Un anthropocène biblique

Genèse 2:4-7

Culte du 8 juillet 2012
Prédication de pasteur James Woody

(Genèse 2:4-7)

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Culte du dimanche 8 juillet 2012 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, il y a quelques jours se tenait le sommet de Rio, 20 ans après le premier sommet réunissant des représentants des Etats pour envisager des politiques bénéfiques pour l’avenir de la planète. La nécessité d’une convergence entre l’environnement et le développement économique et social avait été posée, mais aucune mesure d’ensemble n’avait été décidée. Le président du Muséum National d’Histoire Naturelle, Gilles Bœuf, commente ce nouveau sommet de la Terre en ces termes : « manque de courage et égoïsme ».

L’égoïsme est une force gigantesque qui semble être le principal obstacle à une prise en compte harmonieuse des questions de l’eau, du climat, de l’énergie, de la biodiversité et de l’économie. L’égoïsme conduit certains Etats à refuser de limiter la pollution au nom de la croissance industrielle de leurs intérêts nationaux aux dépens d’équilibres internationaux. Mais parce que l’égoïsme est une force considérable, peut-être la véritable énergie renouvelable et inépuisable, la pensée biblique l’intègre au lieu de s’y opposer de manière frontale en déclarant la guerre à l’égoïsme. C’est ainsi que procède ce passage biblique qui envisage la question écologique à partir du point de vue particulier de l’homme et, plus précisément de l’homme saturé par son égoïsme.

De fait, ce deuxième récit de création contraste singulièrement avec le récit de Gn 1 qui offre une vision cosmique de la vie. Ici, tout est centré sur l’Homme, tout est pensé à partir de l’Homme qui est l’alpha et l’oméga de l’histoire. Il y a là l’intuition que l’Homme est en passe de devenir la principale force géologique et, bien avant le XXIème siècle qui a consacré l’appellation, le texte biblique suggère que la bonne manière de nommer la période que nous vivons, après le Miocène qui consacre l’apparition de la lignée humaine, après le Pliocène puis le Pléistocène qui est marqué par l’extinction des mammifères géants, après l’Holocène qui se caractérise par l’Agriculture et la sédentarisation, la bonne manière de nommer notre période qui démarrerait avec l’apparition de la machine à vapeur serait « l’Anthropocène », l’homme étant ce qui influe le plus sur l’évolution de la Terre.

Le deuxième récit de la Genèse tient compte de ce trait caractéristique et, au lieu de dire que la nature environnante doit être respectée, il change de référentiel et pose qu’il n’y a pas l’homme et son environnement qui seraient comme deux lutteurs aux prises l’un avec l’autre. La Genèse raconte que l’homme est issu de la nature, qu’il est constitué de ce qui compose la nature, qu’il est de la même nature, qu’il n’y a pas d’un côté l’être humain et de l’autre la nature, mais que la nature est la peau de l’homme, sa chair. Adam, le nom donné à l’homme, vient de Adamah qui signifie la terre. André Chouraqui propose de traduire Adam par le Glébeux, on pourrait très bien dire aussi le Boueux, voire le Bouseux. Ce changement de perspective a deux intérêts majeurs.

Le premier est de nous rendre solidaires de la nature, qui n’est plus notre environnement, dans cette perspective, mais une part de nous-mêmes. La nature n’est plus seulement ce qui est utile pour s’alimenter, pour se protéger, pour produire les biens de conforts… la nature est ce qui nous permet d’être. Nous sommes des molécules qui font partie du tableau périodique des éléments chimiques établi par Mendeleïev. Supprimez une case, vous blessez l’être humain. Cela, l’égoïste peut le comprendre : dégrader la nature, ce n’est pas dégrader l’environnement, c’est blesser l’homme, c’est se mutiler, nous dégrader dans notre possibilité d’être. Et réciproquement, ce que l’on fait à l’Homme, c’est à la création qu’on le fait. L’injustice sociale a des effets immédiats et à moyen terme sur la planète. Les pauvres détruisent par nécessité tant qu’ils n’ont pas les moyens de faire autrement.

