Socrate et Jésus, un accouchement et une prière
Jacques 1:1-27 , Jacques 3:13-18
Culte du 9 juillet 2017
Prédication de pasteur Marc Pernot
Vidéo de la partie centrale du culte
film réalisé bénévolement par Soo-Hyun Pernot
Dimanche 9 juillet 2017
Prédication du pasteur Marc Pernot : Socrate et Jésus, un accouchement et une prière
Cette lettre dite « de Jacques » est une énigme. Elle appartient à un courant particulier du christianisme du premier siècle, un courant disparu ensuite, et c’est pourquoi sa place même dans la Bible a toujours été très discutée. Certains experts pensent que cette lettre est bien de Jacques, un des frères de Jésus. D’autres exégètes disent que cette lettre a été écrite à la fin du Ier ou début du IIe siècle par des chrétiens issus du judaïsme libéral.
Que Jacques, un des frères de Jésus, en soit l’auteur expliquerait en tout cas quelques éléments troublants de cette lettre.
Le premier est qu’elle commence par quelques mots de présentation qui nous semblent ordinaires mais qui étaient extraordinaire à l’époque : « Jacques serviteur de Dieu et du Seigneur Jésus ». « Serviteur de Dieu » semble banal, et même humble ? Pas du tout, car dans la Bible Hébraïque, ce titre n’est donné qu’à Moïse, Josué et David. Par conséquent, seule une personne éminente pouvait se présenter ainsi sans que tout le monde rigole. Deux Jacques étaient des personnes éminentes dans la communauté chrétienne du Ier siècle : Jacques, l’apôtre et frère de Jean, un des très proches de Jésus. Le second Jacques bien connu est le frère de Jésus que l’on voit dans le livre des Actes des apôtres être le chef de l’église de Jérusalem, supérieur aux apôtres Pierre et de Paul (Actes 15). Le plus probable est que cette lettre de Jacques soit signée par lui. Mais est-elle écrite par lui ou écrite bien plus tard et mis sous son nom en hommage ?
En tout cas, cette lettre est vraiment atypique par rapport aux autres textes du Nouveau Testament. Des ressemblances font penser que l’auteur a connu quelques éléments de la tradition orale de Matthieu et de Luc avant la rédaction de ces Évangiles, ce qui rend possible une rédaction de cette lettre par Jacques, le frère de Jésus, mort en 62 à Jérusalem.
Cela expliquerait pourquoi cette lettre de Jacques n’accorde aucune place à la croix ni à la résurrection de Jésus, bien loin des spéculations théologiques de Paul ou de Jean. Il ne divinise pas Jésus comme cela commence à être le cas dans la littérature chrétienne de la fin du I er siècle et de plus en plus du IIe au Ve siècles. Si cette lettre était du propre frère de Jésus cela pourrait se comprendre : un frère a une expérience différente de celle que peuvent avoir des disciples du Christ quelques générations plus tard.
Ce que Jacques retient de son frère génial, c’est la sagesse. Une sagesse s’incarnant dans une vie bonne. Une sagesse forgée dans l’âpreté de la vie, travaillée dans la lecture de la Bible, nourrie d’intelligence et de prière, s’incarnant dans un engagement personnel conséquent. Le sermon proposé par cette lettre de Jacques nous offre un portrait tout à fait touchant de l’homme Jésus, et nous invite à nous en inspirer.
Nous aurions là un témoignage très ancien, presque archaïque sur la foi chrétienne. La prise de Jérusalem en 70 par les Romains, puis le divorce entre le judaïsme et le christianisme feront disparaître ce courant pourtant dominant dans le christianisme du vivant de Jacques. On ne refait pas l’histoire, mais il est possible de retrouver cette dimension de la foi chrétienne comme école de sagesse, comme une recherche d’une vie belle et bonne, sage et bienfaisante, forte et heureuse... Une école de sagesse dont Jésus serait le fondateur. Un petit peu à la manière de Socrate. En eux deux, la sagesse et la vie ne font qu’un.
Le parallèle entre Socrate et Jésus, né plus de 400 ans plus tard, a souvent été fait. C’est même le sujet de la thèse de Kierkegaard, il a écrit un livre appelé joliment « Miettes Philosophiques » pour travailler sur la comparaison entre les deux. Voici la morale qu’il tire de cette comparaison : lui qui ne s’approche de Socrate que le cœur battant d’enthousiasme, il note qu’en Christ il y a « un organe nouveau : la foi, et une nouvelle donnée : la conscience du péché, une décision nouvelle : l’instant, et un maître nouveau : le Dieu dans le temps. »
Voilà effectivement la grande nouveauté des nouveautés de Jésus par rapport à Socrate : la foi. Mais par ailleurs, ils sont proches sur bien des points.
