Si ! On peut choisir d’avoir la foi, et de l’améliorer, heureusement
Jacques 2:14-26
Culte du 4 mai 2014
Prédication de pasteur Marc Pernot
La foi est souvent présentée comme un don de Dieu. Cela pose deux problèmes.
Problèmes si la foi était un don de Dieu?
1) D'abord, cette idée épouvantable pour celui qui aimerait avoir la foi et qui pense ne pas l’avoir ou en manquer. Car en affirmant que la foi est un don de Dieu, que dit-on à celui qui pense ne pas avoir la foi ? Qu'il n'est pas aimé de Dieu ? Qu’il fait partie des personnes rejetées, ou moins aimées par Dieu ? C’est hyper cruel, et cela donne une terrible image de Dieu : quel amour permettrait cela, quelle justice ?
2) Le 2nd problème que pose le fait de dire que la foi ne serait pas un choix de la personne, c'est que ce n'est pas cohérent avec bien des passages clefs de l’Évangile. Par exemple, quand Jésus dit « Ayez foi en Dieu, et ayez foi en moi. » (Jean 14:1, Marc 1 :15, 11 :22), il y a bien un impératif. Souvent Jésus s’étonne du manque de foi de ses disciples et le sens même de la vie du Christ est d’inviter chacun à « avoir foi par lui »(Jean 3 :16), Dieu ne développerait pas de tels trésors de pédagogie s’il avait déjà forcé ses chouchous à avoir la foi. Cela n’a pas de sens.
Ne pas confondre la grâce et la foi
La foi est un choix personnel que l’on peut faire ou ne pas faire, que l’on peut travailler, approfondir, vivifier. Et c’est à ce travail que nous appelle Jacques dans ce texte.
Le don de Dieu, c’est autre chose : c’est sa grâce, c’est la fin du chantage à la performance. L’amour de Dieu, comme tout véritable amour, n’est pas à vendre, il nous aimera que nous croyons en lui ou non, que nous soyons religieux ou non, que nous fassions plein d’œuvres généreuses ou plein d’erreurs.
C’est cette grâce qui libère pour avoir la foi, ou non. Nous avons une attirance naturelle pour Dieu, pour ce qui est élevé et beau, et cette attirance est effectivement un don de Dieu(Jean 6:44), c’est dans notre nature. Mais cette attirance n’est pas contraignante. Elle se manifeste dans les multiples dimensions de l’humain, chacun a sa personnalité et son histoire. Certains ressentent comme la présence d’un amour qui les garde et nomment cela « la foi », certaines personnes n’ont pas ce sentiment mais cela ne veut pas dire que leur foi soit absente ou trop petite pour autant.
La foi est un attachement fondamental, viscéral, passionné. On peut être attaché par le sentiment, mais on peut l’être aussi par la pensée. Et même si l’on a une grande émotion religieuse cela ne dispense pas de se lancer dans une double recherche, comme celui qui est moins mystique :
chercher ce qui nous semble être le bien et la justice ultime
et chercher ce qui est source de vie, de mouvement et d’être, comme le dit l’apôtre Paul (Ac 17:28)
Cette double recherche, du commencement et de la finalité, de l’A et de l’W, est une recherche philosophique, elle devient une recherche théologique quand on accepte d’appeler Dieu cette finalité et cette source ultimes. Cette recherche est de la foi à proprement parler quand on y investit son être, quand on se concentre ainsi sur l’objet de sa foi pour en vivre.
Oui, la foi se choisit, se travaille comme on cherche un trésor, comme on fait la cour à celle que l’on aime. Et c’est pourquoi l’Évangile peut nous dire, à l’impératif « ayez foi en Dieu », tout ce qui est fait par le Christ, tout ce qui est raconté dans les évangiles (Jean 20 :30-31) est pour nous y inviter.
Pourquoi donc Martin Luther tenait-il à cette idée que la foi serait un don de Dieu ? Parce qu’à son époque il lui a semblé essentiel d’insister sur le fait que la clef du salut est tout entière en Dieu. Cette idée se voulait rassurante, une façon de nous dé-préoccuper de notre petit salut personnel pour vivre enfin, par la grâce. D’accord pour garder cette certitude de notre salut, d’accord pour avoir confiance en l’amour de Dieu et s’inspirer de lui librement et non par la carotte et le bâton. Mais pour le reste, c’est franchement discutable, cette histoire de péché originel venant rendre l’homme incapable d’aucun bien, même de regarder de vers le haut a été inventée par Saint Augustin au IVe siècle. Je préfère sur ce point la théologie de l’apôtre Paul, disant que par notre observation de la nature, par la science, l’homme peut-être amené à avancer dans la découverte de Dieu (Rom 1:20), et que l’homme païen a naturellement une certaine conscience de ce qui est juste(Rom 2:14,15). Bien sûr !