Le deuxième intérêt, c’est de nous révéler que tout ce que nous faisons en faveur de la nature a un impact bénéfique direct sur nous, et donc sur l’ensemble. Autrement dit, il n’y a pas de petit geste. Chacune de nos actions est en interaction avec l’ensemble. Et le bien que nous faisons ici a des répercussions au loin et sur nous-mêmes. La Genèse pose les bases d’une éthique de la responsabilité qui fait de chacun de nous une partie prenante de l’état du monde. Nous pouvons trouver là un fondement à la radicalité de l’éthique du respect de la vie développée par Albert Schweitzer.

Changement d’échelle à partir de l’Eternel

Toutefois, les petits gestes ne suffisent pas. Ce n’est pas le tri sélectif qui nous évitera une catastrophe écologique. C’est la raison pour laquelle ce récit de la Genèse procède à un deuxième décalage. Après avoir mis fin à l’idée selon laquelle il y aurait nous et l’environnement, après avoir mis en évidence notre solidarité avec l’ensemble de la création, ce récit change de référentiel pour penser à hauteur de l’universel. Notre petit ego est appelé, ici, à se mesurer à l’Eternel, c’est-à-dire à l’être même. C’est en racontant que l’homme est au bénéfice du souffle divin, que la Genèse accomplit ce changement de perspective. La respiration de l’Eternel qui est insufflé en l’homme, c’est une manière de dire que l’homme est mis en relation avec l’humanité tout entière et pas uniquement de manière horizontale, en rappelant que nous avons une condition commune, mais aussi en disant que l’homme est vraiment humain lorsqu’il est en relation avec l’Eternel, autrement dit avec le fondement de l’être, avec ce qui rend l’être possible. L’homme n’est pas seulement un dispositif biologique, mais aussi un être symbolique capable de penser ce que signifie être, à la condition qu’il se décentre de lui-même et sorte de ses schémas individualistes.

Ce que ce récit dit avec le souffle divin, la tradition juive et plus spécifiquement ashkénaze, l’a développé avec la légende du Golem. Le Golem, c’est une sorte d’Adam : de la terre à laquelle un rabbin donne la vie et qui devient un être animé, capable de rendre service. Pour donner la vie à cette masse de terre informe, il s’agit d’inscrire ‘EMeT sur le Golem, ce qui signifie « vérité » en hébreu. Selon une tradition, il arriva qu’un Golem fut blessé et que la première lettre, Aleph, fut arrachée, effacée. Il ne restait plus que MT, qui signifie « mort » et il devint semeur de mort sur son passage. La perte du aleph, de la première lettre, du fondement de l’alphabet, entraine la perte de la possibilité de maintenir la vie. La perte du fondement conduit à la mort.

Cette histoire ou le récit de la Genèse ont pour fonction d’être un procédé mnémotechnique pour nous rappeler qu’à chaque fois qu’on cesse de placer notre existence finie face à l’ultime, on devient soi-même agent de mort. Lorsqu’on cesse de considérer que nous ne sommes ni l’alpha ni l’oméga de l’histoire, lorsque nous nous contentons de notre vision du monde, lorsque nous évitons le débat contradictoire, nous devenons vecteur de mort. Pour le dire plus calmement, ces récits nous invitent à une réelle humilité : nous ne sommes pas capables de créer la vie. Oui, nous savons procéder à des fécondations in vitro, nous sommes capables d’interroger l’ADN, mais… le 26 septembre 1991, 4 hommes et 4 femmes s’enfermèrent dans un espace de 16000m², nommé Biosphère II, dans le désert du Nevada. Il s’agissait d’une serre isolée de l’atmosphère, dans laquelle des chercheurs avaient installé un désert, des marais, une mer, une savane, une forêt tropicale, une zone de culture, une atmosphère. L’oxygène se mit à se raréfier ; les invertébrés et les insectes pollinisateurs moururent ; des membres de l’équipe tombèrent malades. Il fallut se résoudre à stopper l’expérience de 200 millions de dollars qui mit en évidence l’importance de bien s’occuper de Biosphère I, la Terre, parce que nous ne sommes pas capables de fonder la vie, ni de la produire.

