Réveille-toi ! Pourquoi dors-tu, Seigneur ?
Matthieu 16:4 , Psaume 44
Culte du 11 novembre 2012
Prédication de pasteur Vincent Schmid
(Psaume 44 ; Matthieu 16:4)
(écouter l'enregistrement) (voir la vidéo)
Culte du dimanche 11 novembre 2012 à l'Oratoire du Louvre
prédication pasteur Vincent Schmid, pasteur à la cathédrale de Genève
Mille mercis à Nalini qui a numérisé ce texte à partir de l'enregistrement audio !
Ce texte, volontairement en style oral, n’a pas été relu par Vincent Schmid
Le psaume 44 a été composé dans des circonstances difficiles traversées par l'Israël ancien, de ces circonstances qui ébranlent les certitudes les mieux établies. C'est donc la prière d'un être humain qui est confronté à l'éclipse de Dieu. J'ajoute, et ça fait l'originalité du psaume, que cet être humain est un esprit fort. Il appartient à la lignée des fils de Koré, qui sont un clan qui a résisté à Moïse. Et cet esprit fort nous oblige à réfléchir sur les fondements de ce que nous appelons notre foi.
Le psaume commence par un rappel, ou il serait plus juste de dire, par une prédication des hauts faits du passé, lorsque le Dieu des pères a libéré son peuple de l'esclavage en Égypte, à mains fortes et à bras étendus. Nos pères nous ont raconté l'œuvre que tu as accomplie autrefois. Cette entrée en matière est très remarquable. Elle pointe le fait que cette évocation de la mémoire en face de circonstances contraires n'est pas du tout, comme on pourrait le penser, une sorte de refuge dans une nostalgie, dans un regret d'un temps mythique où tout était mieux, où Dieu était parmi nous et accomplissait tous les miracles... mais veut nous dire que la fonction de la mémoire (et cela rejoint d'ailleurs ce que les chercheurs contemporains dégagent) la fonction de la mémoire, ça n'est peut-être pas seulement de se souvenir du passé, mais c'est aussi d'alimenter notre imagination pour nous projeter dans le futur. Ce rappel du passé, il est là pour essayer de voir comment on va pouvoir faire pour aménager une brèche dans l'impasse du présent.
Parce qu'évidemment, je vous l'ai dit, la prédication du passé, elle se heurte à un présent tout à fait adverse. Jadis, nos pères nous ont raconté tous les hauts faits que tu as accompli pour eux, mais aujourd'hui, tu nous traites comme des brebis destinées à la boucherie. Dans le naufrage des valeurs humaines, devant le déferlement du mal, comment peut-on croire encore à la présence qui est censée nous accompagner, veiller sur nous, « L'Éternel est mon berger, je ne manquerai de rien » ? La radicalité de cette question, elle ressort en vérité à chaque fois que, dans notre vie personnelle ou collective, se produit une catastrophe majeure. Et puis si les temps sont meilleurs, eh bien, elle a tendance à se refermer.
Maintenant, ce qui est très particulier dans notre texte (je vous l'ai dit, c'est un esprit fort), c'est son rejet véhément de toute culpabilité : notre cœur n'a jamais cessé de suivre, nos pas ne sont jamais sortis de ton sentier. Le psalmiste ne cherche donc pas la cause du malheur du côté de l'homme : par exemple du fait que nous serions de mauvais croyants (ce qui est probable), ce serait de notre faute, que ce qui nous arrive nous arrive à bon escient, c'est à nous de faire retour sur nous-mêmes pour en trouver les raisons... Non il n'attribue pas cela à un manquement de la part de l'homme, en l'espèce s'être tourné vers d'autres divinités ou avoir manqué de respect à la Loi.
