Une éthique de la simplicité
Culte du 14 juillet 2013
Prédication de pasteur James Woody
( Qohéleth ou Ecclésiaste 2:20-26 )
Culte du dimanche 14 juillet 2013 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody
Chers frères et sœurs, je constate que de nombreuses personnes apprécient le mois de juillet, en particulier celles qui ne sont pas encore en congés et qui continuent à travailler. Moins de pression, semble-t-il, moins de sollicitations diverses et variées qui ont tendance à nous détourner de notre cœur de métier : le mois de juillet réconcilie beaucoup de travailleurs avec le travail et même avec la vie. Je constate, en tout cas, qu’il y a moins de personnes qui « livrent leur cœur au désespoir à cause de tout le travail qu’elles font sous le soleil » (alors que le soleil, justement, ce n’est pas ce qui manque ces temps-ci).
J’explique cela par le fait que le mois de juillet est propice à vivre le programme de vie que développe le livre biblique Qohéleth, un livre qui ne cherche pas du tout à nous expliquer que tout ce que nous faisons ne sert à rien, que tout n’est que vanité ou buée. La lucidité du livre de Qohéleth ne confine pas au cynisme, mais à la joie de vivre. Et, chemin faisant, il m’apparaît que Qohéleth développe une éthique qui nous permet de passer du désespoir à la joie, qui nous permet de quitter les habits de tristesse ou de désespoir pour revêtir les habits de fête. Cette éthique est ce que j’appellerai une éthique de la simplicité. Et c’est de la simplicité que j’aimerais me faire le chantre ce matin.
Le pasteur Charles Wagner l’écrivait déjà il y a un siècle dans cet ouvrage qui a fait le tour du monde La vie simple : « plus rien n’est simple : ni penser, ni agir, ni s’amuser, ni même mourir ». Tout cela était déjà vrai du temps de Qohéleth, trois siècles avant notre ère ; cela est encore vrai de nos jours. Même mourir est compliqué en effet. Les débats autour de la fin de vie nous le rappellent : même la mort ne va pas de soi.
Si le mois de juillet offre quelques satisfactions à bien des personnes, c’est parce que la vie se simplifie à ce moment-là. Certaines familles n’ont plus d’enfants à charge, les uns étant chez les grands-parents, les autres en camp scouts. Il y a plus de temps pour rencontrer les amis, pour se retrouver autour d’un verre, d’un repas : manger et boire et, ce faisant, faire jouir son âme du bien-être, au milieu de son travail. Combien de fois oublie-t-on, durant l’année, que le bonheur est simple comme un bout de pain partagé entre amis ? Combien de fois avons-nous l’intuition, pendant l’année, que c’est la complexité du monde, de la vie, qui nous empêche d’être totalement heureux, lorsque nous ramenons nos soucis à la maison, lorsque nous n’arrivons pas à nous débarrasser des problèmes d’organisation, de planning, de conflits, d’argent, qui viennent jusque dans nos draps égorger nos nuits et nos compagnes ? Que faire contre cela ? Nous pouvons faire valoir une éthique de la simplicité, nous suggère Qohéleth. Simplifier la vie, c’est mieux vivre.
Oui, notre vie peut être simplifiée : ce n’est pas une chimère de prédicateur. Elle peut être simplifiée dans le sens d’un recentrement sur l’essentiel, par exemple en consacrant moins de temps à ce qui est accessoire, ce qui est annexe. Lorsque Qohéleth parle du bien être, il dit qu’il est possible de faire jouir notre âme du bien-être. C’est notre âme qui est en jeu, pas nos sens. C’est une manière de dire que le bien-être s’éprouve lorsque notre vie est mise en tension avec l’Eternel, avec l’absolu. Se concentrer sur l’essentiel, c’est repérer ce qui compte vraiment et y donner le plus clair de son temps. Mais encore faut-il pouvoir repérer cet essentiel, avant de s’y consacrer. Encore faut-il le dégager de la masse de petites choses qui nous collent à la peau et qui nous étouffent peu à peu.
Martin Luther avait un bon conseil à ce sujet : quand le matin, tu te rends compte que ta journée est surchargée, qu’elle déborde, commence par prendre une heure pour prier ! Oui, quand nous n’avons pas assez de temps devant nous, commençons par prendre du temps pour faire le tri, pour pouvoir ensuite se concentrer sur ce qui le mérite. Vaste utopie ? C’est ce que font pourtant ceux qui réussissent dans la vie professionnelle et qui continuent à être heureux au lieu de livrer, souvent en secret –car il ne faudrait pas perdre la face-, leur cœur au désespoir. Repérer quels sont les vrais sujets et s’y consacrer. Faire ce qui nous appartient, simplement cela. D’ailleurs, il se pourrait que nous découvrions que les vrais sujets ne sont pas liés au monde professionnel. Il se pourrait que notre prière nous révèle que nous avons négligé la famille, un talent, une vocation… nous-mêmes ? L’éthique de la simplicité nous propose de ne pas attendre que ça aille vraiment mal pour se demander « que revient-il à l’homme de tout son travail ? » Inutile d’attendre que notre fatigue, notre douleur, notre chagrin soient à la hauteur du mont Ventoux pour s’interroger sur ce que nous pourrions faire pour retrouver un peu de ce bonheur qui est un don Dieu, dit Qohéleth. Ce dont il est question, c’est de dégager notre vie de ce qui l’encombre ; c’est la libérer de ce qui l’entrave. Je ne dis pas que ce soit facile. Je n’ai aucune illusion à ce sujet. Mais c’est par ce dépouillement que nous pouvons être un peu plus nous-mêmes.
