Une théologie de l’Etre

Marc 4:30-32

Culte du 6 mai 2012
Prédication de pasteur James Woody

(Marc 4:30-32)

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Culte du dimanche 6 mai 2012 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, j’ai fait le choix de ce texte en raison du goût prononcé de Clara pour la nature. Apprécier la nature et prendre plaisir et intérêt à observer la nature est une attitude très utile sur le plan théologique. Le pasteur puis philosophe américain Emerson disait que la nature corrige les Ecritures. C’était une manière de dire que l’observation de la nature nous aide à mieux comprendre ce que veulent dire les textes bibliques. Nous pouvons penser à l’apport de Galilée qui constate que la terre n’est pas au centre de l’univers, que ce n’est pas le soleil qui tourne autour de la terre : cela nous conduit à repenser le livre de l’Ecclésiaste où il est écrit que le soleil se lève et se couche. Galilée ne disqualifie pas les textes bibliques, il nous incite à les requalifier. Il nous incite à repenser les registres sur lesquels lire ou ne pas lire la Bible.

La nature est très présente dans les textes bibliques, en particulier les arbres. D’ailleurs, si l’on y réfléchit, l’arbre est la première chose qu’a vue Adam, le premier homme dont parle la Bible. L’arbre est pour l’homme comme un reflet, une sorte d’alter ego, quelque chose qui lui permet de prendre conscience de lui-même. En effet, l’arbre est le lieu où le ciel et la terre se rencontrent. L’arbre qui plonge ses racines dans le sol où sont les morts et d’où il tire invisiblement sa vie, l’arbre qui se dresse sur la terre des vivants, et qui balaie le ciel de ses branches qui portent du fruit, montre à l’Homme, Adam, les trois niveaux où son humanité est interrogée. D’où vient la vie ? qu’est-ce que la vie ? où va-t-elle ? Dans cette histoire de graine de moutarde, l’accent est mis sur le présent. Et le moutardier nous permet de nous interroger sur ce que signifie « être » ; il nous permet de développer une théologie de l’être.

Le premier point que je retiens de cette parabole, c’est la part que Dieu peut prendre dans notre développement personnel. La première réalité que l’on observe, c’est qu’un grain est semé en terre. Au commencement, il y a un acte qui rend possible la suite de l’histoire : il y a une sorte de « oui » prononcé sur ce grain, une permission à accomplir sa vocation personnelle. Ce « oui » primordial autorise le grain à faire son métier de grain. Ce « oui » originel l’autorise à être. Dans la perspective du Royaume de Dieu, c’est-à-dire une vie authentique, c’est lorsqu’un « oui » est prononcé que la vie est rendue possible.

Alors la graine pousse, elle grandit : c’est dans le texte biblique. On n’est pas une graine à un moment donné et puis un arbre à l’instant suivant. C’est progressif. Il faut grandir, petit à petit. Il me semble que si le texte biblique prend la peine de préciser cela, c’est pour nous éviter deux illusions. La première illusion, c’est que tout pourrait arriver tout de suite. C’est de penser que tous nos caprices peuvent se réaliser, qu’il suffit de claquer des doigts pour avoir ce qu’on désire. C’est l’illusion qu’avec l’aide de Dieu, tout peut changer en une seconde. Mais, comme le dit très justement le pasteur Marc Pernot, la réalité nous montre que Dieu ne peut pas faire pousser un chêne centenaire en une seconde !

la deuxième illusion, c’est que nous puissions ne pas grandir. En disant cela, je pense à des enfants réels, bien réels : mes enfants. Parfois, ils me disent qu’ils veulent rester enfants, qu’ils ne veulent pas devenir adultes. Bien entendu, je me dis que je dois leur montrer une image pas très satisfaisante de ce qu’est un adulte et qu’ils ne veulent surtout pas être comme moi. Mais ils ne sont pas les seuls dans ce cas, à vrai dire. Cela semble même assez normal, chez un enfant, de ne pas vouloir grandir à certains moments : parce qu’il n’a pas envie de perdre tout ce qui fait le charme de la vie d’enfant (je suppose que vous aussi, parfois, vous regrettez de ne plus être un enfant) et parce qu’il a de bonnes raisons de craindre ce qui va lui arriver, ce que la vie adulte lui réservera.

Il arrive même que des enfants bloquent leur croissance, que ce soit sur le plan physique ou psychique. Ils refusent de grandir, refusent de quitter leur univers d’enfant, refusent de devenir adulte avec ce que cela signifie de responsabilité. En France on appelle cela le syndrome Peter Pan, comme ce personnage qui refuse de quitter le « pays imaginaire » (Neverland). Je pense que c’est là, encore, que Dieu prend sa part dans l’éducation des plus jeunes, dans le fait que l’homme, comme l’arbre, pousse... Dieu ce n’est pas seulement le coup de pouce/pousse initial, c’est ce qui rend la croissance acceptable, c’est ce qui nous aide à accepter les changements de notre vie. Dieu c’est ce qui nous aide à supporter les transitions, toutes ces petites transitions qui, mises bout à bout, constituent notre courbe de croissance. Dieu c’est ce qui nous aide à accepter les autres quand nous sommes petits ; c’est ce qui nous aide à nous accepter, nous, quand nous sommes un peu plus grands ; c’est ce qui nous aide à accepter que nous ne soyons pas, non plus, celui que nous rêvions d’être, une fois devenu adulte... Dieu c’est qui nous aide à grandir, à l’image de cette petite graine qui pousse pour devenir une grande plante potagère. Dieu, c’est notre rapport à l’être, c’est l’être en devenir, à l’image de ce grain de moutarde qui devient la plus grande des plantes potagères.

