Soyez anticonformiste, nous dit Paul

Luc 7:31-35 , Romains 12:2

Culte du 8 février 2015
Prédication de pasteur Marc Pernot

Jésus nous propose de nous poser une drôle question : À quoi ressemblent les humains de cette génération ? À quoi ça sert de se poser cette question ? Il nous invite à prendre du recul et à nous regarder pour mieux comprendre la situation où nous sommes. C'est un élément clef pour avancer.

Alors, comment est l'humanité actuellement ? Quel portrait en ferions-nous ?

Une des grandes utilités de la Bible c'est de nous aider à nous voir nous-mêmes, à nous regardez comme dans un miroir. Si nous ne savions pas la tête que nous avons ce ne serait pas trop grave, encore, mais c'est bien plus dommage de ne pas savoir qui nous sommes en réalité, comment nous fonctionnons, quels sont nos qualités et nos défauts... Car alors nous pouvons mieux réagir, vivre et progresser

La Bible est comme un miroir pour son lecteur grâce aux milliers de bonnes questions dont elle est pleine. La prière nous aide aussi à avoir une lucidité sur nous-mêmes. Jean-Baptiste nous encourage à nous « convertir », c'est à dire à nous tourner vers Dieu pour avoir cette lucidité. Ce n'est pas toujours drôle. Heureusement que Jésus réjouit l'atmosphère en faisant la fête même avec les plus pécheurs d'entre les pécheurs. Cela nous montre que nous pouvons prier Dieu sans crainte.

Sachant cela, nous pouvons avoir le courage de nous regarder dans la glace, nous, et notre génération.

Où en sommes nous aujourd'hui ?

À quoi ressemble notre humanité aujourd'hui ?

Jésus raconte bien les histoires. En trois mots, il décrit l'humanité, et son portrait est saisissant, criant de vérité et d'actualité. Il voit l'humanité comme une foule d'enfants assis dans l'agora, cette place qui était dans l'antiquité au cœur de la ville et où tout se vend et s'achète, mais aussi où l'on discute, où fait de la politique et où la justice pouvait être rendue. Jésus compare l'humanité à une foule d'enfants assis sur cette place, chacun exprimant sa propre humeur du moment, et chacun se plaignant que les autres ne soient pas sensible à ce qu'ils expriment.

Dans un sens, c'est une vision optimiste, puisque Jésus compare l'humanité à une foule d'enfants. Or les enfants, ça grandit, ça apprend des choses, ça devient plus fort et plus sage (parfois). Cette petite parabole de Jésus nous apprend quelque chose sur nous-mêmes : quel que soit notre âge et notre état, Dieu voit en nous quelqu'un qui peut grandir et devenir un adulte un petit peu plus responsable.

Et dans ce miroir de l'Évangile, nous voyons une humanité toute morcelée en individus et en corporations qui cherchent à communiquer mais à sens unique, et qui reprochent aux autres de ne pas les écouter, mais qui n'écoutent non plus personne. Ni les autres, ni Dieu.

C'est le triste paradoxe d'une liberté d'expression qui n'a rien à faire du sentiment des autres.

A première vue, cela pourrait aller avec le début du passage de l'apôtre Paul que je vous ai lu (Romains 12:2) mais seulement au début de ce texte, en oubliant la suite : Je ne me conformerai pas au monde qui m'entoure, je resterai moi, je penserai ma pensée, je regarderai le monde de mon point de vue, devant mon entourage je crierai mon humeur et ma revendication d'exister, en me disant : ah si seulement, quand je suis heureux, quelqu'un dansait de joie de me voir heureux, et quand je suis triste, ah, s'il y avait quelqu'un qui pleurait pour moi, avec moi... Et dans cette logique, plus il y a une proportion importante de personnes concentrées sur elles-mêmes, plus il y a le sentiment que personne ne nous écoute vraiment. Alors pourquoi écouterais-je la plainte et la joie des autres, pourquoi est-ce que je devrais danser à la joie des autres et pleurer à la peine des autres puisqu'il n'y a personne pour moi ?