N’est-ce pas dans les camps scouts, justement, que nos enfants ont le sentiment d’être vraiment eux-mêmes ? Lorsqu’il n’y a plus que l’essentiel au cœur de chacun : manger, boire, dormir un peu, jouir beaucoup de la nature, des frères scouts et des aventures préparées par les chefs. Faire preuve d’imagination, faire confiance, espérer… s’engager de tout son être dans une communion humaine qui nous transporte dans cette terre promise où nous célébrons vraiment la vie : la vie telle que nous en parle l’Evangile.
Simplifier le langage
L’Evangile, justement. Un dicton déclare « simple comme l’Evangile ». Parfois, en vous écoutant, j’ai l’impression inverse : que l’Evangile est compliqué et que seuls les pasteurs peuvent y comprendre quelque chose. C’est nous qui sommes compliqués. Nous sommes tellement compliqués que nous en avons du mal à comprendre ce que l’Evangile nous appelle à vivre tant c’est éloigné de notre manière de vivre, de notre manière d’être. Je reviens sur la question du langage, que j’avais abordée lors de la prédication sur le livre d’Esther. Le langage de la Bible est un langage ordinaire, avais-je dit. Ce n’est pas un langage religieux. C’est nous qui avons sacralisé bien des termes qui sont ceux de la vie quotidienne, parmi lesquels « ressusciter » pour prendre l’exemple le plus criant. J’ajoute que les textes bibliques ne théorisent pas (à part certains passages de l’apôtre Paul qui, je vous l’accorde, qui ne sont pas d’une simplicité très évangélique). Dans les textes bibliques, il n’y a pas cette inflation de concepts qui inondent tant de discours théologiques abscons.
Les textes bibliques sont simples, ce qui ne veut pas dire simplistes. Car la simplicité ce n’est ni la misère, ni la médiocrité, ni la vétusté, ni même la modestie. La sagesse biblique, l’Evangile, c’est une langue simple qui aborde avec simplicité la complexité de la vie pour la rendre moins confuse, moins tortueuse, plus compréhensible et donc plus praticable. La sagesse de Qohéleth n’a rien de commun avec la rhétorique d’Emmanuel Kant, mais elle n’en n’attend pas moins pour autant la profondeur de l’être. La simplicité de notre langue devrait être à l’image de cette simplification du culte chrétien et des lieux de culte au temps de la Réforme. Il y a une épure qui correspond bien à notre spiritualité. Il y a un dépouillement qui contraste avec l’inflation des concepts, des ornements, des fioritures qui en viennent à cacher l’essentiel.
Le pasteur Charles Wagner prenait l’exemple d’une lampe. « Qu’est-ce qu’une bonne lampe ? Ce n’est pas la plus ornée, la mieux ciselée, celle qui est faite du métal le plus précieux. Une bonne lampe est une lampe qui éclaire bien. » L’éthique de la simplicité nous aide à dégager l’homme de tout ce qui l’encombre pour en faire un bon homme. Un bon homme, c’est un homme qui aime bien. Oui, c’est aussi simple que cela. Qu’est-ce qu’une bonne religion ? C’est une religion qui nous permet une vie bonne, une vie véritable. Une bonne religion est ce qui nous permet de faire jouir notre âme. Une bonne religion est ce qui nous permet de découvrir le don de Dieu qui consiste à éveiller en nous le sentiment de la valeur infinie de la vie. C’est simple ; je crois que c’est efficace.
La simplicité de la langue est d’ailleurs d’un grand bénéfice pour nous. Car avec une langue simple, nous ne pouvons pas nous cacher derrière des concepts qui ne sont pas les nôtres et qui, parfois, nous empêchent de développer notre propre pensée et donc notre propre éthique. La simplicité de la langue est ce qui nous permet de nous engager de tout notre être, de nous engager à fond dans une discussion, sans tenir un rôle de composition, sans faire parler quelqu’un d’autre à notre place, sans recueillir et amasser ce qui n’est pas à nous et qui finira dans les mains du vrai sage, de l’homme qui ne vit pas par procuration.
La simplicité nous permet d’être nous-mêmes : elle dégage notre être véritable, notre être profond, celui-là même que l’Eternel espère voir émerger. L’éthique de la simplicité est ce chemin du bonheur qui nous permet la joie authentique.
Amen
Lecture de la Bible
Qohéleth 2:20-26)
(Ecclésiaste 2:20-26)
Jen suis venu à livrer mon coeur au désespoir, à cause de tout le travail que j’ai fait sous le soleil. 21 Car tel homme a travaillé avec sagesse et science et avec succès, et il laisse le produit de son travail à un homme qui ne s’en est point occupé. C’est encore là une vanité et un grand mal.
22 Que revient-il, en effet, à l’homme de tout son travail et de la préoccupation de son coeur, objet de ses fatigues sous le soleil?
23 Tous ses jours ne sont que douleur, et son partage n’est que chagrin; même la nuit son coeur ne repose pas. C’est encore là une vanité.
24 Il n’y a de bonheur pour l’homme qu’à manger et à boire, et à faire jouir son âme du bien-être, au milieu de son travail; mais j’ai vu que cela aussi vient de la main de Dieu.
25 Qui, en effet, peut manger et jouir, si ce n’est moi! 26 Car il donne à l’homme qui lui est agréable la sagesse, la science et la joie; mais il donne au pécheur le soin de recueillir et d’amasser, afin de donner à celui qui est agréable à Dieu. C’est encore là une vanité et la poursuite du vent.
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