Socrate prêche l’incroyable valeur de la personne humaine, à chaque fois unique, il partage cela avec Jésus. Il prêche aussi que la sagesse ne peut pas s’apprendre comme une leçon, cela aussi est commun à Socrate et Jésus et les opposent aux Sophistes ou aux pharisiens. C’est effectivement passionnant d’apprendre plein de choses, mais l’essentiel est ailleurs : dans une transformation intérieure, cela aussi est commun à Socrate et à Jésus. Tous les deux parcourent les rues et les campagnes, s’adressant à une foule ou à un simple passant, gratuitement, avec des mots simples, apportant plus souvent des questions que des réponses.
La question n’est pas de savoir plus mais d’être guéri d’un aveuglement, nous dit Socrate. La clef est de se connaître soi-même (Γνῶθι σεαυτόν). Nous découvrons alors que nous avions naturellement la sagesse en nous, la vérité divine. Socrate cherche à nous aider à nous souvenir de cette sagesse que nous portons mais que nous avons comme oubliée. Socrate se compare à un accoucheur (sa mère était sage-femme), mais il ne prétend apporter aucune vie nouvelle, elle était déjà là de toute éternité.
Il y a sur ce point, effectivement, une certaine différence avec Jésus. Car si effectivement si Jésus cherche à ce que nous nous connaissions nous-même c’est pour découvrir notre valeur aux yeux de Dieu, certes, mais c’est aussi pour découvrir que nous avons besoin de recevoir de Dieu «La sagesse d'en-haut » comme le dit Jacques ou recevoir «l’Esprit qui nous enseignera toute chose » comme dit ailleurs (Jean 14:26). Si l’enseignement de Socrate a pour but que nous accouchions de la vérité qui est en nous de puis toujours, l’enseignement de Jésus vise à ce que nous recevions de Dieu quelque chose d’inouï.
Mais il n'y a pas opposition, en réalité, à ce point de la comparaison. Ce sont des développements plus tardifs du christianisme qui diraient que la personne humaine avant sa conversion serait radicalement mauvaise et non déjà porteuse d’une dimension divine comme le dit Socrate. Par exemple quand Jésus nous dit « vous êtes la lumière du monde » (Matthieu 5:14) et qu'il le dit de chaque personne individuelle d'une foule hétéroclite. Ou quand l’apôtre Paul parle de notre conscience dont même les plus païens ne sont évidemment pas démunis : « Quand les païens, qui n’ont pas la Loi de Moïse, font naturellement ce que prescrit cette Loi, ils sont une loi pour eux-mêmes. Ils montrent que l’œuvre de la loi est écrite dans leur cœur, leur conscience en rendant témoignage, et leurs pensées s’accusant ou se défendant tour à tour. » (Romains 2:14-15)
Évidemment ! Nous avons tous une conscience, croyants et non croyants, et aucun être humain ne peut exister sans avoir quelque chose du souffle de Dieu en lui. Mais comme le dit Socrate, elle est souvent bien enfouie, cette part divine, nous l’avons oubliée, ou nous nous divertissons soigneusement pour ne pas l’entendre, de peur de voir clair, comme le dit Jésus « Quiconque fait le mal hait la lumière, et ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dévoilées » (Jean 3:20) (surtout à ses propres yeux)
Normalement, nous ne devrions pas avoir besoin de l’aide de Jésus ni de Socrate pour nous dire que ce n’est pas génial de tuer, de trahir, de mentir, de faire n’importe quoi avec son sexe, sa parole, ou sa vie... que par contre c’est une belle chose d’aider, de respecter, d’encourager, de travailler avec les autres, de leur vouloir du bien.
Et pourtant, notre conscience est souvent endormie. Et notre part de ténèbres craint la lumière.
Il y a donc bien un travail d’accouchement de cette vérité qui est en nous, un travail pour qu’elle sorte, pour que notre conscience parle : qu’elle nous accuse quand nous faisons de mauvaises choses et nous encourage quand c’est bien. C’est un travail d'accouchement pour que notre lumière interne brille en nous et autour de nous. Faire sortir un peu plus de lucidité, de sincérité, de clairvoyance sur notre façon d’être et de vivre. Pour le meilleur. Pour nous et pour notre entourage. Être fier de ce qui est bon. Voir ce qui ne va pas, les incohérences.