Ce qu'il nous faut c'est un miroir pour nous voir en réalité. Et que progressivement, on commence dans le monde à un petit peu écouter ce que ressent l'autre. C'est ce que propose cette fameuse prière franciscaine :

Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix...
que je ne cherche pas tant :
à être consolé qu'à consoler,
à être compris, qu'à comprendre
à être aimé, qu'à aimer...

Et donc, quand Paul dit « ne vous conformez pas au monde présent », il ne nous encourage pas être indépendant de ce qui nous entoure. Au contraire, car la mode serait plutôt à l'individualisme, et c'est donc anticonformiste de se préoccuper des autres. Normalement, comme tout le monde, nous pleurons sur nos propres problèmes. Vous avez déjà vu les cheminots faire grève ou manifester pour que les routiers aient une augmentation de salaire ? Ou les pilotes d'avion pour que les infirmières aient une diminution de leurs heures de travail ? Les rares fois où il y a une manifestation qui s'occupe des droits des autres, c'est pour que les autres n'aient surtout pas les mêmes droits que nous. Et si l'on est généreux, on préfère que ce soit avec l'argent des autres en distribuant les ressources de la collectivité ou en usant de celle des générations futures.

Mais nous dit Paul, ne vous conformez pas au monde présent : soyez vous-mêmes. Et être soi-même c'est être bienfaisant pour ce monde. Dieu nous a fait comme cela. Il faut seulement trouver notre propre façon.

C'est incroyable comme ce que dit Jésus est un portrait tout craché de notre génération. C'est à croire que le livre de la Bible change automatiquement afin que chaque génération puisse y lire une image de sa propre génération. Et que, se voyant enfin un peu en vérité, chaque génération puisse partir de ce qu'il y a de bon et espérer s'ouvrir au meilleur.

Et du bon, il y en a, dans cette génération, si l'on regarde dans le miroir que nous tend ici Jésus. Cette génération est faite de personnes qui ont des sentiments et qui les expriment. Même cette plainte sur soi-même, même la joie égoïste, même la colère contre les autres montrent qu'il y a de la vie.

Pour l'instant, les individus de la foule restent là, assis par terre, incapable d'avancer et coupés les uns des autres. Cette vie ne mène nul part, comment le pourrait-elle quand cette génération est comme un corps dont les membres ne s'entendent plus, dont les cellules mêmes ne s'écoutent plus mutuellement ? Un corps morcelé, atomisé. Mais l'humanité est un corps qui peut grandir en taille et en sagesse comme un enfant. Mais cela est au prix de ne pas se conformer au siècle présent, comme le dit Paul. Non pour être indifférent au monde qui nous entoure, mais pour ne pas craindre de passer à un nouveau siècle, à un nouveau nous-mêmes, à une nouvelle façon d'être en humanité.

Dieu ne désespère jamais de nous. Il va repartir de cette sensibilité que nous avons à nous-mêmes. Que nous soyons déçus de nous mêmes, ou au contraire hyper fier de nous. Dieu est lucide et bienveillant. Il s'adapte.

Deux nouveaux personnages qui n'étaient pas dans la parabole interviennent alors : Jean-Baptiste et Jésus-Christ. Ils ne sont pas comme ces enfants assis sur la place et qui ne pensent qu'à eux. Jean et Jésus viennent pour s'occuper de ceux qu'ils croisent. Et grâce à ces rencontres, c'est de nous qu'ils s'occupent car ces rencontres sont comme un miroir de nous mêmes et de ce Dieu qui vient vers notre génération.

Jean et Jésus nous invitent, eux aussi, à pleurer et à danser de joie, mais d'une nouvelle façon, tournée vers ce qui est bon, agréable et parfait, comme le dit Paul. Une façon de pleurer et de danser de joie qui construit et qui fait vivre ce corps qu'est l'humanité.

