Résolution pour l’année à venir : ne fais pas vivre la sorcière.

Exode 22:15-18

Culte du 29 décembre 2013
Prédication de pasteur James Woody

( Exode 22:15-18 )

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Culte du dimanche 29 décembre 2013 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, la période étant propice à prendre de bonnes résolutions pour l’année à venir, je vous propose de convenir de ne pas faire vivre la sorcière. Et, par une herméneutique subtile, j’aimerais décliner cette résolution sous trois aspects : tu ne dépenseras pas ton argent en horoscope, tu ne nourriras pas les trolls et tu ne t’exposeras aux sales cons.

Commençons par nous interroger sur ce qu’une sorcière vient faire ici. Habituellement, la sorcière habite les contes pour enfants ; c’est le personnage maléfique qui lutte contre le héros à grand renfort de potions, d’imprécations qui ont pour objet d’empêcher le héros d’accomplir sa mission, d’épouser le prince charmant, de devenir roi. Ici, la sorcière trouve sa place entre deux autres personnages : l’homme qui séduit une vierge et une personne qui couche avec un animal. Prendre en compte ce contexte étroit est justifié par l’auteur du texte biblique qui utilise de part et d’autre le même verbe shakav, « coucher » au sens d’avoir des relations sexuelles. On ne peut comprendre le rôle de la sorcière qu’à la condition de tenir compte des quotes qui l’entourent. D’un côté un homme qui a un rapport de séduction avec une vierge, qui va coucher avec elle et qui se fiancera avec, selon le rituel de la dot, en vigueur dans la culture où le texte biblique voit le jour. De l’autre côté, quelqu’un qui couche avec un animal. Il ne peut y avoir de rapport de séduction : l’humain et l’animal ne parlent pas le même langage. Si une complicité peut s’installer entre l’homme et la bête, la relation est asymétrique car la communication ne fonctionne pas sur le même registre. A supposer qu’un individu ait des relations sexuelles avec un animal, ce ne serait pas en raison du fait que l’animal y verrait une manière de célébrer une forme d’intimité, mais parce que l’individu en question imposerait sa volonté à l’animal.

D’un côté, l’homme qui séduit la vierge est dans le registre de la parade nuptiale qui établit une chorégraphie de l’amour et débouche sur une alliance de deux êtres qui s’unissent corps et âme. De l’autre côté, quelqu’un abuse de la complicité d’un animal, il le prend sexuellement et commet un viol. Entre les deux, la sorcière. La sorcière est placée, par le rédacteur, à la jonction de ces deux comportements et nous pouvons constater qu’elle se situe dans un parcours qui éloigne l’homme de son humanité. L’homme qui séduit la vierge deviendra le compagnon, le fiancé de la femme et de leur histoire pourra naître l’histoire d’une autre chair, fruit de leur rencontre. C’est une histoire féconde. Concernant la sorcière, il est demandé de ne pas la faire vivre. C’est une histoire stérile. Concernant celui qui couche avec un animal, c’est la mort qui sera son dû. C’est une histoire funeste. Selon le texte biblique, la sorcière opère le passage de l’humain au non-humain ; elle fait la transition de ce qui conduit à la vie vers ce qui conduit à la mort.

Pour avoir un peu plus de renseignements sur la sorcière et la sorcellerie, nous pouvons aussi examiner les pratiques observées par le jésuite Eric de Rosny au Cameroun, dont il a rendu compte dans son étude « Les yeux de ma chèvre ». Il y décrit le rôle du nganga qui lutte contre les sorciers et la sorcellerie, à la manière d’un exorciste. Son travail a des allures ésotériques pour l’œil non averti de l’occidental qui considère que la sorcellerie ce n’est que dans les contes pour enfants (et qui oublie que les adultes sont des enfants qui ont grandi). Le travail du nganga consiste à neutraliser l’action maléfique des sorciers, à guérir les personnes de la malchance, non pas seulement à base d’une cuisine sophistiquée et de sacrifices rituels, mais à partir d’une écoute attentive de l’environnement de la personne affectée par un trouble, afin de repérer ce qui pose problème, quels sont les mécanismes et les individus qui réduisent la capacité d’être des personnes qui font appel au nganga, à la manière de Jésus qui libérera bien des personnes de systèmes mortifères. A partir de là, je reviens sur mes trois propositions pour ne pas faire vivre la sorcière.