La leçon de sagesse est souvent séduisante mais elle reste extérieure au problème, et notre conscience reste imperméable, ne faisant absolument pas le lien avec la vraie vie. C’est ce que dénonce Jacques.
Socrate et Jésus travaillent autrement. Comme des accoucheurs pour nous aider à nous connaître nous même. Leurs méthodes sont finalement assez semblable, ils sont les maîtres des questions alors que les sophistes et les pharisiens prétendent apporter les réponses (bien entendu, les sophistes et les pharisiens sont des figures qui parlent aussi de nous-mêmes, de nos églises, pas seulement des autres). Jésus passe son temps, lui aussi à répondre aux questions par une question, il raconte aussi des petites histoires enracinées dans la vie de tous les jours mais qui font éclater la logique élémentaire. Ses paroles nous ouvrent, elles font appel à notre sincérité, notre intelligence, notre cœur.
Jacques travaille à partir des paroles de son frère Jésus, il nous apprend aussi à intégrer cette méthode d'interrogation dans un travail personnel de lucidité. Dans une sagesse impliquant notre intelligence. Cela se forge d’abord dans l’âpreté de la vie nous dit Jacques. Il nous apprend que les épreuves de la vie ne viennent jamais de Dieu puisqu’il n’y a pas de part d’ombre en lui, uniquement de la lumière. Mais qu’il y a matière à devenir plus sage dans une certaine façon de vivre les diverses épreuves de la vie, et la dure perspective de notre mort, qui nous laissera pauvre et nu.
Jacques poursuit par un « connais-toi toi-même » grâce à la Bible, qui est comme un miroir dans lequel nous pouvons nous regarder. Toute la Bible est ainsi à lire comme une parabole nous révélant à nous-même. Il en est de même d’ailleurs du culte de la prédication. Dimanche dernier, un de vous m’a dit en sortant qu’il avait souvent l’impression que la prédication avait été faite exprès pour lui et ce qu'il traversait. Cela se voulait un compliment, un encouragement pour moi, sans doute. C’est en réalité tout au mérite de cet homme. Et nous devrions entendre la Bible ainsi. S’exposer, se sentir concerné, pas pour recevoir une leçon, mais pour mieux se connaître un petit peu plus en vérité. Comme quand Nathan raconte à David une petite histoire et ajoute « cet homme c’est toi »!
Et au delà de la Bible, au delà bien sûr du culte, plonger nos regard dans cette parole indicible qui nous concerne, venant de Dieu, comme une loi parfaite, celle de la liberté.
Se connaître soi-même, reconnaître et « accueillir avec douceur la parole qui a été plantée en vous et qui peut sauver vos âmes. », nous dit Jacques (1:21). D’accord donc avec Socrate, quelque chose de la Parole Éternelle de Dieu a déjà été planté en nous. Elle est à recevoir avec douceur, à découvrir, à remettre avec tendresse sur le dessus de nos préoccupations, portant alors des fruits de vie, des actes fidèles et bons.
Dans cette découverte de soi-même, Jacques nous invite aussi à reconnaître notre manque de sagesse, une sagesse à venir qui n’est pas encore en nous. Notre part d'ombre.
C’est là que la découverte de soi peut être pénible, un accouchement est souvent douloureux, effrayant parfois, et le bébé qui nait est si petit. Manquant de tout, mais si réel, si concret, et déjà miraculeux.
C’est pourquoi nous avons tendance à nous fuir dans le divertissement, nous dit Blaise Pascal (les plaisirs mais aussi l’abstraction en sont des figures possibles) : « Les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n’y point penser » (Divertissement 2)
Jésus c’est à la fois celui qui nous fait découvrir un peu comme Socrate que « le Royaume de Dieu est au dedans de (n)ous » (= la présence créatrice de Dieu en nous). Jésus nous fait aussi remarquer, comme le dit Jacques que nous manquons encore de sagesse. Et la demander à Dieu. Et c’est « l’organe nouveau » dont parle Kierkegaard : la foi. Ce n’est pas un savoir, c’est comme un organe, celui de la prière qui comme une main, une oreille, une bouche ouverte se tend vers Dieu.
Demander et recevoir avec douceur la Parole parfaite qui devrait nous rendre aujourd’hui un peu plus sage. Un peu.