Et de ce point de vue, ce passage se situe à l'opposé symétrique de la prédication des prophètes qui eux, tiennent ce langage, et qui appellent constamment à revenir à la Loi, à revenir à Dieu. Nous avons donc affaire à une tournure très originale, et j'ai tendance à dire, si vous me le permettez, très moderne, très contemporaine, qui consiste à retourner le reproche. Ô notre Dieu, de notre côté nous avons fait ce que nous devions, nous avons suivi tes commandements, nous avons obéi à ta parole. Qui a manqué à sa promesse ? Qui a abandonné l'Alliance ? Qui a laissé se détruire l'espérance ? Qui est-ce qui dort au lieu de veiller ? En tout cas pas nous, en tout cas pas nous.
Telle est l'extraordinaire tonalité de ce psaume : c'est l'homme qui appelle Dieu à la repentance. Il l'exhorte à sortir de sa retraite, à s'éveiller de son sommeil, pour redevenir la présence vivante de la génération du Désert. Et vous sentez combien cette manière, qui naturellement est provocante, est au fond libératrice. Nous ne sommes pas coupables avant d'être nés. Nous n'avons pas à porter des péchés plus ou moins imaginaires. L'épreuve, le malheur, ou la défaite, ne sont pas à interpréter comme des punitions divines. Un malheur, c'est un malheur. Il a probablement des explications rationnelles, il est de l'ordre de ce qui arrive, un point c'est tout. Et en filigrane alors, sont mis en cause la fragilité des points d'appui habituels de notre foi.
Qu'est-ce que je veux dire ? Eh bien, nous avons l'habitude d'appuyer notre confiance en Dieu, peut-être sur le sentiment que nous pouvons avoir de sa présence, sur un ressenti comme l'on dit. Seulement, comment voulez-vous vous fonder sur sa présence, si en réalité il est absent ? Alors, on invoquera le privilège de l'expérience mystique. Il peut y avoir quelque chose de mystique dans les racines de notre foi, bien sûr. Seulement, l'expérience mystique, mais c'est la chose du monde la moins bien partagée. Elle est rare. Et en plus, elle est incommunicable. Pensez à Saint Jean de la Croix : la nuit obscure, c'est très beau, mais au fond, ça n'est pas très compréhensible. Rien n'est plus fluctuant que le sentiment religieux. Est-ce que vraiment, je peux appuyer ma foi sur ce que j'appellerais ma météo intérieure, qui est la versatilité même ? Un matin, je peux me réveiller en croyant, le lendemain en sceptique, et une bonne tasse de café peut même faire la différence. Me voici donc condamné à une sorte d'oscillation spirituelle continuelle.
En réalité dit le psalmiste, et c'est là qu'il nous interpelle, notre véritable point d'appui, c'est la prédication. C'est une parole extérieure à nous, par rapport à laquelle nous avons à nous déterminer. Nos pères nous ont raconté l'oeuvre que tu as accomplie autrefois. C'est uniquement par rapport à cette parole que nous avons à prendre position.
Et au point où j'en suis, j'aimerais faire un parallèle avec la lecture que Jean-Jacques Rousseau, jubilé oblige, fait d'un texte de l'Evangile, le texte sur le signe de Jonas, dans les Lettres écrites de la montagne et particulièrement la lettre dans laquelle Rousseau traite des miracles. Et je rappelle que Rousseau connaît admirablement bien la Bible, c'est un livre qu'il lit tous les jours, et non seulement il la connaît bien, mais lorsqu'il en fait l'interprétation, il est souvent un exégète extrêmement avisé.
Des Pharisiens viennent demander à Jésus un signe qui prouverait sa messianité. C'est pas une demande extraordinaire, puisque selon la tradition de l'époque, le Messie doit être accompagné d'un certain nombre de signes du ciel attestant de sa vocation et de son authenticité. Or Jésus refuse, il se met même en colère. Il déclare que seul le signe de Jonas sera donné à cette génération. Jonas, vous vous en souvenez, c'est ce prophète pittoresque que Dieu envoie prêcher la repentance aux habitants de la ville de Ninive et qui file dans la direction opposée.