Ne pas dépenser son argent en horoscope

La sorcière, en opérant le passage de la séduction à la prise violente de l’autre, est une figure de ce qui confisque la parole, de ce qui réduit les possibilités de relations entre les personnes. C’est ce que je reproche aux horoscopes. Prenez un horoscope qui pourrait vous concerner en fonction de vos date et lieu de naissance, vous pourrez constater qu’il n’est pas spécialement éloigné de la vérité. Prenez en un qui ne correspond pas, et vous pourrez constater qu’il n’est pas spécialement éloigné non plus. Les horoscopes réduisent notre être, nos possibilités, à des tranches, des parcelles d’existence. L’horoscope réduit le réel à une réalité parmi d’autres. L’horoscope nous prive de l’ensemble des possibilités qui s’offrent à nous. Horoscope, destin, fatum, autant d’éléments qui nous donnent parfois le sentiment d’être juste par rapport à nous, mais auxquels il ne faut pas se fier car, en étant parfois totalement vrai, ils n’expriment pas, pour autant, la totalité du vrai. Sans être très audacieux, je pourrais dire que l’année 2014 verra une femme devenir maire de Paris. Sur le plan statistique, j’ai de grandes chances d’avoir raison, indépendamment du duel entre Uranus et Pluton et des compétitions qui auront probablement lieu entre astrologues sur cette question là. Sur le plan du réel, d’un point de vue théologique, les possibilités ne s’épuisent pas dans ce qui est prévisible. De l’imprédictible est aussi possible que des inondations plus violentes que prévues. Ne fais pas vivre la sorcière : plutôt que payer ton thème astral, utilise ton argent dans des projets qui augmenteront le bonheur, qui favoriseront les rapports de séduction, c’est-à-dire qui favoriseront la communication, plutôt que d’investir dans ce qui réduit notre liberté à une option.

Ne pas nourrir les trolls

La sorcière, en nous conduisant de communication interpersonnelle vers le monologue barbare, fait déraper notre communication et la pervertit. C’est le principe des trolls, expression désignant celles et ceux qui, sur les réseaux sociaux, dans les discussions, entraînent la discussion sur des sujets secondaires ou font valoir des arguments émotionnels et singuliers qui parasitent l’argumentation rationnelle. C’est aussi ce que l’on pourrait appeler un sophisme. Il y a des trolls bénins qui ont juste un esprit taquin. Il y a les trolls malins qui, eux, cherchent la polémique pour déstabiliser, pour blesser, pour contrarier, pour nuire. Selon la formule utilisée sur le réseau twitter : « don’t feed the troll », ne nourrissez pas le troll, ne faites pas vivre la sorcière.

Il ne s’agit pas de la censurer, ni de l’interdire. Il s’agit de ne pas la faire vivre, de ne pas l’alimenter en entrant dans son jeu, par exemple. A ceux qui instillent un peu de haine ou de racisme dans l’ordinaire de leur discours, ceux qui inoculent des petites doses de poison et opèrent ainsi une mithridatisation des esprits, il convient de ne pas prêter le flanc en nourrissant la polémique, en répliquant sur un registre semblable. On ne combat pas le mal par un mal supérieur, mais par un bien supérieur. Mieux vaut dépenser son énergie à sauver ce qui doit l’être, qu’à attaquer la sorcière qui, à la manière d’un trou noir, se nourrit de tout ce qu’elle touche et prospère sur nos renoncements à ce que nous sommes, aux convictions fondamentales qui font de nous des humains et non des barbares. Ne nourrissons pas les trolls, ne nous concentrons pas sur les sujets secondaires, n’alimentons pas les polémiques, mais donnons toute notre démesure dans les parades nuptiales qui conduisent aux fiançailles fécondes, aux alliances positives. Défendons une foi crédible, défendons l’être humain dans toutes ses dimensions, défendons la liberté d’être et d’entreprendre, défendons la fraternité universelles, défendons la laïcité généreuse et soyons des avocats dévoués de ces causes qui nous sont chères : alors nos contemporains n’auront cure de la sorcière.