Se placer face à l’ultime, refuser les vérités partisanes, ne pas s’enfermer dans des schémas univoques, c’est également nécessaire pour ne pas faire de la nature une nouvelle divinité qui aurait raison contre nous. La nature n’est pas plus douée que nous. Le 21 août 1986 eut lieu une éruption de gaz sous le lac Nyos au Cameroun. Il y eut 1700 morts à cause du gaz CO2 qui s’en échappa, 1700 morts qui ne sont pas les victimes d’une défaillance nucléaire, de chercheurs qui se prennent pour des apprentis sorciers ou de consommateurs irresponsables. La nature peut-être un danger pour elle-même. L’eau, par exemple n’est pas forcément naturellement propre à la consommation. Il est nécessaire que la science de l’homme intervienne en bien des lieux, ce qui est loin de l’idéal proposé par Jean-Jacques Rousseau qui refusait toute modification de la nature au prétexte que cela la rendait difforme. Sortir de l’ère technologique, se détourner de la science ne serait pas une solution.

D’autres logiques partisanes montrent des dénis de vérité qui semblent ne servir qu’à des fins personnelles : des manières d’exister dans le paysage médiatique. On se souvient des débats autour des antennes relais pour les téléphones mobiles. Ces antennes ont été l’objet de furieuses protestations (et le sont à nouveau dans le métro parisien) alors qu’elles émettent moins d’énergie que les antennes relais pour la télévision. Résultat des courses, la puissance des téléphones mobiles a été augmentée pour capter les réseaux et nous nous retrouvons donc à proximité de foyers d’énergie inutilement importants. Rien de tel, à vrai dire, qu’une famille habitant Saint-Cloud et se plaignant de problèmes de santé survenus depuis l’installation d’une antenne relais de téléphone… non encore branchée par l’opérateur, pour jeter le soupçon sur l’impact de l’homme au sein de la Création.

Fort heureusement, des exemples montrent que des efforts convergeant entre scientifiques, politiques, industriels et citoyens concourent à améliorer la situation d’ensemble. Parce qu’une mobilisation sérieuse avait été entreprise après qu’on eut repéré les fameux trous de la couche d’ozone, on a pu constater que celle-ci s’était renforcée quelques temps après (et sans que les vaches, grandes donatrices de gaz renforçant l’effet de serre, aient vraiment mesuré l’enjeu de la situation).

Comme le disait Talleyrand, « en politique, ce qui est cru devient plus important que ce qui est vrai ». Les auteurs bibliques s’efforcent de remettre la vérité au cœur de la sagesse de l’homme pour le sortir de ses logiques mortifères, car l’erreur et l’ignorance coûtent cher. La fragilité de l’existence, de la Terre sont suffisamment évidentes pour ne pas faire comme s’il n’y avait rien à faire. L’homme semble bien être celui qui a le plus fort impact sur la planète. Dans la perspective biblique, cela n’est pas une menace sur la Création, car lorsqu’il accepte sa divine humanité, l’homme est capable de mettre en œuvre le programme que Jacques Ellul avait résumé dans la formule « penser globalement, agir localement ».

Amen

Lecture de la Bible

Job 28:9-24

L’homme porte sa main sur le roc,
Il renverse les montagnes
depuis la racine;
10 Il ouvre des tranchées
dans les rochers,
Et son oeil contemple
tout ce qu’il y a de précieux;
11 Il arrête l’écoulement des eaux,
Et il produit à la lumière
ce qui est caché.

12 Mais la sagesse,
où se trouve-t-elle?
Où est la demeure de l’intelligence?
13 L’homme n’en connaît point le prix;
Elle ne se trouve pas
dans la terre des vivants.
14 L’abîme dit:
Elle n’est point en moi;
Et la mer dit:
Elle n’est point avec moi.
15 Elle ne se donne
pas contre de l’or pur,
Elle ne s’achète pas
au poids de l’argent;
16 Elle ne se pèse pas
contre l’or d’Ophir,
Ni contre le précieux onyx,
ni contre le saphir;
17 Elle ne peut se comparer
à l’or ni au verre,
Elle ne peut s’échanger
pour un vase d’or fin.
18 Le corail et le cristal
ne sont rien auprès d’elle:
La sagesse vaut plus que les perles.
19 La topaze d’Ethiopie
n’est point son égale,
Et l’or pur n’entre pas
en balance avec elle.
20 D’où vient donc la sagesse?
Où est la demeure de l’intelligence?
21 Elle est cachée
aux yeux de tout vivant,
Elle est cachée aux oiseaux du ciel.
22 Le gouffre et la mort disent:
Nous en avons entendu parler.
23 C’est Dieu qui en sait le chemin, C
’est lui qui en connaît la demeure;
24 Car il voit
jusqu’aux extrémités de la terre,
Il aperçoit tout
sous les cieux.

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