Le retour du chantage au salut ?
Certains chrétiens ont remis en vigueur cette idée que la foi n’est pas un don de Dieu mais en relativisant la grâce, disant que, oui, Dieu aime chacun mais que cette grâce est limitée à la bonne volonté de la personne. Cette liberté de choisir ou non la foi est alors utilisée comme une menace. La foi devient l’œuvre qu’il faut accomplir pour avoir le salut. On retrouve le chantage si efficace pour manipuler les foules. Au contraire, à mon avis, Dieu nous aime tel que nous sommes, celui avec une énorme foi rayonnante et vibrante, celui qui a une toute petite foi un peu rabougrie, vacillante, et celui qui se dit totalement athée.
Pourquoi choisir d’exercer sa foi s’il n’y a pas de menace à la clef ? Pour être en forme. Au moins comme on développe les autres dimensions de notre être, la santé de notre corps, notre intelligence et nos connaissances, notre sensibilité aux autres et à ce qui est beau… Mais la foi, en même temps, transcende les dimensions de notre vie concrète, elle change tout, dans la santé comme dans la maladie.
Cultiver sa foi
La foi peut s’espérer, on peut la chercher délibérément, la travailler, l’affiner, on peut surtout la demander à Dieu, commençant à prier alors même qu’on ne pense pas croire encore, ou si peu… « Seigneur, viens au secours de mon manque de foi » (Marc 9 :24). En fait, la foi se travaille d’abord comme cela, en parlant à Dieu tel qu’on l’imagine ou l’espère, lui parler avec son cœur, sa tête, ses tripes. Y mettre tout ce que l’on a en réserve de sincérité et de disponibilité, de transparence, puisque avec lui nous n’avons pas à avoir peur d’être mal vu.
Jacques détaille ici une façon de cultiver notre foi, de la rendre vivante, de la perfectionner, et de la rendre féconde. Dans le chapitre précédent, Jacques insistait sur le fait que ce serait bien que notre foi nous inspire des actes de justice. Évidemment. Jacques est en cela fidèle à ce qu’a dit et fait son frère Jésus. Mais dans notre passage de ce matin, c’est autre chose que nous propose Jacques, ce n’est plus la foi qui doit être comme l’âme de nos actes, c’est l’inverse :
Comme le corps sans esprit est mort,
de même la foi sans les œuvres est morte.(2 :26)
Les œuvres sont le souffle de la foi, la respiration
La foi est comme un corps dont le souffle serait les œuvres. Ce sont nos œuvres, nous dit Jacques qui pourront nourrir, perfectionner notre foi, la rendre vivante et féconde. C’est une très bonne remarque.
Jacques l’explique avec la petite parabole du pauvre affamé qui demande du pain et auquel le riche répond « va en paix et bon appétit ! ». Par cette parabole, Jaques ne nous donne pas une petite leçon de morale (inutile, car n’importe qui ayant un peu de cœur ne se moquerait pas ainsi d’un pauvre). Avec cette parabole Jacques nous dit que si nous ne travaillons pas notre foi par l’action concrète, notre foi sera comme morte en nous-mêmes, elle ne nous nourrira pas, ne nous réchauffera pas, ne nous donnera pas la paix dont elle est pourtant riche, notre foi nous laissera en plan au milieu de notre détresse humaine, dans une sorte d’éclat de rire moqueur, sous forme d’une bénédiction hypocrite.
Jacques explique comment l’action peut rendre notre foi vivante avec deux exemples tirés de la Bible.