Amen
Lecture de la Bible
Jacques 1:1-27
Jacques, serviteur de Dieu et du Seigneur Jésus-Christ, aux douze tribus dans la dispersion, salut !
2 Mes frères (& sœurs), considérez comme un sujet de joie complète les diverses épreuves que vous pouvez rencontrer, 3sachant que la mise à l'épreuve de votre foi produit la patience. 4Mais il faut que la patience accomplisse une œuvre parfaite, afin que vous soyez parfaits et accomplis, et qu'il ne vous manque rien.
5 Si quelqu'un d'entre vous manque de sagesse, qu'il la demande à Dieu qui donne à tous libéralement et sans faire de reproche, et elle lui sera donnée. 6Mais qu'il la demande avec foi, sans hésiter ; car celui qui hésite est semblable au flot de la mer, que le vent agite et soulève. 7Qu'un tel homme ne pense pas qu'il recevra quelque chose du Seigneur : 8c'est une personne ambiguë, instable dans tous ses chemins.
9 Que le frère de condition humble se glorifie de son élévation. 10Que le riche au contraire (se glorifie) de son humiliation ; car il passera comme la fleur de l'herbe. 11Le soleil s'est levé avec sa chaleur ardente ; il a desséché l'herbe, sa fleur est tombée, et la beauté de son aspect a disparu. Ainsi le riche se flétrira dans ses entreprises.
12 Heureux l'homme qui endure la tentation ; car après avoir été mis à l'épreuve, il recevra la couronne de vie, que le Seigneur a promise à ceux qui l'aiment.
13 Que personne, lorsqu'il est tenté, ne dise : C'est Dieu qui me tente. Car Dieu ne peut être tenté par le mal et ne tente lui-même personne. 14Mais chacun est tenté, parce que sa propre convoitise l'attire et le séduit. 15Puis la convoitise, lorsqu'elle a conçu, enfante le péché ; et le péché, parvenu à son terme, engendre la mort.
16 Ne vous y trompez pas, mes frères (& sœurs) bien-aimés : 17 tout don excellent et tout cadeau parfait viennent d'en-haut, du Père des lumières, chez lequel il n'y a ni changement ni variations vers l’obscurité. 18Il nous a engendrés selon sa volonté, par la parole de vérité, afin que nous soyons en quelque sorte les prémices de ses créatures. 19Sachez-le, mes frères bien-aimés. Ainsi, que tout homme soit prompt à écouter, lent à parler, lent à la colère : 20car la colère de l'homme n'accomplit pas la justice de Dieu. 21C'est pourquoi, rejetant toute souillure et tout excès de méchanceté, recevez avec douceur la parole qui a été plantée en vous et qui peut sauver vos âmes.
22 Pratiquez la parole et ne l'écoutez pas seulement, en vous abusant par de faux raisonnements. 23Car si quelqu'un écoute la parole et ne la pratique pas, il est semblable à un homme qui regarde dans un miroir son visage naturel 24et qui, après s'être regardé, s'en va et oublie aussitôt comment il est. 25Mais celui qui a plongé les regards dans une loi parfaite, celle de la liberté, et qui persévère, non pas en l'écoutant pour l'oublier, mais en la pratiquant activement, celui-là sera heureux dans son action même.
26 Si quelqu'un pense être religieux, sans tenir sa langue en bride, mais en trompant son cœur, la religion de cet homme est vaine. 27La religion pure et sans tache, devant Dieu le Père, consiste à visiter les orphelins et les veuves dans leurs afflictions, et à se garder des souillures du monde...
Jacques 3:13-18
3:13 Lequel d'entre vous est sage et intelligent ? Qu'il montre, par sa bonne conduite, ses œuvres empreintes de douceur et de sagesse. 14Mais si vous avez dans votre cœur une jalousie amère et de la rivalité, ne vous glorifiez pas et ne mentez pas contre la vérité. 15Cette sagesse n'est pas celle qui vient d'en haut ; mais elle est terrestre, charnelle, démoniaque. 16Car là où il y a jalousie et rivalité, il y a du désordre et toute espèce de pratiques mauvaises. 17La sagesse d'en-haut est d'abord pure, ensuite pacifique, modérée, conciliante, pleine de miséricorde et de bons fruits, sans partialité, sans hypocrisie. 18Le fruit de la justice est semé dans la paix par les artisans de paix.
(Cf. Traduction Colombe)
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