit pour réaliser des choses extraordinaires. Une foi qui n’est pas qualifiée dans l’évangile selon Luc. Une foi qui n’a pas un objet particulier. Une foi, une confiance qui peut donc se déployer dans toutes ses dimensions. J’aimerais en pointer trois qui seront vos trois points d’appui tout au long de votre ministère, trois manières d’éviter, autant que possible, le « burn out »

Foi en soi

Il y a d’abord la confiance en soi. Il nous arrive, parfois, de nous sentir nuls, sans valeur. Dans ce cas, rappelez-vous que vous avez été appelés à ce service. Le Conseil précédant, en faisant son travail de discernement, a repéré en vous des qualités qu’il a estimées précieuses. Et il a décidé de faire appel à vous et il a présenté votre candidature lors de l’assemblée générale. Quel que soit le jugement que vous portiez sur vous à un moment où le moral sera éventuellement en berne, souvenez-vous qu’il y a, au départ de cette aventure, un acte de reconnaissance à votre endroit qui dit votre valeur individuelle. Cela n’est pas sans rappeler le baptême qui révèle qu’au départ de notre vie, il y a une parole qui dit que nous avons du prix au yeux de Dieu et que rien, jamais, ne pourra nous retirer cela. Nul, parmi vous, n’usurpe sa place qui lui a été offerte, non pour ses mérites, mais pour sa valeur intrinsèque et pour ses qualités humaines qui peuvent intégrer une expertise professionnelle. Cet appel originel est une raison sérieuse d’avoir foi en vous, de ne pas vous limiter dans vos interventions, de ne pas vous brider, de peur de ne pas être suffisamment autorisé.

Foi en l’autre

Votre deuxième point d’appui, le deuxième objet de la confiance, c’est l’autre, les autres, celles et ceux qui, avec vous, forment le conseil presbytéral. Votre ministère est un ministère collégial. Ce n’est pas individuellement que vous aurez des comptes à rendre à l’Eglise qui vous confie cette responsabilité. Cette équipe, c’est votre équipe. Au sens le plus banal du terme, c’est le fait de pouvoir compter les uns sur les autres. Ici, les difficultés s’affrontent à plusieurs. C’est une équipe qui pose la confiance au cœur de sa raison d’être, ce qui signifie que nous ne sommes pas seuls, nous ne sommes pas livrés à nous-mêmes. Chacun a sa place, ses responsabilités, mais c’est ensemble que nous portons la vie de la communauté. Lorsqu’une décision est prise, c’est ensemble que nous assumons cette décision même si, individuellement, ce n’est pas celle que nous aurions prise.

La foi en l’autre, celui qui, avec vous, exerce ce service spécifique, c’est la confiance qu’il y aura toujours une main tendue, une oreille disponible, un regard bienveillant, qui ne cherche pas son propre intérêt, mais qui a le souci de l’intérêt général et donc du vôtre.

Foi en Dieu

Votre troisième point d’appui, c’est l’Eternel, la foi en Dieu. Les autres conseillers sont déjà une figure de l’autre qui désigne Dieu. Mais Dieu est bien au-delà du Conseil presbytéral. La foi en Dieu, c’est la confiance que nous avons dans la vie. La parole de Jésus indique bien que ce n’est pas Dieu qui va déraciner le sycomore et le planter dans la mer. La foi, ce n’est pas la confiance dans un personnage qui, quelque part, agirait à notre place, nous l’avons souvent répété ici. La foi en Dieu n’est pas un oreiller de paresse, c’est la confiance que nous avons dans le fait que des relations fraternelles avec celles et ceux qui partagent notre existence peuvent déboucher sur une qualité de vie qui dépasse largement ce que nous pourrions bâtir si nous nous appliquions à ne compter que sur nous-mêmes ou sur nos camarades. La foi en Dieu, c’est la confiance dans le fait que la vie recèle d’une variété infinie de possibilités pour atteindre de nouveaux niveaux d’existence. La foi en Dieu, c’est notre confiance dans la possibilité de déjouer les pronostics pessimistes, de démonter les mécanismes mortifères, d’intensifier le bonheur, d’accroître l’intelligence des situations de telle manière que notre environnement soit moins effrayant et que nous soyons plus responsables.

La foi en Dieu, c’est ce que vous offre l’Eglise ici réunie, dont l’assemblée générale vous a confié un mandat. Observez bien que cette Eglise n’est pas à votre mesure, qu’elle vous dépasse largement, qu’elle transcende tous vos espoirs, toutes vos définitions, qu’elle est plus large que vos capacités, plus large que votre horizon théologique. Elle est là pour donner de la voix avec vous, pour dire avec vous ces paroles qui font se lever de terre les situations qui semblent les plus fichues, les personnes qui semblent les plus fichées. La foi en Dieu vous rappelle que tout ne dépend pas de vous, que tout ne repose pas sur vos seules épaules.

La foi en Dieu, c’est ce qui vous autorise personnellement à incarner -sans s’épuiser- la mission de conseiller presbytéral pour aller au-delà de la simple gestion et prendre part à l’œuvre civilisatrice qui dresse, qui ressuscite l’humanité même en milieu hostile.

Amen

Lecture de la Bible

Luc 17:5-10

Les apôtres dirent au Seigneur: Augmente-nous la foi.

6 Et le Seigneur dit: Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à ce sycomore: Déracine-toi, et plante-toi dans la mer; et il vous obéirait.

7 Qui de vous, ayant un serviteur qui laboure ou paît les troupeaux, lui dira, quand il revient des champs: Approche vite, et mets-toi à table? 8 Ne lui dira-t-il pas au contraire: Prépare-moi à souper, ceins-toi, et sers-moi, jusqu’à ce que j’aie mangé et bu; après cela, toi, tu mangeras et boiras? 9 Doit-il de la reconnaissance à ce serviteur parce qu’il a fait ce qui lui était ordonné? 10 Vous de même, quand vous avez fait tout ce qui vous a été ordonné, dites: Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire.

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