Va ! Ta foi t’a sauvé !

Marc 10:46-52

Culte du 19 mars 2016

Vidéo de la partie centrale du culte

film réalisé bénévolement par Soo-Hyun Pernot

Culte du dimanche 19 mars 2017
prédication du pasteur Stéphane Lavignotte, Mission Populaire à Gennevilliers

Ce passage de l’Évangile inspire particulièrement mon action de pasteur, l’action de la Mission populaire en banlieue nord dans le quartier des Agnettes à Gennevilliers, action que l’Oratoire du Louvre soutient fortement depuis le début. Et c’est une occasion de vous remercier toutes et tous. Ce passage incroyable d'un aveugle qui hurle depuis le bord du chemin nous inspire pour cet évangile de Libération, cette grâce transformatrice que la Mission populaire essaye de vivre et manifester en milieu populaire depuis 1872. Qu'est ce que cette histoire nous fait faire dans le quartier des Agnettes à Gennevilliers et qui fait qu'à notre tour nous essayons d’être parabole de cette histoire ? Que faisons-nous ? Nous faisons la même chose que Barack Obama dans les quartiers populaires de Chicago quand il était petit, ce que les anglo-saxons appellent "community organizing", qu’on traduit parfois par syndicalisme de quartier. Nous allons voir les gens en faisant des porte à porte, à la sortie des écoles, avec des potagers de rue, des animations de quartier... Puis nous les invitons à une assemblée du quartier où par petits groupes, ils travaillent sur des sujets de leur quotidien : la mauvaise isolation des appartements, les rats, un projet de tour de 50 mètres… Ensemble, les habitants décident sur quel problème ils veulent se faire entendre de la mairie, de l'office HLM, du département...

Quel rapport avec notre aveugle ? Il est en situation de handicap. De manière très symbolique il est au bord du chemin – la communauté l'a laissé au bord du chemin, il semble passif, dépendant de la charité publique, certains diraient qu'il est un assisté. Nous rencontrons aussi dans nos porte-à-porte des habitants qui se sentent au bord du chemin, abandonnés dans leur HLM, dans ce quartier qui est le dernier de Gennevilliers à ne pas avoir été rénové. Notre aveugle est certes au bord du chemin. Certes, il ne voit pas. Mais il entend. Il entend tout ces gens qui parlent de ce Jésus. Il entend même sans doute des choses que les gens ne réalisent pas qu'il entend. Parce qu'il est là, assis par-terre, à leur pied quand ils discutent. Ils l’oublient et lui n'en perd pas une miette. Il a un handicap mais il a une capacité : il a de l’ouïe. Parce qu'il est aveugle et que faute de voir, il développe d'autres capacités comme sans doute mieux entendre. Il n'est pas que handicap, marge, bord du chemin. Le handicap, la marge, le bord du chemin lui ont fait développer des capacités propres. Toute la bible nous

montre comment les femmes, les enfants, les esclaves, les impurs développent leurs propres compétences, capacités d'agir, stratégies. Et nous nous voyons comment c'est la même chose pour les habitants des quartiers populaires, les sans-papiers, les roms, les sourds et malentendants. Oui, notre aveugle est capable, oui notre peuple d'aveugle a de nombreuses capacités. L'a-t-il réalisé ? L'ont-ils réalisé ?

Toute la méthode du "community organizing", que nous appliquons dans un quartier mais qu’utilisent des paysans africains contre des multinationales, des femmes de ménages à Lyon, les employés des Mac Donald parisiens, cette méthode consiste à faire prendre conscience aux milieux populaires de cette idée simple, à ouvrir les yeux au peuple des aveugles sur une réalité qu'ils ont devant eux mais qu'ils ne voyaient pas : nous avons des capacités, nous pouvons augmenter ces capacités d'agir, nous pouvons nous faire entendre et cela peut changer notre vie. Jésus ouvre les yeux de l’aveugle bien avant qu’il recouvre la vue car il lui faire prendre confiance, lui permet de voir cette réalité simple : je suis capable, je peux.