Abraham, sa foi et ses œuvres
Le 1er exemple est Abraham. Il est persuadé dans sa foi que c’est la volonté de Dieu qu’il sacrifie son fils(Gen 22). Il se met en route aussitôt, il cherche l’endroit propice qui se trouve être le sommet d’une montagne, il tend le bras pour sacrifier son fils sur un bûcher. Et il découvre alors qu’en réalité Dieu ne veut pas la mort de son fils. Un commentaire juif du IVe siècle, Genèse Rabba (ch. 26) explique que c’est Abraham qui avait mal compris. Dieu ne lui avait pas dit « prends ton fils et égorge-le », mais « prends ton fils et élève-le ». Il y a effectivement dans l’ordre initial cette ambiguïté, le même verbe en hébreu (hle alah) signifie à la fois sacrifier en holocauste et faire monter.
Et quand on regarde mieux l’ordre initial mettant Abraham en route par la foi, on remarque que c’est « Myhlah Ha-Élohim » qui lui donne l’ordre d’aller transformer son fils en méchoui. Ce n’est pas « Élohim » tout court (Dieu en tant que personne), mais « Ha-Élohim », « la divinité », c’est la conception qu’Abraham avait de Dieu, son idée de justice ultime. Dans sa foi, il a pu lui sembler juste d’offrir ce qu’il a de plus cher pour acheter une bénédiction éternelle ?
En tout cas, du début à la fin, Abraham se concentre à fond sur sa foi en Dieu, et il se bouge. Au début, il sent plus ou moins confusément que Dieu lui demande de quelque chose en rapport avec son fils, qu’il lui est confié pour qu’il l’aime, et que cela doit se passer vers le haut. Il va en tirer des gestes et des paroles très personnels qui ne sont dictés par aucune habitude.
Jacques ne valorise pas ici l’œuvre pour l’œuvre en elle-même, ce qu’Abraham s’apprêtait à faire est épouvantable. Mais l’œuvre qui est mise en valeur ici c’est celle qui va permettre à sa foi d’évoluer heureusement. Si Abraham ne s’était pas bougé, s’il était resté dans sa tour d’ivoire, par sa foi seule, il aurait commis l’irréparable. Ce tête-à-tête avec Dieu peut vite tourner en tête-à-tête avec notre propre théologie, avec de bonnes intuitions et des approximations malheureuses. Cette dans la mise en pratique que la foi d’Abraham va pouvoir être mise à l’épreuve, non pas au sens d’informer Dieu sur la foi d’Abraham, mais au sens de purifier la foi d’Abraham grâce à un travail de Dieu. Une minuscule erreur d’interprétation, à quelques voyelles près, et Isaac au lieu d’être élevé à un degré supérieur de son être comme l’espérait Dieu, Isaac allait être élevé en fumée ! Dans ce cheminement, la foi d’Abraham va être vivifiée, purifiée, approfondie. Capable de se remettre en question, disponible pour une rencontre avec Dieu, toujours imprévue. Et du coup sa foi sera plus vivifiante, pour Abraham lui-même et pour bien d’autres autour de lui et après lui.
Rahah, sa foi et ses œuvres
le 2e exemple est celui de Rahab, la prostituée de Jéricho (Josué 2). Pour eux-mêmes, ses actes ne sont pas des exemples à suivre : elle va trahir son peuple au profit de l’envahisseur et elle se débrouille pour qu’elle et sa famille soient sauvés sans un regard pour ses concitoyens ! Mais ce n’est pas comme ça qu’il faut lire cette histoire, on peut regarder plutôt la trajectoire de Rahab, elle était païenne et prostituée, elle va devenir mère, elle sera même l’ancêtre du Christ, le salut de Dieu pour tous les peuples.
La démarche de Rahab part d’une recherche théologique. Comme quelqu’un qui lirait la Bible ou qui regarderait comment a vécu sa grand-mère, Rahab observe les traces de l’action de Dieu dans le monde, elle découvre l’Éternel, le Dieu de ce petit peuple venu d’ailleurs, elle note que ce Dieu a été une source de cheminement extraordinaire pour eux. Et elle va se convertir, elle l’adopte comme son Dieu et son espérance. Sa théologie est alors plus affinée même que celle d’Abraham de la 1ère époque, puisque c’est bien vers l’Éternel, YHWH, et non seulement Ha-Élohim qu’elle se concentre. Mais ça ne suffit pas. Comme le dit Jacques, si la foi se limite à une simple croyance intellectuelle elle est stérile, et on peut être un vrai démon en croyant que Christ est son sauveur personnel. Pour Rahab, il ne s’agit pas d’affiner sa foi comme dans le 1er exemple, mais l’exemple de Rahab nous invite à ce que nous croyons s’incarne enfin dans notre être, s’incarne dans une trajectoire. Pour cela, Rahab se concentre et saisit la première occasion, même minuscule comme une graine de moutarde, de prendre contact avec sa foi. Ce sera en recevant deux espions hébreux, bien qu’ils soient un peu lamentables, un peu de cette foi est incarnée eux.