Rousseau explique que le signe de Jonas, donc le seul signe dont Jonas dispose pour convaincre les habitants de Ninive, c'est sa parole. C'est sa prédication. Et peut-être la raison pour laquelle le prophète s'enfuit, c'est parce qu'il estime que sa seule parole, sa seule prédication, ne suffira pas à convaincre la population de Ninive. Par conséquent, conclut Rousseau, le signe principal donné par Jésus à sa génération et par voie de conséquence, à toutes les générations qui suivent jusqu'à Rousseau et jusqu'à nous, ça n'est pas autre chose que sa parole, sa prédication. C'est sur la parole de Jésus que doit se fonder notre foi, et pas sur des événements spectaculaires, sur des miracles extraordinaires. Jésus est ici dans le droit fil du psaume 44.
Et du coup, ma question de départ devient celle-ci : comment fait-on pour appuyer notre foi sur une parole nue, sur une parole qui prend le risque d'être contredite par les faits ? À mon avis, la réponse est la suivante : par une décision ferme de notre part. Ce que le psaume nous dit, c'est qu'au fond, la foi, c'est une décision de notre part, c'est une décision que prend l'homme à un moment donné et d'une certaine manière. Nous l'avons ré-entendu tout à l'heure, avec le baptême qui vient d'avoir lieu. C'est une manière de dire : ô notre Dieu, tu as abandonné l'Alliance, eh bien nous, nous ne l'abandonnerons pas. Tu as laissé se détruire l'espérance, eh bien nous décidons d'obéir au commandement d'espérance que tu nous as toi-même donné. Tu as manqué à ta promesse, nous décidons de t'en créditer qu'en même. Tu te caches, mais nous ferons comme si tu étais là, comme si tu étais présent.
Et ne nous dépêchons pas d'objecter que c'est une vue de l'esprit, parce que de toute façon, c'est Dieu qui donne la foi. Je crois qu'il y a une certaine lecture chrétienne qui a trop tendance à tout attendre de Dieu. Nous perdons de vue que le premier de tous les commandements, c'est : écoute. Écoute, c'est le commandement même de la foi. J'ajoute que ce commandement n'est pas hors de notre portée. Voyez l'acte de foi inaugural d'Abraham, le père des croyants. C'est une décision de ce genre. Il écoute, il part. Le texte nous dit simplement : Abraham partit, point.
La foi, ça commence par un acte de liberté, dans lequel je persiste, parce que c'est mon plaisir. Un jour, je décide d'en finir avec ce que je pourrais appeler la danse d'un pied sur l'autre. Vous savez, ces gens qui vous disent : ah, vous avez la foi, comme j'aimerais l'avoir aussi, mais je n'y arrive pas. Eh bien moi je leur réponds : essayez. Essayez, décidez-vous, faites le saut, malgré l'éclipse de Dieu, malgré son silence. Et si l'on me demande : mais vous, vous faites comment pour croire ; je réponds : mais parce que je l'ai décidé. Dostoïevski, par la bouche d'Ivan Karamazov, dit que Thomas, le disciple Thomas, qui est particulièrement privilégié, puisqu'il a pu voir, toucher le corps du Ressuscité, n'a cru que parce qu'il avait décidé de croire.
Donc : décide, et tu verras bien ce qui se passera. La marche, ça se prouve en marchant. C'est un peu comme un postulat. Un postulat, c'est quelque chose qu'on admet sans avoir les moyens de le démontrer. C'est une règle du jeu, et si on veut jouer, on accepte les règles du jeu. C'est assez arbitraire.
La seule chose que nous ayons, nous chrétiens, aujourd'hui, de tangible, c'est le Livre. C'est le Livre et ce qu'il raconte. Nous avons un Livre qui est une prédication, et nous avons le crédit que nous lui accordons. Nous avons une parole, et le crédit que nous lui accordons. Alors, jouons le jeu et voyons où cela nous mène. Faites crédit à la parole de Moïse, faites crédit à la parole du Christ, faites crédit aux textes qui nous les ont transmises, juste pour voir ce que cela donne. Il se peut que quelque chose de nouveau finisse par émerger, qui vous fasse comprendre ce que j'essaie de dire.