De quelles autres capacités prend conscience l’aveugle ? De son bord du chemin, il entend : jésus a soigné untel, il a guéri tel autre, il a multiplié les pains et les poissons. Et moi se dit-il ? Pourquoi pas moi ? C'est injuste ! J'y ai autant droit que les autres. Et il se met en colère. Cela va vous paraître étonnant, mais la colère est une capacité. Ecrasés par l’injustice, beaucoup de gens perdent tout espoir ou alors retournent la violence qu’ils subissent contre eux-­mêmes : alcool, médicaments. Ou contre leurs proches : leur familles, leur quartier. La colère est alors une capacité salutaire, une énergie qui peut transformer le sentiment d’injustice en action. L’aveugle a une troisième capacité : il sait saisir l'occasion. Saisir en l’occurrence ce Jésus et sa bande qui passent. En grec, c'est la notion de kairos, le moment opportun qu'il faut savoir saisir. En fait Kairos est le petit dieu ailé de l'opportunité. Il est représenté par un jeune homme qui n’a sur le crane qu'une touffe de cheveux. Quand il passe à notre proximité, il y a trois possibilités : on ne le voit pas ; on le voit et on ne fait rien ; au moment où il passe, on tend la main, on « saisit l'occasion aux cheveux » dit-on en grec. On saisit l'opportunité. On entend beaucoup, et on l'a entendu pour ce quartier des Agnettes ou d’autres quartiers populaires, que les gens des cités HLM, vous savez, ils sont passifs, ils n'y arrivent plus, ils n'ont plus envie de rien, ils sont sans ressource pour agir. C'est ce qu'on nous a dit. Mais ce n'est pas ce que nous avons vu. Lors du porte-à-porte, les gens se sont saisi de notre passage, de nous.

Depuis un an nous avons du frapper à 800 portes, discuté de nombreuses fois à la sortie des écoles : 400 personnes nous ont laissé leur téléphone. Ils ont vu cette opportunité que nous représentions et ils se sont emparés de ce que nous proposions. Il suffit parfois de tendre une perche aux gens pour qu’ils la saisissent. Alors oui, cet aveugle - marginalisé, en colère - saisit ce Jésus qui passe avec sa bande. Et il utilise deux autres capacités : la voix – il hurle, il gueule - et la ténacité – quand les disciples le repoussent, il insiste. Vous reconnaitrez là aussi des capacités des milieux populaires. Jésus lui demande alors : que veux-tu que je fasse pour toi ? C'est cocasse : il est mendiant, aveugle, rejeté, mendiant et rejeté parce qu'aveugle et que pourrait-il vouloir d'autre que recouvrer la vue ? Jésus ne pose pas la question pour avoir une réponse mais pour qu'il dise lui-même ce qu'il souhaite, exprime son propre désir, sa propre volonté, revendication ; qu'il devienne un être de parole qui exprime publiquement, sans détour ce qui le fait souffrir et ce dont il veut être libéré, à celui qui peut quelque chose pour lui. Comment cela se traduit-il dans notre façon d'agir ? Dans les porte-à-porte, nous demandons aux gens ce qui ne va pas. Mais aussi quelle solution ils imaginent. Lors des assemblées de quartier où tout le monde se réunit, les gens vont eux-même imaginer les solutions, choisir leurs revendications. Avec ces solutions, on va faire des actions collectives vers les pouvoirs publics où, comme l'aveugle du texte, ils vont dire publiquement et sans détour : notre problème c'est ça, nous demandons ça. Et ils le demandent lors de négociations qu’ils mènent eux-mêmes avec ceux qui peuvent résoudre leur problème : la mairie, l’office HLM, le département… C’est aussi faire confiance à une capacité : les gens sont experts de leurs problèmes, ils ont des idées pour les résoudre et ils peuvent les exprimer. Le texte se dénoue ainsi : Jésus, avant que l’aveugle retrouve la vue, donne cette phrase qui pour moi résume tout ce que nous venons de dire : « Va, ta foi t'a sauvé ! ». Il y a au coeur de ce qui se passe, non pas la force magique de Jésus, mais la foi de l’aveugle.

Qu’elle est-elle cette foi ? 

1) Elle est la foi dans la colère de l’aveugle. La colère née d'un sentiment d'injustice qui peut être transformée en action non-violente pour réaliser une demande de justice. L’aveugle a une colère, il y croit. Alors que les disciples n’y croient pas et le rabrouent, Jésus lui y croit, y donne de l’importance. L’aveugle peut y croire parce quelqu’un y croit. Et vous, donnez vous de l’importance à vos colères, à celles de autres, à ce qu’elles disent d’un injustice ?