Notre foi est sans cesse à réformer
Abraham avait une certaine foi basée sur un début d’expérience personnelle de Dieu. Rahab a une démarche plus intellectuelle, elle se renseigne, réfléchit, choisit.
L’un et l’autre ressentent une certaine attirance vers « quelque chose » de plus élevé, de plus vivifiant. L’un et l’autre travaillent leur foi par la mise en acte.
Abraham avait tiré de son sentiment de la présence de Dieu une certaine idée de Dieu, il va lui falloir aller au-delà de cette première idée. Cela ne risque pas d’arriver à celui qui reste cantonné dans son cercle de personnes qui pensent toutes la même chose. Cela n’arrive pas à celui qui ne confronte pas ses idées au réel, à la vie dans la multitude des cas particuliers.
Rahab, était dans l’agitation, la frénésie d’actes mimant l’acte source de fécondité mais ne rapportant que de l’avoir et non de l’être et encore moins ce jaillissement de vie qu’est le Christ. Rahab aussi est enfermée dans sa façon de vivre comme dans des remparts. C’est à l’épreuve de l’observation du monde extérieur, se concentrant sur ce qui arrive de beau et en en cherchant la source qu’elle va découvrir autre chose, une foi qui a fait vivre quelques-uns. Dans une sorte de vertige, elle aussi se lance par la foi dans des actes.
Abraham quitte la sécurité de sa foi d’alors, il quitte la sécurité d’un début d’espérance réalisée.
La foi est une intense concentration, elle vise l’infini, elle n’arrête pas d’avancer tant qu’elle n’a pas atteint la source. Et pour avancer, il faut que ce début de foi, ce début de recherche soit concentré dans le cœur et dans la tête pour chercher ce qui nous semble nous correspondre personnellement, puis le mettre à l’épreuve de la vraie vie dans le monde, en étant prêt à évoluer comme Abraham, prêt à ruser comme Rahab, non avec les autres mais avec notre ancienne façon d’être.
Rahab quitte la sécurité de sa ville enclose de hauts remparts et elle sacrifie son gagne pain pour suivre, par la foi, son propre chemin, avec quelques nomades.
Vertige d’une foi en marche.
Une foi grosse déjà d’une vie future inouïe.
Amen.
Lecture de la Bible
Jacques 2:14-26
Mes frères, que sert-il à quelqu’un de dire qu’il a la foi, s’il n’a pas les œuvres?
Cette foi peut-elle le sauver?
15 Si un frère ou une soeur sont nus et manquent de la nourriture de chaque jour, 16 et que l’un d’entre vous leur dise: Allez en paix, chauffez-vous et rassasiez-vous! et que vous ne leur donniez pas ce qui est nécessaire au corps, à quoi cela sert-il?
17 Il en est ainsi de la foi: si elle n’a pas les oeuvres, elle est morte en elle-même.
18 Mais quelqu’un dira: Toi, tu as la foi; et moi, j’ai les oeuvres. Montre-moi ta foi sans les oeuvres, et moi, je te montrerai la foi par mes oeuvres.
19 Tu crois qu’il y a un seul Dieu, tu fais bien; les démons le croient aussi, et ils tremblent.
20 Veux-tu savoir, ô homme vain, que la foi sans les oeuvres est inutile?
21 Abraham, notre père, ne fut-il pas justifié par les oeuvres, lorsqu’il offrit son fils Isaac sur l’autel?
22 Tu vois que la foi agissait avec ses oeuvres, et que par les oeuvres la foi fut rendue parfaite.
23 Ainsi s’accomplit ce que dit l’Ecriture: Abraham crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice; et il fut appelé ami de Dieu.
24 Vous voyez que l’homme est justifié par les oeuvres, et non par la foi seulement.
25 Rahab la prostituée ne fut-elle pas également justifiée par les oeuvres, lorsqu’elle reçut les messagers et qu’elle les fit partir par un autre chemin?
26 Comme le corps sans esprit est mort, de même la foi sans les oeuvres est morte.
Traduction NEG
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