Ne pas s’exposer aux sales cons

La sorcière, en mettant fin au chemin de la séduction qui conduit les amants l’un vers l’autre, fige l’être et le conduit à la mort. La sorcière brise l’élan créatif de la personne, en fait un objet qui pourra être consommé, utilisé par celui qui s’en fera le maître. Un professeur de Stanford, Robert Sutton, a consacré l’essentiel de sa carrière à observer les entreprises, la manière de les diriger, les dynamiques à l’œuvre au sein des services et il a mis en évidence l’existence d’une catégorie de personnels particulièrement nuisible : les « sales cons ». Il a repéré des comportements caractéristiques des sales cons dans le monde professionnel, parmi lesquelles : humilier par des remontrances publiques, jeter des regards mauvais, couper grossièrement la parole, lancer des insultes personnelles, envahir l’espace personnel d’autrui, dissimuler sous des plaisanteries sarcastiques et des soi-disant « taquineries » des propos vexatoires, critiquer le statut social ou professionnel, imposer des contacts physiques importuns. Les sales cons, qui s’attaquent en général à des subalternes ou des collègues de même rang, à leurs supérieurs dans 1% des cas, rabaissent et humilient leurs victimes. Le sale con n’est pas celui qui nous irrite ou avec lequel nous n’avons pas d’atomes crochus ; c’est celui qui, pervers, parvient à donner à ses collaborateurs ou subalternes un sentiment de nullité ; c’est celui qui crée une ambiance délétère. C’est celui qui se nourrit de rabaissement de l’autre pour augmenter sa propre estime de soi. Les sales cons coûtent chers aux sociétés car, s’ils ont de bonnes voire de très bonnes performances personnelles, ils réduisent la performance d’ensemble et mettent en danger l’entreprise ou les missions de l’entreprise.

Ne t’expose pas au sale con, ne fais pas vivre la sorcière ou, comme le disait Walt Whitman, « rejette tout ce qui insulte ton âme véritable. Alors ta chair deviendra un grand poème et aura la plus belle éloquence, pas seulement dans ses mots, mais dans les plis de tes lèvres et de ton visage et jusque dans les mouvements de ton corps. »

Ne fais pas vivre la sorcière qui te mène droit à la mort. Ne fais pas vivre la sorcière qui t’accable, ne fais pas vivre la sorcière qui est en toi et te prive du bal nuptial que t’offre la vie. Ne fais pas vivre la sorcière qui te prive de bien des possibilités, de bien des promesses divines qui sont ouvertures au monde, à la vie et non enfermement dans un rôle unique. Ne fais pas vivre la sorcière qui t’éloigne de l’ultime, de l’absolu qui sont l’horizon que l’Eternel ouvre inlassablement devant toi. Ne fais pas vivre la sorcière qui t’empêche d’être toi-même, qui te réduit au néant, qui te ravale au rang du non-être. Ne fais pas vivre la sorcière, mais fais vivre l’autre, l’altérité, dans ce rapport de séduction qui provoque la transcendance.

Amen

Lecture de la Bible

Exode 22:15-18

Si le maître est présent, il n’y aura pas lieu à restitution.

Si l’animal a été loué, le prix du louage suffira.

16 Si un homme séduit une vierge qui n’est point fiancée, et qu’il couche avec elle, il paiera sa dot et la prendra pour femme. 17 Si le père refuse de la lui accorder, il paiera en argent la valeur de la dot des vierges.

18 Tu ne laisseras point vivre la magicienne.

Traduction NEG

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