Le philosophe Bachelard remarquait un jour que la méthode, c'est ce qu'on découvre après. C'est la même chose pour la Révélation : ce n'est qu'après qu'on peut parler de Révélation, jamais avant. La décision de la foi, elle met en marche, elle met en mouvement quelque chose de profondément mystérieux dans notre vie, et ce quelque chose de profondément mystérieux, il a été magistralement résumé par une formule du sage judéo-espagnol Nahmanide qui disait : quand ton vouloir se met en marche, alors la providence vient à ta rencontre.
Amen.
Lecture de la Bible
Psaume 44
1 Au chef des chantres.
Des fils de Koré. Cantique.
O Dieu! nous avons entendu de nos oreilles, Nos pères nous ont raconté Les oeuvres que tu as accomplies de leur temps, Aux jours d’autrefois.
2 De ta main tu as chassé des nations pour les établir, Tu as frappé des peuples pour les étendre.
3 Car ce n’est point par leur épée qu’ils se sont emparés du pays, Ce n’est point leur bras qui les a sauvés; Mais c’est ta droite, c’est ton bras, c’est la lumière de ta face, Parce que tu les aimais.
4 O Dieu! tu es mon roi: Ordonne la délivrance de Jacob!
5 Avec toi nous renversons nos ennemis, Avec ton nom nous écrasons nos adversaires.
6 Car ce n’est pas en mon arc que je me confie, Ce n’est pas mon épée qui me sauvera;
7 Mais c’est toi qui nous délivres de nos ennemis, Et qui confonds ceux qui nous haïssent.
8 Nous nous glorifions en Dieu chaque jour, Et nous célébrerons à jamais ton nom. -Pause.
9 Cependant tu nous repousses, tu nous couvres de honte, Tu ne sors plus avec nos armées;
10 Tu nous fais reculer devant l’ennemi, Et ceux qui nous haïssent enlèvent nos dépouilles.
11 Tu nous livres comme des brebis à dévorer, Tu nous disperses parmi les nations.
12 Tu vends ton peuple pour rien, Tu ne l’estimes pas à une grande valeur.
13 Tu fais de nous un objet d’opprobre pour nos voisins, De moquerie et de risée pour ceux qui nous entourent;
14 Tu fais de nous un objet de sarcasme parmi les nations, Et de hochements de tête parmi les peuples.
15 Ma honte est toujours devant moi, Et la confusion couvre mon visage,
16 A la voix de celui qui m’insulte et m’outrage, A la vue de l’ennemi et du vindicatif.
17 Tout cela nous arrive, sans que nous t’ayons oublié, Sans que nous ayons violé ton alliance:
18 Notre coeur ne s’est point détourné, Nos pas ne se sont point éloignés de ton sentier,
19 Pour que tu nous écrases dans la demeure des chacals, Et que tu nous couvres de l’ombre de la mort.
20 Si nous avions oublié le nom de notre Dieu, Et étendu nos mains vers un dieu étranger,
21 Dieu ne le saurait-il pas, Lui qui connaît les secrets du coeur?
22 Mais c’est à cause de toi qu’on nous égorge tous les jours, Qu’on nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie.
23 Réveille-toi! Pourquoi dors-tu, Seigneur? Réveille-toi! ne nous repousse pas à jamais!
24 Pourquoi caches-tu ta face? Pourquoi oublies-tu notre misère et notre oppression?
25 Car notre âme est abattue dans la poussière, Notre corps est attaché à la terre.
26 Lève-toi, pour nous secourir! Délivre-nous à cause de ta bonté!
Matthieu 16:4
Une génération méchante et adultère demande un miracle;
il ne lui sera donné d’autre miracle que celui de Jonas.