2) Cette foi est foi dans les capacités de l’aveugle : entendre ; sa colère, donc, sa voix - même quand elle est cri ; sa capacité à dire ce qu’il veut et non pas qu’on dise à sa place ce qui est bon pour lui ; foi dans sa capacité à se mettre debout et marcher, agir avec tenacité et pas seulement recevoir. Avons-nous foi en nos capacités, en celle des autres, à leur capacité à agir et pas seulement recevoir ?

3) Cette foi est une essence qu'on met dans le moteur initial qu’est la colère et qui peut transformer positivement la colère en mouvement, en mise en mouvement des capacités auxquelles on donne foi. Confiance et foi sont deux sens du même mot en latin comme en grec. Va, ta foi t'as sauvé, cela veut dire : tu as remis la main sur cette énergie incroyable que nous avons tous en nous qui est la confiance. La foi n'est donc pas un truc magique, religieux que certains auraient et d'autres non. C'est quelque chose dont nous avons tous un bout, souvent pas plus gros qu'une graine de moutarde, que dans les relations entre nous nous pouvons soit complètement écraser ou au contraire faire grandit et qui est potentiellement un formidable moteur pour la justice et l'émancipation si nous mettons toutes nos fois ensemble. Voulons-nous le faire ?

Tout ça est possible, et c’est ma conclusion, car il y a la Grâce de Dieu. La grâce de Dieu il faut vraiment l'entendre comme le président de la République fait grâce aux prisonniers. Nous étions enfermés dans plein de choses qui nous « empêchaient de... » : histoire personnelle et collective, classe sociale, races sociales, genre, quartier. Enfermé dans un monde de lois légales et théologiques : tu dois rester à ta place d’impur, ne pas rêver, pour être un homme tu dois être ceci, pour être une femme tu dois être cela... Dieu nous dit : je prononce la grâce, vous êtes libérés de tout ça. Ce n'est plus « tu dois » mais « tu peux ». Le problème est que personne n'a lu le journal où c'était écrit et que ceux qui l'ont lu n'y ont pas cru. Et c'est normal parce que c'est tellement incroyable comme bonne nouvelle, comme cadeau qu'on ne peut le croire que si on l'expérimente. C’est pour ça que je vous ai détaillé notre façon d’agir. « Est-ce que vous annoncez la grâce ? L’Evangile ? » nous demande-t-on souvent. Mieux, nous la faisons expérimenter, et donc croire. Donc vivre et donc croire. La grâce surabondante, bouleversante , cette "amazing grace" du gospel, qui ouvre les yeux de nos peuples d’aveugle, de nos yeux quand nous sommes nous­ mêmes aveugles. Que nous pouvons tous expérimenter et faire expérimenter. Alors, "yes, you can" !

En complément de cette prédication,
vous pouvez aussi écouter la conférence de Stéphane Lavignotte
sur "Théologie Politique ?" du mardi21 mars 2017
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Lecture de la Bible

Marc 10 :46-52

Ils arrivèrent à Jéricho. Et lorsque Jésus sortit avec ses disciples et une assez grande foule, un mendiant aveugle, Bartimée, fils de Timée, était assis au bord du chemin. Il entendit que c’était Jésus de Nazareth et se mit à crier : Fils de David, Jésus, aie pitié de moi ! Plusieurs lui faisaient des reproches pour le faire taire ; mais il criait d’autant plus : Fils de David, aie pitié de moi ! Jésus s’arrêta et dit : Appelez-le. Ils appelèrent l’aveugle en lui disant : Prends courage, lève-toi, il t’appelle. L’aveugle jeta son manteau, se leva d’un bond et vint vers Jésus. Jésus prit la parole et lui dit : Que veux-tu que je te fasse ? Rabbouni, lui dit l’aveugle, que je recouvre la vue. Et Jésus lui dit : Va, ta foi t’a sauvé. Aussitôt il recouvra la vue et se mit à suivre Jésus sur le chemin.

(Cf. Traduction Colombe)

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