L’Etre nos fait déborder

J’aimerais aussi relever un second aspect de ce texte. C’est justement le contraste entre la toute petite graine et la grande plante potagère que devient cette petite graine. Ce contraste nous rappelle qu’il ne faut jamais négliger les petits aspects de la vie et, ici, il est dit qu’il ne faut jamais négliger les plus petits d’entre nous. Un enfant qui ne semble pas très robuste ou qui est malade, un enfant qui ne semble pas très doué, qui ne semble pas très ambitieux, qui ne semble pas très intéressé par ce que nous lui proposons, peut néanmoins nous surprendre et prendre une grande importance dans le monde, pour peu qu’il soit au contact de l’être et de ses potentialités et qu’il puisse découvrir qu’il y a pour lui d’autres manières d’être, plus intéressantes, plus jouissives aussi.

Il y a, dans l’Histoire, de nombreuses illustrations de ce contraste entre l’apparence d’une situation, d’une personne, et ce qu’il advient. Comme le dit un auteur anonyme du 17ème siècle au sujet de Jésus, « je suis absolument sûr de moi quand je dis que toutes les armées qui ont jamais défilé, que tous les parlements qui ont jamais siégé et que tous les rois qui ont jamais régné, tous mis ensemble, n’ont jamais affecté la vie de l’homme sur cette terre autant que cette unique vie esseulée ».

Il est des petites graines qui semblent terriblement insignifiante, que l’on jette à la surface de la terre, et qui prennent racine, qui grandissent, et qui deviennent tel un arbre à l’ombre duquel les oiseaux du ciel peuvent s’abriter, trouver refuge et construire leur vie. Nous pouvons penser à Nelson Mandela en Afrique du Sud, par exemple, qui fut de cette variété de graine qui pousse et qui devint un havre de paix, un lieu d’hospitalité pour tous ceux qui cherchèrent un nouveau départ, une fondation pour une existence nouvelle. Mais il ne faut pas être fasciné seulement par les faits spectaculaires de l’Histoire. L’histoire de l’être s’écrit aussi dans des trajectoires qui ne sont pas à l’échelle mondiale. L’histoire de l’être s’écrit aussi à notre échelle et dans les situations qui peuvent apparaître bien précaires à première vue. C’est que nous avons souvent de l’être totalement accompli l’image de quelqu’un capable d’agir, de faire. Et, du coup, celui qui ne produit pas semble ne pas exister. Mais cette parabole nous ramène à une compréhension plus évangélique de ce que signifie être, du fait même que tout commence par la plus petite des graines. Lorsque nous regardons tout au bout de la croissance de la parabole, « être » c’est être hospitalier, ce qui est possible même lorsqu’on est handicapé. Ainsi, une  personne handicapée peut être un abri, un refuge pour des soi-disant biens portants, qui trouveront auprès d’elle des raisons de vivre, des raisons d’être, un nouveau départ dans la vie. Comme l’écrit admirablement bien le psychanalyste Daniel Sibony, il n’y a pas un Etre suprême, mais des états suprêmes de l’être. Des états suprêmes qui ne doivent rien à l’aspect superficiel. Comme le grain de moutarde devient plus grand que toutes les plantes potagères, l’être, c’est ce qui nous fait sortir de l’esclavage de ce qui est, là, définitif ; c’est ce qui nous fait advenir à l’infinité de l’être, c’est ce qui nous fait déborder de nous-mêmes, c’est ce qui fait nous tenir hors de nous-mêmes et nous met en relation, c’est ce qui nous fait exister.

Cette théologie de l’être nous révèle que s’occuper d’enfants, de jeunes et d’adultes, s’occuper de nous-mêmes, c’est s’inscrire dans cette dynamique divine, dans ce rapport à l’être qui autorise à se lancer dans la vie et qui fait grandir, qui fait croître, non pas pour dominer, non pas pour s’étendre sur le monde, non pas pour prendre le pouvoir, mais pour enseigner l’art d’accueillir, l’art de recevoir, l’art de l’hospitalité. Le Royaume de Dieu, c’est comme un homme qui peut grandir et qui, au fil des années, apprend que la vie, ce n’est pas l’art de se servir, mais l’art de servir.

Amen

Lecture de la Bible

Marc 4:30-32

Jésus dit encore:

A quoi comparerons-nous le royaume de Dieu, ou par quelle parabole le représenterons-nous?

31 Il est semblable à un grain de sénevé, qui, lorsqu’on le sème en terre, est la plus petite de toutes les semences qui sont sur la terre; 32 mais, lorsqu’il a été semé, il monte, devient plus grand que tous les légumes, et pousse de grandes branches, en sorte que les oiseaux du ciel peuvent habiter sous son ombre.

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