Dieu injecte ainsi du neuf, une étincelle divine dans cette génération. Et cette étincelle c'est le fait que Jean et Jésus « soient venus », avec leur façon d'être personnelle, la vie de Jean est comme un pleur, un deuil porté sur notre tristesse et sur nos manques. La vie de Jésus est comme une danse de joie de nous avoir comme ami.

Ce que Jésus met en valeur dans la conclusion de sa parabole, c'est ce mouvement vers nous. Ce n'est pas tant les paroles ou les actes de la vie de Jean ou de Jésus qu'il met en avant, mais plutôt ce mouvement vers nous et leur façon d'être personnelles à chacun. L'un dans le deuil, avec ses façons d'être d'ermite du désert, et l'autre avec sa joyeuse façon de faire la fête.

Cela ouvre à une autre conception de la vérité. La vérité est-elle de porter le deuil ou de faire la fête ? Cela dépend. La vérité c'est de se rendre présent au monde en étant soi-même cherchant à apporter au monde qui nous entoure ce qui nous semble juste et bon, agréable et constructif.

Dieu nous parle à travers ce mouvement de Jean et de Jésus vers nous. Il parle par toute personne qui pense un peu à son prochain, pour pleurer quand il chante sa plainte, pour danser quand il est heureux.

Lui, Dieu, ne reste pas assis à appeler les autres à obéir à la voix, comme les enfants sur la place. Dieu se bouge il va vers chacun en Jean-Baptiste et en Jésus pour pleurer sur notre misère avec Jean et se réjouir de ce que nous sommes avec Jésus.

Mais cela choque les conformistes. Ils boudent, tout grognons, critiquant celui-ci qui est trop triste et l'autre trop joyeux. L'un ne mange pas assez et l'autre trop. Et puis tous les deux manifestent des sentiments fort. Ça ne se fait pas.

Le geste prophétique est toujours, par définition, un geste original, et donc mal vu par tout ce qui est conformiste dans le monde et dans les fibres de notre être. Pour lui, la vérité doit être unique, puisqu'elle doit être celle qu'il croit posséder aujourd'hui.

Les institutions n'aiment pas du tout l'arbitraire, et l'imprévu. Elles n'aiment pas ce programme de l'apôtre Paul où chacun est appelé à être anticonformiste, et à recevoir de Dieu un renouvellement de son intelligence qui permette à chacun de discerner par lui-même la volonté de Dieu : ce qui est bon, agréable et parfait ! Mais c'est le début du n'importe quoi, braillent les institutions. Et elles vont exécuter Jean-Baptiste, et Jésus, et Paul.

Leur venue semble un échec. Ils auront le temps de faire si peu de choses.

Mais c'est comme quand on a fait sortir le dentifrice du tube, ce n'est pas facile de le faire rentrer. Et cette façon d'être de Jean et de Jésus, une fois sortie dans le monde, ne pourra pas être oubliée. Cette façon libre, aimante d'être soi-même venant pour le monde.

Seulement, chaque génération est une nouvelle génération présente qui, à nouveau frais, doit grandir en s'ouvrant à cette préoccupation et à cette amitié de Dieu pour nous manifestés par Jean et par Jésus.

Et y puiser le courage de nous lâcher un peu :

· D'abord de vivre intensément, d'oser pleurer parfois et aussi danser de joie pour se réjouir de voir les autres exister.

· D'avoir aussi le courage de discerner par nous-mêmes, comme le dit Paul.

Oui, cela demande du courage. Car quand on pleure on expose sa fragilité, et quand on danse de joie on s'expose aussi au mépris des autres comme David, et comme Jésus dont la foule se moque ici. Cela demande aussi du courage d'oser ressentir des joies et des peines spirituelles même si c'est en privé dans le secret de notre chambre ou de notre cœur. Car en vivant ainsi intensément notre foi, nous nous exposons à changer en profondeur. Nous pouvons ainsi associer notre intelligence et nos sentiments, nos trippes et notre tête. L'un comme l'autre nous inviteront à une audace nouvelle. Dieu fait de chacune et chacun de nous un prophète acteur d'une nouvelle génération.

L'audace d'être nous-même. De ressentir par nous-mêmes et de discerner par nous-mêmes. Nous y sommes autorisés par Jésus quand il se montre ami des pécheurs et des gens de mauvaise vie. En étant libre, nous nous tromperons, il ne nous abandonnera pas pour autant, et donc Dieu non plus ne nous jettera pas à la poubelle. Mais nous ne sommes pas seulement autorisés à ressentir intensément et à réfléchir par nous-mêmes, nous en sommes rendus capables par Dieu, dans la mesure où nous sommes transformés par un profond renouvellement de nos tripes et de notre intelligence. C'est ce qu'annoncent unanimement Jean, Jésus et Paul. Bon. Mais où en sommes nous de cet utile « renouvellement » ? Nous en sommes au stade de l'enfance. Nous sommes déjà capables de bien des choses, mais avec encore une marge de progression. Bien sûr. Mais quand-même, il faut déjà oser être anticonformiste, et précisément, savoir l'être à bon escient, savoir l'être jusqu'où.

Car tous les anticonformismes ne sont pas géniaux. Celui qui joue au rebelle ou à l'original pour marquer sa différence participe aussi à l'atomisation de notre humanité. Il y a même peut-être pas plus conformiste que de rester ainsi sur la place publique, ne trouvant rien n'est plus important au monde que son propre cri, et son indignation devant l'indifférence des autres.

Ce n'est pas parce que l'on est original et que l'on est mal vu des autres que notre cri serait prophétique. Parfois, c'est juste n'importe quoi, juste du bruit.

Comment savoir ?

Après coup, comme le dit Jésus, on sait si notre geste était sage ou non, car la sagesse est révélée par la vie qu'elle fait naître et grandir, une vie bonne, agréable et parfaite. Mais sur le moment, comment savoir ? Quelle émotion est la bonne, quelle cause épouser parmi toutes les causes qui nous émeuvent ? Quelle action, quel geste ?

On fait au mieux, avec notre sincérité, avec notre conscience, et avec notre courage, sachant que nous pouvons nous tromper un peu ou beaucoup. Mais au moins nous pouvons nous donner les moyens d'essayer de voir clair, avec les utiles miroirs que nous aurons trouvés, avec notre intelligence et nos trippes.

Cette intelligence se travaille comme nous y encourage Jean-Baptiste, portant le deuil de nos insuffisances et nous en nous invitant à nous tourner vers Dieu pour qu'il nous donne de grandir. Cela se travaille aussi comme Jésus le fait à tout moment, prenant du recul, seul, dans la montagne pour prier et réfléchir. Et quand il y voit plus clair, il retourne vers les autres et il agit avec les autres, pour les autres.

Comme il peut. Librement.

Lecture de la Bible

Luc 7:31-35

A qui donc comparerai-je les humains de cette génération, et à qui ressemblent-ils?
32 Ils ressemblent aux enfants assis dans la place publique,
et qui, se parlant les uns aux autres, disent:
Nous vous avons joué de la flûte, et vous n’avez pas dansé;
nous vous avons chanté des complaintes, et vous n’avez pas pleuré.
33 Car Jean le Baptiste est venu,
ne mangeant pas de pain et ne buvant pas de vin,
et vous dites : Il a un démon.
34 Le Fils de l’homme est venu,
mangeant et buvant, et vous dites:
C’est un homme glouton et ivrogne,
un ami des collecteurs de taxe et des gens de mauvaise vie.
35 Mais la sagesse a été justifiée par tous ses enfants.

Romains 12:2

Ne vous conformez pas au siècle présent,
mais soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence,
afin que vous discerniez vous-mêmes quelle est la volonté de Dieu :
ce qui est bon, agréable et parfait.

(cf. Traduction NEG)

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